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lundi 28 mars 2016

Ragazzi di vita (Les Ragazzi)




Une nouvelle traduction du premier roman de Pasolini Ragazzi di vita (1955) vient de paraître aux éditions Buchet Chastel, sous le titre Les Ragazzi. Je reprends à cette occasion l'incipit de l'ouvrage dans la version originale italienne, puis dans l'ancienne traduction de Claude Henry, parue en 1958, et enfin dans la toute nouvelle version proposée par Jean-Paul Manganaro. On remarquera que la première cherchait de façon beaucoup trop systématique à donner un équivalent du romanesco (la langue des quartiers populaires de Rome), très présent dans l'ouvrage, en ayant recours à des tournures familières ou argotiques. Claude Henry traduisait aussi systématiquement les surnoms des personnages : Riccetto devenait le Frisé, Caciotta Fromegi, Capellonne Chapeau-Pointu ou er Picchio le Coucou... Tous ces parti-pris, certes défendables, donnent malheureusement aujourd'hui au texte un aspect très daté, et l'on a souvent l'impression de lire un livre de Carco, de Simonin ou de Boudard plutôt qu'un ouvrage de Pasolini. 
Si l'on regarde de près le texte italien, on se rend compte que Pasolini utilise surtout le romanesco dans les dialogues, alors que le récit est écrit dans un italien courant, même si l'on peut y rencontrer par moments des tournures dialectales. Une nouvelle traduction était donc tout à fait nécessaire pour retrouver une approche moins biaisée de l'écriture de Pasolini et la saveur de cette langue si évocatrice. En ce sens, le travail de Jean-Paul Manganaro doit être salué et il permet enfin au lecteur français de lire ce très beau livre de Pasolini dans une version beaucoup plus fidèle et beaucoup plus proche de l'original italien. Je me suis amusé à traduire à mon tour cet incipit et on trouvera à la fin de ce billet ma version personnelle de ce texte. 

1- Il ferrobedò

Era una caldissima giornata di luglio. Il Riccetto che doveva farsi la prima comunione e la cresima, s’era alzato già alle cinque ; ma mentre scendeva giú per via Donna Olimpia coi calzoni lunghi grigi e la camicetta bianca, piuttosto che un comunicando o un soldato di Gesú pareva un pischello quando se ne va acchittato pei lungoteveri a rimorchiare. Con una compagnia di maschi uguali a lui, tutti vestiti di bianco, scese giú alla chiesa della Divina Provvidenza, dove alle nove Don Pizzuto gli fece la comunione e alle undici il Vescovo lo cresimò. Il Riccetto però aveva una gran prescia di tagliare : da Monteverde giú alla stazione di Trastevere non si sentiva che un solo continuo rumore di macchine. Si sentivano i clacson e i motori che sprangavano su per le salite e le curve, empiendo la periferia già bruciata dal sole della prima mattina con un rombo assordante. Appena finito il sermoncino del Vescovo, Don Pizzuto e due tre chierici giovani portarono i ragazzi nel cortile del ricreatorio per fare le fotografie : il Vescovo camminava fra loro benedicendo i familiari dei ragazzi che s’inginocchiavano al suo passaggio. Il Riccetto si sentiva rodere, lí in mezzo, e si decise a piantare tutti : uscí per la chiesa vuota, ma sulla porta incontrò il compare che gli disse : 
— Aòh, addò vai ? 
— A casa vado, fece il Riccetto, tengo fame. 
— Vie’ a casa mia, no, a fijo de na mignotta, gli gridò dietro il compare,  che ce sta er pranzo.
Ma il Riccetto non lo filò per niente e corse via sull’asfalto che bolliva al sole. Tutta Roma era un solo rombo : solo lí su in alto, c’era silenzio, ma era carico come una mina. Il Riccetto s’andò a cambiare. 
Da Monteverde Vecchio ai Granatieri la strada è corta : basta passare il Prato, e tagliare tra le palazzine in costruzione intorno al viale dei Quattro Venti : valanghe d’immondezza, case non ancora finite e già in rovina, grandi sterri fangosi, scarpate piene di zozzeria. Via Abate Ugone era a due passi. La folla giú dalle stradine quiete e asfaltate di Monteverde Vecchio, scendeva tutta in direzione dei Grattacieli : già si vedevano anche i camion, colonne senza fine, miste a camionette, motociclette, autoblinde. Il Riccetto s’imbarcò tra la folla che si buttava verso i magazzini. 
Il Ferrobedò lí sotto era come un immenso cortile, una prateria recintata, infossata in una valletta, della grandezza di una piazza o d’un mercato di bestiame : lungo il recinto rettangolare s’aprivano delle porte : da una parte erano collocate delle casette regolari di legno, dall’altra i magazzini. Il Riccetto col branco di gente attraversò il Ferrobedò quant’era lungo, in mezzo alla folla urlante, e giunse davanti a una delle casette. Ma lí c’erano quattro Tedeschi che non lasciavano passare. Accosto la porta c’era un tavolino rovesciato : il Riccetto se l’incollò e corse verso l’uscita. Appena fuori incontrò un giovanotto che gli disse: 
— Che stai a fà? 
— Me lo porto a casa, me lo porto, – rispose il Riccetto. 
— Vie’ con me, a fesso, che s’annamo a prenne la robba piú mejo. 
— Mo vengo, – disse il Riccetto. 
Buttò il tavolino e un altro che passava di lí se lo prese.

