Translate

Affichage des articles dont le libellé est Gesualdo Bufalino. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Gesualdo Bufalino. Afficher tous les articles

mercredi 31 mai 2017

Malincuore, il giorno del santo (À regret, le jour de la fête)




Quando c'è festa nei miei paesi
vengono da lontano i venditori,
mangiaspade, mangiafuoco,
con mani immense e scamiciate alzano
sui bambini la tromba del diluvio,
dormono a notte nei fondachi scuri,
se ne vanno un mattino sotto la pioggia.

Io non ho fiere più da visitare,
e più m'attempo più voglio morire.

Gesualdo Bufalino  Il miele amaro  Bompiani Editore






  Les jours de fête dans mes villages
les forains viennent de loin,
avaleurs de sabres, mangeurs de feu
débraillés, avec des mains immenses, ils brandissent
au-dessus des enfants la trompette du déluge,
ils dorment la nuit dans les entrepôts sombres
et repartent au matin sous la pluie.

Je n'ai plus de foires à visiter,
et plus je vieillis plus j'ai envie de mourir. 

(Traduction personnelle)








 Images : en haut, Luigi Strano  (Site Flickr)

au centre, Site Flickr

en bas, Luciano B.  (Site Flickr)




dimanche 14 mai 2017

Aubade





...à la cime argentée je reconnus la déesse.







Per cento notti lupa fedele

sei venuta a battaglia con me
fra il sonno, e le tue mani
mi cercarono il viso, mi ricordo
d'una parola che dicevi sempre.

Infine giunse l'alba, e la sua nube
dove pascola il fulmine randagio.

Gesualdo Bufalino L'amaro miele Ed. Einaudi

Pendant cent nuits telle une louve fidèle
tu es venue dans mon sommeil
combattre contre moi, et tes mains
cherchèrent mon visage, je me souviens
d'un mot que tu disais sans cesse.

Puis vint l'aube, et son nuage
où paît la foudre vagabonde.

Traduction : Renato Corona (Le miel amer, Editions L'Amourier)






Images
: en haut, La Promeneuse de l'aube, de Jean-Paul Marcheschi

en bas, Salle de la fin de la nuit, de Jean-Paul Marcheschi (Source)




dimanche 18 janvier 2015

Mal di luna (Mal de lune)






Il male della luna

Non so se fu malocchio
che mi sciolse i ginocchi,
malocchio di mezzogiorno.

Non so se fu scorpione
che mi punse il tallone,
scorpione di pozzo rotondo.

Non so se fosti tu,
con uno spillo nel pugno
e con le labbra d'aceto.

Io non so nulla più,
ho il male della luna,
e non m'aiuta nessuno.

Gesualdo Bufalino  Il miele amaro  Bompiani Editore






Le mal de lune

Je ne sais si ce fut le mauvais œil
qui me dénoua les genoux,
mauvais œil de midi.

Je ne sais si ce fut le scorpion
qui piqua mon talon,
scorpion du puits rond.

Je ne sais si ce fut toi,
une épingle entre les doigts
et des lèvres de vinaigre.

Je ne sais plus rien,
j'ai le mal de lune,
et personne ne m'aide.

(Traduction : Renato Corona )




On peut voir ci-dessus un extrait de l'épisode Mal di luna, adaptation d'une nouvelle de Pirandello par les frères Taviani, dans le film Kaos. On y entend une chanson traditionnelle sicilienne dans un arrangement de Nicola Piovani ; j'en cite ci-dessous le texte, suivi de ma traduction :


La luna 'un avi jammi e vui l'aviti,
idda I'argento e vui l'oro purtati.
Idda la luci spanni,
idda la luci spanni e vui la dati.

La luna in cielo e vui luciti 'n terra,
siti 'na donna di billizzi rari
e spirluciti comu 'na lanterna
comu varca a macieddu supra mari,
comu varca a macieddu supra mari.

Ne lo tuo pietto 'n aucieddo ci verna.
Nella tu vucca 'n arburu ci arridi.
Bella ca fusti fatta,
Bella ca fusti fatta
in vita eterna.
Tutti l'arburi sicchi fai sciuriri,
Tutti l'arburi sicchi fai sciuriri.

La lune n'a pas de flammes, mais vous en avez,
elle est vêtue d'argent, et vous êtes vêtue d'or.
Elle répand la lumière,
elle répand la lumière et vous la prodiguez.

La lune resplendit dans le ciel et vous resplendissez sur la terre,
vous êtes une femme à la beauté si rare
et vous brillez comme un fanal
comme une barque qui se perd en mer,
comme une barque se perd en mer.

Près de ton cœur un oiseau passe l'hiver.
Dans ta bouche pousse un petit arbre.
Belle, tu le seras pour l'éternité.
Tu fais refleurir tous les arbres morts,
Tu fais refleurir tous les arbres morts.




Images : (1) Michele Angelo Salvioni  (Site Flickr)

(2) Source



dimanche 2 mars 2014

Parmi les ombres



"Ombra che, stanca, ti allontani da me
 Nella vita cos'è che ti manca ?" 






Trois extraits du chapitre "Lieux d'autrefois", dans l'ouvrage de Gesualdo Bufalino Musée d'ombres :


‘U CINIMA «BALILLA» 

Sopra un immenso lenzuolo, in fondo a quel vecchio magazzino dietro la piazza, si avvinsero e si baciarono, come grosse larve, John Gilbert e Greta Garbo, in un silenzio di tomba. Né bastò alla fine Ridolini, nella sua lunare follia di cinque minuti, a riportare il sorriso sulle pallide asciutte labbra dei giovanotti in loggione ; inutilmente con dita di ferro Don Peppino Costanzo intonò, sui tasti bianchi e neri del suo strumento, La Violetera.






