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lundi 16 septembre 2019

Une question d'épiderme




Je cite ici un nouvel extrait du recueil de souvenirs de Giancarlo Giannini, consacré au tournage difficile et douloureux du film de Valerio Zurlini La prima notte di quiete (La première nuit de tranquillité, en français, plus banalement, Le Professeur). Pour avoir plus de détails sur ce très beau film, on pourra se reporter à ce message publié sur ce blog il y a déjà quelques années.

Il y a un tournage où je me suis senti très mal à l’aise, c’est celui du film de Valerio Zurlini, La prima notte di quiete, dont l'acteur principal était Alain Delon. Je suggérai à Valerio une actrice que j’avais remarquée à Londres dans un documentaire sur une danseuse, qui passait en première partie d’un film étrange tiré de l’Ulysse de Joyce. Elle s’appelait Sonia Petrova, et elle était dotée d’une grâce et d’une expressivité merveilleuses. Mais entre Delon et Zurlini, il y avait beaucoup de frictions, ils ne réussissaient jamais à se mettre d’accord. La tension était palpable dans chaque scène. Delon voulait être toujours présent, et si on oubliait de le prévenir du tournage des scènes, même celles dans lesquelles il n’apparaissait pas, il s’énervait et devenait très agressif envers Zurlini. J’allais souvent dîner avec Valerio, et cela ne lui plaisait pas non plus : il se sentait exclu, comme si secrètement, une vaste conspiration avait été ourdie contre lui. 

Et pourtant, Valerio l’aimait beaucoup. Le personnage interprété par Delon dans le film était autobiographique, Zurlini éprouvait un plaisir assez morbide à l'habiller avec ses propres vêtements : son manteau poil de chameau, ses chemises, ses cravates, tout ce qu’il portait dans la vie réelle, y compris un chandail vert de cachemire que je lui avais offert ; l’idée de le lui voir endosser le rendait fou de joie. Le lien qui nous unissait tous les trois était ténu, mais constant. C’était presque un film dans le film ! Presque une histoire d’amour entre deux hommes, une valse-hésitation, un jeu sentimental fait d’une alternance continue de rapprochements et de petites vengeances dans lequel ils cherchaient à m’entraîner moi aussi. 




Valerio était désespéré. Les rapports difficiles sur le plateau s’ajoutaient à la crise conjugale qu’il était en train de vivre. Il s’était même mis à boire. Une fois, je trouvai dans sa voiture des amphétamines, les mêmes qui circulaient à l’époque parmi les étudiants, et je les jetai. Mais évidemment, cela ne suffit pas pour le faire décrocher, et ni les conversations ni les discussions n’eurent beaucoup d’effet. Il continua à prendre de la drogue, il ne pouvait plus s’en passer. Certains techniciens la lui procuraient sur le tournage, mais je ne sus jamais de qui il s’agissait. Cela me déplaisait beaucoup, j’étais mal à l’aise pour lui. Je cherchais à les rapprocher, à réactiver ce lien qui n’arrivait pas à se concrétiser, mais hélas, toutes mes tentatives étaient vaines. Ils se disputaient sans cesse, même pour des choses insignifiantes. Le tournage du film était difficile, très complexe, et j’étais désolé pour Valerio qu’il soit obligé de travailler dans une ambiance aussi tendue. Zurlini et Delon finirent par ne plus s’adresser la parole. Un jour, Valerio était très enthousiaste à l’idée de la scène qu’il devait tourner sur un ponton le lendemain matin à l’aube, vers quatre heures du matin, dans le brouillard. Delon devait être là, mais en fait il ne vint pas ; Valerio en fut très déçu, et j’étais toujours plus triste pour lui. Et le film s’acheva ainsi, sans qu’ils recommencent à se parler, sauf pour une phrase que Zurlini adressa à Delon avant son départ : « Tu as fait une excellente interprétation ». Delon répondit : « Et moi, j’espère que tu as fait une excellente mise en scène ». À sa sortie, le film eut un grand succès. 