Pier Paolo Pasolini  Ragazzi di vita, Garzanti Editore, 1955)





1- Le Ferro-Bedon

La chaleur de juillet était accablante. Comme c’était le jour de sa première communion et de sa confirmation, à cinq heures du matin, le petit Frisé était déjà debout. Fallait le voir maintenant descendre la via Donna Olimpia dans son falzar gris et sa chemisette blanche ! mais plus que d’un premier communiant, plus que d’un soldat du Christ, il avait l’allure d’un de ces titis qui s’en vont sur leur trente et un lever un type le long du Tibre. 
Au milieu d’une bande de gamins de son acabit, il descendait donc à l’église de la Divine Providence, où Don Pizzuto le fit communier à neuf heures et à onze heures, l’évêque le confirma. Il s’embêtait ferme, le petit Frisé, et il se demandait comment il allait faire pour mettre les voiles. De Monteverde à la gare du Trastévère, parvenait une rumeur ininterrompue de voitures, et les klaxons, les grincements de moteurs dans les rampes ou dans les virages remplissaient d’un grondement assourdissant la périphérie déjà brûlée par le soleil du grand matin. A peine le bout de sermon de l’évêque terminé, don Pizzuto et deux ou trois séminaristes emmenèrent les gamins dans la cour de récréations pour les photographier. Entre deux haies de communiants, l’évêque bénissait les parents qui s’agenouillaient sur son passage. Le petit Frisé qui en avait plus que marre décida de tout plaquer, mais comme il sortait de l’église vide, il retrouva son parrain de confirmation qui lui demanda où il allait.
— J’m’en vais chez nous. J’la saute depuis ce matin, moi ! 
— Faut venir à la maison, enfant d’putain, cria le parrain derrière son dos, puisque c’est moi qu’offre la croûte ! 
Mais le petit Frisé s’en fichait comme de sa première chemise et courait déjà sur l’asphalte qui bouillait au soleil. Rome n’était qu’un grondement sourd ; en haut seulement régnait le silence, un silence aussi chargé qu’une mine. Le petit Frisé alla se changer. 
De Monteverde Vecchio à la caserne des Grenadiers, le chemin est bref : on n’a qu’à prendre le pré au milieu des villas en construction autour de l’avenue des Quattro Venti, puis à se frayer un passage entre des avalanches d’ordures et de détritus, des maisons inachevées et déjà en ruines, des excavations bourbeuses, des remblais enduits de saletés. La via dell’Abbate Ugo était à deux pas. Une foule descendait en direction des Gratte-Ciel, le long des petites rues si calmes de Monteverde Vecchio ; on apercevait déjà des colonnes sans fin de camions entremêlées de camionnettes, de motocyclettes, d’autos blindées. Le petit Frisé s’incorpora à la foule qui fonçait vers les magasins. 
En contrebas, le Ferro-Bedon, de la superficie d’une place ou d’un marché à bestiaux, ressemblait à une immense cour, à une prairie clôturée et encaissée au fond d’une vallée. Dans la clôture rectangulaire, s’ouvraient plusieurs portes ; d’un côté, des maisonnettes en bois s’alignaient, uniformes ; de l’autre, des magasins. 
Le petit Frisé et son équipe traversèrent le Ferro-Bedon d’un bout à l’autre au milieu d’une foule hurlante, et parvinrent à la hauteur d’une des maisonnettes. Mais là, quatre Fridolins interdisaient le passage. A côté de la porte, on apercevait une table renversée : le petit Frisé se la coltina sur le dos et se sauva en courant vers la sortie. A peine dehors, un gars qu’il venait de croiser l’apostropha : 
— Qu’est-ce tu fiches avec c’te carante ? 
— J’l’emporte chez nous, pardi ! 
— T’es pas dingue ! Laisse tomber ! Amène-toi, qu’y a d’autres trucs que ça ! 
— D’acc ! J’arrive, fit le petit Frisé, qui jeta sa table et qu’un individu qui passait s’adjugea.