LE CINEMA «BALILLA» 

Sur un immense drap, au fond de ce vieil entrepôt derrière la place, s’étreignirent pour un long baiser, tels deux fantômes à la mine plâtreuse, John Gilbert et Greta Garbo, au milieu d’un silence de tombe. Et même Ridolini ne parvint pas, dans les cinq minutes de folie lunaire données en fin de spectacle, à ramener le sourire sur les lèvres pâles et sèches des jeunes gens du poulailler ; vainement, de ses doigts de fer, sur les touches noires et blanches de son instrument, Don Peppino Costanzo attaqua La Violetera



 
 
 
 


'U TEATRU 

Eppure ci fu una sera in cui, sotto le volte di un soffitto tutto stucchi, sfolgorarono vampe d’oro e crepitarono battimani ; in cui scarpette di raso calcarono gli scalini che ora ingombra e consuma l’ortica. Venne lei, la Patti, la divina Adelina, la voce più bella del secolo, e per otto onze, secondo il contratto controfirmato dal Marchese Ferreri, apparve alla ribalta entro il cerchio di un grande lampadario di cristallo, bianca di luce e di cipria, come un angelo di cera. Poi si perse per sempre nel buio, in un galoppo di fragorosa carrozza. Ne parlarono  a lungo i vecchi, seduti sulle soglie, nei pomeriggi d’estate. 



 LE THEÂTRE 

Pourtant il y eut bien ce soir où, sous les voûtes d’un plafond tout de stucs, resplendirent des flammes d’or et crépitèrent des applaudissements ; où de petits souliers de satin foulèrent les marches qu’envahit maintenant et que ronge l’ortie. Elle y vint, elle, la Patti, la divine Adelina, la plus belle voix du siècle, et pour huit onces, selon les termes du contrat portant le contreseing du marquis Ferreri, elle parut sur la scène au centre de la clarté, sous un grand lustre de cristal, blanche de lumière et de poudre, telle un ange de cire. Et puis elle se perdit à jamais dans la nuit, disparue au galop fracassant d’un carrosse. Et de ce soir longtemps après parlèrent les vieillards, assis au seuil de leur demeure, par les après-midi d’été.






‘A MANDRETTA 

Sotto questa bucolica insegna una vasta baracca, con l’ingresso sul viale, ospitò nei primi illusi anni del dopoguerra una minuscola orchestrina e tre ragazze dalla bocca troppo dipinta. Più di un marito disertò per loro l’antico venerabile talamo ; più di un adolescente attinse con mani notturne al portafoglio paterno, per gustare, guancia a guancia, i dolcissimi inferni di una canzone che si chiamava Begin’ the beguine.


«LE PETIT TROUPEAU» 

Sous cette enseigne bucolique, une grande baraque, ouvrant sur l’Avenue, accueillit, au cours des premières années pleines de faux espoirs de l’après-guerre, un minuscule orchestre et trois filles à la bouche trop maquillée. Pour elles, plus d’un mari déserta l’antique et vénérable lit nuptial ; plus d’un adolescent puisa d’une main nocturne dans le portefeuille paternel afin de savourer, joue contre joue, l’enfer exquis que promettait certaine chanson... Le titre en était Begin’ the beguine.






L'édition bilingue de Musée d'ombres, de Gesualdo Bufalino est parue en 2008 dans la collection des Cahiers de l'Hôtel de Galliffet (Traduction : André Lentin et Stefano Mangano


 Image : "Cinema Odeon" Marco Bernardini (Site Flickr)

dimanche 9 juin 2013

A vita mi fa mali (J'ai mal à la vie)



Dans Museo d'ombre (Musée d'ombres), l'écrivain sicilien Gesualdo Bufalino dresse un inventaire de métiers disparus, de lieux de la mémoire, de vieilles locutions ou proverbes, de visages lointains et oubliés, tous puisés dans le passé de Comiso, un bourg de la Sicile ionienne où l'écrivain a passé la plus grande partie de sa vie. Cette collection mentale de jours, de gestes, de paroles et de lieux disparus, ce cortège d'ombres que convoque Bufalino, "que les souvenirs rendent malades et dont les souvenirs sont le remède", rejoint le projet d'un autre grand Sicilien, Leonardo Sciascia, dans Kermesse et Occhio di capra. Il existe une très belle édition française (bilingue) de Musée d'ombres, publiée par l'Institut culturel italien, dans sa collection Cahiers de l'Hôtel de Galliffet. L'extrait que je cite ici est le commentaire d'une vieille locution sicilienne :

"CHI TI FA MALI ?" "A VITA, MI FA MALI." ("Cosa ti duole ?" "La vita, mi duole.")

Vi è l'inganno del cielo : una vigna che s'è sudato un anno a tirare su, e ha i grappoli tondi e tosti come le mammelle di Donna Amalia, ecco viene la gelata secca e se la mangia via.

V'è il tradimento del sangue : i figlioli dirazzano, lui fra bettola e casino, lei alla finestra col muso pittato. E non dicono più voscenza, se uno li sgrida cominciano a canticciare zuzuzù zuzuzù.

Vi sono le posteme della miseria : da non poter comprare né i gambali per le notti d'addiaccio, né la pipata di tabacco dopo il pranzo di pane e cipolle ; da non potere sperare mai una mezza giornata di quiete, di pulizia, con gli amici al tavolo del caffè, mentre suonano il Rigoletto.