Mon personnage me plaisait beaucoup et je m’impliquais le plus possible dans mon interprétation, cherchant à m’isoler quand je devais jouer, même si je ne me sentais pas directement concerné par tous les conflits qui se déroulaient sur le plateau. Mon rôle était celui d’un poète, un poète assez bizarre, un intellectuel ambigu, qui savait tout, voyait tout, connaissait les secrets, parlait peu, désespéré, solitaire. Il s’appelait Spider. Des années plus tard, je retrouvai Alain Delon, qui s’occupait de la version française du film. Je lui demandai enfin la raison de la tension qui régnait sur ce tournage terrible, et il me répondit froidement, avec détachement et cynisme : « Question d’épiderme ! » Le cinéma est aussi fait de ces stupides et inutiles incompréhensions. 

Giancarlo Giannini  Sono ancora un bambino (ma nessuno può sgridarmi)  Longanesi, 2014  (Traduction personnelle)








Spider : Perché la morte à la prima notte di quiete ?
Daniele : Perché finalmente si dorme senza sogni...

Spider : Pourquoi la mort est-elle la première nuit de tranquillité ?
Daniele : Parce que finalement, on peut dormir sans rêver...

mercredi 8 août 2018

Un estate al mare (Un été à la mer)




Il disco per l'estate, le disque pour l'été, est une très ancienne tradition en Italie, et tous les grands interprètes de la chanson italienne s'y sont essayé, de Gino Paoli (Sapore di sale) à Tiziano Ferro, en passant par Edoardo Vianello (Abbronzatissima) Mina (La ragazza dell'ombrellone accanto) ou Gianni Morandi (Notte di ferragosto). On peut trouver plusieurs de ces titres sur ce blog, publiés au fil des différents étés. En 1982, c'est Franco Battiato qui s'essaye au genre du disque pour l'été avec Un estate al mare (Un été à la mer), interprété par Giuni Russo ; ce fut évidemment un immense succès, et, portés par le rythme et la légèreté de la chanson, peu s'arrêtèrent vraiment aux paroles ironiques voire souvent sardoniques de Battiato, qui se plie aux règles du genre tout en les subvertissant. On notera à la fin de la chanson les notes suraiguës imitant les cris des mouettes, un exploit dont, parmi les chanteuses de musica leggera, seule Giuni Russo, avec sa voix de soprano coloratura, était capable ; beaucoup d'auditeurs ont cru qu'il s'agissait d'un effet spécial réalisé au synthétiseur, mais elle réussissait à le faire aussi dal vivo sur scène...

Giuni Russo chante Un'estate al mare (di Franco Battiato – Giusto Pio), 1982 :





Per le strade mercenarie del sesso
Che procurano fantastiche illusioni
Senti la mia pelle com’è vellutata
Ti farà cadere in tentazioni
Per regalo voglio un harmonizer
Con quel trucco che mi sdoppia la voce
Quest’estate ce ne andremo al mare per le vacanze

Un’estate al mare
Voglia di remare
Fare il bagno al largo
Per vedere da lontano gli ombrelloni-oni-oni
Un’estate al mare
Stile balneare
Con il salvagente per paura di affogare

Sopra i ponti delle autostrade
C’è qualcuno fermo che ci saluta
Senti questa pelle com’è profumata
Mi ricorda l’olio di Tahiti
Nelle sere quando c’era freddo
Si bruciavano le gomme di automobili
Quest’estate voglio divertirmi per le vacanze

Un’estate al mare
Voglia di remare
Fare il bagno al largo
Per vedere da lontano gli ombrelloni-oni-oni
Un’estate al mare
Stile balneare
Con il salvagente per paura di affogare

Quest’estate ce ne andremo al mare
Con la voglia pazza di remare
Fare un po’ di bagni al largo
Per vedere da lontano gli ombrelloni-oni-oni
Un’estate al mare
Stile balneare
Toglimi il bikini




Par les rues mercenaires du sexe
Qui procurent de fantastiques illusions
Touche le velours de ma peau
Tu ne pourras pas résister à la tentation
Comme cadeau, je veux un harmonizer
Avec cet effet qui double ma voix
Cet été, on passera nos vacances à la mer 