(Traduction : Claude Henry, reprise dans la collection 10 / 18)





1- Le Ferrobéton

C'était une très chaude journée de juillet. Riccetto, qui devait faire sa première communion et sa confirmation, était déjà levé à cinq heures, mais pendant qu'il descendait via Donna Olimpia dans ses pantalons longs gris et sa chemisette blanche, plus qu'à un communiant ou à un soldat du Christ, il ressemblait à un gamin qui s'en va draguer tout fringant le long des quais du Tibre. En compagnie de garçons pareils à lui, tous habillés de blanc, il descendit jusqu'à l'église de la Divina Provvidenza, où à neuf heures, Don Pizzuto lui donna la communion et à onze heures l'évêque le confirma. Riccetto était pourtant pressé de se débiner : de Monteverde jusqu'à la gare de Trastevere on n'entendait qu'un même bruit continu de voitures. On entendait les klaxons et les moteurs qui poussaient dans les montées et les virages, remplissant la périphérie déjà brûlée par le soleil du premier matin d'un vrombissement assourdissant. Dès que le petit sermon de l'évêque fut terminé, Don Pizzuto et deux ou trois jeunes clercs emmenèrent les garçons dans la cour du patronage pour les prendre en photo : l'évêque marchait parmi eux en bénissant les parents des garçons qui s'agenouillaient sur son passage. Riccetto bouillait sur place, là, au milieu des autres, et décida de plaquer tout le monde : il traversa l'église vide, mais sur le seuil il rencontra son parrain qui lui dit :
— Hé, toi, où c'que tu vas ?
— Chez moi, j'vais, fit Riccetto, j'ai faim.
— Viens chez moi, hein, fils de pute, cria le parrain derrière lui, y'a l'déjeuner.
Mais Riccetto, sans l'écouter, s'éloigna en courant sur l'asphalte qui bouillait au soleil. Tout Rome n'était qu'un même vrombissement : seulement là, en haut, régnait un silence aussi chargé qu'une mine. Riccetto alla se changer.
De Monteverde aux Granatieri le chemin est court : il suffit de traverser le Prato, et de couper au milieu des petits immeubles en construction autour du boulevard des Quattro Venti : des avalanches d'ordures, des maisons encore en chantier et déjà en ruine, de grands déblais boueux, des talus pleins de saletés. Via Abbate Ugone était à deux pas. La foule descendait en masse les petites rues tranquilles et goudronnées de Monteverde Vecchio en direction des Gratte-ciel : on apercevait déjà des colonnes sans fin de camion, entremêlées de camionnettes, de motocyclettes, d'autos blindées. Riccetto s'embarqua dans la foule qui se jetait vers les magasins.
Le Ferrobéton était là, en bas, comme une immense cour, une prairie clôturée, au creux d'une petite vallée, de la taille d'une place ou d'un marché à bestiaux : le long de l'enclos rectangulaire des portes s'ouvraient : d'un côté des maisonnettes en bois alignées, de l'autre, les magasins. Riccetto traversa avec le troupeau le Ferrobéton dans toute sa longueur, au milieu de la foule hurlante, et parvint devant une des petites maisons. Mais il y avait là quatre Allemands qui ne laissaient passer personne. À côté de la porte, il y avait une petite table renversée : Riccetto la chargea sur son dos et courut vers la sortie. À peine dehors, il rencontra un jeune homme qui lui dit :
— Qu'esse tu fais ?
— J'l'emporte chez moi, j'l'emporte, répondit Riccetto.
— Vins 'vec moi, couillon, qu'on va s'prendre les meilleurs trucs.
— J'arrive, dit Riccetto — il lâcha la petite table et un quidam qui passait par là la prit.

(Traduction : Jean-Paul Manganaro, éditions Buchet Chastel, 2016)





