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dimanche 15 juillet 2018

Enfin l'Italie !




Claude Michel Cluny a vingt-six ans quand il consigne dans son journal intime ces quelques notes laconiques mais vibrantes d’enthousiasme et de ferveur à propos de sa découverte de l'Italie, via la Corse. Elles ne seront publiées que près de cinquante ans plus tard, en 2002, dans le premier volume de son journal littéraire, Le Silence de Delphes (dix tomes déjà publiés aux éditions de la Différence) :

Juillet. [1956] – Avons embarqué à Marseille, des amis et moi, pour la Corse. Il fait si beau que j'abandonne ma cabine pour passer la nuit sur le pont, dans une chaise longue. Bastia. L'or des pierres. Et trois vieilles femmes séchant comme des aubergines sur les marches de l'église.

– L'ébauche d'un bateau sur son berceau : naissance de l'harmonie.

– J'embarque, seul, à Bastia pour Livourne : enfin l'Italie !




26 août, Arezzo. – Ce n'est pas « le rêve de Constantin » qui nous intéresse, c'est celui du peintre. L'art s'est libéré des lois qui ne sont pas les siennes. Notre passion va au génie des peintres, pas au monde qu'ils sont censés avoir eu (?) sous les yeux. Diderot juge Greuze par le sentiment, il ne l'apprécie que pour son rendu – le mot dans sa justesse est affreux – de l'anecdote.





7 septembre, Fiesole. – Une telle harmonie partout (sauf les hurlements de la radio dans les rues, les klaxons, les Vespas...), qu'on s'attend à voir les anges peigner leurs ailes entre les cyprès. Et combien de jeunes Toscans pourraient sortir de l’atelier de Cellini, ou de son lit !





Benozzo Gozzoli peignait le cortège des Rois mages à la lumière des bougies, comme Van Gogh peindra les étoiles. Mais comment La Tour travaillait-il ?




Sans date. – Parti de Florence la mort et la beauté dans l'âme. Milan, Musée de la Brera d'abord. La cathédrale, énorme vaisseau échoué sous une forêt d'agrès, de haubans gothiques ! Sur le toit, les Italiens, qui ne perdent jamais l'occasion de faire de l'argent, ne vendant pas des cierges mais du Coca-Cola ; c'est la buvette du ciel ?
Je repars pour Orly en Vickers Viscount. Nous avons un peu d'avance sur l'horaire et le commandant de bord nous offre un tour du massif du Mont Blanc spectaculaire.

Claude Michel Cluny  Le Silence de Delphes Journal littéraire 1948-1962  Editions de la Différence, 2002







Images : de haut en bas, (1) Site Flickr

(2) Yves Baril  (Site Flickr)


(4) Steven Brinkman  (Site Flickr)

(5) et (6) Site Flickr

(7) Andrea Tornabene  (Site Flickr)

(8) André Neto  (Site Flickr)




samedi 10 mars 2018

Delitto alla Scala (Crime à la Scala)




Delitto alla Scala (Crime à la Scala) est un roman policier (un giallo, comme disent les Italiens) de Franco Pulcini, publié en 2016 aux éditions Ponte alle Grazie, qui, comme l'indique son titre, se déroule dans le célèbre théâtre milanais que l’auteur connait bien puisqu'il en est le directeur éditorial. L'intrigue se développe autour d'un manuscrit retrouvé, celui de L'Arianna de Monteverdi, dont on sait qu'il ne subsiste qu'un fragment, le fameux Lamento d'Arianna. La Scala s'apprête à ouvrir sa saison, le fameux 7 décembre, jour de la Sant'Ambrogio, avec la première exécution mondiale de cette oeuvre exceptionnelle, quand, un mois avant la date fatidique, le chef d'orchestre chargé de cette création est sauvagement assassiné sur la terrasse du théâtre. Un commissaire d'origine arabo-sicilienne, le perspicace Adul Calì, sera chargé de mener l'enquête au sein de la Scala, dont il va découvrir à cette occasion les mille secrets et intrigues... 

L'ouvrage est passionnant à lire, même si l'auteur aurait sans doute pu resserrer un peu plus son texte, parfois exagérément prolixe (plus de quatre-cents pages très denses). Ses connaissances musicologiques et sa fréquentation assidue du milieu de l'art lyrique, à une place stratégique, rendent la lecture encore plus excitante pour tous les passionnés d'opéra et de musique ancienne (on croit vraiment à cette découverte inespérée de L'Arianna, tant les détails qui nous sont fournis sur le manuscrit et les caractéristiques de l'oeuvre sont précis et minutieux). Je propose ici ma traduction de l'incipit du roman, que l'on pourra peut-être lire un jour en français dans son intégralité, si un éditeur veut bien s'y intéresser !

