"Senza volere fare l'apologia della morte, venti volte al giorno si presenta il desiderio di fare la riverenza a questo secolo e di lasciarlo."
"Sans vouloir faire l'apologie de la mort, vingt fois par jour se manifeste le désir de tirer sa révérence à ce siècle et de le quitter."
Giovanni Comisso
Les sept courts poèmes que je cite ici ont été écrits par Giovanni Comisso de 1911 à 1915, c'est à dire entre seize et vingt ans. Ils ont été publiés par un éditeur de Trévise, dans une plaquette sobrement intitulée Poesie, en 1916, alors que Comisso se trouvait au front, du côté d'Udine. Nico Naldini raconte dans sa grande biographie de Comisso (Vita di Giovanni Comisso, Einaudi 1985) que les parents du jeune poète n'ont pas caché à leur fils leur "affectueux désappointement" à la lecture de ce petit volume, se demandant même s'il ne se moquait pas du monde en écrivant ce genre de "poème" : «I contadini parlavano nei campi» («Les paysans parlaient dans les champs»).
On retrouve pourtant déjà dans ces petites pièces, allusives et suggestives comme des haïkus, l'inspiration bucolique et la plénitude contemplative qui nourriront trente ans plus tard les œuvres de la maturité de Comisso, comme Le mie stagioni ou La mia casa di campagna. Ces poèmes de jeunesse ont été republiés en 1951, accompagnés d'autres proses poétiques, dans un recueil intitulé La virtù leggendaria (La vertu légendaire). On peut les lire aujourd'hui dans le volume des Meridiani (Mondadori) consacré aux Opere (Œuvres) de Comisso. J'en propose ici une traduction personnelle :
«Che ora sarà ?»
Il contadino guardò l'ombra di un albero.
«Sono le dieci» rispose.
«Quelle heure peut-il être ?»
Le paysan regarda l'ombre d'un arbre.
«Il est dix heures» répondit-il.
Nella notte tarda assai
a un vago chiarore di lampada
una vecchia filatrice filava.
Le lacrimavano gli occhi stanchi
e le dita scarne logorate quasi dal lavoro eterno
le spasimavano e filava.
Quando l'alba si diffuse,
già la lampada era spenta,
già gli occhi erano chiusi
e ancora filava.
Très tard dans la nuit
à la pâle lueur d'une lampe
une vieille fileuse filait.
Ses yeux fatigués larmoyaient
et les doigts décharnés presque usés par l'éternel labeur
la faisaient souffrir, et elle filait.
Quand l'aube apparut,
la lampe était déjà éteinte,
déjà les yeux étaient clos
et elle filait encore.
I grappoli d'uva dolcigna fervono d'api,
che ne estraggono l'essenza squisita.
Per la vigna passa il padrone osservando
e brontola.
Les grappes de raisin doux bruissent d'abeilles,
qui en extraient le nectar exquis.
Le propriétaire de la vigne passe et les observe
en bougonnant.
I contadini parlavano nei campi.
Les paysans parlaient dans les champs.
Era notte tarda.
Un uomo ritornava dall'osteria
e giunto a una fonta che gorgogliava,
«Bisogna che beva un po' d'acqua»
borbottò.
Appressò la bocca al getto
e scorse nella conca d'acqua una stella
che si specchiava.
Alzò allora gli occhi stanchi al cielo.
Era pieno di stelle.
Il était tard dans la nuit.
Un homme revenait de la taverne
et arrivé devant une fontaine qui gargouillait,
il marmonna :
«Il faut que je boive un peu d'eau».
Il approcha la bouche du jet
et aperçut dans l'eau du bassin une étoile
qui se reflétait.
Il leva alors ses yeux las vers le ciel.
Il était plein d'étoiles.
Passo per i campi caldi di mezzogiorno
e mi viene sul volto il loro respiro di menta.
Je passe au milieu des champs brûlants de midi
et je sens sur mon visage leur souffle de menthe.
Mattino.
Gli alberi si guardano
sullo specchio delle acque.
Matin.
Les arbres se contemplent
dans le miroir des eaux.
Images : de haut en bas,
(3) Angelo Bressan (Site Flickr)
(4) Luca Zarp (Site Flickr)
(5) Luca Beraldo (Site Flickr)
(6) Aldo Furlanetto (Site Flickr)
Des grappes de raison... est-ce bien raisonnable pour ce raisin bruissant d'abeilles. Le lapsus est charmant comme ces poèmes brefs et inspirés. 16 ans... cette poésie ne laisse pas deviner l'âge du poète... Le portrait de la vieille fileuse est sidérant, si suggestif et émouvant. Tant dire en si peu de mots... Et ce souffle de menthe éveillé par le passage du promeneur.
RépondreSupprimerCette citation de Comisso : "Sans vouloir faire l'apologie de la mort, vingt fois par jour se manifeste le désir de tirer sa révérence à ce siècle et de le quitter." est la marque de cette lucidité désenchantée du "dur métier de vivre" (mais là, c'est un autre de vos amis dont l'écriture somptueuse lie la plénitude de la vie à cette si longue attente de la mort.).
Merci de votre lecture attentive, Christiane ; le lapsus était beau, mais je l'ai quand même corrigé !
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