1- Le Fer-et-béton

C’était une très chaude journée de juillet. Riccetto, qui devait faire sa première communion et sa confirmation, était déjà levé à cinq heures ; mais tandis qu’il descendait la rue Donna Olimpia, avec ses pantalons gris et sa chemisette blanche, il ressemblait davantage à un gamin endimanché qui s’en va draguer au bord du Tibre qu’à un premier communiant ou à un paladin du Christ. Entouré de garçons semblables à lui, tous habillés de blanc, il descendit à l’église de la Divine Providence, où à neuf heures Don Pizzuto lui donna la communion et à onze heures l’évêque le confirma. Mais Riccetto était pressé de se débiner : depuis Monteverde jusqu’à la gare de Trastevere, ce n’était plus qu’un bruit permanent de voitures. On entendait les klaxons et les moteurs qui cravachaient dans les montées et les tournants, remplissant le quartier déjà brûlé par le soleil du début de matinée d’un fracas assourdissant. Le petit sermon de l’évêque à peine terminé, Don Pizzutto et deux ou trois séminaristes emmenèrent les garçons dans la cour du patronage pour prendre des photographies : l’évêque circulait parmi eux en donnant la bénédiction aux parents des garçons qui s’agenouillaient sur son passage. Riccetto en avait marre de rester planté là, et il se décida à s’éclipser : il sortit par l’église vide mais à la porte, il rencontra son parrain qui lui lança :
— Où tu vas ?
— A la maison, répondit Riccetto, j’ai faim
— Mais putain, c’est chez moi qu’on va manger ! lui cria le parrain.
Mais Riccetto fit comme s’il n’avait rien entendu et se mit à courir sur l’asphalte qui bouillait au soleil. Rome tout entière n’était qu’un immense vrombissement : là seulement, tout en haut, régnait un silence chargé comme une mine. Riccetto alla se changer.
De Monteverde Vecchio aux Granatieri, le chemin était court : il suffisait de traverser le Prato, et de passer par les petits immeubles en construction autour du boulevard des Quattro Venti : des avalanches d’ordures, des maisons encore en chantier et déjà en ruine, de grands déblais boueux, des talus pleins de détritus. La rue Abate Ugone était à deux pas. La foule qui déboulait des petites rues paisibles et asphaltées de Monteverde Vecchio se dirigeait en masse vers les Gratte-ciel : on voyait même déjà les colonnes interminables de camions, mélangées aux camionnettes, motocyclettes et autos blindées. Riccetto se mêla à la foule qui se ruait vers les magasins. Le Fer-et-béton, en contrebas, ressemblait à une cour immense, une prairie clôturée, enchâssée dans une petite vallée, de la taille d’une place ou d’un marché aux bestiaux : tout au long de l’enclos rectangulaire s’ouvraient des portes ; d’un côté étaient rangées des maisonnettes en bois toutes semblables, de l’autre les magasins. Au milieu de la foule hurlante, Riccetto traversa le Fer-et-béton sur toute sa longueur, et il arriva devant l’une des maisonnettes. Mais là se trouvaient quatre Allemands qui bloquaient le passage. Près de la porte, il y avait une table renversée : Riccetto la chargea sur le dos et courut vers la sortie. À peine dehors, il tomba sur un jeune homme qui lui dit :
— Qu’est-ce tu fous ?
— Comme tu vois, j’la ramène à la maison ! répondit Riccetto.
— Tu déconnes, viens avec moi, on va trouver mieux qu'ça !
— Bon, j'te suis ! dit Riccetto.
Il jeta la table et un type qui passait par là s’empressa de la ramasser.

(Traduction personnelle)



vendredi 25 mars 2016

À la vue de mes larmes




"Erbarme dich, mein Gott, 
um meiner Zähren willen !"





« À Varallo, près de Vercelli dans le Piémont, l'église Santa Maria delle Grazie réserve au visiteur une surprise spectaculaire. Une fois franchi le seuil de cet édifice franciscain, dont l'allure plutôt simple ne laisse rien soupçonner depuis l'extérieur, on tombe nez à nez avec une fresque monumentale représentant vingt et une scènes de la Vie et de la Passion du Christ, occupant toute la largeur de l'église, soit 10,4 x 8 m. Cette œuvre superbe a été réalisée en 1513 par Gaudenzio Ferrari (1475 - 1546), considéré comme le plus grand peintre piémontais de la Renaissance. C'est grâce à un voyage dans le centre de l'Italie au tout début du seizième siècle qu'il développe son propre style en assimilant les influences du Pérugin, de Léonard de Vinci et de Bramante. Peintre, mais aussi sculpteur et architecte, il est surtout connu pour ses fresques et ses statues du Mont sacré situé sur la montagne qui surplombe la ville. »

Extrait du Dictionnaire insolite de l'Italie, de Régine Cavallaro, aux éditions Cosmopole, 2016










ImagesGaudenzio Ferrari, Cycle de la Vie du Christ, église de Santa Maria delle Grazie, Varallo 



lundi 21 mars 2016

Valzer per un amore (Valse pour un amour)





"Dum loquimur fugerit inuida aetas..."





 

Fabrizio De André canta Valzer per un amore (Testo : F. De André – Musica : G. Marinuzzi, 1968) : 




Quando carica d'anni e di castità
tra i ricordi e le illusioni
del bel tempo che non ritornerà,
troverai le mie canzoni,
nel sentirle ti meraviglierai
che qualcuno abbia lodato
le bellezze che allor più non avrai
e che avesti nel tempo passato

Ma non ti servirà il ricordo,
non ti servirà
che per piangere il tuo rifiuto
del mio amore che non tornerà.

Ma non ti servirà più a niente,
non ti servirà
che per piangere sui tuoi occhi
che nessuno più canterà.

Vola il tempo lo sai che vola e va,
forse non ce ne accorgiamo
ma più ancora del tempo che non ha età,
siamo noi che ce ne andiamo
e per questo ti dico amore, amor
io t'attenderò ogni sera,
ma tu vieni non aspettare ancor,
vieni adesso finché è primavera.