Un été à la mer
Avec l'envie de ramer
Se baigner au large
Pour voir de loin les parasols-sols-sols
Un été à la mer
Style balnéaire
Avec la bouée par peur de se noyer

Sur les ponts des autoroutes
Quelqu'un est immobile et nous salue
Sens le parfum de cette peau
Ça me rappelle l'huile de Tahiti
Le soir quand il faisait froid
On brûlait les pneus des voitures
Cet été, je veux m'amuser pour les vacances

Un été à la mer
Avec l'envie de ramer
Se baigner au large
Pour voir de loin les parasols-sols-sols
Un été à la mer
Style balnéaire
Avec la bouée par peur de se noyer

Cet été on ira à la mer
Avec une envie folle de ramer
Faire quelques bains au large
Pour voir de loin les parasols-sols-sols
Un été à la mer
Style balnéaire
Enlève-moi mon bikini

(Traduction personnelle)













Images : de haut en bas, (1) Luigi Alesi  (Site Flickr)



(4) Adelmo Vitturini  (Site Flickr)

mercredi 17 octobre 2012

Allegro




Je cite ici un autre extrait de l'ouvrage de Giovanni Comisso Mio sodalizio con De Pisis (Mon amitié avec De Pisis). Il y est question de l'un de mes tableaux favoris, Portrait d'Allegro :

Quando fu di ritorno a Milano andai a trovarlo. Abitava sempre all'albergo Vittoria e mi fece vedere un grande quadro fatto a Rimini, il ritratto di Allegro, un ragazzo dagli occhi verdi che aveva conosciuto sulla spiaggia. Era con me Massimo Bontempelli e al vederlo disse che quel quadro apparteneva a un nuovo classicismo. Io pure ne fui estremamente colpito, De Pisis aveva scritto con il pennello sullo sfondo, giocando sul nome del ragazzo : Allegri non allegro, una volta tanto giocandosi con orgoglio, nel raffrontarlo a un Correggio. Mentre tante altre volte con umiltà scriveva, quando vi era qualche lontano avvicinamento : «Omaggio a Tosi» o ad altri suoi pittori amici. Lo comperai subito ed egli mi pregò di lasciarglielo per una sua mostra che si doveva fare nella Galleria Barbaroux. 

L'Allegro è uno dei quadri più singolari di De Pisis, è un ritratto di un ragazzo, a mezzo busto nudo, abbronzato e arrossato dal sole estivo di Rimini ed à per sfondo la parete dello studio cinerea con un altro quadro di De Pisis appeso. Mentre lo sfondo è pacato e unitario, il ritratto è brusco e composto di macchie di rosso sul cartone bruno lasciato scoperto. Chi lo vede per la prima volta non riesce a fondere i colori di questo corpo estivo e li considera quasi urtanti. Ma come per gli altri quadri, anche per questo, dopo che sia diventato familiare, lo si accetta armonioso e come una nostra conquista, come una decifrazione nostra di un linguaggio nuovo. Dopo qualche tempo che lo ebbi nella mia casa, indotto il mio sguardo a cercare di adattarsi a quel contrasto tra il rosso e il bruno, che è forte specie nel volto, mi avvenne di vedere, in Venezia, uno di quei ragazzi friulani che dal loro paese montano vi scendono a fare i salumai. Nel suo volto vi era naturale lo stesso contrasto, tra il rosso acceso della guancia e il bianco femmineo dall'orecchio al colle. Era un rosso di sangue giovanissimo purissimo, e un bianco materno e latteo. Da quell'incontro venne come assolto l'iniziale urtante contrasto dei due colori nel quadro di De Pisis e il mio sguardo si era educato, non adattato. Anche questa esperienza mi confermava il valore della sua pittura. Essa non dà tutto per risolto, per dimostrato, per attuato fino alla stanchezza, alla sazietà, alla noia, ma costringe chi possiede un quadro di De Pisis a una elaborazione, a una lettura continua e progressiva, in modo da legarlo con una partecipazione che lo conferma in essa. È questa l'essenza suprema dell'opera d'arte in genere. Ed è per questo che chi à un De Pisis difficilmente se ne separa, staccarsi è come mutilare se stesso.

