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vendredi 20 décembre 2013

Come un inno lieto (Comme un hymne joyeux)




Je voudrais proposer aujourd'hui un aperçu moins funèbre de la poésie de Giosuè Carducci, en citant deux autres de ses poèmes d'une tonalité plus apaisée, bucolique et virgilienne. 

Les deux textes, par leur franche et solennelle simplicité, peuvent se passer de longs commentaires. Je signale simplement les deux références présentes dans le deuxième poème (A un asino) : "les tentes de Job" renvoient au Livre de Job (5, 24) : "Tu jouiras du bonheur sous ta tente / Tu retrouveras tes troupeaux au complet" ; les deux derniers vers évoquent l'Iliade (XI, 558-574), où Homère compare la résistance d'Ajax aux assauts ennemis à l'obstination de l'âne qui vaillamment fait face aux outrages et aux coups. Ce poème de Carducci m'a toujours fait penser au chef-d’œuvre de Robert Bresson Au hasard Balthazar, c'est la raison pour laquelle j'ai associé ici ces vers et ces images. Un lecteur français se souviendra bien sûr aussi de Francis Jammes, et tout particulièrement des poèmes du recueil De L'Angelus de l'aube à l'Angelus du soir, et de sa Prière pour aller au paradis avec les ânes (dans Le Deuil des primevères). 





Il bove

T'amo, o pio bove ; e mite un sentimento
Di vigore e di pace al cor m'infondi,
O che solenne come un monumento
Tu guardi i campi liberi e fecondi,

O che al giogo inchinandoti contento
L'agil opra de l'uom grave secondi :
Ei t'esorta e ti punge, e tu co'l lento
Giro de' pazïenti occhi rispondi.

Da la larga narice umida e nera
Fuma il tuo spirto, e come un inno lieto
Il mugghio nel sereno aër si perde ;

E del grave occhio glauco entro l'austera
Dolcezza si rispecchia ampio e quïeto
Il divino del pian silenzio verde.

23 novembre 1872 






Le boeuf 

 Je t'aime, ô bœuf sacré ; et tu emplis mon cœur
D'un doux sentiment de vigueur et de paix,
Soit que, avec la solennité d'un monument,
Tu contemples les champs libres et féconds, 

Soit que, pliant volontiers sous le joug,
Paisible, tu accompagnes l’œuvre agile de l'homme :
Il t'exhorte et te pique, et toi tu réponds
En tournant lentement vers lui tes yeux patients.

De ta large narine humide et noire 
S'exhale ton souffle, et comme un hymne joyeux
Ton mugissement se perd dans l'air serein ;

Et dans l'austère douceur de ton œil grave et glauque
Se reflète, ample et tranquille,
Le divin silence vert de la plaine.

23 novembre 1872 

(Traduction personnelle)







A un asino

Oltre la siepe, o antico pazïente,
De l'odoroso biancospin fiorita,
Che guardi tra i sambuchi a l'orïente
Con l'accesa pupilla inumidita ?

Che ragli al cielo dolorosamente ?
Non dunque è amor che te, o gagliardo, invita ?
Qual memoria flagella o qual fuggente
Speme risprona la tua stanca vita ?
 

Pensi l'ardente Arabia e i padiglioni
Di Giob, ove crescesti emulo audace
E di corso e d'ardir con gli stalloni ?
 

O scampar vuoi ne l'Ellade pugnace
Chiamando Omero che ti paragoni
Al telamonio resistente Aiace ?


28-29 settembre 1884 



  



À un âne

Par delà la haie d'aubépine odorante et fleurie
Toi, l'éternel patient,
Que regardes-tu vers l'est, parmi les sureaux,
D'un œil brillant et humide ?

Pourquoi lances-tu vers le ciel ce braiment douloureux ?
Toi si vaillant, ce n'est donc pas l'amour qui t'invites ?
 Quel souvenir douloureux ou quel fuyant
Espoir ranime ta vie lasse ?

Penses-tu à l'Arabie ardente et aux tentes 
De Job, où tu grandis, émule audacieux, 
En course et en hardiesse, des étalons.

Ou veux-tu te réfugier dans la vaillante Héllade
En invoquant Homère afin qu'il te compare
Au fils de Télamon, l'endurant Ajax

28-29 septembre 1884 

(Traduction personnelle)
 









 Images : en haut, Site Flickr

au centre, Pierluigi Ortolano  (Site Flickr)

Les trois dernières images sont extraites d'Au hasard Balthazar, de Robert Bresson



3 commentaires:

  1. Une vraie crèche de Noël ! si ce n'était ce regard triste de ces deux-là...
    Enfin il y a Ajax qui a perdu son pied avec ses deux petites fesses rebondies pour me faire sourire.
    Heureuse d'avoir revu cette séquence de "Au hasard Balthazar".
    Quant à Job... Il est vraiment patient...

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  2. Magnifique, comme toujours. Merci beaucoup et joyeuses fêtes !

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    Réponses
    1. Merci de votre passage ; je vous souhaite également de très bonnes fêtes !

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