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vendredi 8 septembre 2017

Opéra




Par l'escalier fleuri du spectre des cent-gardes,
Le flot sans prix des dames sans nom va montant
Et des doigts vont tenant des robes purement
Pour des pieds d'or qui vont s'élevant par les marbres.

Sans prix, sans nom, laissant leur demi-nudité
Fabuleuse grandir en saisons épandues,
Les dames vers Wagner montent par la volute
Des grands marbres, comme un encens d'éternité.

Et l'essentiel est dans ce mouvement des jambes
Qui font des ondes comme les cloches au ciel,
Les plus blanches laissant encor par indulgence
Leurs jambes enseigner gravement l'essentiel

Pendant qu'autour de la vague tour babylone,
Voitures, votre neuf bétail d'acier poli
Dort sa trêve d'esclave en attendant minuit
Et le poids faible des pieds d'or d'entre les robes.

Marcel Thiry  Âges, 1950










Images : en bas, (2) Eric Chauvin  (Source)




jeudi 7 septembre 2017

La Villa






 Tout l'Anio verse au jardin vertical,
Piège de marbre et falaise de faste.
Son corps d'eau plie au caprice ducal,
Sa bouche d'eau crie amour au nom d'Este.

Cent bouches d'eau par frais luxe éjaculent
Un rire bleu-mer-sombre et blanc argent.
Toute tritonne est la serve ducale,
L'Anio des ducs ruisselle sur sa jambe.

Où la statue est d'Anio transpercée
Et rend l'Anio par sa gorge fontaine,
Où chaque bronze est d'un flot traversé
Par les détours du lit d'une âme obscure,

Où à jet double un dru fleuve exubère
Par les seins noirs aspergeant l'hibiscus,
Aimer longtemps du balcon de fontaine
Entre les ifs la tuile de Tibur.

Marcel Thiry  Le Jardin fixe, Italiques, 1969









Images : en haut et en bas (1) : Stefano  Site Flickr

en bas (2) : Site Flickr 

en bas (3) Paolo Francesco Sità  (Site Flickr)




mardi 2 octobre 2012

Mal de Sienne



 

Le pavé du Dôme donne la mesure de l'amour infini que Sienne nourrit pour la Vierge et de sa passion pour la beauté. Elle compte pour rien la dépense et le génie, cette prodigalité naturelle. Sienne consent à ce qu'on efface du pied les chefs-d'œuvre qu'elle consacre à sa Reine. Sienne cherche la beauté en toute chose pour mieux aimer ; et c'est son insatiable amour qui cherche en tout la forme la plus belle.


André Suarès Sienne la bien aimée







Depuis que j'ai marché là-bas sur les sibylles,
Le remords de l'oracle opprimé de talons
Remonte, c'est mon mal de Sienne, à stades lents
De mon talon mordu par le serpent syllabe
Jusqu'à mon cœur qui branle et mes vouloirs labiles.

Rouge orifice oraculaire horizontal,
O bouche qu'elles font ronde pour dire oracle !
C'est sur elle que j'apposai le pied du siècle,
Foulant l'ovale à moments dorés des Visages
Parmi tant d'Allemands qui n'en ont pas pris mal.

Mais moi je savais trop que mon pas était faute
Et que conculquer perpendiculairement,
Comme faisait d'aplomb tout un car d'allemands,
L'Erythrea couchée en drapé de graffite,
S'expie, et que le verbe écrasé fait venin.

Elles auront collé leur lèvre inoculante
À mon pied parmi le tourisme tout-venant,
La Persique, la Cuméenne à gorge nue
Ou bien Gergis qui narre à travers dôme au ciel,
Et je vague avec leur toxine dans ma rue.

Cette fièvre est savoir, savoir que dans la rue
Rien n'est, le parfum des vivantes ni l'argent
De semblance après quoi délire encor la gent,
Ni les fards mordorés des idoles de boue,
Rien n'est, que le conseil sibyllin de rien n'être,

Rien n'est, que le péché mortel d'être debout
Quand, couchée à son rang dans leur beau nombre douze,
Chaque vierge, de sa plate effigie, étend
L'horizontalité d'où fument les syllabes
Comme parle en vapeurs un sommeil de volcan.