Giovanni Comisso Mio sodalizio con De Pisis Ed. Neri Pozza, 2010


Quand il revint à Milan, je lui rendis visite. Il se trouvait toujours à l'hôtel Vittoria et il me montra un grand tableau qu'il avait fait à Rimini, le portrait d'Allegro, un garçon aux yeux verts qu'il avait rencontré sur la plage. Massimo Bontempelli m'accompagnait, et en découvrant ce tableau, il dit qu'il relevait d'une nouvelle approche du classicisme. Il me fit aussi une très forte impression ; De Pisis avait écrit au pinceau sur le fond, en jouant sur le nom du garçon, Allegri non allegro (Allegri pas allègre), n'hésitant pas pour une fois à faire preuve d'un certain orgueil, en faisant un rapprochement avec Le Corrège. Alors que tant d'autres fois, il avait écrit avec humilité, quand l'une de ses toiles rappelait vaguement la manière d'un autre artiste : «Hommage à Tosi», ou à d'autres amis peintres. J'achetai aussitôt ce tableau, et De Pisis me pria de le lui laisser pour une exposition qui devait avoir lieu à la Galerie Barbaroux.

L'Allegro est un des tableaux les plus singuliers de De Pisis, c'est le portrait d'un garçon, torse nu, bronzé et rougi par le soleil estival de Rimini ; le fond représente le mur cendreux de l'atelier, où est suspendu un autre tableau de De Pisis. Alors que le fond est paisible et uni, le portrait est brusque et composé de taches rouges sur le carton brun laissé à découvert. Quand on le découvre pour la première fois, on a du mal à percevoir la fusion de toutes les couleurs de ce corps estival, et on les trouve même presque dissonantes. Mais quand il nous est devenu familier, ce tableau, comme tous les autres, se révèle harmonieux, comme si notre regard l'avait conquis, par le déchiffrement d'un nouveau langage. Je l'installai chez moi, et après quelques jours, ayant cherché à adapter mon regard à ce contraste entre le rouge et le brun, particulièrement marqué sur le visage, il m'arriva de rencontrer à Venise l'un de ces garçons frioulans descendus de leur village de montagne pour travailler comme charcutiers. Sur son visage, il y avait au naturel ce même contraste, entre le rouge vif de la joue et le blanc féminin depuis l'oreille jusqu'au cou. C'était le rouge du sang très pur d'un très jeune homme, et un blanc maternel et laiteux. Cette rencontre effaça aussitôt ma première impression d'une dissonance entre les deux couleurs dans le tableau de De Pisis ; mon regard s'était éduqué, et non pas adapté. Cette expérience fut également pour moi une confirmation supplémentaire de la valeur de sa peinture. Celle-ci ne se donne pas comme un ensemble résolu, démontré, accompli jusqu'à la lassitude, la satiété, l'ennui ; au contraire, elle oblige celui qui possède un tableau de De Pisis à un travail d'élaboration, à une lecture continue et progressive qui finit par créer un lien indissoluble avec une œuvre devenue partie de lui-même. Et c'est bien cela, l'essence suprême de toute œuvre d'art. C'est la raison pour laquelle le possesseur d'un tableau de De Pisis a beaucoup de mal à s'en séparer ; s'en détacher, c'est comme se mutiler soi-même.

(Traduction personnelle)









Images : en haut, Filippo De Pisis Ritratto di Allegro, 1940

en bas, merci à Jacques, auteur du blog Rimini a giorni dispari




mardi 22 février 2011

La prima notte di quiete



 

"Colui che voi cercate non è qui..."




 

Le titre de l’avant-dernier film de Valerio Zurlini (qui n’en a tourné que neuf), La prima notte di quiete, fait référence à une phrase de Goethe, reprise par le protagoniste du film qui en a fait le titre d’un recueil de poèmes inspirés par le suicide d’une jeune fille aimée : «La mort est la première nuit tranquille, puisque finalement on peut dormir sans rêver.» Comme Zurlini le dit lui-même dans l’entretien avec Jean Gili que je reprends ici, c’est aussi l’un des plus autobiographiques ; le personnage central du film, le professeur Daniele Dominici, lui ressemble beaucoup, dans son aspect nihiliste et autodestructeur, nourri des références familières à Zurlini : les héros russes, et en particulier dostoïevskiens, et les personnages de Conrad, Lord Jim ou le colonel Kurtz d’Au cœur des ténèbres. Détail significatif, le manteau beige que porte Daniele dans le film était en fait celui de Zurlini...