Il n’est pas difficile d’arriver à la Scala. Après avoir donné un coup d’œil au Dôme, il suffit de parcourir la Galerie Victor-Emmanuel sur toute sa longueur oblique. Quand on émerge de ce délire de marbres, la Scala est là, grisâtre, sur la gauche. Elle a une petite tête triangulaire d’où surgit un toit pentu derrière un balcon toujours désert. Autrefois, on la reconnaissait tout de suite comme le théâtre le plus poussiéreux du monde. Maintenant, il a derrière lui un cube grandiose et une ellipse étrange, fruits de la restructuration de 2004. 




L’amateur d’opéra qui la voit pour la première fois en vrai est un peu déçu par ses dimensions. On a du mal à croire que sur ces trois étages modestes se soit déroulée une grande partie de l’histoire de l’opéra du dix-neuvième siècle. Les passions de Verdi, les humeurs mélancoliques de Puccini, la gaieté de Rossini, les amours déchirantes de Bellini évoqueraient plutôt une grandeur reflétée dans une architecture exorbitante... Les seuls spectateurs enthousiastes au premier regard sont peut-être les japonais de tailles plus modestes, qui depuis des décennies conservent de la grande Scala des milliards de photographies, qu'ils stockent par la suite dans les ordinateurs restés à les attendre dans leur lointain archipel bien-aimé. 

La Scala est surtout belle à l’intérieur. A chaque fois, on a l’impression de pénétrer dans un gigantesque joyau. Dans ces moments-là, on ne fait plus attention aux espaces, mais plutôt à l’impression d’immensité de l’émerveillement. Un tourbillon de médaillons, de dorures, de feuilles, de rubans et d’animaux ailés, étendus sur de brillantes surfaces laquées couleur d’ivoire : on ne voit plus rien — ni les miroirs, les broderies, les étoiles, les chapiteaux corinthiens, les têtes de faune — tant on devient la proie d’une splendeur qui nous enveloppe, les sens troublés par la symphonie des rouges : du cramoisi ombré au rubis sanglant, jusqu’au grenat antique. 




Assis au parterre à se remplir les yeux de passé, tout le monde peut remarquer un détail curieux. Suspendu sur la scène, très au-dessus du rideau, il y a une horloge. On dirait un gros œil qui émerge de la pourpre et de l’amarante des drapés de velours et des tapisseries de soie. Un œil blafard, bistré dans les contours dorés des dorures néoclassiques des décors et de la charpente en bois et en stuc. L’Oeil de la Scala est blotti dans l’arrondi d’une couronne de laurier soutenue par deux figures féminines en vol, presque des anges. Que la salle soit plongée dans une obscurité silencieuse, ou placée sous les feux de la lumière artificielle, l’horloge est toujours à son poste pour scruter le parterre et les galeries. Une légende raconte que si le spectacle commence avec un léger retard, un technicien est chargé d’arrêter l’horloge et de la remettre en place après le lever du rideau, quand plus personne ne fait attention à l’heure. C’est une petite entourloupe du grand théâtre, pour signifier de façon ostentatoire qu’il est toujours à la hauteur de sa réputation. 

Mais est-on certain que la Scala représente encore cette grandeur que le monde lui attribue de façon unanime ? Du haut du monument qui domine la place située juste en face depuis un lointain 1872, l’année d’Aida, Léonard de Vinci continue à la regarder avec une sombre commisération. Il en a tant vu depuis tout ce temps ! Aura-t-il raison d’être aussi sévère et d'observer avec méfiance ce théâtre surgi à la fin du dix-huitième siècle en plein cœur de Milan ? Et de condamner cet isolement symbolique des centres de pouvoir, qui marqua, depuis son édification, un destin caractérisé par la singularité, l’anarchie tumultueuse, une présomption affichée et une irritante mégalomanie ? 




Depuis plusieurs décennies la glorification quotidienne et l'auto-célébration permanente des diverses directions qui s'étaient succédé semblaient excessives, comme une spéculation sur le glorieux passé d'un théâtre ne brillant désormais que grâce aux grands artistes de passage. Sur la Scala pesait de l'extérieur une chape, un sentiment à la fois suffocant et léger, pour lequel on n'avait pas encore inventé un nom. Comment peut-on définir la secrète espérance de voir un jour choir sur un tas de fumier une reine qui impose à ses sujets le rite quotidien de son auto-couronnement ? C'est un sentiment où se mêlent la malveillance humaine et le désir de revanche des exclus. Il y a une grande partie du monde musical italien qu'une inique loi non écrite a relégué dans un rôle de subordonné vis-à-vis de ce théâtre : Conservatoires, Bibliothèques, Concerts, pour ne pas parler des divers autres Théâtres. Quel plaisir subtil de voir un jour la Scala se débattre dans une sale histoire, de la voir sombrer dans une mésaventure qui la dépasse vraiment, de pouvoir goûter l'extinction progressive de sa morgue habituelle, de la contempler tandis qu'elle risque d'être emportée dans un tourbillon d'échecs souillés de bassesses, enlisée dans un bourbier dont elle ne parvient pas à sortir indemne, exposée aux yeux du monde entier à une honte éternelle. Et ils sont tous là, assis au bord du fleuve à attendre le passage du cadavre exquis.