Valse pour un amour

Quand après tant d'années de chasteté,
parmi les souvenirs et les illusions
du beau temps qui ne reviendra pas,
tu retrouveras mes chansons,
en les écoutant, tu t'étonneras
que quelqu'un ait loué
ta beauté disparue à jamais.

Mais à quoi te serviront les souvenirs,
sinon à pleurer sur cet amour que tu as refusé
et que tu ne retrouveras pas ?

Il ne te restera plus rien à faire alors,
sinon à pleurer sur ces beautés enfuies
que plus personne ne chantera.

Le temps s'envole, tu le sais, il s'en va
sans que l'on s'en aperçoive
mais plus encore que le temps qui n'a pas d'âge,
c'est nous qui nous en allons,
et c'est pour cela, mon amour,
que chaque soir je t'attendrai,
viens me rejoindre, n'attends pas,
tant que le printemps est encore là.

(Traduction personnelle)









Images : en haut, Bruno Brunelli (Site Flickr)

en bas, Site Flickr

samedi 19 mars 2016

Memorie di Adriano




Adriano Celentano canta Il Ragazzo della Via Gluck (Celentano - Beretta - Del Prete, 1966) :






Questa è la storia
di uno di noi,
anche lui nato per caso in via Gluck.
In una casa fuori città,
gente tranquilla che lavorava.
Là dove c'era l'erba ora c'è
una città,
e quella casa in mezzo al verde ormai
dove sarà ?

Questo ragazzo della via Gluck
si divertiva a giocare con me,
ma un giorno disse : "Vado in città",
e lo diceva mentre piangeva.
Io gli domando : "Amico non sei contento ?
vai finalmente a stare in città,
là troverai le cose che non hai avuto qui.
Potrai lavarti in casa senza andar
giù nel cortile".
"Mio caro amico" disse "qui sono nato,
e in questa strada ora lascio il mio cuore,
ma come fai a non capire
che è una fortuna per voi che restate
a piedi nudi a giocare nei prati,
mentre là in centro io respiro il cemento,
ma verrà un giorno che ritornerò
ancora qui
e sentirò l'amico treno che
fischia così...." 

Passano gli anni ma otto son lunghi,
però quel ragazzo ne ha fatta di strada,
ma non si scorda la sua prima casa.
Ora coi soldi lui può comperarla,
torna e non trova gli amici che aveva,
solo case su case catrame e cemento,
là dove c'era l'erba ora c'è
una città,
e quella casa in mezzo al verde ormai
dove sarà ?

Non so, non so perché continuano
a costruire le case
e non lasciano l'erba, non lasciano l'erba,
non lasciano l'erba...
E noi se andiamo avanti così
chissà come si farà,
chissà chissà come si farà...








Le garçon de la Via Gluck

C'est l'histoire 
de l'un d'entre nous,
lui aussi né par hasard dans la via Gluck.
Dans une maison loin de la ville,
avec des gens tranquilles et travailleurs.
Là où poussait l'herbe, aujourd'hui il y a
une ville,
et cette maison dans la verdure,
aujourd'hui, qu'est-elle devenue ?

Ce garçon de la via Gluck
était l'un de mes compagnons de jeu,
mais un jour, il nous dit : "Je m'en vais en ville"
et il le disait en pleurant.
Je lui demandai : "Mais enfin, tu n'es pas content ?
tu vas enfin vivre en ville,
là-bas, tu auras tout ce qui te manques ici.
Tu pourras te laver à la maison, tu ne seras plus obligé
de descendre dans la cour."
"Mon ami, me répondit-il, je suis né ici,
et dans cette rue, je laisse mon cœur,
mais comment fais-tu pour ne pas te rendre compte
que c'est une chance pour vous de rester ici,
vous continuerez à jouer pieds nus dans les champs,
pendant qu'en ville, je respirerai du béton,
mais un jour, je reviendrai 
ici,
et j'entendrai encore
l'appel familier
du train...

Huit longues années ont passé,
et le garçon a fait du chemin,
mais il n'a pas oublié sa première maison.
Maintenant, il est assez riche pour l'acheter,
mais quand il revient, il ne retrouve pas ses amis,
mais des maisons partout, du goudron et du béton,
là où poussait l'herbe,
une ville a surgi
et sa maison dans la verdure
a disparu.

Je ne sais pas pourquoi ils s'obstinent à construire
toutes ces maisons,
au lieu de laisser l'herbe pousser...
Et si on continue comme ça,
je me demande ce qui va arriver...