La prima notte di quiete a eu un grand succès à sa sortie (c’est même le film de Zurlini qui a réuni le plus de spectateurs dans les salles), mais il a été par la suite un peu oublié. On vient de publier en Italie un DVD qui en propose une très belle version restaurée ; dans les suppléments – plutôt succincts – qui accompagnent le film, le critique de cinéma Tullio Kezich, qui fut aussi un grand ami de Zurlini, rappelle la difficile gestation du film et la tension qui régnait sur le tournage, du fait des rapports orageux entre Zurlini et son interprète, Alain Delon. Les deux hommes avaient fini par ne plus s’adresser la parole, et ils communiquaient uniquement par le biais de leurs assistants respectifs. A la fin du tournage, Delon – magnifique dans le film, il faut tout de même le préciser – partira sans saluer Zurlini. Plus grave, comme l’acteur était également co-producteur, il se livrera à un véritable massacre sur le film en l’amputant d’une demi-heure au moment de sa sortie française, changeant également au passage le titre original, devenu fort banalement Le Professeur. Cela vaudra à Delon ce télégramme de Zurlini, faisant allusion aux débuts professionnels de l'acteur comme garçon-boucher : «Da un macellaio, non c'era da aspettarsi altro !» («
De la part d’un boucher, on ne pouvait pas s’attendre à autre chose!»). A ce sujet, il est amusant de comparer les souvenirs de Tullio Kezich et ceux de Delon, qui n’hésitera pas, avec son aplomb habituel, à déclarer ceci dans un entretien aux Cahiers du cinéma, en avril 1996 :

«J’adore
Le Professeur ! C’est un accident d’ailleurs. Mastroianni devait le faire mais n’était plus libre. J’étais à Rome en train de tourner L’Assassinat de Trotski avec Losey. Zurlini est arrivé, je le connaissais, c’était un ami de Luchino. Il m’a demandé de lire son scénario, La prima notte di quiete, en me disant très honnêtement qu’il l’avait déjà fait lire à Mastroianni. C’est rare qu’un metteur en scène vous dise qu’il a déjà fait lire son script à un autre acteur. J’ai lu le scénario et j’ai téléphoné tout de suite : «Je le fais !». Je l’ai coproduit, je crois, mais je ne me souviens plus si c’était une production cent pour cent française... C’est un de mes films préférés, il m’a bouleversé. Ceux qui aiment le cinéma l’aiment aussi. J’adorais Zurlini, qui est mort trop tôt, alcoolique, tourmenté, déchiré... Je trouvais ça très injuste. C’est un excellent cinéaste, très impressionné par Visconti. J’adorais Le Professeur, et pourtant la version française était édulcorée. C’est une espèce de portrait de la société italienne, du côté de Rimini, difficile à recevoir en France : il a fallu changer le titre – La Première nuit de tranquillité ne voulait pas dire grand-chose – on a dû couper le film. Il faut voir la version d’origine, plus longue, celle qu’on va essayer de montrer à la Cinémathèque. C’est comme Le Guépard, la version d’origine dure trois heures. A l’époque, pour des considérations d’ordre commercial, on coupait selon les pays.»




Extraits d'un entretien entre Jean Gili et Valerio Zurlini, réalisé à Rome en juin 1977. Il a été publié dans l'ouvrage de Jean Gili Le cinéma italien, paru en 1978 dans la collection 10 / 18 :

