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samedi 28 avril 2012

Un sorriso tra le lacrime (Un sourire en larmes)




Pier Paolo Pasolini a écrit ce poème (Voce in poesia), dédié à Marilyn Monroe, pour le commentaire de son film  La Rabbia (1963). Le texte a été publié en Italie dans le recueil Pier Paolo Pasolini, il cinema di poesia (Cinemazero Edizioni, 1979), et en France dans le numéro hors-série des Cahiers du cinéma, Pasolini cinéaste (mars 1981). J'en donne ici une traduction personnelle. Dans l'extrait de La Rabbia que l'on peut voir ci-dessous, le texte est lu par Giorgio Bassani.


Voce in poesia

Del mondo antico e del mondo futuro
era rimasta solo la bellezza, e tu,
povera sorellina minore,
quella che corre dietro ai fratelli più grandi,
e ride e piange con loro, per imitarli,

tu sorellina più piccola,
quella bellezza l’avevi addosso umilmente,
e la tua anima di figlia di piccola gente,
non ha mai saputo di averla,
perché altrimenti non sarebbe stata bellezza.

Il mondo te l’ha insegnata.
Così la tua bellezza divenne sua.
 
Del pauroso mondo antico e del pauroso mondo futuro
era rimasta solo la bellezza, e tu
te la sei portata dietro come un sorriso obbediente.
L’obbedienza richiede troppe lacrime inghiottite.
Il darsi agli altri, troppi allegri sguardi,
che chiedono la loro pietà. Così
ti sei portata via la tua bellezza.
Sparì, come un pulviscolo d'oro.

Dello stupido mondo antico
e del feroce mondo futuro
era rimasta una bellezza che non si vergognava
di alludere ai piccoli seni di sorellina,
al piccolo ventre così facilmente nudo.
E per questo era bellezza, la stessa
che hanno le dolci ragazze del tuo mondo...
le figlie dei commercianti
vincitrici ai concorsi a Miami o a Londra.
Sparì, come una colombella d’oro.
 
Il mondo te l’ha insegnata,
e così la tua bellezza non fu più bellezza.
 
Ma tu continuavi ad essere bambina,
sciocca come l’antichità, crudele come il futuro,
e fra te e la tua bellezza posseduta dal potere
si mise tutta la stupidità e la crudeltà del presente.
La portavi sempre dietro, come un sorriso tra le lacrime,
impudica per passività, indecente per obbedienza.
Sparì, come una bianca colomba d’oro.  
La tua bellezza sopravvissuta dal mondo antico,
richiesta dal mondo futuro, posseduta
dal mondo presente, divenne un male mortale.
 
Ora i fratelli maggiori finalmente si voltano,
smettono per un momento i loro maledetti giochi,
escono dalla loro inesorabile distrazione,
e si chiedono: «È possibile che Marilyn,
la piccola Marilyn ci abbia indicato la strada ?»
Ora sei tu,
quella che non conta nulla, poverina, col suo sorriso,
sei tu la prima oltre le porte del mondo
abbandonato al suo destino di morte.






Voix en poésie

Du monde ancien et du monde futur,
seule le beauté était restée, et toi,
pauvre petite sœur,
celle qui court derrière ses frères aînés,
et rit et pleure avec eux, pour les imiter,

toi, la petite sœur
tu portais cette beauté avec humilité,
et ton âme de fille de petites gens
n'en a jamais été consciente,
parce que sinon ça n'aurait pas été la beauté.

Le monde te l'a enseignée.
Et ainsi, ta beauté est devenue sienne.

De l'effrayant monde ancien et de l'effrayant monde futur
il n'était resté que la beauté, et toi
tu l'as arborée comme un sourire obéissant.
L'obéissance requiert trop de larmes avalées.
Le fait de se donner aux autres, trop de regards joyeux
qui réclament leur pitié. Ainsi
tu as emporté ta beauté.
Elle disparut, comme une poussière d'or.

Du stupide monde ancien
et du féroce monde futur
il était resté une beauté qui n'avait pas honte
de ses petits seins de sœur cadette,
du petit ventre si facilement nu.
Et c'est ce qui en faisait la beauté,
semblable à celle des douces filles de ton monde...
les filles de commerçants
gagnantes aux concours de Miami ou de Londres.
Elle disparut, comme une colombe d'or.