(Traduction personnelle)









Images : en haut, Site Flickr

au centre et en bas, Site Flickr

mercredi 16 mars 2016

Il Sopramonte si annera (Le Sopramonte s'assombrit)




Dans Tutto il miele è finito (Tout le miel est fini), Carlo Levi raconte le voyage qu'il a fait en Sardaigne en 1952. Dans le passage que l'on va lire, il se trouve à Orgosolo, tandis que l'on annonce la mort d'un carabinier tué dans une embuscade. Le village est aussitôt mis en état de siège et les carabiniers affluent de toute part pour traquer les coupables :

Viene la notte : ma il cielo ha ancora un chiarore colorato, una lunga, persistente luce livida che tinge le distanze, e le chiude in mura d'aria che pare isolino dal mondo circostante il paese assediato : una patetica siepe di vapori che lo dividono dall'infinito supposto al di là. Mi fermo, appoggiato al muretto della strada in cima al paese, per un momento, a contemplare le distese delle terre, da ogni parte. Nuvole di minuto in minuto più fosche corrono per il cielo, e fanno grigi i pascoli delle valli nel giro dei colli e delle montagne, le vastità di un paese desolato e solitario dove dappertutto uomini ignoti possono essere nascosti, e condurre la loro vita remota, quella del pastore solu che fera, solo come una fiera, o quella del bandito, in cui pare si realizzi, oggi, in un individuale destino, una legge antica di millenni, di fronte a un mondo incomprensibile. Il Sopramonte si annera : le rocce biancheggiano di quel chiarore notturno che è come l'ombra trasparente della luna. Ma, dove il monte finisce, e la vista spiazzerebbe verso aperte terre lontane, come un sipario d'aria verde si frappone allo sguardo : di un verde trasparente e impenetrabile, colore dell'acqua e della tempesta, e una nuvola bianca, portata dal vento, lo percorre, e si stinge e si imbruna quando raggiunge le alture e si fonde con le ombre delle rocce.

Fermo in questo incanto rimango a guardare quel mondo serrato nei suoi confini d'aria e di granito, nel suo eterno isolamento. Nessun rumore vicino o lontano giunge dal paese o della campagna. Tutto sembra celato in quel silenzio, immaginario, furtivo, incerto, geloso : l'ombra crescente avvolge le querce, le macchie, gli albori lontani (pecore, forse, raccolte nel timore o nel sonno, o pietre?), le grotte, i segreti, selvatici cuori solitari. Soltanto, a tratti, un rumore di motori della polizia rompe, estraneo, quel silenzio, e il passo dei soldati che camminano in fila, rasente i muri, con le arme spianate.

Carlo Levi Tutto il miele è finito, ed. Einaudi




La nuit tombe, mais le ciel a encore une clarté colorée, une longue et persistante lumière blafarde qui déteint sur le paysage et l'enferme dans des murs d'air qui semblent isoler de tout ce qui l'entoure le village assiégé, comme une pathétique haie de vapeurs qui le séparent de l'infini que l'on devine au-delà. Je m'arrête un moment, appuyé au muret de la route qui se trouve au bout du village, pour contempler les terres qui s'étendent de toute part. Des nuages toujours plus sombres parcourent le ciel et teignent de gris les pâturages dans les vallées, autour des coteaux et des montagnes, vastes étendues d'un pays solitaire et désolé où partout des hommes inconnus peuvent être cachés, menant une vie reculée, celle du berger seul comme une bête sauvage, ou celle du bandit, dans laquelle semble s'incarner aujourd'hui, dans un destin individuel, une loi vieille de milliers d'années, face à un monde incompréhensible. Le Sopramonte s'assombrit : les rochers brillent de cette clarté nocturne qui est comme l'ombre transparente de la lune. Mais, là où le mont prend fin, et où la vue pourrait s'ouvrir au loin vers l'étendue des terres lointaines, le regard bute contre un rideau d'air d'un vert transparent et impénétrable, couleur d'eau et de tempête, et un nuage blanc, porté par le vent, le traverse et s'assombrit quand il parvient sur les hauteurs, où il va se fondre dans les ombres des rochers.

Immobile dans cet enchantement, je contemple ce monde enfermé dans ses frontières d'air et de granit, dans son éternel isolement. Aucun bruit, proche ou lointain, ne monte du village ou de la campagne. Tout semble caché dans ce silence, imaginaire, furtif, incertain, jaloux. L'ombre qui monte gagne les chênes, le maquis, les blancheurs lointaines (ce sont peut-être des brebis, rassemblées dans la crainte ou le sommeil, ou des rochers ?), les grottes, les secrets, sauvages cœurs solitaires. Parfois, de temps en temps, le bruit du moteur d'une voiture de police brise ce silence, ou le pas des soldats qui marchent en rang, rasant les murs, avec leurs armes braquées.