Vi è l'inimicizia del tempo : ogni mattina ha la sua pena, i reumi, la prostata. E le vampate al viso, un dolore (sarà un reuma anche questo) qui a sommo del petto, suppergiù dove c'è il cuore.

Allora, quando bussa il dottore Cabibbo e domanda dietro la porta : "Chi ti fa mali ?", "A vita, mi fa mali.", si risponde.

Gesualdo Bufalino Museo d'ombre Ed. Bompiani


  

« CHI TI FA MALE ? » « A VITA, MI FA MALI. » (« Tu as mal où ? » « J'ai mal à la vie. »)


Il y a la duperie du ciel : une vigne qu'on a sué sang et eau toute l'année pour lui faire prendre des forces, on voit maintenant des grappes rondes et fermes comme les seins de Donna Amalia, arrive la gelée blanche, et elle mange le tout en un instant.

Il y a la trahison de son propre sang : les enfants dégénèrent, le garçon entre taverne et bordel, la fille à la fenêtre, le museau peinturluré. Et ils ne disent plus voscenza (Votre excellence), si tu les reprends, ils se mettent à chantonner, gna gna gna et gna gna gna.

Il y a les abcès de la misère : ne plus pouvoir s'offrir les jambières pour les nuits glacées où l'on campe aux champs, ni la pipe de tabac après le repas de pain et d'oignons, ne plus pouvoir même espérer une demi-journée dans le calme et la propreté, attablé au café avec les amis tandis qu'on joue Rigoletto.

Il y a l'inimitié du temps : à chaque matin sa peine, les rhumatismes, la prostate. Et ces bouffées au visage, cette douleur-là – encore un rhumatisme sans doute – en haut de la poitrine, dans la région du cœur.

Alors, quand le docteur Cabibbo frappe et demande, derrière la porte : « Tu as mal où ? », on lui répond : « J'ai mal à la vie. »

Traduction
: André Lentin et Stefano Mangano (Musée d'ombres, Cahiers de l'Hôtel de Galliffet, 2008)

 





Toutes les photographies sont d'Alex Rupor (Site Flickr)





mercredi 20 mars 2013

Il tramonto della luna (Le déclin de la lune)











Le texte de Gesualdo Bufalino que l'on peut lire ci-dessous est extrait de son ouvrage Cere perse (Cires perdues), dans lequel il a réuni quelques uns de ses articles écrits pour différents journaux. Je cite ici le début de l'article intitulé Il tramonto della luna :

La luna era di casa nelle canzoni della mia gioventù. Su nessun testo di poeta ermetico mi sono travagliato come a decifrare l'attacco, arditamente demente, di Luna marinara : «Luna marinara, / l'amore è dolce se non si impara, / se si dice ma...»

Vi furono lune bugiarde, malinconiche, galeotte, appuntamenti con la luna fuori di città, l'astro d'argento luccicò a lungo, con zelo professionale, sul mare di Santa Lucia. Et vi fu Luna lunera, un motivetto spagnolo che mi piaceva stonare, mentre mi sbarbavo nel bagno della pensione. «Luna lunera, cascabelera...» Un vocabolo, questo, che m'intrigò, irreperibile nel mio dizionarietto da tasca, e tuttavia gradevole fra le labbra come un dolciume. So ora che vuol dire "sventata", "pazzarella" ma non mi serve saperlo, non canto più, né un mistero verbale basterebbe a incantarmi. Solo mi chiedo di tanto in tanto se i parolieri apprezzino ancora un pianeta così consumato. Bisognerà che m'informi in giro, non ho pratica, il mio disprezzo per le musicherie odierne è forse ingiusto ma risoluto quanto quello di mio padre per le canzoni che piacevano a me. Pure, da qualche sillaba che m'è capitata di cogliere passando sotto un balcone canoro o aprendo incautamente la radio, ho appreso abbastanza per convincermi che oggi sono di moda linguaggi più decisivi.

Del resto il discredito della luna era cominciato già prima, le sue ultime fortune si ebbero al tempo dei coprifuochi di guerra. Poi fu sempre più difficile alzare gli occhi al cielo, si rischiava di finire sotto una ruota. La campagna in parte si spopolò, in parte si corruppe di case urbane, di luci elettriche ; la luna divenne una cosa da astronomi, grigio ciottolo galeggiante nella negrità degli spazi. Tanto peggio per i superstiti cavalieri della notte, i lunatici, i tiratardi, i guardiani di faro, i baristi by night, i ladri di passo, i pastori erranti, i lupi mannari, le ronde del piacere, le sonnambule, i fornai...

Gesualdo Bufalino  Cere perse  Ed. Classici Bompiani, 2006






La lune est chez elle dans les chansons de ma jeunesse. Jamais sur aucun texte de poète hermétique je n'ai autant peiné que pour déchiffrer le début, audacieusement insensé, de Luna marinara : «Luna marinara, / l'amour est doux si on l'ignore, / si on dit mais...»