Franco Pulcini  Delitto alla Scala  Ponte alle Grazie Editore, 2016 (Traduction personnelle)








Images : (1) Site Flickr

(2) Andrea Contri  (Site Flickr)

(3) Pat Charles  (Site Flickr)

(4) Gianluca Ginnetti  (Site Flickr)



jeudi 26 octobre 2017

Porta Romana bella



Porta Romana est un chant traditionnel de prisonniers : il évoque la prison milanaise de San Vittore, qui se trouve Piazza Filangieri, comme le dit la chanson. La prison a été construite à la fin du dix-neuvième siècle et la chanson date du début du siècle dernier. Il en existe plusieurs versions avec différents couplets :





Porta Romana bella, Porta Romana
ci stan le ragazzine che te la danno,
ci stan le ragazzine che te la danno :
prima la buonasera e poi la mano.

E gettami giù la giacca ed il coltello
che voglio vendicare il mio fratello,
che voglio vendicare il mio fratello,
e gettami giù la giacca ed il coltello.

La via Filangeri è un gran serraglio,
la bestia più feroce è il commissario,
la bestia più feroce è il commissario,
la via Filangieri è un gran serraglio.

In via Filangieri c'è una campana:
ogni volta ch'ella suona è una condanna,
ogni volta ch'ella suona è una condanna,
in via Filangieri c'è una campana.

La via a San Vittore è tutta sassi,
l’ho fatta l'altra sera a pugni e schiaffi,
l'ho fatta l'altra sera a pugni e schiaffi,
la via a San Vittore è tutta sassi.

Prima faceva il ladro e poi la spia,
e adesso è delegato di Polizia,
e adesso è delegato di Polizia,
prima faceva il ladro e poi la spia.

E sette, sette e sette fanno ventuno
arriva la volante e non c'è nessuno,
arriva la volante e non c'è nessuno
e sette, sette e sette fanno ventuno.

O luna che rischiari le quattro mura
rischiara la mia cella ch'è tanto scura,
rischiara la mia cella ch'è tetra e nera :
la gioventù più bella muore in galera.

Porta Romana bella, porta Romana,
ci stan le ragazzine che te la danno,
ci stan le ragazzine che te la danno :
prima la buonasera e poi la mano…





Porta Romana, belle Porta Romana,
là, il y a des jeunes filles qui te donnent

d'abord le bonsoir, et ensuite leur main.


Et passe-moi une veste et un couteau,

parce que je veux venger mon frère.


La rue Filangieri est une grande ménagerie

dont la bête la plus féroce est le commissaire.


Dans la rue Filangieri, il y a une cloche,

et chaque fois qu'elle sonne, quelqu'un est condamné.


La rue qui conduit à San Vittore est toute pavée,

hier soir, je l'ai remontée sous les gifles et les coups de pied.


Avant, c'était un voleur et un mouchard,

et maintenant, il est devenu auxiliaire de police.


Et sept fois trois font vingt-et-un,

les flics débarquent et ils ne trouvent plus personne...


Ô lune qui éclaire ces quatre murs,
éclaire ma cellule qui est bien sombre,

éclaire ma cellule qui est lugubre et noire :

la plus belle jeunesse meurt en prison.


Porta Romana, belle Porta Romana,

là, il y a des jeunes filles qui te donnent

d'abord le bonsoir, et ensuite leur main.







Images : en haut, Katie (Site Flickr)

en bas, Site Flickr

Sur le quartier milanais de Porta Romana, on peut lire ici (en italien) un très bon texte.

samedi 19 mars 2016

Memorie di Adriano




Adriano Celentano canta Il Ragazzo della Via Gluck (Celentano - Beretta - Del Prete, 1966) :






Questa è la storia
di uno di noi,
anche lui nato per caso in via Gluck.
In una casa fuori città,
gente tranquilla che lavorava.
Là dove c'era l'erba ora c'è
una città,
e quella casa in mezzo al verde ormai
dove sarà ?

Questo ragazzo della via Gluck
si divertiva a giocare con me,
ma un giorno disse : "Vado in città",
e lo diceva mentre piangeva.
Io gli domando : "Amico non sei contento ?
vai finalmente a stare in città,
là troverai le cose che non hai avuto qui.
Potrai lavarti in casa senza andar
giù nel cortile".
"Mio caro amico" disse "qui sono nato,
e in questa strada ora lascio il mio cuore,
ma come fai a non capire
che è una fortuna per voi che restate
a piedi nudi a giocare nei prati,
mentre là in centro io respiro il cemento,
ma verrà un giorno che ritornerò
ancora qui
e sentirò l'amico treno che
fischia così...." 

Passano gli anni ma otto son lunghi,
però quel ragazzo ne ha fatta di strada,
ma non si scorda la sua prima casa.
Ora coi soldi lui può comperarla,
torna e non trova gli amici che aveva,
solo case su case catrame e cemento,
là dove c'era l'erba ora c'è
una città,
e quella casa in mezzo al verde ormai
dove sarà ?

Non so, non so perché continuano
a costruire le case
e non lasciano l'erba, non lasciano l'erba,
non lasciano l'erba...
E noi se andiamo avanti così
chissà come si farà,
chissà chissà come si farà...








