"Verrà un giorno, si disse ancora, che qualcuno mi porterà giù per le scale della mia casa, chiuso in una bara, ma io avrò eseguito interamente il mio gioco d'infanzia."
Parmi la cinquantaine de textes qui composent le merveilleux
Abécédaire (
Sillabari) de Goffredo Parise, l’un des plus beaux livres de la
littérature italienne, toutes époques confondues, il y en a un qui s’intitule
Poésie. Il raconte une visite, celle qu’un homme et une femme assez jeunes font
à un poète approchant du terme de sa vie, dans une petite villa de banlieue.
Aucun nom de personne ou de lieu n’est cité, mais on devine assez facilement
que le vieux poète est
Giovanni Comisso, et que les visiteurs sont Goffredo Parise et son amie Giosetta Fioroni. La scène se passe donc à
Trévise, la ville natale de Comisso, dans cette villa qu’il a achetée en 1962,
au bord du canal des Buranelli ; il y mourra sept ans plus tard, en janvier
1969.
La visite qui est racontée ici se passe en été, sans doute en 1968 :
le poète est assis sur une chaise, sous une étroite véranda, et près de lui,
une paysanne menue, en robe noire (il s’agit de Giovanna, qui fut pendant de
longues années une sorte de gouvernante auprès de l’écrivain) lit à haute voix
l’un des premiers livres de Comisso,
Amori d'Oriente (
Amours orientales). Le texte évoque une
Chine d’autrefois, sans doute en grande partie rêvée, et l’auteur semble
prendre plaisir à cette lecture, qui le fait parfois rire aux larmes : «Une
mystérieuse maladie l’avait fait grossir : il avait l’air d’un énorme
fruit et des petits nuages de moucherons et de mouches tournaient autour de lui
comme s’il était justement un fruit trop mûr et proche de la décomposition. De temps
en temps, une abeille se posait sur son visage sans le piquer, mais il ne s’en
apercevait pas tant il était pris par la lecture de la paysanne. Il avait un
vieux chapeau de paille posé de travers sur sa tête aux cheveux blancs et ras,
et des yeux qui semblaient loucher sans loucher, illuminés par de brefs éclairs
d’amusement comme si tout ce qui arrivait dans le livre était comique. Il
savait que sa vie ne durerait plus très longtemps mais, à part quelques larmes brièvement
jaillies (comiques, elles aussi), il riait de tout à la façon des nouveaux-nés.
La paysanne, que l’on aurait pu croire analphabète, lisait au contraire
correctement, avec lenteur, en ménageant des pauses. Chaque fois que son maître
riait, elle souriait, elle souriait elle aussi, cessait sa lecture et
disait : "Quel bêta, quel bêtasson, regardez-moi comme il
rit !"».
Les jeunes invités n’écoutent pas vraiment la
lecture ; en fait, ils connaissent très bien ce livre, et ils sont émus en
pensant que son auteur va bientôt mourir. Ils se souviennent des anciennes
photos qui le montraient
jeune et athlétique, dans la plénitude de sa vitalité
et de son art. Après quelques instants de conversation avec ses hôtes, Comisso
demande à la servante d’aller chercher une revue : «C’était une
publication quelconque et de petit format qu’il retourna aussitôt : la
dernière page était entièrement occupée par une photo de publicité. Il y jeta
d’abord un coup d’œil (la paysanne poussa un long soupir de reproche) puis la
tendit aux invités avec un mouvement de ses sourcils encore noirs et
broussailleux, un mouvement d’immense admiration. Le couple regarda l’image,
c’était une publicité pour un vélomoteur : un garçon dans les dix-huit
ans, les cheveux noirs et frisés, en blue-jean, était debout près d’une fille,
et d’un bras fort et bruni par le soleil il tenait contre lui un vélomoteur.
Les jeunes gens se regardaient, conversaient peut-être. Juste derrière eux, un
buisson méditerranéen, et tout au fond, la mer. Il n’y avait rien de plus.
Grande fut la surprise des invités qui, étant donné l’attitude de reproche de
la paysanne et connaissant le poète et sa sensualité bizarre et toujours en
alerte, pensaient voir un nu, des nus, quelque chose qui justifie les
réticences de la femme. Rien, une illustration en couleurs banale et
conventionnelle, des couleurs même pas parfaites, une simple publicité. Ils ne
comprenaient pas.
Mais le poète continuait à rire, il y avait à la fois quelque
chose d’infantile et d’inquiétant dans ses rires autour desquels les moucherons
avaient commencé à tourbillonner, et aussi dans son regard traversé d’éclairs à
la japonaise, dans ses yeux qui paraissaient loucher comme s’il était un gros
acteur de Nô.
Le poète répéta son geste d’admiration, de la main et des lèvres,
puis il devint tout à coup sérieux. Aussitôt ses yeux se mouillèrent et une
petite pluie se posa sur le journal comme une rosée. Il pointa son doigt sur la
photo en désignant un point précis sur le bras du garçon : le poignet.
Les
invités regardèrent mais il n’y avait rien. Seul le jeune hôte aperçut quelque
part un peu de clarté sur la peau de ce bras bronzé, de ce poignet, comme il
arrive à celui qui enlève sa montre après l’avoir longtemps portée au soleil et
à la mer. Qui sait pourquoi, le jeune hôte et sa compagne eurent l’impression
que c’était la vie, la beauté même de la vie.
La paysanne boiteuse faisait la
tête et grognait : tout cela ne dura que quelques instants.»
Je cite ici le texte de l'
Abécédaire de
Goffredo Parise dans l'édition française de 1989, parue aux éditions de l'Arpenteur, traduction d'
Alix Tardieu. Cette édition semble épuisée, mais on peut encore se la procurer sur les sites de vente de livres d'occasion. En Italie,
Sillabari est paru en 1985 aux éditions Mondadori ; il a été réédité en 2009 aux éditions Adelphi.
(2)
Giovanni Dall'Orto (
Source)