L'édit là-bas des plates douze folles sages
Qu'étale épars un cathédrale jeu de cartes,
L'ordre qui s'insinue en mon sang depuis lors,
C'est d'aller réparer là-bas mon pas coupable
En abjurant notre inanité verticale,

C'est, jusqu'à Sienne, en pénitence de l'outrage,
Pour valoir à mon sang le pardon des vestales,
D'aller, bien lessivé de soleil, recevoir
Leur bouche à bouche mosaïque face à face,
À quatre pattes sur leur pâle jeu de cartes.

Marcel Thiry Le Jardin fixe, Italiques (1969)









Le magnifique pavement du Dôme de Sienne, largement recouvert la plupart du temps par mesure de précaution, est actuellement totalement visible, jusqu'au 24 octobre 2012. (On peut voir ici un beau diaporama).

 

 Images : en haut,  Site Flickr

en bas, Wiki Commons

mercredi 30 mai 2012

Digression romaine





I

Vers deux heures la place autodrome est calmée
Et la parole éternelle est à la fontaine
Et l'insomnie écoute et devient fête.

La couche devant la fenêtre devient règne.

Toute la Ville en cercle à ce chevet,
Assise sur ses collines presque insensibles,
Dit ses noms un par un comme pour des visites,
Sixtine et mon forum des chats et Transtévère.

Il reste encore une heure avant que le jour naisse
(Les nuits d'amour ont de ces rémissions pures),
Couleur du racontement vert de la fontaine,
Couleur d'eaux de printemps encor troubles des crues
Quand le Tibre est opale et algue et sable pâle.

Et deux heures peut-être avant que monte au ciel
La gerbe, éclatée en bonheur, des hirondelles.

 
II

Rome profuse en hirondelles,
Rien que pour elle, Rome, rien qu'en faveur d'elles,
Je te le dis, tu aurais mon pardon.
Tes hurlements à mort sous ce balcon
Et tant de fois ton stupre en place de Venise
Et tes rauquements de succube à la bêtise
Et ton poignard tiré contre tu sais Laquelle,
En avons-nous saigné, splendide infâme !
Or c'est un crime en rêve et absous ; comme un sable
Que la mer au matin découvre, et qui est pur.
O ma pardonnée injustement d'être belle,
Ce n'est pas tant pour ta place du Panthéon
Où s'encapuchent de rouge les haridelles,
Pour tes peuples peinture ou marbre, pour la dame
Qui au café Greco dit sa glace au melon,
La cuillère levée, à voix qui presque pâme,
Pour le jaune fable des tuiles sur Tibur ;
C'est pour tes matins d'hirondelles.

Marcel Thiry Songes et Spélonques, 1973







 


Images :en haut,  Site Flickr

en bas, Site Flickr

vendredi 18 mai 2012

Bleu






Les oiseaux de mer ne voient pas le bleu.
C'est le vers important que propose au passage
La prose, en page quatorze, d'un reportage
Du journal que j'appuie au pichet de vin bleu.

Aveugles à leur bleu la couleur de leur vie.

Je recevais, mêlée aux hors d'œuvre moyens
Cette bribe de vérité universelle
Dispensée au buffet de la gare d'Amiens
(Ou était-ce à la Brasserie universelle ?).

Marcel Thiry Songes et Spélonques, Gares et passages, 1973








Images : en haut,  Site Flickr

en bas, Sergio Sorgiovanni  (Site Flickr)


mercredi 15 février 2012

Venzolasca





Une étoile est ce soir si large sur la mer,
Quand un bleu traîne pâle encor sur la montagne,
Que son reflet trace un long chemin de lumière
Depuis l'horizon invisible jusqu'au sable.

Nous vivrons encor quand la même mer,
Traverseuse des nuits qui sont nos traverseuses,
Brasillera de tous ses miroirs de soleil
Sur son exact croissant d'azur torride

Et quand paraîtront les grandes baigneuses
Pour toucher du pied le rire innombrable.

Chemin d'or où sait venir l'astre par la mer,
Quand dorment les grandes baigneuses, jusqu'au sable.

Marcel Thiry Songes et Spélonques, 1973








Images : en haut,  Site Flickr

en bas, Vincentello (Site Flickr)

dimanche 20 juin 2010

Italiques


À Rome en septembre
Hôtel du Sénat,
À Nice en décembre
Place Masséna,

Devant qu'attaquée
Que de jours cueillis,
Devant que marquée
Pour les jours punis !