 


Il y eut des lunes menteuses, mélancoliques, entremetteuses, des rendez-vous avec la lune loin de la ville ; l'astre d'argent brilla longtemps, avec un zèle tout professionnel, sur la mer de Santa Lucia. Puis il y eut Luna lunera, un petit refrain espagnol que, même si je chantais faux, j'aimais fredonner en me rasant dans la salle de bains de la pension. «Luna lunera, cascabelera...» Un mot, celui-là, qui m'intrigua longtemps, introuvable dans mon petit dictionnaire de poche, et cependant aussi agréable sur les lèvres qu'une friandise.  Maintenant, je sais qu'il signifie "écervelée", "fofolle", mais ça ne me sert plus à rien de le savoir, je ne chante plus, et plus aucun mystère verbal ne suffirait à m'enchanter. Il m'arrive seulement parfois de me demander si les paroliers parviennent encore à apprécier une planète aussi usée. Il faudra que je m'informe autour de moi, le sujet m'échappe complètement ; mon mépris pour les musiquettes d'aujourd'hui est peut-être injuste, mais il est tout aussi résolu que celui de mon père pour les chansons qui me plaisaient. Toutefois, d'après les quelques bribes qu'il m'est arrivé de saisir au vol en passant sous un balcon à sérénade ou en ouvrant imprudemment la radio, j'en ai appris suffisamment pour me convaincre qu'aujourd'hui, la mode est à des vocables plus crus.

 


Du reste, le discrédit de la lune ne date pas d'hier, ses dernières fortunes remontent à l'époque des couvre-feux pendant la guerre. Par la suite, il devint de plus en plus difficile de lever les yeux au ciel, on risquait à tout moment de finir sous les roues d'une voiture. On vit la campagne se dépeupler et se corrompre sous l'afflux des constructions modernes et des lumières électriques ; la lune devint une affaire d'astronomes, un caillou gris flottant dans la noirceur des cieux. Et tant pis pour les derniers chevaliers de la nuit, les lunatiques, les couche-tard, les gardiens de phare, les employés des bars de nuit, les monte-en-l'air, les bergers errants, les loups-garous, les rondes du plaisir, les somnambules, les boulangers...

(Traduction personnelle)






Images : grazie a Aurelio Candido (Site Flickr)

lundi 18 mars 2013

Les péripéties de la lumière (Le peripezie della luce)




Ce nouvel extrait de Cires perdues, de Gesualdo Bufalino, est consacré au peintre sicilien Piero Guccione, né en 1935 :

De quelle couleur sont les yeux de Piero Guccione ? Bien que le connaissant depuis des années, je ne saurais répondre, j’ai toujours regardé ses tableaux davantage que son visage. Il conviendrait pourtant de le savoir. Car un fil invisible court, je le suppose, entre la main qui peint et la pupille qui la dirige ; et le fait qu’un peintre ait l’œil céleste, gris ou marron, doit avoir quelque obscure influence sur le choix de sa palette. Après tout, le sortilège de la peinture est là : dans une rétine qui brusquement s’ouvre toute grande sur les choses et qui, tout en s’en imprégnant, les imprègne d’elle-même et les colore jusqu’à les capturer dans le piège d’un cadre. Tout artiste, qu’il soit ou non peintre du dimanche, porte dans le balbutiement ou le cri de son fiat la marque d’une intrépide appropriation visuelle. Voir, je veux dire le simple fait de voir, signifie créer, soustraire le désordre de l’être à la cécité du non-être. Peindre signifiera donc non seulement créer deux fois, mais voler deux fois, s’il est vrai que dans chaque peintre se cache naturellement l’image à double face d’un voleur et d’un dieu. (...)




Pour Guccione, le divin est partout, mais essentiellement dans les péripéties de la lumière lorsqu’elle affile sur la peau des objets le tranchant de son épée. Il la saisit alors au passage avec des astuces de braconnier ; et c’est au moment précis où l’espionnage devient extase et la vue vision que naît son mysticisme laïque. Lequel est une façon, simple et noble entre toutes, de débarrasser les choses de leurs scories historiques pour les recontempler dans leur virginité initiale, comme lors du repos du septième jour ou de la première aube qui suivit le déluge. Car c’est bien une paix rédemptrice que célèbrent ses paysages raréfiés : depuis les ciels où surgit une hirondelle noire ou bien où tremble une lune minuscule, jusqu’aux compactes étendues marines sillonnées de fleuves d’azur sous-marins, là plus légers, ici plus lourds ; jusqu’à l’or fané des haies et des plages telles qu’elles apparaissent derrière les grilles d’une barrière ou magiquement réfléchies sur le coffre-mirage d’une Volkswagen. On en retire l’image d’un monde suspendu entre perdition et innocence : peut-être à la veille d’une catastrophe, peut-être sauvé, au bord de l’abîme, par le battement d’aile d’une colombe. Comme si le regard du peintre, mince judas mi-clos dans la feinte abstraction du visage, réussissait chaque fois à découvrir, derrière l’arrogance des apparences, les angéliques lignes de force, les squelettes portants de l’univers, couverts de couleurs comme les écueils submergés par le flot… (…)




Grand peintre que ce Guccione, si tant est qu’une plume partisane puisse l’écrire. Et elle le peut : encouragée par l’assentiment de tant de personnes, de Moravia à Sciascia, de Susan Sontag à Dominique Fernandez ; mais plus encore soutenue par l’autorité que confère l’émotion : la contre-épreuve puérile, éphémère, aléatoire, mais bénie et décisive des larmes.

Gesualdo Bufalino  Cires perdues  Julliard, 1991  (Traduction : Jacques Michaut Paternò) 











Images : tableaux de Piero Guccione

de haut en bas : (1) Il mare

(2) Il muro del mare, olio su tela, 2010

(3) Le ombre del mare

(4) Piccola marina con cavo

(5) Luna mattutina, olio su tela, 2009-2010 




dimanche 17 mars 2013

L'île prodigieuse (L'isola prodigiosa)



"Inglesi, francesi, tedeschi, borbonici e vigatesi comunque una cosa rilevarono di comune accordo e cioè che su quell'isola non solo non cresceva un'alga, e questo si poteva spiegare, ma non si posava manco un uccello. Terra morta era, che dopo un poco dava nervoso e strammarìa a chi vi stava sopra." 