(Traduction personnelle)








Images : en haut, Site Flickr.

au centre et en bas, Aurelio Candido  (Site Flickr)

 


mercredi 9 mars 2016

Une prière (Una preghiera)




Dans son dernier livre, La Planète Nemausa, qui vient de paraître aux éditions Gallimard, Christian Giudicelli donne une suite à un précédent ouvrage, Les Passants, dans lequel il évoquait quelques unes des figures qui l'ont accompagné, longuement ou de façon très brève, dans "ce voyage incertain" que l'on appelle la vie. Il se souvient dans l'extrait que l'on va lire de Marie-Antoinette, sa grand-mère corse :

Donc à chaque début d’août, enfant puis adolescent, je débarquais à Ajaccio où j’avais juste le temps de prendre un petit déjeuner avant de m’engouffrer dans un car cabossé qui mettait trois heures pour grimper par une route aux virages pervers — une bonne partie des passagers rendait tripes et boyaux — jusqu’à Zonza, « perle du Sartenais » selon les guides touristiques, situé à une altitude voisine de 800 mètres. Vers midi je sortais de l’enfer fétide. Ma grand-mère m’attendait assise en plein soleil sur un parapet qui dominait champs et jardins. Dès qu’elle m’apercevait, elle se levait, ne prononçait qu’un mot : « Miracolo ! » (...)

Marie-Antoinette ne savait pas dire « je t’aime » en français. Elle pratiquait la langue locale, plus proche de l’italien, dont je ne possédais que des rudiments. Nos échanges verbaux étaient presque nuls sans que nous en souffrions. Les regards suffisaient à exprimer l’essentiel. « Miracolo ! » devenait inutile. (...)




Parfois le matin je l’accompagnais dans ses promenades dont le trajet ne variait pas. On commençait par le poulailler où on récupérait les œufs pondus de la veille. On descendait vers le jardin... Quelles étaient les plantes, les légumes ? je ne m’en souviens plus... des fleurs poussaient sans doute, des coquelicots... des touffes de thym, de romarin ? Et des orties, ça je m’en souviens parfaitement à cause de notre âne qui s’en régalait. Il marchait sage comme une image, me donnant quelques discrets coups de tête dans les jambes pour me rappeler qu’il se voulait mon ami. Les trois chèvres ne tardaient pas à nous rejoindre. Excitées autant que l’âne était calme, elles couraient dans tous les sens. À courir à leurs côtés, il m’est arrivé de tomber. Elles stoppaient poliment, attendant que je me relève pour reprendre le jeu. Parmi toute cette ménagerie, le cochon occupait la position privilégiée : il régnait dans son enclos, toujours en train de bouffer ou de se reposer d’avoir bouffé. Rien d’autre ne l’intéressait.
Il me devait une fière chandelle. Terrifié par l’égorgement des porcs qu’on pendait en les laissant se vider de leur sang — il paraît que le bon boudin et la bonne viande sont au prix de ce sacrifice auquel j’eus le malheur d’assister —, je demandai à ma grand-mère de dire non au bourreau, un spécialiste qui avait déjà exécuté une demi-douzaine de victimes. Certainement elle eut l’air étonnée, car le cochon après découpe et préparation fournissait le meilleur de la nourriture de l’hiver, mais elle m’obéit sans hésiter, à l’amusement des gens du village qui la jugèrent un peu débile. Elle s’infligeait un régime végétarien à base de châtaignes et de soupes réchauffées dans l’âtre. Pour moi elle achetait chez les moqueurs des tranches de jambon dont — inconséquence de mon attitude — je demeurais friand.
Marie-Antoinette est enterrée dans le cimetière à flanc de montagne où je ne lui ai pas rendu visite, partant du principe que les morts sont partout sauf au cimetière. Je n’ai pas besoin de retourner à Zonza pour la voir entourée de ses bêtes, tache sombre au centre d’un paysage virgilien... à un moment elle va boire à la fontaine toute proche l’eau recueillie dans sa paume... puis s’assied sur un muret, immobile soudain, figée... si vivante pourtant grâce à cet accord avec une nature qu’elle anime de son souffle. Non, sa foi ne s’exprimait pas à l’église ni au pèlerinage de sainte Barbe. Oubliés les sermons recuits, les génuflexions forcées, minables pitreries d’une religion qui se caricature. Sur son muret, à quoi pense Marie-Antoinette ? Il n’est pas évident qu’elle pense. Heureuse devant ce petit bout de planète qu’elle n’a jamais quitté, elle remercie le ciel, un Dieu qui n’a pas besoin d’être nommé. Même si elle ne prie pas, sa personne est à elle seule une prière dont je devine le sens : que, comme elle, chaque chose reste à sa place jusqu’à la fin.

Christian Giudicelli  La Planète Nemausa  Editions Gallimard, 2016








Images : en haut, Dennis Kleine  (Site Flickr)

au centre, Site Flickr

en bas, (1) Thierry  (Site Flickr)

(2) André-Guy Robert  (Site Flickr)



jeudi 3 mars 2016

Abusi



Ci sono centinaia di telefonini, migliaia di suonerie, e niente da dirsi. (Aldo Busi) 

(Il y a des centaines de sortes de téléphones portables, des milliers de sonneries, et rien à se dire.) 