Jean Gili : La prima notte di quiete est, je crois, la dernière partie d’un projet plus ambitieux qui devait suivre le destin d’une famille italienne sur plusieurs générations.
Valerio Zurlini : Dans ma vie, il y a un épisode très curieux qui est mon contact avec l’Afrique. En 1949, je suis allé pour la première fois en Afrique orientale ; j’ai eu une très forte sensation en voyant cette société coloniale qui ne se rendait pas compte que ces privilèges d’une vie coloniale à l’anglaise étaient en train de finir : cette société était destinée à être effacée en l’espace de quelques années. De fait, lorsque je suis retourné une seconde fois en Afrique, en 1959, ce monde avait déjà disparu. Je retournais là-bas avec l’idée de préparer un film sur un épisode extraordinaire qui est le siège de Macalé et la bataille d’Adoua en 1896, sans doute la plus grande bataille coloniale de tous les temps. Je crois qu’il y avait là la matière d’un film extraordinaire, mais ce sont des films que peuvent se permettre des Etats : l’U.R.S.S. peut produire Guerre et Paix, mais un producteur italien ne peut pas mettre sur pied Il paradiso all’ombra delle spade : c’était le titre de ce film – car il faudrait trop d’argent. Il me vint alors à l’esprit l’idée de raconter l’histoire d’une grande famille italienne qui va chercher son destin en Afrique : le premier épisode se serait situé en 1896 avec un protagoniste qui participait à la campagne militaire d’Adoua, qui se fixait en Afrique et qui y fondait un petit empire personnel ; le second épisode, qui se passait en 1935-1936 au moment de l’occupation italienne de l'Éthiopie et de la naissance des premiers ferments de révolte des Éthiopiens, avait pour protagoniste un personnage qui pouvait être théoriquement le père de Daniele Dominici de La prima notte di quiete ; le troisième épisode était le long voyage que le dernier héritier de la famille faisait en Érythrée pour recueillir l’héritage d’un oncle décédé, ultime représentant de la puissance familiale. Ce dernier héritier refuse de se fixer en Afrique parce que désormais c’est un déraciné. Ce voyage dans le passé devient un voyage dans son passé d’adolescent et de jeune homme, un voyage dans sa mémoire et dans sa conscience complètement changée. Le final de cette troisième partie, c’est La prima notte di quiete.
J.G. : Comment avez-vous décidé de n’utiliser que cette dernière partie du récit ?
V.Z. : A cause de la totale impossibilité de réaliser les deux autres parties. Dans La prima notte di quiete, il y a une seule allusion au passé africain du personnage lorsque celui-ci dit : « Enseignant à Mogadiscio ». Cette allusion rappelle qu’il était en train de se déplacer sur les lieux de la vie de sa famille. Toutefois, je dirais que La prima notte di quiete naquit vraiment de l’insistance qu’il y avait en moi à mettre en scène un personnage de ce genre. Ce personnage était évidemment le fruit de nombreuses expériences, de nombreuses rencontres, de certaines identités peut-être entre le personnage et moi, cette base de nihilisme, ce christianisme refusé mais présent... Ce personnage naquit de façon très curieuse, il naquit à un moment d’extrême méfiance : je ne trouvais rien de personnel à raconter. Un jour, je me mis à mon bureau et en vingt jours j’écrivis un récit de cent pages qui est l’histoire de cet homme à la fin de sa vie – ce récit existe encore et je crois qu’il n’est pas mauvais. Ce récit objectif naquit aussi de ces saisons hivernales, si brutales, si violentes, si canailles, si anti-féminines, si oppressives, si excessives, ces saisons que j’avais vues. Cette côte adriatique que j’avais vue l’hiver quand il n’y a pas l’explosion du tourisme estival et que se resserrent les haines, les férocités, les violences. Je l’avais vue là, cette violence de l’homme sur la femme. La prima notte di quiete est aussi un film très lié à un certain milieu géographique. Il y a aussi dans le film un aspect «histoire populaire» : l’histoire d’un homme qui a un rapport désormais mourant avec les autres et qui rencontre la jeunesse. Cette jeunesse en réalité cache la mort : c’est une histoire populaire vieille comme le monde.



