Trieste, 8 giugno
1768. Muore verso le quattro del pomeriggio fra le braccia insanguinate del
cerusico Ezechiel Katz. Ha gli anni di Calamity Jane e il destino di Pier Paolo
Pasolini. È il maestro del Bello e fa una brutta fine. Quella notte, nel suo
letto all’Osteria Grande, locanda verosimilmente poco appollinea, non ha
dormito. L’ha passata con il vicino di stanza, il cuoco pistoiese al momento
disoccupato Francesco Arcangeli, fronte bassa, occhi scuri, naso curvo,
sopracciglia folte, che di celestiale, decisamente, non ha altro che il
cognome. Che cosa lo abbia attirato in un uomo come quello (il vigore degli
anni, il fascino della rozzezza ?) sembra un mistero ma non lo è, perché
l’amore, come si sa, è cieco. Fatto sta che all’alba, forse ingolosito da certe
preziose medaglie che brillano sul comodino, quello ha impugnato il coltello e, sostituendo una furia
all’altra, ha infierito sul suo corpo come un macellaio quando scanna le
bestie.
Delle loro anime si sa poco. Una sarà finita nel nobile paradiso degli
esteti, l’altra nell’efferato inferno dei disgraziati. Dei loro corpi si sa
tutto. Uno, sfigurato dalla ruota e divorato dal fuoco, ebbe le ceneri disperse
al vento : dispregio riservato dalla legge ai sodomiti. L’altro fu inummato con
tutti gli onori nel campo comune, dove diventerà cenere come l’altro. L’1 marzo
1833, quando si riesumarono i resti per collocarli in un più degno sepolcro nel
Cimitero superiore, non si trovò altro che quella.
Trieste, 8 juin 1768.
Il meurt vers quatre heures de l’après-midi entre les bras ensanglantés du chirurgien
Ezechiel Katz. Il a l’âge de Calamity Jane et le destin de Pier Paolo Pasolini.
C’est le maître du Beau et il a une fin très laide. Cette nuit-là, dans son lit
de l’Osteria Grande, établissement vraisemblablement peu apollinien, il n’a pas
dormi. Il l’a passée en compagnie de son voisin de chambre, le cuisinier de
Pistoie à ce moment-là sans emploi, Francesco Arcangeli, le front bas, les yeux
sombres, le nez courbe, les sourcils épais ; décidément, il n’a rien d’angélique,
si ce n’est son nom. Qu’est-ce qui a bien pu l’attirer chez un tel homme :
la force de l'âge, l’attrait de la rudesse ? Cela ressemble à un
mystère, mais ce n’en est pas un, parce que l’amour, c’est bien connu, est
aveugle. Toujours est-il qu’à l’aube, peut-être alléché par certaines médailles
précieuses qui brillent sur la table de chevet, l’homme s’est emparé d’un
couteau et, passant d’une fougue à l’autre, il s’est acharné sur son corps
comme un boucher lorsqu’il égorge les bêtes.
Sur le destin de leurs âmes, on ne
sait pas grand-chose : l’une a dû rejoindre le noble paradis des esthètes,
l’autre l’impitoyable enfer réservé aux voyous. En revanche, on n’ignore rien
de ce que devinrent leurs corps : l’un fut écartelé sur la roue et dévoré
par le feu, avant que l’on ne disperse ses cendres dans le vent, selon la
punition prévue par la loi pour les sodomites ; l’autre fut inhumé avec
tous les honneurs dans le cimetière commun, où lui aussi il va finir par se
dissoudre. Le premier mars 1833, lorsque l’on exhuma les restes pour les placer
dans un tombeau plus digne, dans le Cimetière supérieur, on ne trouva plus que
de la cendre.
Virgilio Giotti est avec Umberto Saba l'autre grand poète de Trieste, moins connu que ce dernier car il a écrit presque tous ses poèmes en dialecte triestin, ce qui a pu certainement rendre son œuvre moins accessible. Il serait toutefois dommage de passer à côté, car ses poèmes sont très beaux, à l'image de celui que je cite aujourd'hui, à la fois musical, mélancolique et mystérieux.