Le monde te l'a enseignée,
et ainsi ta beauté ne fut plus beauté.

Mais tu restais toujours une petite fille,
sotte comme l'antiquité, cruelle comme le futur,
et entre toi et ta beauté possédée par le pouvoir
s’immisça toute la stupidité et la cruauté du présent.
Tu la portais toujours avec toi, comme un sourire en larmes,
impudique par passivité, indécente par obéissance.
Elle disparut, comme une blanche colombe d'or.

Ta beauté avait survécu au monde ancien ;
réclamée par le monde futur, possédée
par le monde présent, elle devint un mal mortel.

Maintenant les frères aînés se retournent enfin,
ils cessent pour un moment leurs jeux maudits,
ils sortent de leur inexorable distraction,
et se demandent : «Est-il possible que Marilyn,
la petite Marilyn, nous ait montré la route ?»
Maintenant, c'est toi,
celle qui ne compte pas, la pauvre, avec son sourire,
c'est toi qui es passée la première au delà des portes du monde 
abandonné à son destin de mort.

(Traduction personnelle)






Images : en haut et en bas, Marilyn par André de Dienes, Californie, 1945

vendredi 20 avril 2012

Notturno (Nocturne)




In mezzo a polveri d'oscura nube
la Chioma, col suo ventaglio di luce.

Galassie in fuga tra nodi di stelle.

Biancoazzurra la Vergine solleva
il viso verso il Leone, superba
nella notte di primavera. Un rombo
dalla strada e il rumore che fa il vento
nel ginepro e il ronzio dell'insetto
alla finestra : un cadere di tempo,
di goccetempo nel vuoto.

                                     Uno stesso                                                                                         
respiro in questi suoni della notte
e in quelle luci di perduti mondi ?

Antonio Prete  Se la pietra fiorisce  Ed. Donzelli, 2012






Au milieu des poussières d'un nuage obscur
la Chevelure, avec son éventail de lumière.

Galaxies en fuite entre des nœuds d'étoiles.

Blanche et azur la Vierge lève
son visage vers le Lion, superbe
dans la nuit de printemps. Un grondement
venu de la route et le bruit que fait le vent
dans le genévrier et le bourdonnement de l'insecte
à la fenêtre : une chute de temps,
de gouttes de temps dans le vide.

                                       Un même                                                                                                    
souffle dans ces sons de la nuit
et dans ces lumières de mondes perdus ?

(Traduction personnelle)








Images : en haut, Site Flickr

en bas, Francesco Stella (Site Flickr

mardi 17 avril 2012

E in mezzo (Et au milieu)





E in mezzo, tra la prima immagine e l'ultima,
la vita, che è tutta la vita,
fiume e scoglio,
gorgo e pulviscolo di luce,
la vita che è tutta la vita,
sillabeghiaccio e lettere affumate,
la vita che è tutta la vita,
col vento che mangia le orme,
la sabbia che aggruma gli occhi,
tra la prima immagine e l'ultima
il guizzo danzante dell'effimera. 

Antonio Prete  Se la pietra fiorisce  Ed. Donzelli, 2012 






Et au milieu, entre la première image et la dernière,
fleuve et rocher,
tourbillon et poussières de lumière,
la vie, qui est toute la vie,
paroles gelées et lettres enfumées,
la vie qui est toute la vie,
avec le vent qui mange les traces,
le sable qui grumelle les yeux,
entre la première image et la dernière
le jaillissement dansant de l'éphémère.

(Traduction personnelle)






Images : L'Avventura, de Michelangelo Antonioni

dimanche 15 avril 2012

Livorno (Livourne)




Piero Ciampi chante Livorno (Ciampi - Marchetti), 1971 :




Un pianto che si scioglie, 
la statua nella piazza, 
la vita che si sceglie, 
è il sogno di una pazza. 

La sera è già calata, 
comincio a camminare 
sperando di incontrare 
qualcuna come te. 

