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vendredi 20 mars 2015

Printemps qui commence...




« Printemps qui commence,
Portant l'espérance
Aux cœurs amoureux,
Ton souffle qui passe
De la terre efface
Les jours malheureux.
Tout brûle en notre âme,
Et ta douce flamme
Vient sécher nos pleurs ;
Tu rends à la terre,
Par un doux mystère,
Les fruits et les fleurs.



 

En vain je suis belle !
Mon cœur plein d'amour,
Pleurant l'infidèle,
Attend son retour !
Vivant d'espérance,
Mon cœur désolé
Garde souvenance
Du bonheur passé.
À la nuit tombante
J'irai triste amante,
M'asseoir au torrent,
L'attendre en pleurant !
Chassant ma tristesse,
S'il revient un jour,
À lui ma tendresse
Et la douce ivresse
Qu'un brûlant amour
Garde à son retour ! »


Camille Saint-Saëns  Samson et Dalila, Acte I (Livret de Ferdinand Lemaire)  



Image : Claude Monet, Le Printemps (huile sur toile, 1886)

samedi 21 juin 2014

Les Beaux étés



 "Toujours !"






Les beaux étés à la veille des guerres 
les beaux étés où l'enfance est troublée 
tout finit par le meurtre 
et le sable des plages est froid désormais 
Dans les yeux des vieillards 
tremble la peur de vivre et d'être seul 
Les beaux étés où les jardins sont clos 
les beaux étés où commence l'automne 
tous les prés ont été incendiés 
et dans le soir les feuilles sont tombées 
Rien ne sera jamais comme autrefois 
mais je me souviendrai toujours 
des beaux étés aux scarabées des roses 
les beaux étés où tout était mensonge. 

Bernard Delvaille   Panicauts ou Le voyage d'été (in Œuvre poétique La Table Ronde, 2006)






Images : en haut, Claude Monet  Été  (1874) 

en bas, Claude Monet  Hôtel des Roches Noires, Trouville  (1890)


 

samedi 9 avril 2011

Le Don des morts




"Nymphes des bois, déesses des fontaines..."








Dans un petit livre (une cinquantaine de pages) récemment paru aux éditions Lienart, le peintre Jean-Paul Marcheschi revient sur cet étrange tableau de Monet, Camille sur son lit de mort. L’ouvrage est fait d’une suite de courts chapitres, dont chacun porte un titre, comme une série de fragments, de plongées dans le mystère d’une œuvre, et les relations entre la peinture et la mort. Qu’est ce qui a poussé Monet, ce peintre de la lumière et de l’éternel été, à peindre sa femme Camille sur son lit de mort, au soir du 5 septembre 1879, dans la chambre de sa maison de Vétheuil ? Marcheschi y voit un adieu au visage aimé, mais aussi une volonté inconsciente, et presque instinctive, de substituer au «pour toujours» de la mort un «pour toujours» de l’art, qui «déborde» et métamorphose la douleur et le deuil.






Dans l’exécution rapide, «presque bâclée», de ce tableau, Marcheschi voit aussi une expression de la sauvagerie de la peinture, cette sprezzatura qui tourne le dos à la virtuosité (en «débordant la main») et devient la marque des œuvres parvenues à leur plus haut degré de maturation : le Paradis du Tintoret, le Marsyas du Titien, les derniers autoportraits de Rembrandt, les derniers tableaux de Picasso. L’une des plus belles – et des plus mystérieuses dans sa formulation héraclitéenne – intuitions de ce livre, c’est qu’en peignant Camille morte, Monet signe aussi une sorte de pacte obscur avec l’eau, dont le grand cycle des Nymphéas sera l’aboutissement : « l’horizon disparaît pour qu’enfin s’accomplisse le voyage au fond des eaux, dans le fleuve Léthé. » Nous sommes bien sûr ici au cœur même de ce qui constitue l’œuvre de Marcheschi, et ces Notes sur les Nymphéas éclairent aussi sa propre création : les Onze mille Nuits, le Tenebroso lago, les Fastes. En lisant ce livre bref mais dense, cette méditation si profonde et si riche en fulgurances, en intuitions qui ouvrent au lecteur une multitude de pistes à explorer, on songe au Barthes de Sade, Fourier, Loyola, si attentif aux biographèmes, ces éclats du souvenir, « dont la distinction et la mobilité pourraient voyager hors de tout destin et venir toucher, à la façon des atomes épicuriens, quelque corps futur, promis à la même dispersion »...