Mais ne crois qu'on meure.
Car si tu mourais,
Je te chercherais
Dans l'autre demeure.

Entends-moi déjà
Chez les exilées...
Tu m'entends déjà,
Prête aux envolées :

«Viens. La place d'Espagne a mis ses azalées

Marcel Thiry Le Jardin fixe, Italiques, 1969

Image : Francesco De Benedetto (Site Flickr)

samedi 19 juin 2010

Le bruit de la mer (Il rumore del mare)


ANTIRÊVE

Est-ce bien le bruit de la mer ? Si c'est bien lui
Alors tout n'est pas qu'un rêve.
Je pourrais mourir sûr s'il y a dans la nuit
Le ressac lointain sur la grève.

Marcel Thiry Songes et Spélonques, 1973

Image : Jody Art (Site Flickr)

samedi 12 juin 2010

Nice



Une arsouille exhibe un macaque à barbe grise
De table en table à la terrasse au bord du port.
Le ciel bleu soir sur le Boron violettise.
Le sens est d'avancer la main vers cet alcool.

Le bateau pour la Corse est parti. Darse vide
Comme le monde est vide et comme il manque un chant
De chair, de chair, mon heure, ma fausse convive.
Ah ! si le méchant seul est seul, je suis méchant.

Marcel Thiry L'Encore, Emergences (1975)

Image : Jérôme Briot (Site Flickr)

lundi 7 juin 2010

Être fait Sicile


Fais-moi aimer par l'écume de la mer
Qui frange de rire blanc la Trinacrie.
Tu peux encor par brisements de ton rire
À mon île de monts roux donner bonheur.

Entoure-moi de la ceinture de rire
Qu'on voit d'avion blanchir le contour des rocs.
Fais-moi cet amour qu'au pied des temples grecs
Les fraîches dents de Thétis font à leur île.

Fais comme si j'étais le roi père aveugle
En âge d'île, et la mer, l'Antigone
Qu'il sait voir, elle seule, et qui l'environne
De bras chastes comme ton rire à l'aveugle.

Marcel Thiry Le Jardin fixe, Italiques (1969)

Image : Site Flickr

Une belle galerie sicilienne, sur le site Flickr.

jeudi 13 mai 2010

Teasing


Toi qui pâlis au nom de Vancouver,
Tu n'as pourtant fait qu'un banal voyage ;
Tu n'as pas vu les grands perroquets verts,
Les fleuves indigo ni les sauvages.

Tu t'embarquas à bord de maints steamers
Dont par malheur pas un ne fit naufrage
Sans grand éclat tu servis sous Stürmer,
Pour déserter tu fus toujours trop sage.

Mais il suffit à ton orgueil chagrin
D'avoir été ce soldat pérégrin
Sur le trottoir des villes inconnues,

Et, seul, un soir, dans un bar de Broadway,
D'avoir aimé les grâces Greenaway
D'une Allemande aux mains savamment nues.

Marcel Thiry Toi qui pâlis au nom de Vancouver (1924)


«Nous y sommes, les charmes sérénissimes commencent à agir, je suis captif, presque amoureux. J'ai dîné dans un petit restaurant voisin, delle Zattere, qu'on eût dit d'un vrai port de mer, un soir de morte saison. Puis j'ai marché vers l'ouest, le long des Zattere, justement ; suis tombé sur la gare maritime, interdite d'accès, ai dû rentrer dans les terres, si l'on peut dire, ai touché à Saint-Sébastien, au Saint-Ange-Raphaël, aux Carmine. J'ai suivi des fondamente désertes, San Sebastiano, Briati, Foscarini, isolées, marginales peut-être, mais sans le pittoresque étroit de certains coins de Venise qui ne prétendent pas au monumental. Il y avait de la largeur en ces parages, de la grandeur, de la solitude éternelle, aucun chantage, aucune attente. Venise s'y fait la Bruges du Sud, si peu du Sud, avec deux ou trois miraculeux cafés pour y lire Larbaud, ou Delvaille, ou Thiry

Renaud Camus Vigiles, journal 1987, P.O.L, 1989

Image : Renaud Camus (Site Flickr)