Le garçon de la Via Gluck

C'est l'histoire 
de l'un d'entre nous,
lui aussi né par hasard dans la via Gluck.
Dans une maison loin de la ville,
avec des gens tranquilles et travailleurs.
Là où poussait l'herbe, aujourd'hui il y a
une ville,
et cette maison dans la verdure,
aujourd'hui, qu'est-elle devenue ?

Ce garçon de la via Gluck
était l'un de mes compagnons de jeu,
mais un jour, il nous dit : "Je m'en vais en ville"
et il le disait en pleurant.
Je lui demandai : "Mais enfin, tu n'es pas content ?
tu vas enfin vivre en ville,
là-bas, tu auras tout ce qui te manques ici.
Tu pourras te laver à la maison, tu ne seras plus obligé
de descendre dans la cour."
"Mon ami, me répondit-il, je suis né ici,
et dans cette rue, je laisse mon cœur,
mais comment fais-tu pour ne pas te rendre compte
que c'est une chance pour vous de rester ici,
vous continuerez à jouer pieds nus dans les champs,
pendant qu'en ville, je respirerai du béton,
mais un jour, je reviendrai 
ici,
et j'entendrai encore
l'appel familier
du train...

Huit longues années ont passé,
et le garçon a fait du chemin,
mais il n'a pas oublié sa première maison.
Maintenant, il est assez riche pour l'acheter,
mais quand il revient, il ne retrouve pas ses amis,
mais des maisons partout, du goudron et du béton,
là où poussait l'herbe,
une ville a surgi
et sa maison dans la verdure
a disparu.

Je ne sais pas pourquoi ils s'obstinent à construire
toutes ces maisons,
au lieu de laisser l'herbe pousser...
Et si on continue comme ça,
je me demande ce qui va arriver...

(Traduction personnelle)









Images : en haut, Site Flickr

au centre et en bas, Site Flickr

dimanche 12 avril 2015

Lombardia




Herbert Pagani chante Lombardia, une adaptation italienne du Plat pays, de Jacques Brel  :

Qui l'arpa della pioggia per mesi suonera'
ed un'infinita' di nebbia scendera'
e vedrai coprira' tutto intorno a noi
e anneghera' il tuo cuore anche se non vuoi
perche' d'autunno piove qui e non smette mai
se vieni su da me vedrai ti abituerai
in Lombardia che e' casa mia

Vedrai la cattedrale che sembra una montagna
con mille guglie bianche che la luna bagna
e dei diavoli in pietra che sputano alle stelle
e che graffiano il cielo con gesti di zitelle
son secoli che fanno le stesse smorfie ormai
se vieni su da me vedrai ti abituerai
in Lombardia che e' casa mia

Qui il cielo e' cosi' grigio che sembra venga giu'
qui il cielo e' cosi' basso che insegna l'umilta'
e' cosi' grigio che il naviglio anneghera'
e' cosi' basso che il naviglio non c'e' piu'
il vento qui si invita ai funerali sai
se vieni su da me vedrai ti abituerai
in Lombardia che e' casa mia

Ma quando il primo fiore dal fango nascera'
e fra le ciminiere il pioppo cantera'
capirai che a novembre noi dobbiamo pagare
quel che maggio promette e giugno ci puo' dare
fra i grattacieli e i tram l'estate scoppiera'
se vieni su da me vedrai ti piacera'
la Lombardia che e' casa mia
  




Ici la harpe de la pluie jouera pendant des mois
et une infinité de brouillard s'étendra
et tu verras qu'il recouvrira tout autour de nous
et qu'il noiera ton cœur même si tu ne le veux pas
parce que l'automne ici la pluie ne cesse pas
si tu viens me rejoindre tu t'y habitueras,
en Lombardie, qui est mon pays...








Images : en haut et en bas, (2) Antonio Romei  (Site Flickr)

en bas, (1) Gian Mario Zanini  (Site Flickr)

vendredi 20 février 2015

Cume la vusa la sirena (La sirène hurle)




Les Canzoni della mala [Chansons de la mauvaise vie] sont une série de chansons populaires racontant principalement les mésaventures de la pègre milanaise. Les plus connues ont été écrites par Giorgio Strehler, avec la collaboration de Dario Fo, de Gino Negri et de Fiorenzo Carpi pour les musiques. Elles sont écrites en dialecte milanais et inspirées de vieilles chansons traditionnelles. Elles racontent des histoires de malfrats aux prises avec la police, de prostituées, de prisonniers, mais aussi d'ouvriers, de mineurs dans les soufrières. La plus grande interprète de ces chansons fut Ornella Vanoni à la fin des années cinquante et au début des années soixante.


Ornella Vanoni canta Sentii cume la vusa la sirena [Écoutez, comme elle hurle, la sirène], testo di Dario Fo, musica di Fiorenzo Carpi, 1958 :

Sentii cume la vusa la sirena 
vardì cum'è che curen i pulé 
van tucc in curs Sempiun dopu l'Arena 
perché in curs Sempiun gh'è el me belé. 