Triste triste 
troppo triste è questa sera, 
questa sera, lunga sera. 
Ho trovato 
una nave che salpava 
ed ho chiesto dove andava.
"Nel porto delle illusioni", 
mi disse quel capitano. 
Terra terra 
forse cerco una chimera, 
questa sera, eterna sera.


Des larmes qui  se perdent,
la statue sur la place,
la vie que l'on choisit
est le rêve d'une démente.


C'est déjà le soir,
je commence à marcher
espérant rencontrer
quelqu'un qui te ressemble.


Triste triste
cette soirée est trop triste,
cette longue soirée.
J'ai trouvé
un bateau prêt à lever l'ancre
et j'ai demandé où il allait.
"Dans le port des illusions",
m'a répondu le capitaine.
Terre terre
je cherche peut-être une chimère,
ce soir, ce soir éternel.

(Traduction personnelle)






Images : grazie a Elisa Ciardi per le sue bellissime fotografie  (Site Flickr)

samedi 14 avril 2012

La radura dei ragazzi (La clairière des garçons)




"Cerchereste ancora tanto a lungo
La felicità impossibile delle anime."






Édition italienne de Tricks, de Renaud Camus : notes de lecture

Malgré la photographie de couverture fort discutable, le volume est tout de même plutôt élégant : format agréable, présentation soignée (avec des cahiers cousus, ce qui est de plus en plus rare dans l'édition française), belle typographie. Du bon travail de la part de ce petit éditeur de L’Aquila, Textus. On peut bien sûr regretter qu’il ne s’agisse ici que d’une édition partielle de l’ouvrage original (vingt-quatre tricks sur quarante-six), d’autant plus que l’explication que donne le directeur de la collection (I Romanzi della Realtà), Walter Siti, n’est guère convaincante : il s’agirait de contourner l’obstacle de l’ "illisibilité", et l’ "obsession du catalogue et de la classification" ; il me semble plutôt que ces coupures font perdre beaucoup de la cohérence et de l'originalité de l'ouvrage, bien perçues par Roland Barthes dans sa préface lorsqu’il insiste sur le caractère volontairement répétitif des Tricks, «ni aliénation, ni sublimation ; mais tout de même quelque chose comme la conquête méthodique d’un bonheur (bien désigné, bien cerné : discontinu).» 

Le choix des chapitres a toutefois été fait avec soin, et il permet de retrouver la diversité géographique des rencontres (Paris, la Côte d’Azur, Milan, New-York, Los Angeles, San Francisco). La liste des Tricks repris dans cette édition est la suivante : "Walthère Dumas", "Philippe dei Commando", "Brunetto muscoloso", "L’Invisibile", "Il fratello di Jacques", "Etienne Pommier-Caro", "Calogero", "Didier", "Maurice", "Zé", "Anonimo spagnolo", "Philippe degli Ospedali", "Irwing Karstein", "Bravo ragazzo dei bastioni", "Red Morgan", "Jean-Paul il Corso", "Dominique e Alain", "Anonimo messicano", "Il cow-boy", "Bob", "Dick", "Camicia a quadri", "A Perfect Fuck"

La traduction de Maurizio Ferrara m’a semblé très bonne, précise et vivante ; la seule erreur que j’ai relevée est, dans le chapitre "Red Morgan", la traduction de blasé par nauseato, qui signifie plutôt dégoûté, écœuré... Si l’on compare d’ailleurs les deux traductions italiennes du chapitre "Il cow-boy" (la première étant paru dans le livre de Renzo Paris Cronache francesi en 1989), on s’aperçoit que cette nouvelle traduction est beaucoup plus satisfaisante. Dans les parties dialoguées, on perd hélas beaucoup du style parlé si efficace dans la version originale, où l’on a vraiment l’impression d’entendre les accents des différents personnages ; dans la version italienne, les dialogues sont beaucoup plus uniformes dans le ton, mais il était certainement difficile de faire mieux.