Je cite ici un extrait d’un des plus significatifs chapitres du livre, intitulé
L’art, la toilette des morts :

Sans y penser – sans même rien savoir de ce qu’il fait, Monet retrouve, à travers cet acte instinctif de sauvegarde du visage, le geste fondateur, cathartique et funèbre de l’art, et sa vocation première. Mais ce n’est pas à la toilette du mort que l’on procède ici, c’est le contraire qui arrive. La rhétorique de la mort dans ses conventions bien répertoriées est totalement défaite. Il ne s’agit pas d’un Tombeau: rien d’extérieur, aucune intentionnalité pour cette anti-commande que rien ne laissait prévoir. Expérience rare, unique même, non seulement dans l’œuvre de Monet, mais dans la longue histoire des représentations de la mort. C’est la mariée morte, mise à nu par la peinture même. C’est le dé-toilettage du mort. Mais le ce qui n’en finit pas du deuil, par la force désorientée du pinceau, ne recouvre pas le phénomène abject de la mort. Il l’épouse au contraire, et le plus concrètement possible. S’y montre une double défaite, la sienne propre d’endeuillé, et celle, plus paradoxale, de son outil (la peinture) et de son code, qui se décomposent eux aussi, dans leurs signifiants propres. Ici tout n’est que brisement (des codes), violence, disparition. C’est lui-même perdu se perdant à l’intérieur de son propre langage, qui finit par se désappartenir totalement. La perte et la puissance semblent conclure ici un pacte provisoire. Jubilation paradoxale dans ce double anéantissement. Camille sur son lit de mort montre cette béance qui brise non seulement le sens, mais contraint le style à se renouveler de fond en comble. Tableau du suspens, Camille sur son lit de mort est une non-œuvre tenue secrètement entre deux rives : passage blême dont la peinture sera le seul nocher.










L’embrumement soudain du visage, emporté par la camarde, c’est l’outre-mort, déjà. Le visage de celle qui fut le corps photophore, éblouissant et radieux des plages de Normandie ou des jardins d’Île-de-France, modèle des plus heureux de ses tableaux, s’achemine progressivement dans la mort sèche, osseuse, brutale. Et tandis que le visage se dessèche, jusqu’à l’émacié, la peinture, elle, au contraire, augmente ; et ses valeurs propres, ses nuances ne cessent de se raffiner. C’est le courage inouï du style que d’aller jusque-là. La transsubstantiation, non métaphysique, non dogmatique à laquelle on assiste, ne porte pas sur le visage – c’est la peinture qui en est la proie. On rompt ici avec les visages-tombeaux, très stéréotypés, très idéalisés, des monuments funéraires, qui consistent à offrir à l’endeuillé un cénotaphe. C’est bien une Camille «réaliste», la mâchoire nouée d’un linge blanc, que Monet nous offre, mais réduite et fardée comme une pharaonne en route vers l’au-delà. Visage mnésique de sa femme deux fois morte, rendue, non seulement telle qu’elle est : dévastée par l’interminable agonie, mais aussi telle qu’elle sera une fois délivrée du réel, nimbée du deuil blanc des reines, telle qu’en elle-même enfin le souvenir la change. C’est l’anti-sublimation portée par l’art pictural, lorsqu’il est au plus haut de lui-même.

Dans le végétal qui l’envahit – qui seul pourra germer et renaître – s’annoncent les Nymphéas futurs.

Jean-Paul Marcheschi Camille morte, Notes sur les Nymphéas, Editions Lienart, 2010





À lire aussi, sur le même sujet : La peinture et la mort.


Une nouvelle édition de l'ouvrage de Jean-Paul Marcheschi  Camille morte. Notes sur les nymphéas est parue en 2012 aux éditions Art 3, dans la collection Notes d'un peintre.



Images
: de haut en bas : Claude Monet, Camille sur son lit de mort (1879)

C.Monet, Camille Monet à la fenêtre (1872)

C. Monet, Camille assise sur la plage à Trouville (1870) Site Flickr

C. Monet, Nymphéas, Soleil couchant (détail) Site Flickr