El me belé se ciama Nin Barbisa 
l'è el pu se drito che gh'è sui bastiun 
l'è lu che l'ha fa föra el cap di ghisa 
l'è lu che svöja i merci a la stasiun. 

 Stanot l'è andà a durmì de la sua nona 
in via Tassio Primo al vintidu 
l'avevi truvà in cà cu n'a barbona 
e mi’ou sbatu föra tute e du. 

G'han fa una spiada in stamatina 
el sur l’è stai qual giuda rucheté 
l'è stai cume dagh fogh a la benzina 
la piasa l'era piena de pulé. 

Quand sun rivada mi l'era per tera 
me l'avevan butà là cumpagn d'un sac 
i öcc guardavan fis in la scighera 
me l'even cupà el me malnat. 

Ghe sunt andada renta al me barbisa 
gu dervì föra tuta la camisa 
gu netà el sang cun l'acqua e cunt un strasc 
gu sarà i öcc e metù in crusa i brasc. 

Sentii cume la vusa la sirena 
perché in curs Sempiun gh'è el me belé.




Écoutez comme elle hurle, la sirène,
regardez les flics qui courent :
ils vont tous Cours Sempione après l'Arène
Parce que c'est là que se trouve celui que j'aime.

Celui que j'aime s'appelle Nino Barbisa
Il n'y a pas plus réglo que lui sur les Remparts
c'est lui qui a buté le chef des condés
c'est lui qui dévalise les trains à la gare.

Cette nuit, il est allé dormir chez sa grand-mère
au vingt-deux de la rue Tassio Primo
je l'avais trouvé à la maison avec une donzelle
et je les avais fichus dehors tous les deux.

Quelqu'un l'a dénoncé ce matin
à tous les coups, ce traître de maquereau
c'est comme si on avait mis le feu à de l'essence
tous les flics ont débarqué sur la place.

Quand je suis arrivée, il était par terre
ils l'avaient jeté là comme un vieux sac
ses yeux regardaient fixement le brouillard
ils l'avaient tué, mon malfrat bien-aimé

Je me suis penché sur mon homme
je lui ai enlevé sa chemise
et j'ai lavé le sang avec de l'eau et un chiffon
je lui ai fermé les yeux et j'ai croisé ses bras.

Écoutez comme elle hurle, la sirène
parce que Cours Sempione, il y a celui que j'aime.

(Traduction personnelle) 



D'autres Canzoni della malavita sur ce blog :

Ma mi

La zolfara










Images : en bas, Site Flickr




jeudi 23 octobre 2014

Via Broletto 34 (34, rue Broletto)




Via Broletto est une rue élégante de Milan, dans les parages du Dôme et de la Scala. C'est le décor que Sergio Endrigo a choisi pour mettre en scène un crime passionnel, dans une chanson étrange où la musique sautillante et détachée semble prendre ses distances avec le drame qui est évoqué dans les paroles. Et comme un dernier indice mystérieux, on fera remarquer que, si l'on passe par la courte via Broletto, on peut s'apercevoir que le numéro 34 n'y figure pas...

Sergio Endrigo chante Via Broletto 34, paroles et musique de Sergio Endrigo, 1962 :


Se passate da via Broletto
Al numero 34
Toglietevi il cappello e parlate sottovoce
Al primo piano dorme l'amore mio
È tanto bella la bimba mia
E giura sempre di amarmi tanto
Ma quando io la bacio
Lei ride e parla d'altro
O mangia noccioline

Troppe volte mi lascia solo
E torna quando le pare
E poi mi guarda appena, non dice dov'è andata
Tante volte penso di lasciarla
Io vorrei ma non posso andare
È la mia croce, la mia miseria
Ma è tutta la mia vita
Per me è tutto il mondo
È tutto quel che ho

Se passate da via Broletto
Al numero 34
Potete anche gridare, fare quello che vi pare
L'amore mio non si sveglierà
Ora dorme e sul suo bel viso
C'è l'ombra di un sorriso
Ma proprio sotto il cuore
C'è un forellino rosso
Rosso come un fiore

Sono stato io
Mi perdoni Iddio
Ma sono un gentiluomo
E a nessuno dirò il perché
A nessuno dirò il perchè






Si vous passez dans la rue Broletto
Au numéro 34
Ôtez votre chapeau et parlez à mi-voix
Au premier étage mon amour dort
Elle est si belle, ma toute petite
Et elle est toujours prête à jurer qu'elle n'aime que moi
Mais quand je l'embrasse
Elle rit et parle d'autre chose
Ou elle grignote des cacahuètes

Elle me laisse trop souvent seul
Et elle rentre quand cela lui chante
Elle me regarde à peine, elle ne dit pas d'où elle vient
Tant de fois j'ai pensé à la quitter
Je voudrais bien mais je ne peux pas
C'est mon calvaire, c'est ma misère
Mais elle est toute ma vie
Elle est le monde entier
Elle est tout ce que j'ai