Cosa resta di tutto il dolore che abbiamo creduto di soffrire da giovani ? Niente, neppure una reminiscenza. Il peggio, una volta sperimentato, si riduce col tempo a un risolino di stupore, stupore di essercela presa per così poco, e anch'io ho creduto fatale quanto poi si è rivelato letale solo per la noia che mi viene a pensarci. A pezzi o interi non si continua a vivere ugualmente scissi ? E le angosce di un tempo ci appaiono come mondi talmente lontani da noi, oggi, che ci sembra inverosimile aver potuto abitarli in passato. 

Aldo Busi   Seminario sulla gioventù, ed. Adelphi 

Que reste-t-il de toutes les souffrances que nous avons cru endurer dans notre jeunesse ? Rien, pas même une réminiscence. Le pire, une fois expérimenté, se réduit avec le temps à un petit rire de stupeur. Stupeur d'avoir attaché tant d'importance à si peu de chose. J'ai, moi aussi, cru fatal ce qui par la suite ne s'est révélé mortel qu'à cause de l'ennui qui me vient en y pensant. Brisés ou entiers, ne continuons-nous pas à vivre malgré tout divisés ? Et les angoisses d'autrefois nous apparaissent comme des mondes tellement éloignés de nous, aujourd'hui, qu'il nous paraît invraisemblable d'avoir pu les habiter par le passé. 

Aldo Busi  Séminaire sur le jeunesse, ed. Presses de la Renaissance, 1988 (Traduction : Monique Aymard)





Quand'è che si è vecchi ? Quando non ci si piace più e il pensiero di piacere a qualcuno, tu che non ti piaci più, ti riempie di sgomento, e di orrore, per te e l'improvvida creatura, segnata dai fulminanti traumi della sua indecifrabile crescita sentimentale, alla quale potresti far gola perfino tu, perché, suvvia, se non fosse un magma di poco di buono non si accontenterebbe perfino di te e in modo così chiaro e disteso, con tanta semplice semplicità; si è diventati vecchi quando ti svegli nel cuore della notte, una notte senza cuore e né capo né coda, diciamo alle tre e dieci del mattino, accendi la prima sigaretta e cominci a riempire l'annaffiatoio al lento rivolo del rubinetto del bagno di sotto, dove la pressione stamattina non potrebbe essere più bassa e più snervante l'attesa del pieno a filo del tettuccio, e vai avanti e indietro dieci volte dai vasi di geranio del balcone e dalle aiuole col gelsomino rampicante e la rosa e il cespuglio di trifoglio rosa incastonate nelle scale dell'entrata e i due pungitopo nelle giare calabre, e quando dopo un'ora di zelo riparatore guardi soddisfatto il tuo operato e fai per rientrare, senti un rumore strano alle tue spalle, come di denti del giudizio o monetine scroscianti su un tamburo, ti giri a bocca beante e in quell'istante è cominciato a piovere. 

Aldo Busi  Seminario sulla vecchiaia (romanzo interroto e interrato) ed. Adelphi 

Quand est-on vieux ? Quand on ne se plaît plus et que la pensée de plaire à quelqu’un, alors même qu’on ne se plaît plus, nous remplit d’effroi et nous fait horreur, pour nous-même et pour la créature étourdie, marquée par les foudroyants traumatismes de son éducation sentimentale tourmentée, à laquelle incroyablement on pourrait plaire ; parce que, tout de même, s’il n’était pas un individu peu recommandable, il ne se contenterait pas de quelqu’un dans notre genre, et de façon aussi nette et détendue, d’une si évidente simplicité ; on est devenu vieux quand on se réveille au cœur de la nuit, une nuit sans cœur, ni queue ni tête, vers les trois heures dix du matin, on allume la première cigarette et on commence à remplir l’arrosoir au mince filet d’eau qui sort du robinet des toilettes du dessous, où la pression ce matin-là ne pourrait pas être plus réduite et plus crispante l’attente du moment où on aura enfin rempli à ras bord le récipient, et on fait une dizaine d’allers-retours entre les vases de géraniums du balcon, les plates-bandes de jasmin grimpant, les roses et le massif de trèfle placés dans les escaliers de l’entrée, les deux plants de houx dans les grandes jarres, et quand après une heure de zèle réparateur on contemple avec satisfaction le résultat de tous ces efforts et que l’on s’apprête à rentrer, on entend derrière soi un bruit étrange, comme des dents de sagesse ou des pièces de monnaie qui rebondissent sur un tambour, alors on se retourne bouche bée et on s’aperçoit qu’en cet instant précis il a commencé à pleuvoir. 

Aldo Busi  Séminaire sur la vieillesse (roman interrompu et enterré) (Traduction personnelle)