Andrea Camilleri  Un filo di fumo





Un extrait du très beau livre Cere perse (Cires perdues), de l'écrivain sicilien Gesualdo Bufalino :

Le 28 juin 1831, les marins d’un bâtiment qui naviguait dans le canal de Sicile au large de Pantelleria firent l’expérience d’une peur singulière : ils sentirent la surface de l’eau se fendre et s’arquer sous la quille, tandis que des profondeurs montait un grondement, un hurlement pareil à ceux d’une femme en couches. Ils ne comprirent pas, se signèrent, forcèrent les machines et s’éloignèrent. On sut ensuite que le même jour, à la même heure, les patients des thermes de Sciacca, plongés dans leur baignoire pour les ablutions habituelles, avaient dû bondir hors de leur bain, la température y étant brusquement devenue insupportable. Quelque chose était donc en train de couver dans les entrailles de la mer, et on ne le comprit que quelques jours plus tard, lorsque de la côte on vit surgir une haute colonne de fumées et de vapeurs. Celles-ci une fois dissipées, les quelques courageux qui avaient osé s’approcher découvrirent que l’abîme avait, non sans peine, accouché d’une île de sable noir dont la circonférence mesurait entre trois et quatre kilomètres, mais dont la hauteur ne dépassait guère trois empans, sauf au centre où surgissait un cône de débris de lave encore fumante.




L’île fut aussitôt annexée aux cartes nautiques et régulièrement baptisée, en conformité avec les différentes langues des intéressés : Graham fut le nom donné par les Britanniques, les Français, eux, l’appelèrent Julie, peut-être parce que née en juillet. Ferdinand II de Naples décréta qu’elle porterait son nom et s’en proclama pour d’évidentes raisons de voisinage le seigneur et maître. Maître d’un rien magnifique, à dire vrai. Car à peu de temps de là, le malheureux bout de terre diminua, se rétrécit comme la peau de chagrin du roman de Balzac, publié cette même année 1831. Quelques mois passèrent, et au printemps 1832, l’île avait complètement disparu, ne laissant derrière elle qu’un pullulement de bulles chaudes et des relents de soufre. Non sans avoir vu auparavant quelques personnes fouler son sol par amour de la science ou par curiosité ; l’illustre Walter Scott, entre autres, recueillit en octobre 1831 sur ses rives deux poissons « vraisemblablement morts en raison de la température élevée de l’eau », ainsi qu’un rouge-gorge « venu des terres voisines mourir de faim et de soif sur cet écueil… » (...)




L’île Ferdinandea, disent les dictionnaires, réapparut brièvement en 1863… Pourquoi ne pas espérer la voir réémerger un beau matin ? J’accepte les paris dans un temps rapproché, une vision qui se respecte n’exclut pas le bis. Et s’il est vrai qu’un dieu sophistiqué et ponctuel préside à l’action des mirages, quelque chose finira bien par arriver…

Cela me remet en mémoire ces vers lointains d’Ungaretti : « pareil à une mer instable et légère / qui de loin offre et cache / une île fatale… ». Confirmation ultérieure de l’aura céleste que répand chaque île. Peut-être même que non plus une seule, mais toutes les îles, fausses ou réelles, sont fatales ; toutes, quelles qu’en soient la nature, l’espèce, illustrent la multiplicité des sens et des allégories chiffrées de l’univers : les Emphatiques (Sainte-Hélène, Guernesey, Caprera…) ; les Magiques (l’île d’Alcina, l’île de Pâques, l’île des Voix… [chez Stevenson]) ; les Tragiques (celle de Philoctète, celle du Seigneur des Mouches, celle de Gordon Pym…) comme les Heureuses, les Fortunées… Îles innombrables, toutes difficiles, comme est difficile et double leur nature. Elles rassurent : on peut en faire le tour ; mais elles font peur : on ne peut en sortir. Le bonheur de Robinson est aussi sa condamnation ; à l’inverse des labyrinthes dont le vicieux enchantement tient au fait qu’on peut s’y perdre, les îles, catégoriquement circulaires, réaffirment la certitude, et par là même l’inutilité, de se retrouver. Elles disciplinent la solitude mais la font sentir invincible. Et tandis qu’elles dénoncent l’arbitraire de l’infini, elles en rendent la perte plus douloureuse encore. Cellules de cloître ou de prison, celui qui s’y enferme peut aussi bien en tirer des raisons de croire en Dieu que de désespérer de jamais l’aimer… En somme, l’insularité est à la fois un privilège et une peine, pensez-y deux fois avant d’y venir en vacances, vous qui habitez les grandes plaines où l’on peut toujours marcher devant soi. Ne mesurez pas notre souffle d’après le vôtre. Et surtout, hommes de la terre ferme, ayez pitié de nous qui vivons dans les îles : nous pourrions, d’un moment à l’autre, disparaître.

Gesualdo Bufalino  Cires perdues  Julliard, 1991 (Traduction : Jacques Michaut-Paternò)


Le site de la Fondazione Gesualdo Bufalino








Images : en haut, Marisa Battaglia  L'isola Ferdinandea

tout en bas, Source



lundi 12 novembre 2012

L' Île et l'idylle




Dicono che qui, fra splendore e squallore, non rimanga spazio per il soave ; che la nostra non è terra d'idillio.

