Durant l’enfance, quand aucune impression ni émotion n’est encore devenue ordinaire, l’été, avec les déplacements qu’il amène, les profonds changements dans les habitudes de la journée, les fréquentes solitudes et les isolements qu’il impose, avec à pic au-dessus de la maison, les hauts silences écrasants ou dehors, dans la campagne, ce bourdonnement infini et ce lointain bruissement, suscite dans le cœur un égarement pareil à une blessure.
L’enfant sent qu’est en train de passer sur la terre quelque chose d’énorme, d’impérieux et de vague qui, dans les hommes, les animaux et les plantes, opprime et charme la vie. Un cataclysme silencieux et bleu dont l’effet est semblable à un grondement vertigineux se produit dans les profondeurs de l’air qui retient chacun de ses mouvements ou paraît secoué imperceptiblement. L’enfant écoute, concentre son regard : émerveillé, il distingue dans le silence quelques voix éparses où domine celle de la cigale, dans l’immobilité tant de légers mouvements : guêpes, fourmis, saut de grillons ; il réalise que le silence et le calme se composent de tous ces sons et mouvements imperceptibles.

L’été est alors une roche perforée, parcourue en tout sens, une ruche mystérieuse où l’enfant se sent égaré. Ses compagnons de jeu sont partis, chacun dans une direction différente ; maintenant, également égarés et solitaires, ils vivent chacun dans un alvéole de cette ruche infinie ; dans le cœur subsiste une pénible lacune. L’imagination cherche à la combler mais elle aussi se perd dans les labyrinthes bleus et profonds de l’été ; tant d’itinéraires ignorés, tant de traces qui mènent en un point que l’intelligence peut imaginer, puis qui se perdent dans l’inconnu. L’esprit de l’enfant se tend et vibre.
Parfois, le vent passe haut et dans les cyprès rend un son lointain et désolé qui produit un dernier accroc dans cette mystérieuse tension. Parfois, les nuages s’amoncellent et la pluie tombe à verse, mettant fin au charme comme à l’angoisse.
Mario Luzi Trames Editions Verdier, 1986 (Traduction : Philippe Renard et Bernard Simeone)
Images : Io non ho paura [Je n'ai pas peur], de Gabriele Salvatores, d'après le roman de Niccolò Ammaniti (Ed. Einaudi)