J.G. : Avez-vous pensé à Pavese en préparant ce film ?
V.Z. : Je comprends très bien qu’il y ait cette crise existentielle chez Pavese, crise qui porta l’écrivain pratiquement à la même fin que mon personnage. Cela dit, je crois que la crise de Pavese, sur laquelle on a fait beaucoup de littérature, a été vraiment et seulement la crise de l’impuissance d’un homme face à la création artistique. Le rapport humain qui le conduisit à la mort est une aventure banale à tous points de vue, c’est le prétexte. Pavese était un homme déchiré par la contradiction d’être un intellectuel, un lettré de grand niveau et de grande portée, et de ne pas être un créateur. Pavese n’était pas un artiste. Ce qui fascine beaucoup chez lui, c’est sa casuistique peut-être existentielle ou existentialiste. Moi, je vois cela comme un problème beaucoup plus simple : il n’y a pas une seule œuvre de Pavese qui résiste comme œuvre d’art ou comme œuvre poétique. Il existe des livres qui résistent, des journaux intimes, de confessions, des analyses, des traductions, mais le vrai souffle de la création ne l’animait pas. C’est une invention française, le souffle de la création poétique de Pavese. A un certain moment, il y a la mort, et la mort est un shaker qui contient tous les cocktails.
J.G. : En citant Pavese, je pensais à un poème comme Verrà la morte et avrà i tuoi occhi.
V.Z. : Mais ce sont de mauvais poèmes. Si on pense que la mort est vraiment venue et qu’elle avait vraiment ses yeux, cela rend la chose déchirante, non belle la poésie. C’est-à-dire que l’on a fait une identification entre la vie et la mort de Pavese, entre l’importance de son œuvre et la poésie : les deux choses sont complètement différentes.
J.G. : Par bien des aspects, le film me semble très lié à votre expérience personnelle.
V.Z. : Certes, le film contient beaucoup de choses personnelles ; par exemple, il contient en définitive cette étrange instance de besoin de christianisme. Et puis, il y a en moi un fond de nihilisme dont j’ai chargé à pleines mains les personnages, avec un désir de destruction et d’autodestruction. Disons que ce sont les côtés un peu plus secrets de ma personnalité : ayant à la portée de la main un personnage qui se définissait comme un porteur possible de ces virtualités, je l’ai certainement chargé de mes incertitudes, de mes effrois, de mes tragédies. En cela, tout en n’étant pas autobiographique dans les faits, le film est également autobiographique, peut-être aussi dans une certaine peur de la vie contemporaine, une certaine manière d’attendre sa propre fin avec presque un sens de libération.




J.G. : Quel a été l’écho du film en Italie ?
V.Z. : Comme tous mes films, La prima notte di quiete a été aimé par certaines personnes et complètement refusé par d’autres. Cela s’explique peut-être par le fait que mes films ne sont pas directement liés à des dialectes ou à d’autres choses particulièrement italiennes. Pourtant, quand j’écris un film, je suis très attentif à ce que sont vraiment mes racines. Cela peut aider à comprendre pourquoi je jouis auprès d’une partie du public italien d’un immense prestige. Je suis assez indifférent aux autres, je suis totalement indifférent aux étrangers, et cela pour une raison très simple : mon discours, quel qu’il soit, est toujours lié à l’Italie ; même si, cela peut sembler absurde, ce sont des films qui apparaissent comme les moins italiens. On peut penser qu’on pourrait les situer ailleurs, mais ce n’est pas possible. Je me souviens que lorsque le producteur français de La ragazza con la valigia pensa à Zizi Jeanmaire pour le rôle de la protagoniste, j’ai ri pendant deux semaines.
J.G. : D’où provient le titre du film ?
V.Z. : C’est un vers de Goethe qui, traduit, dit à peu près ceci : « La mort, la première nuit tranquille. »







Images : en haut, photographie de Franco Bellomo



vendredi 14 janvier 2011

Fellini Amarcord




Je me souviens de la sirène du Rex, le paquebot transatlantique, au moment où il surgit du brouillard dans la nuit de Rimini (et sur la mer de plastique de Cinecittà), avec toutes ses lumières, ses gerbes d'écume et son panache de fumée. Je me souviens des cris qui le saluent, des larmes de la Gradisca lorsqu'elle lui envoie des baisers, et du vieil accordéoniste aveugle qui soulève ses lunettes noires et demande autour de lui : "Com'è ? Com'è ?" ("Comment est-il ? Comment est-il ?")...






Source de la vidéo : Site YouTube