Dicono, ma è vero a metà. Conosco solitudini d'isola d'una tenerezza infinita, intime come pieghe di carne : alla foce del Platani, nella valle di Cimia, sul pianoro dell'Arcibessi... Persino le coste, per quanto manomesse e corrotte dall'infezione balneare, serbano ancora intatto qualche lembo d'incantesimo e di pace, in posti che mi guardo bene dal rivelarvi. Senza dire che anche ai siti più pubblicati è talvolta possibile estorcere il miracolo d'una sorpresa. Ricordo, dopo la fine d'uno spettacolo estivo, quando l'ultimo turista se ne fu andato in albergo, scioglersi da un cielo di nuvole e scendere di scheggia in scheggia un timido plenilunio sulla cavea di Segesta... e dalle parti di Pozzallo una torre di guardia, di quelle che si erigevano per allarme dei Corsali barbareschi, assumere ai primi barlumi del giorno figura di misterioso cimiero... e ad Agrigento, un mezzodì, una lucertola verdissima imbambolarsi di sole lungo la guancia d'un Telamone caduto...

Bellezza e silenzio esistono dunque ancora nell'isola : nei tavolati, nei bivieri, sulle sponde delle fiumare ; nei borghi di cui s'incappellano i cocuzzoli montani e i cui mucchi di dammusi si osservano all'orizzonte o s'indovinano dai lumi, attraversando l'isola da Catania a Palermo, chi levi il capo un momento dal monotono nastro d'asfalto per interrogare il mistero d'una Sicilia che gli s'invola. Sì, perché a questo punto è lecito chiedersi se i rettilinei delle autostrade non siano in qualche modo provvidenziali, quando spingono avanti alla cieca il viaggiatore indiscreto, distraendolo dai santuari più intimi (valli, baie, contrafforti boschivi...), ch'egli spargerebbe altrimenti di carta straccia e barattoli vuoti...

Odiosamata Sicilia ! Di cui non saprebbe trovarsi terra più ricca di magnificenze e d'orrori. Vociferati, questi, ogni mattina dagli strilloni sotto il balcone ; scritte, le altre – terragne, marine, celesti – tacitamente negli occhi di chi la elesse, anche al di là del diritto d'anagrafe, per madre e patria dell'anima.

Gesualdo Bufalino  Saldi d'autunno, Ed. Bompiani, 1990  






On dit qu'ici, entre splendeur et misère, il n'y a plus de place pour la douceur ; que la Sicile n'est pas une terre d'idylle.

On le dit, mais ça n'est qu'à moitié vrai. Je connais des solitudes insulaires d'une tendresse infinie, intimes comme des plis de chair : à l'embouchure du Platani, dans la vallée de Cimia, sur le plateau de l'Arcibessi... Même les côtes, pourtant suppliciées et corrompues par l'infection balnéaire, gardent encore intacts quelques coins enchanteurs et paisibles, dans des endroits que je me garde bien de vous révéler. Et même dans les sites les plus fréquentés, il est parfois possible d'extorquer le miracle d'une surprise. Je me souviens, à la fin d'un spectacle estival, quand le dernier touriste eut rejoint son hôtel, d'une pleine lune timide sur la cavea de Ségeste, s'extrayant d'un ciel nuageux en une lente descente progressive... Ou encore, dans les environs de Pozzallo, une tour de guet, du genre de celles que l'on érigeait pour prévenir de l'arrivée des Corsaires barbaresques, qui se changeait dans les premières lueurs de l'aube en un mystérieux cimier... Et à Agrigente, à midi, un lézard très vert qui se grisait de soleil contre la joue d'un Télamon couché...

La beauté et le silence existent donc encore sur l'île : sur les plateaux, près des marais, au bord des torrents ; dans les villages qui parsèment les sommets montagneux et dont les anciennes constructions se découpent à l'horizon ou se devinent par leurs lumières. Mais cette beauté ne s'offre qu'à ceux qui, traversant l'île de Catane à Palerme, veulent bien détourner leur regard du monotone ruban d'asphalte, pour interroger le mystère d'une Sicile qui se dérobe à eux. Et finalement, il n'est pas exagéré de se demander si les longues lignes droites des autoroutes ne sont pas providentielles, dans la mesure où elles poussent en avant, à l'aveugle, le voyageur indiscret, en l'écartant des sanctuaires les plus intimes (les vallées, les baies, les contreforts boisés...) qu'autrement il souillerait de ses papiers gras et de ses canettes vides...

Sicile odieuse et aimée ! Pourrait-il exister une île plus riche de merveilles et d'horreurs? Celles-ci vociférées tous les matins sous les balcons par les crieurs de journaux ; celles-là – merveilles terrestres, marines, célestes – gravées secrètement dans les yeux de ceux qui en firent leur terre d'élection et, même s'ils n'y sont pas nés, la mère et la patrie de leur âme.

(Traduction personnelle)








Images : en haut, René Seindal  (Site Flickr)

au centre, Site Flickr

en bas, Site Flickr



mardi 23 octobre 2012

Stazione notturna (Gare nocturne)





Quanti commiati nella mia vita.

Partono strade cariche di fumo
ogni minuto per i quattro venti.

Sempre une svolta, Tartaro o Sempione,
nomi, colori e lacrime si porta.

Giunge di pioggia l'eterno latrato
a chi rimane in piedi sulla porta.

Ma con mille finestre illuminate
tu, ultimo convoglio, t'allontani.

Sporge da ognuna un cadavere immenso,
sventolando una sciarpa con la mano.

Gesualdo Bufalino L'Amaro miele Ed. Einaudi






Combien d'adieux dans ma vie.

Chaque minute aux quatre vents
les routes s'en vont chargées de fumée.