Si vous passez rue Broletto
Au numéro 34
Vous pouvez même hurler, faire ce qu'il vous plaît
Mon amour ne se réveillera pas
Maintenant elle dort et sur son beau visage
Il y a l'ombre d'un sourire
Mais juste sous son cœur
Il y a un petit trou rouge
Rouge comme une fleur

Le coupable, c'est moi
Que Dieu me pardonne
Mais je suis un gentilhomme
Et à personne je ne dirai pourquoi
À personne je ne dirai pourquoi

(Traduction personnelle)






Images : en haut et en bas, Site Flickr

jeudi 24 janvier 2013

Le strade di notte (Les rues, la nuit)




Giorgio Gaber canta Le strade di notte (Calibi - G. Gaber - R. Angiolini), 1963 :

Le strade di notte
mi sembrano più grandi
ed anche un poco più tristi :
è perchè non c'è in giro nessuno.

Anche i miei pensieri di notte
mi sembrano più grandi
e forse un poco più tristi :
è perchè non c'è in giro nessuno.

Voglio correre a casa
voglio correre da te
e dirti che ti amo
che ho bisogno di te.

Speriamo che tu non dorma già,
mi spiacerebbe svegliarti.




Les rues, la nuit,
me semblent plus grandes
et même un peu plus tristes :
c'est parce que plus personne n'y passe.

La nuit, même mes pensées
me semblent plus grandes
et peut-être aussi plus tristes :
c'est parce que les rues sont vides.

Je veux courir chez moi
je veux courir vers toi
et te dire que je t'aime
que j'ai besoin de toi.

Espérons que tu ne dormes pas déjà,
je ne voudrais pas te réveiller.

(Traduction personnelle)






Images : Matteo Vitagliano  (Site Flickr)

mardi 25 septembre 2012

Ma mi (Mais moi)




Ma mi est une chanson écrite en dialecte milanais par Giorgio Strehler en 1959 (musique de Fiorenzo Carpi). Elle est interprétée ici par Ornella Vanoni. On retrouve dans cette chanson l'influence de Brecht (et de Kurt Weill), que Strehler a souvent mis en scène dans ces mêmes années au Piccolo Teatro.



Serom in quatter col Padola,
el Rodolfo, el Gaina e poeu mi :
quatter amis, quatter malnatt,
vegnu su insemma compagn di gatt.
Emm fa la guera in Albania,
poeu su in montagna a ciapà i ratt :
negher Todesch del la Wehrmacht,
mi fan morire domaa a pensagh !
Poeu m’hann cataa in d’una imboscada :
pugnn e pesciad e ’na fusilada...
 
Ma mi, ma mi, ma mi,
quaranta dì, quaranta nott,
A San Vittur a ciapaa i bott,
dormì de can, pien de malann !...
Ma mi, ma mi, ma mi,
quaranta dì, quaranta nott,
sbattuu de su, sbattuu de giò :
mi sont de quei che parlen no!
 
El Commissari ’na mattina
el me manda a ciamà lì per lì :
"Noi siamo qui, non sente alcun-
el me diseva ’sto brutt terron !
El me diseva - i tuoi compari
nui li pigliasse senza di te...
ma se parlasse ti firmo accà
il tuo congedo : la libertà !
Fesso sì tu se resti contento
d’essere solo chiuso qua ddentro..."
 
Ma mi, ma mi, ma mi,
quaranta dì, quaranta nott,
A San Vittur a ciapaa i bott,
dormì de can, pien de malann !...
Ma mi, ma mi, ma mi,
quaranta dì, quaranta nott,
sbattuu de su, sbattuu de giò :
mi sont de quei che parlen no !
 
Sont saraa su in ’sta ratera
piena de nebbia, de fregg e de scur,
sotta a ’sti mur passen i tramm,
frecass e vita del ma Milan...
El coeur se streng, venn giò la sira,
me senti mal, e stoo minga in pee,
cucciaa in sul lett in d’on canton
me par de vess propri nissun !
L’è pegg che in guera staa su la tera :
la libertà la var ’na spiada !
 
Ma mi, ma mi, ma mi,
quaranta dì, quaranta nott,
A San Vittur a ciapaa i bott,
dormì de can, pien de malann !...
Ma mi, ma mi, ma mi,
quaranta dì, quaranta nott,
sbattuu de su, sbattuu de giò :
mi sont de quei che parlen no !

 
 


On était quatre : Padula,
Rodollfo, Gaina et moi :

quatre amis, quatre misérables

grandis ensemble, comme une portée de chats.

On a fait la guerre en Albanie,

puis dans la montagne à chasser les rats :

les boches en noir de la Wehrmacht,

j’ai envie de mourir rien qu’en y repensant !

Et puis, je suis tombé dans un traquenard :

coups de pieds, coups de poings, coups de fusil...


Mais moi, mais moi, mais moi,

quarante jours, quarante nuits

à prendre des coups à San Vittore,

sans fermer l’œil, en souffrant de partout !