 On a tout de même beaucoup de plaisir à lire en italien le chapitre milanais, avec les évocations du locale di ballo la Rosamunda, des cinémas Alce ou Argentina, où le spectacle était davantage dans la salle que sur l’écran : «Per entrare nella sala, bisogna sollevare due strati di pesanti tende di velluto, distante circa un metro e mezzo. Il film era italiano, ma l’azione si svolgeva forse a Chicago, all’inizio degli anni Trenta. Sullo schermo si vedevano tante grosse limousine nere e c’era un gran numero di sparatorie. La maggior parte delle file erano vuote. In compenso, molte sagome rimanevano raggruppate dietro l’ultima fila di poltrone, oppure si spostavano verso sinistra o destra. Erano perlopiù sagome di uomini abbastanza anziani o, nella misura in cui si poteva giudicare in quella semioscurità, piuttosto brutti. Una delle scene del film, dove un “padrino” qualunque andava a riconoscere uno dei sicari nella luce livida di un obitorio, permise di farci un’idea un po’ più precisa del posto, della sua sintassi e dei suoi occupanti. Il passaggio di destra, tra i sedili e il muro, conduceva a gabinetti assai alti e profondi. Nel corridoio di accesso, due tizi sulla trentina, entrambi un po’ enfaticamente maschi, si fronteggiavano e si palpavano la patta, i pettorali, i bicipiti. Più in là, altri aspettavano senza guardarsi, addossati alla parete umida e ammuffita. Il gabinetto delle donne, la cui porta era aperta, era vuoto. In quello degli uomini, due quarantenni calvi, con una cicca tra il pollice e l’indice, erano appostati con aria meditabonda davanti alla porta chiusa del cesso occupato.» Cet extrait me rappelle un  passage que j’aime beaucoup du journal de Gérard Pesson, Cran d’arrêt du beau temps : «Les salles de cinéma ici [à Tunis], comme en Italie du sud, abritent les flirts avancés parce qu’il n’y a pas, au sec, et avec une obscurité garantie, tant d’endroits tranquilles. Une scène de neige dans le film projeté aujourd’hui (Le Destin, de Youssef Chahine) a eu à cet égard des effets désastreux.» 

On a donc longtemps attendu cette édition italienne, mais, même partielle, elle procure au lecteur un grand plaisir, celui de retrouver dans une très belle langue ce qui fait l’essentiel de ces tricks : la drôlerie, l’entrain, l’insouciance, la gaieté de la jeunesse et l’innocence du plaisir ; mais, pour le lecteur d’aujourd’hui, la promenade est aussi teintée de nostalgie et de mélancolie, aux abords de la "clairière des garçons" du parc La Fayette de San Francisco, ou face à ce garçon à la chemise à carreaux qui fixe la mer, un soir de l'été 1978, à Land’s End : «Quando sono arrivato alla fine della mia scalata, mi sono voltato e l'ho visto in basso, da solo, sulla spiaggetta grigia. Guardava il mare. [Mai rivisto








J'ajoute ici la traduction de quelques extraits d'un entretien avec le maître d’œuvre de cette édition italienne de Tricks, Walter Siti, paru dans le magazine Rolling Stone, sous le titre assez étrange "Tricks, ou l'hypnose de la baise" :

Pourquoi lire Tricks aujourd’hui ? 

Parce qu'il illustre parfaitement le moment où l’activité sexuelle est devenue un véritable objet de consommation. Le livre évoque des rencontres qui ont eu lieu dans une période de six mois, en 1978, époque antérieure au sida, quand le commerce sexuel était très libre. Le souvenir des événements de 68 était encore très présent : pour les homosexuels, mais pour tout le monde en réalité, c’était une époque de libération sexuelle. Le principe des tricks est le suivant : la satisfaction de la rencontre unique perd de la valeur au profit de l’accumulation des expériences. La rencontre d’un très grand nombre de personnes devient une sorte d’absolu parce que cela correspond à une rencontre avec l’inconnu. Il n’est pas important de faire l’amour avec un tel ou un tel ; ce qui importe, c’est de le faire avec l’Inconnu. C’est pour cela que le premier rapport est beaucoup plus important qu’une éventuelle deuxième ou troisième rencontre. Ce n’est pas un hasard si, après avoir raconté dans le détail le premier rapport sexuel, Camus liquide en quelques lignes les suivants, en les mettant entre parenthèses.

Quelles étaient les références littéraires de Camus ? 