Il y a toujours un tournant, Tartare ou Simplon,
qui emporte les noms, les couleurs et les larmes.

À celui qui reste debout sur le pas de la porte
l'aboiement éternel parvient comme une pluie.

Mais malgré mille fenêtres éclairées
toi, ultime convoi, tu t'éloignes.

De chaque fenêtre se penche un cadavre immense,
agitant une écharpe avec la main.

(Traduction : Renato Corona (Le Miel amer, éditions L'Amourier, 2006))






Images :en haut, Francesco (Site Flickr)

au milieu, Site Flickr

en bas, Site Flickr



jeudi 18 octobre 2012

Les Météores




Deux autres passages du Museo d'ombre (Musée d'ombres) de Gesualdo Bufalino, le premier extrait du chapitre Piccole stampe degli anni Trenta (Petites estampes des années trente) ; le second extrait du chapitre Luoghi d'una volta (Lieux d'autrefois) :

LA PIOGGIA

«Gira rigira biondina » cantava mia madre, e cuciva. Io m’incantesimavo alle prosodie della pioggia sul tetto, della piena in mezzo alla strada. Le quali erano in verità tempeste irrisorie, dopo un po’ ne restava solamente, da una crepa nel soffitto, uno sgocciolìo che mia madre chiamava stizzània e combatteva con un bacile smaltato posato sul pavimento. Ne misuravo i rintocchi, ricordo, sul metronomo del mio polso, più categorico allora del suonatore di piatti domenicali nella banda di Pulvirenti. Ma già il sole s’affacciava fra le nuvole, come dopo uno stratagemma felice. Uscendo, l’odore di terra bagnata feriva il cuore con tanta dolcezza che tutta la vita a venire pareva dovesse replicare il successo di quella giornata : acquazzoni da nulla, al mattino, quindi stizzànie di un’ora, quindi il sole per terrazze e balconi, con uccelli a far festa, come nella poesia che avevo imparato a memoria l’altr’anno. Si capisce che poi la vita non è andata veramente così.

Gesualdo Bufalino
Museo d'ombre, Ed. Bompiani

LA PLUIE

« Dansez, valsez, ma belle » chantait ma mère en cousant. Moi, je m’enchantais du rythme de la pluie sur le toit, de la crue qui envahissait la route. Il s’agissait en fait de tempêtes dérisoires ; peu de temps après, il n’en restait, s’écoulant d’une fissure du plafond, qu’un goutte à goutte que ma mère appelait stizzània, et contre lequel elle luttait à l’aide d’une bassine émaillée posée à même le sol. Je me souviens que je mesurais la cadence des tintements sur le métronome de mon pouls, plus régulier en ce temps-là que le préposé aux cymbales dans les concerts dominicaux de la fanfare de Pulvirenti. Mais déjà le soleil se montrait à travers les nuages, heureux du bon tour qu’il venait de jouer. Dehors, l’odeur de la terre mouillée blessait l’âme avec tant de douceur qu’on pouvait presque s’imaginer que toute la vie à venir serait une exacte réplique de cette journée parfaite : le matin, quelques averses inoffensives suivies d’une heure de goutte à goutte, et enfin le soleil sur les terrasses et les balcons, accompagné du chant des oiseaux, comme dans le poème que j’avais appris par cœur l’année précédente. On l’aura compris : plus tard, ce n'est pas vraiment ainsi que la vie s'est déroulée.

(Traduction personnelle)




'I CASI ' Û VIENTU. Le case del vento

Che non si sappia in giro, ma il vecchio catarroso Eolo è qui, in questo crocicchio di campagna, che s’è venuto a nascondere, dopo che vide i suoi scogli invasi da bande di detestabili sub. Ed è qui ancora, a mezzo marzo, quando l’aria va in fregola e ogni sangue esita fra temporale e torpore, ch’egli per pochi professori di lettere e intenditori paganti apre le porte del suo teatro di primavera. Dato che da noi, a primavera, anche le meteore e le ore diventano persone drammatiche, sorprendono come un intrigo a puntate. Senza lesinare un colpo di scena, uno scambio di persona, un dio ex-machina, un’agnizione. Basta mettere il naso fuori, e subito si sente il cielo gonfiarsi e sgonfiarsi di umori tanto imperiosi quanto fuggitivi. Esordisce lo scirocco, altezzosamente, e riempie di sabbia i colletti, di vespe fiacche le soglie. Un minuto dopo, è già libeccio, un malandrino malpelo che t’investe di sbieco e ti butta a cercare riparo nei mancorrenti di ferro. Svolti l’angolo, e ti sorprende dalla Provenza ‘a pruvenza, monotona prefica alle cui lamentele presta orecchio il suicida. Le volti doverosamente le spalle, ma ti afferra sottobraccio il levante, un farfallone amoroso che ruba capelli e cappelli, occhieggia sotto le gonne, impiglia rondini e foglie in trappole di girotondi. Quando infine si fa (pare farsi) la pace, ecco, fuori programma, ‘a viscia, un soffio al quale nessuno punto dell’orizzonte fu patria, ma è nostro, di qui, partorito da un singolare mulinello sul nostro capo, qui ai piedi del monte, dove i carrubi s’azzuffano con le viti della pianura : un gesuita untuosetto, umidiccio, solito maltrattare le ossa dei vecchi e fare impennare i baveri sui colli magri degli adolescenti. Perciò che non si dica in giro, ma è qui che Eolo ha traslocato per sempre, lui e quei quattro scavezzacolli dei venti suoi.

