Dans Tutto il miele è finito (Tout le miel est fini), Carlo Levi raconte le voyage qu'il a fait en Sardaigne en 1952. Dans le passage que l'on va lire, il se trouve à Orgosolo, tandis que l'on annonce la mort d'un carabinier tué dans une embuscade. Le village est aussitôt mis en état de siège et les carabiniers affluent de toute part pour traquer les coupables :
Viene la notte : ma il cielo ha ancora un chiarore colorato, una lunga, persistente luce livida che tinge le distanze, e le chiude in mura d'aria che pare isolino dal mondo circostante il paese assediato : una patetica siepe di vapori che lo dividono dall'infinito supposto al di là. Mi fermo, appoggiato al muretto della strada in cima al paese, per un momento, a contemplare le distese delle terre, da ogni parte. Nuvole di minuto in minuto più fosche corrono per il cielo, e fanno grigi i pascoli delle valli nel giro dei colli e delle montagne, le vastità di un paese desolato e solitario dove dappertutto uomini ignoti possono essere nascosti, e condurre la loro vita remota, quella del pastore solu che fera, solo come una fiera, o quella del bandito, in cui pare si realizzi, oggi, in un individuale destino, una legge antica di millenni, di fronte a un mondo incomprensibile. Il Sopramonte si annera : le rocce biancheggiano di quel chiarore notturno che è come l'ombra trasparente della luna. Ma, dove il monte finisce, e la vista spiazzerebbe verso aperte terre lontane, come un sipario d'aria verde si frappone allo sguardo : di un verde trasparente e impenetrabile, colore dell'acqua e della tempesta, e una nuvola bianca, portata dal vento, lo percorre, e si stinge e si imbruna quando raggiunge le alture e si fonde con le ombre delle rocce.
Fermo in questo incanto rimango a guardare quel mondo serrato nei suoi confini d'aria e di granito, nel suo eterno isolamento. Nessun rumore vicino o lontano giunge dal paese o della campagna. Tutto sembra celato in quel silenzio, immaginario, furtivo, incerto, geloso : l'ombra crescente avvolge le querce, le macchie, gli albori lontani (pecore, forse, raccolte nel timore o nel sonno, o pietre?), le grotte, i segreti, selvatici cuori solitari. Soltanto, a tratti, un rumore di motori della polizia rompe, estraneo, quel silenzio, e il passo dei soldati che camminano in fila, rasente i muri, con le arme spianate.
Carlo Levi Tutto il miele è finito, ed. Einaudi
La nuit tombe, mais le ciel a encore une clarté colorée, une longue et persistante lumière blafarde qui déteint sur le paysage et l'enferme dans des murs d'air qui semblent isoler de tout ce qui l'entoure le village assiégé, comme une pathétique haie de vapeurs qui le séparent de l'infini que l'on devine au-delà. Je m'arrête un moment, appuyé au muret de la route qui se trouve au bout du village, pour contempler les terres qui s'étendent de toute part. Des nuages toujours plus sombres parcourent le ciel et teignent de gris les pâturages dans les vallées, autour des coteaux et des montagnes, vastes étendues d'un pays solitaire et désolé où partout des hommes inconnus peuvent être cachés, menant une vie reculée, celle du berger seul comme une bête sauvage, ou celle du bandit, dans laquelle semble s'incarner aujourd'hui, dans un destin individuel, une loi vieille de milliers d'années, face à un monde incompréhensible. Le Sopramonte s'assombrit : les rochers brillent de cette clarté nocturne qui est comme l'ombre transparente de la lune. Mais, là où le mont prend fin, et où la vue pourrait s'ouvrir au loin vers l'étendue des terres lointaines, le regard bute contre un rideau d'air d'un vert transparent et impénétrable, couleur d'eau et de tempête, et un nuage blanc, porté par le vent, le traverse et s'assombrit quand il parvient sur les hauteurs, où il va se fondre dans les ombres des rochers.
Immobile dans cet enchantement, je contemple ce monde enfermé dans ses frontières d'air et de granit, dans son éternel isolement. Aucun bruit, proche ou lointain, ne monte du village ou de la campagne. Tout semble caché dans ce silence, imaginaire, furtif, incertain, jaloux. L'ombre qui monte gagne les chênes, le maquis, les blancheurs lointaines (ce sont peut-être des brebis, rassemblées dans la crainte ou le sommeil, ou des rochers ?), les grottes, les secrets, sauvages cœurs solitaires. Parfois, de temps en temps, le bruit du moteur d'une voiture de police brise ce silence, ou le pas des soldats qui marchent en rang, rasant les murs, avec leurs armes braquées.
(Traduction personnelle)
Images : en haut, Site Flickr.
Il y a tant de sauvagerie dans ce paysage et de solitude. C'est d'une grande beauté inquiétante, comme si la nature pouvait se passer de toute présence humaine. Un "monde enfermé dans ses frontières d'air et de granit, dans son éternel isolement." Et cela en dehors de la traque qui traverse le village. Le berger seul comme une bête sauvage, le bandit. Cette Sardaigne ressemble beaucoup au Cap Corse.
RépondreSupprimerOui, il suffit de regarder les photos pour penser aussitôt à la Corse ! Les deux îles se ressemblent beaucoup, même si leurs relations n'ont pas été toujours cordiales (heureusement, c'est en train de changer...).
SupprimerCe qui émane du narrateur, du berger, aussi. De belles âmes fières et sauvages. Des êtres forts pour résister à cette solitude, surtout l'hiver. J'ai éprouvé beaucoup de bonheur en lisant ce texte.
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