Certainement le Barthes de Sade, Fourier, Loyola. Et également une conception de la phénoménologie du réel dont Perec était la référence essentielle en France, pendant ces années-là. Le récit de la profondeur des choses perdait de l’intérêt, parce que cette profondeur est impossible à atteindre, et donc à raconter. On se concentrait sur la superficie : par exemple en restant assis sur une place et en notant tout ce qui s’y passe au cours d’une journée (cf. Georges Perec, Tentative d'épuisement d'un lieu parisien). Camus utilise le même procédé : il ne s’intéresse pas à la profondeur du sentiment amoureux, il raconte la répétition infinie. Il se limite à enregistrer ce qui advient. Et cela ne manque pas d’intérêt d’un point de vue littéraire puisque, le rituel étant toujours plus ou moins le même, ce sont les variations qui sont mises en évidence, c'est-à-dire les caractères individuels des personnes rencontrées.

Quelle a été l’aventure éditoriale du livre en Italie ? 

En fait, elle a été inexistante. Beaucoup d’éditeurs s’y sont intéressés. Angelo Morino (traducteur de nombreux écrivains sud-américains, et lui-même auteur) l’avait proposé à Einaudi qui a abandonné le projet, jugeant le livre trop long. Mais je crois bien que, derrière ce choix éditorial, il y avait une forme de censure. Aujourd’hui encore, il y a une résistance face à ce texte, même de la part du monde homosexuel. Tricks raconte des rencontres homosexuelles occasionnelles qui aujourd’hui semblent trop légères, comme s’il s’agissait d’une parodie de l’homosexualité. Cela pourrait selon certains nuire à une sexualité plus réfléchie, capable de prendre en compte l’aspect sentimental, d’affirmer une stabilité dans le rapport amoureux. Ce livre nous replonge au contraire au cœur d'une époque basée sur une promiscuité de pure consommation, déréglée, et, si l’on veut, très divertissante.



On peut lire ici l'entretien intégral (en italien). 

On peut entendre ici un entretien avec Walter Siti à propos de Tricks (en italien).

À lire aussi : Trick or Treat ? et une très bonne recension de Francesco Gnerre.

Ajout de juillet 2015 : un article fort intéressant de Giovanni Barracco




Images : Week-end, film d'Andrew Haigh

mercredi 11 avril 2012

Mon cadavre est doux comme un gant







Mon cadavre est doux comme un gant 
Doux comme un gant de peau glacée 
Et mes prunelles effacées 
Font de mes yeux des cailloux blancs. 

 Deux cailloux blancs dans mon visage, 
Dans le silence deux muets 
Ombrés encore d’un secret 
Et lourds du poids mort des images. 

Mes doigts tant de fois égarés 
Sont joints en attitude sainte 
Appuyés au creux de mes plaintes 
Au nœud de mon cœur arrêté. 

Et mes deux pieds sont les montagnes, 
Les deux derniers monts que j’ai vus 
À la minute où j’ai perdu 
La course que les années gagnent. 

Mon souvenir est ressemblant, 
Enfants emportez-le bien vite, 
Allez, allez, ma vie est dite. 
Mon cadavre est doux comme un gant. 

Louise de Vilmorin   Fiançailles pour rire, 1939








Images : Jacopo della Quercia Ilaria del Carretto, cathédrale de Lucques

en haut, Site Flickr

en bas, Site Flickr

dimanche 8 avril 2012

Une phrase amoureuse




« Ce soir, donc, de nouveau, j’écoute la phrase qui ouvre l’andante du premier trio de Schubert. C’est une phrase parfaite, à la fois unitaire et divisée, une phrase amoureuse s’il en fut ; et je constate une fois de plus combien il est difficile de parler de ce qu’on aime. Que dire de ce qu’on aime, sinon : «je l’aime», et le répéter sans fin ? Cette difficulté est ici d’autant plus grande que le chant romantique n’est aujourd’hui l’objet d’aucun grand débat ; ce n’est pas un art d’avant-garde, il n’y a pas à combattre pour lui, et ce n’est pas non plus un art lointain ou étranger, un art méconnu pour la résurrection duquel nous devions militer. Il n’est, au fond, ni à la mode, ni franchement démodé : on le dira simplement inactuel. Mais c’est précisément là peut-être qu’est sa plus subtile provocation, et c’est de cette inactualité que je voudrais faire la brève actualité de ce soir.