Gesualdo Bufalino Museo d'ombre Ed. Bompiani

'I CASI 'Û VIENTU. Les maisons du vent

Il ne faut pas ébruiter la nouvelle, mais c’est bien ici, dans ce carrefour de campagne, que ce vieux catarrheux d’Éole est venu se cacher, après avoir vu ses rochers envahis par des hordes de détestables adeptes de la plongée sous-marine. Et c’est encore ici qu’à la mi-mars, quand l’air devient moite et que chacun hésite entre orage et torpeur, il ouvre les portes de son théâtre de printemps, au bénéfice de quelques professeurs de lettres et connaisseurs payants. On sait bien que chez nous, au printemps, même les météores et les heures deviennent des acteurs de drame, aussi imprévisibles qu’un feuilleton à épisodes. Ils ne lésinent pas sur les coups de théâtre, les quiproquos, les interventions d’un Deux ex machina, les révélations. Il suffit de mettre le nez dehors et l’on sent aussitôt le ciel enfler et désenfler, sous l’effet d’humeurs aussi impérieuses que fugitives. C’est d’abord le hautain sirocco qui remplit de sable les cols de chemise et de guêpes lasses les seuils des maisons. Une minute plus tard, c’est déjà le tour du libeccio, un coquin mal embouché qui t’attaque par surprise, te forçant à chercher refuge contre quelque rampe de fer. Tu tournes à l’angle et voilà que te surprend le mistral venu de Provence, comme une monotone pleureuse dont les lamentations attirent le candidat au suicide. Tu lui tournes justement le dos, mais c’est alors le vent d’est qui te prend par le bras, tel un amoureux papillonnant qui chipe cheveux et chapeaux, glisse un œil sous les jupes, entraîne hirondelles et feuilles dans les pièges de ses rondes. Quand enfin la paix revient (ou semble revenir), voici, hors programme, ce vent froid apatride et pourtant bien de chez nous, né d’un singulier tourbillon au-dessus de nos têtes, ici même, au pied de la montagne, là où les caroubiers se querellent avec les vignes de la plaine : il ressemble à un jésuite mielleux et moite, qui se complait à maltraiter les os des vieillards et à faire remonter les cols de veste sur les cous maigres des adolescents. Donc, il ne faut pas que cela se sache, mais c’est bien ici qu’Éole s’est définitivement installé, lui et ses quatre vents intrépides.

(Traduction personnelle)






Images
: en haut, Site Flickr

au centre et en bas, Carlo Columba (Site Flickr)


mardi 15 mars 2011

Sulità Santità (Solitude vaut sainteté)




"I paruli fanu purtusa."


("Les paroles font des trous.")







Un autre passage de Museo d'ombre (Musée d'ombres), de Gesualdo Bufalino, extrait du chapitre Motti e proverbi neri (Dictons et proverbes noirs) :

Isola più solitudine uguale isolitudine. A questa parola inesistente m'è spesso piaciuto ricorrere per tradurre il sentimento dell'essere siciliani. Soli nell'arsione di luglio, quando non s'ode che una cicala sfrenarsi nel letargo immobile della pianura ; e il campiere a cavallo, con lo schioppo a tracolla, che spunta dall'orizzonte, non tanto sembra uscire dalle stereotipie d'un film o d'un libro quanto precedere, vessillifero, un'orda di corpulenti fantasmi... Soli su una terra che, gira rigira, in qualunque direzione si vada, termina contro una barriera di mare ; una terra dalle budella di lava, che sussulta sopra le acque come una paranza bucata, disposta quanto mai nessun'altra ai naufragi, alle catastrofi... Soli, infine, in un letto : sognando nessuno ; sognati da nessuno... Ne verrà per la solitudine il doppio destino d'essere ora patita come uno stigma, ora vantata come uno stemma : secondo che il reietto obbedisca a un'urgenza di sodalizio e di compagnia ; ovvero, in un soprassalto d'orgoglio, si cinga dentro le quattro mura della sua tana la corona di santo e di Domineddio.

Gesualdo Bufalino Museo d'ombre Ed. Bompiani





Île plus solitude égal isolitude. À ce mot inexistant il m'a toujours plu de recourir pour évoquer le sentiment qu'ont les Siciliens de leur propre existence. Seuls dans la fournaise de juillet quand on n'entend plus que le chant obstiné d'une cigale dans la léthargie immobile de la plaine ; et le garde-champêtre à cheval, fusil en bandoulière, surgissant à l'horizon, ne semble pas tant sortir des stéréotypes d'un film ou d'un livre, mais plutôt ouvrir la route, tel un porte-étendard, à une horde de fantômes bien en chair... Seuls sur une terre qui, lorsqu'on essaie d'en faire le tour et quelle que soit la direction que l'on prenne, se termine toujours sur une barrière de mer ; une terre aux entrailles de lave, ballottée sur les eaux comme une barque trouée, plus que nulle autre promise aux naufrages et aux catastrophes... Seuls, enfin, dans un lit : ne rêvant de personne et dont personne ne rêve... Il en résultera un double destin pour la solitude : celui d'être douloureusement vécue comme un stigmate, ou au contraire fièrement arborée comme un blason, suivant que le paria obéisse à une urgente nécessité de compagnie et d'amitié, ou qu'il préfère, dans un sursaut d'orgueil, s'enfermer entre les quatre murs de sa tanière pour y ceindre l'auréole du saint et du Seigneur Tout Puissant.


(Traduction personnelle)






Images : en haut, Leonardo (Site Flickr)

au centre, Vito (Site Flickr)

en bas, Giorgio (Site Flickr)