Mais moi, mais moi, mais moi,

quarante jours, quarante nuits,

ils peuvent bien me cogner :

moi, je suis de ceux qui ne parlent pas !


Un matin, le Commissaire
m’envoie chercher
et ce salopard me dit :

«On est entre nous, personne ne nous entend

de toute façon, tes copains, on va les choper,

même sans ton aide...

mais si tu parles, je signe tout de suite
ton billet de sortie : tu seras libre !

Tu es bien bête de te contenter

de rester bouclé ici, seul comme un chien...»


Mais moi, mais moi, mais moi...

... moi, je suis de ceux qui ne parlent pas !
 
Je suis coincé dans ce trou à rats
humide, sombre et glacé,
de l’autre côté des murs passent les trams
,
le bruit, la vie de Milan, ma ville...

J’ai le cœur qui se serre quand le soir descend

j’ai mal et je me retourne dans ce lit miteux
, 
j’ai l’impression d’être moins que rien !
La vie, c’est pire que la guerre :

pour être libre, il faut moucharder !
 
Mais moi, mais moi, mais moi....
... moi, je suis de ceux qui ne parlent pas !

 
(Traduction personnelle)





 
Image : Carcere di San Vittore, Milano (Source) 

jeudi 21 juin 2012

Valentina !




"Ho cominciato che ero una bambina, gli anni sono passati e ancora adesso mi sento una bambina, una bambina a cui piace sfidare il domani. Dio, ma quanti sono i domani passati ?"







La grande actrice italienne Valentina Cortese vient (à près de quatre-vingt-dix ans – ce n'est pas une indiscrétion, elle ne cache pas du tout son âge) de publier son autobiographie, sous le beau titre nostalgique Quanti sono i domani passati (Combien de lendemains sont passés ? Ed. Mondadori.). C'est une vie extraordinaire qu'elle retrace avec la fougue et l'enthousiasme qu’on lui a toujours connu, et aussi parfois ces touches de cabotinage, de vacherie ou de fausse modestie qui font partie de son charme. 

Elle consacre de très belles pages à son enfance dans la campagne lombarde où, "enfant du péché", comme l'on disait alors, elle a été confiée à une famille de paysans (elle restera toujours très attachée à ses parents d'adoption, et ses éternels foulards autour de la tête sont un souvenir de cette enfance paysanne). Juste avant la guerre, à dix-huit ans, alors qu’elle vient de débuter comme actrice dans de petits rôles à Cinecittà, elle rencontre le grand chef d’orchestre Victor de Sabata (il a trente ans de plus qu’elle), avec qui elle aura une longue liaison admirative et passionnée. Cela nous vaut de belles évocations des grands concerts du maestro : son interprétation du Requiem de Verdi dans la basilique romaine de Sainte-Marie-des-Anges (avec des solistes exceptionnels, car à la différence du grand Toscanini, Victor de Sabata savait choisir les meilleurs chanteurs : Maria Caniglia, Ebe Stignani, Beniamino Gigli, Tancredi Pasero), ou les légendaires représentations de Tristan à la Scala : «Après le concert, Victor revenait plusieurs fois saluer pour remercier le public. Puis dans sa loge, il s’abandonnait, complètement épuisé, privé de toute énergie vitale puisqu’une fois de plus, il avait tout donné. J’avais l’impression qu’à l’ivoire de son visage s’ajoutait une pâleur mortelle ; je lui tendais un petit verre de whisky, mais il détestait cette boisson, qui avait selon lui un goût de pétrole. Petit à petit, il reprenait ses esprits. Un soir, il se tourna vers moi et murmura : "Je sais bien que chaque fois que je dirige Tristan, j’abrège un peu ma vie".» 

Valentina quitte Victor de Sabata après la guerre, pour tenter sa chance à Hollywood, où elle ne fera pas vraiment carrière ; elle y aura pour partenaires James Stewart, Gregory Peck, Spencer Tracy ou Humphrey Bogart, mais dans des films qui ne sont guère mémorables, exception faite de La Comtesse aux pieds nus, de Mankiewicz, dans lequel elle ne joue qu’un petit rôle (à Hollywood, son nom devient Cortesa). Son expérience américaine prend fin brutalement, le jour où elle lance un verre de whisky à la figure du producteur Darryl Zanuck qui s’est permis de lui faire des avances un peu trop appuyées. 