Tout discours sur la musique ne peut commencer, me semble-t-il, que dans l’évidence ; de la phrase schubertienne que nous avons entendue, je ne puis dire que ceci : cela chante, cela chante simplement, terriblement, à la limite du possible. Mais n’est-il pas surprenant que cette assomption du chant vers son essence, cet acte musical par lequel le chant semble se manifester ici dans sa gloire, advienne précisément sans le concours de l’organe qui fait le chant, à savoir la voix ? On dirait que la voix humaine est ici d’autant plus présente qu’elle s’est déléguée à d’autres instruments : les cordes. Le substitut devient plus vrai que l’original ; le violon et le violoncelle chantent mieux, ou pour être plus exact, chantent plus que le soprano ou le baryton, parce que, s’il y a une signification des phénomènes sensibles, c’est toujours dans le déplacement, la substitution, bref, en fin de compte, l’absence, qu’elle se manifeste avec le plus d’éclat. »

Transcription de l'introduction de Roland Barthes à l'émission consacrée au chant romantique, diffusée sur France Musique le 12 mars 1972.








Source de la vidéo : Site YouTube

Pour les images, grazie a Federico Novaro  (Site Flickr)

vendredi 6 avril 2012

Tre madri (Trois mères)




À Celle(s) qui pleure(nt)...




Fabrizio De André chante Tre Madri (texte et musique de F. De André), chanson extraite de l'album La Buona Novella, inspiré par certains Evangiles apocryphes, en particulier le Protévangile de Jacques et l'Evangile arabe de l'enfance :




La madre di Tito :

Tito, non sei figlio di Dio,

ma c'è chi muore nel dirti addio.


La madre di Dimaco :

Dimaco, ignori chi fu tuo padre,

ma più di te muore tua madre.

Le due madri :

Con troppe lacrime piangi, Maria,

solo l'immagine d'un agonia :
sai che alla vita, nel terzo giorno,
il figlio tuo farà ritorno :
lascia noi piangere, un po' più forte,
chi non risorgerà più dalla morte.

La madre di Gesù :

Piango di lui ciò che mi è tolto,

le braccia magre, la fronte, il volto,
ogni sua vita che vive ancora,
che vedo spegnersi ora per ora.
Figlio nel sangue, figlio nel cuore,
e chi ti chiama "Nostro Signore"
nella fatica del tuo sorriso
cerca un ritaglio di Paradiso.
Per me sei figlio, vita morente,
ti portò cieco questo mio ventre,
come nel grembo, e adesso in croce,
ti chiama amore questa mia voce.
Non fossi stato figlio di Dio,
t'avrei ancora per figlio mio.






La mère de Titus :


Titus, tu n'es pas fils de Dieu,

mais c'est moi qui meurs en cet adieu.

La mère de Dimas :

Dimas, tu n'as pas connu ton père,

mais plus que toi, ici, meurt ta mère.

Les deux mères :

Tu verses trop de larmes, Marie,

ce n'est que l'image d'une agonie :
tu sais bien qu'à la vie, le troisième jour,
ton fils aimé sera de retour :
laisse nous donc pleurer un peu plus fort
qui ne reviendra plus d'entre les morts.

La mère de Jésus :

Je pleure ce que de lui on m'a enlevé,

ses bras maigres, son visage torturé,
tout ce qui de lui vit encore
et que je vois emporté par la mort.
Fils par le sang, fils par le cœur,
ceux qui t'appellent "Notre Seigneur"
cherchent dans ton visage meurtri
comme une vision du Paradis.
D'un fils, je vois le calvaire,
moi qui t'ai porté dans ma chair,
dans mes entrailles comme sur la croix,
c'est d'amour que te parle ma voix.
Si tu n'avais pas été fils de Dieu
tu serais vivant devant mes yeux.

(Traduction (très) personnelle)





Images
: Mater dolorosa Cyricc (Site Flickr)


L'Evangile selon Saint Matthieu, de P.P. Pasolini (Source)