Après Victor de Sabata, l’autre grand homme de sa vie sera Giorgio Strehler, dont elle partagera la vie dans les années soixante, et qui lui offrira ses plus beaux rôles au théâtre : Brecht (Santa Giovanna dei Macelli [Sainte Jeanne des Abattoirs]), Tchekhov (Platonov, Il Giardino dei ciliegi [La Cerisaie]), Pirandello (I Giganti della montagna [Les Géants de la montagne], sa dernière pièce, demeurée inachevée, qui se termine dans la mise en scène de Strehler sur cette extraordinaire image de la charrette des acteurs brisée par le rideau de fer qui retombe brusquement sur la scène). Dans sa carrière exceptionnelle d’actrice de théâtre, il faut aussi rappeler la Lulu de Wedekind, dans la mise en scène de Patrice Chéreau et Le Procès de Jeanne d’Arc d'Anna Seghers et Brecht, sous la direction de Klaus Michael Grüber. Elle n'a travaillé qu'une seule fois avec Visconti, dans l'une de ses toutes dernières mises en scène, Tanto tempo fa [C'était hier] de Pinter, joué au théâtre Argentina de Rome en 1973 ; l'adaptation déplut fortement à Pinter, et on le vit même un soir lancer des pièces de monnaie aux acteurs pendant le représentation («Qu'il ait eu tort ou raison sur la question de l'adaptation, je trouve que son geste était vraiment vulgaire.» écrit Valentina à propos de cet épisode tragi-comique). Le lecteur s’amuse aussi beaucoup à l’évocation de sa collaboration avec Fellini pour Giulietta degli spiriti, où – selon ses dires – le maestro finira par couper presque toutes ses scènes pour ne pas fâcher Giulietta Masina, jalouse de se voir ainsi voler la vedette dans un film originellement tourné à sa gloire exclusive... 




Je cite ici un extrait de cette autobiographie dans lequel Veronica Cortese se souvient d’une émission télévisée de 1970, dans laquelle, sous le regard médusé de Pierre-André Boutang, elle se livre à un extraordinaire numéro d'actrice. Cette émission française aura une grande importance dans la suite de sa carrière, puisque c’est en la voyant que Truffaut décidera de lui confier l’un de ses rôles les plus célèbres au cinéma, celui de Séverine, l’actrice "étourdie" de La Nuit américaine (Effetto notte en Italie) : 

«Quand j’étais à Paris pour une tournée théâtrale, j’aimais loger à l’Hôtel, un petit établissement de la rue des Beaux-Arts qui fut la dernière demeure d’Oscar Wilde. Les chambres avaient des penderies si petites qu’il m’était impossible d’y ranger tous mes vêtements, mais j’aimais me plonger dans l’atmosphère où ce grand homme avait vécu. Aujourd’hui, c’est devenu un endroit très chic, mais je crois que les chambres sont restées les mêmes. 

Mon agent avait organisé un entretien de dix ou quinze minutes pour l’émission française Portrait d’artiste. Je déteste parler de moi devant les caméras, mais cette fois-ci j’acceptai parce que l’on me dit que c’était une chose importante pour un acteur qui souhaitait se présenter au public français. J’attendais l’équipe dans ma chambre, mais personne n’arrivait. Plus le temps passait, plus je me disais que je n’avais vraiment aucune envie de faire cette interview, alors, brusquement, je pris Truc Truc [le petit chien de l’actrice] dans mes bras et je m’en allai. Je tournai à peine l’angle de la rue que je me retrouvai face au présentateur de l’émission [il s’agissait de Pierre-André Boutang], accompagné de ses techniciens ; j’aurais voulu disparaître sous terre, je me mis à bredouiller quelques excuses, leur disant que j’étais justement sortie pour aller à leur rencontre. Je retournai avec eux à l’hôtel et nous montâmes dans ma chambre. Pendant qu’ils installaient les lumières, je jouais avec Truc Truc, en me demandant ce que j’allais bien pouvoir inventer. L’entretien commença et, tout à coup, j’eus envie de m’amuser. Je commençai à jouer, à improviser, à confondre la femme Valentina et Valentina l’actrice. J’étais déchaînée, je passais du rire aux larmes, du soupir au haussement d’épaule ; j’alternais le français, l’italien, l’anglais et n’importe quelle autre langue étrangère qui me passait par la tête, sans me soucier de la prononciation. Je me moquais de moi-même, jouant la tragédie en prenant à partie le spectateur comme s'il s'agissait de quelqu’un de familier. Je fis un peu le clown, un peu l’actrice dramatique. Je récitai des passages de Brecht, de Shakespeare, de Wedekind, de Tchekhov, de Pirandello, et même des extraits d’El nost Milan une pièce en dialecte milanais. Puis, je passai de D’Annunzio à Saba, de Montale à Ungaretti, tout en racontant plusieurs anecdotes : par exemple le travail avec Fellini, qui décidait toujours au dernier moment de modifier les scènes et demandait aux acteurs de jouer en récitant des suites de nombres. 

Face à la caméra, j’apparaissais comme une femme parfaitement sincère dans la mesure où j’assumais pleinement le fait que j’étais avant tout une actrice. Au lieu des dix minutes initialement prévues, le tournage dura plus d’une heure. Le lendemain de la diffusion, Le Figaro et les autres journaux français m’appelèrent "La divine", "Le monstre sacré"... Je sus par la suite que les gens de théâtre et de cinéma avaient beaucoup commenté ma "performance". Parmi eux se trouvait François Truffaut, qui m’appela quelques jours plus tard pour me proposer le rôle de Séverine, dans La Nuit américaine

Extrait de Quanti sono i domani passati, autobiographie de Valentina Cortese, Mondadori, 2012 (Traduction personnelle, les notes entre crochets sont du traducteur)