La neve
La neve, bianca e granda,
xe tuto ‘torno a l’ingiro,
in fondo, fin do’ che se vedi,
bianca e granda,
bianca e zita qua drento in t-el orto,
co’ solo piantando in mezo do stechi,
bianca e zita.
E el tu’ viso el xe bianco, color de la neve,
e i tui oci i xe pieni de tuto ‘sto bianco
grando ch’i spècia.
Bianche come la neve
Xe le tu’ man, frede come la neve
‘ste man, bianche e frede :
come la neve,
qua, sul rastel intrigado de spini,
qua, sui mureti un par parte,
qua sui scalini,
do’ che tasendo ‘spetemo
de saludarse.
Virgilio GiottiPiccolo canzoniere in dialetto [1909-1912]
La neige
La neige, blanche et grande,
est partout autour de nous,
jusqu'au fond, à perte de vue,
blanche et grande,
blanche et silencieuse ici dans le jardin,
avec seulement deux branches plantées au milieu,
blanche et silencieuse.
Et ton visage aussi est blanc, couleur de la neige,
Un poème de Virgilio Giotti, l'autre grand poète de Trieste avec Umberto Saba, moins connu toutefois que ce dernier, sans doute parce qu'il a choisi comme moyen d'expression le dialecte triestin, dans lequel presque toute son œuvre est écrite. I zacinti [Les jacinthes] date de 1909 ; Giotti a vingt-trois ans et l'idylle amoureuse et familiale qu'il imagine dans ce poème, où la lumière qu'émanent les jacinthes est semblable à la flamme qui illumine un amour, est encore tout à fait imaginaire (il ne rencontrera Lisa Markovic, qui deviendra la compagne de toute une vie, qu'en 1912). On perçoit nettement dans le poème l'influence de Pascoli, mais aussi des poètes "crépusculaires". On notera également un écho léopardien dans les vers 9 et 10, qui rappellent le début du poème Il Sogno [Le Songe] (Canti, XV) : "Era il mattino, e tra le chiuse imposte / Per lo balcone insinuava il sole" ["C'était le matin, et par les volets clos de la fenêtre, le soleil glissait"].
I zacinti
I do rameti de zacinti
bianchi e lila li vardo, ch’i xe come
el viso tuo de prima
che, dàndomeli, un poco te ridevi, tignìndomeli in man co’ le tue fermi,
pàlida e i denti bianchi.
Pàlidi qua in t-el goto,
sul sbiadido del muro,
’rente el sol che vien drento, che camina su la piera frugada del balcon.
E tuti lori no i xe che quel pàlido
lila slusente : ’na fiama lassada
là ardir che intanto xe vignudo giorno ;
e el bon odor ch’i gà impinì la casa. Come ’sto nostro amor,
che tuto lui no’ ’l xe che un gnente là,
un pàlido ; ma un pàlido che lusi,
che ardi, e un bon odor, una speranza,
che me impinissi el cuor co me la sento : ’na casa mia e tua,
mèter insieme la tovàia,
mi e ti, su la tola,
con qualchidun che se alza
su le ponte d’i pie pici e se sforza de ’rivar coi oci
su quel che parecemo.
Virgilio GiottiPiccolo canzoniere in dialetto triestino
Les jacinthes
Les deux petites branches de jacinthes blanches et lilas, je les regarde, pareilles à ton visage d'avant alors qu'en me les offrant, tu riais un peu, et les serrais dans ma main, fort, avec les tiennes, pâle et les dents blanches. Pâles ici dans le verre, sur le fond fané du mur, en regard du soleil qui pénètre, qui passe sur la pierre usée de la fenêtre. Elles ne sont en somme que ce pâle lilas qui luit : une flamme laissée là à brûler cependant qu'est venu le jour ; et la senteur qu'elles ont répandue dans toute la maison. Comme cet amour entre nous, qui après tout n'est rien là qu'une pâleur, mais une pâleur lumineuse, ardente, et un parfum, une espérance qui me remplit le cœur quand je l'éprouve : une maison à nous, mettre la nappe ensemble, toi et moi, sur la table, avec quelqu'un qui se dresse sur la pointe des pieds et tente d'arriver avec les yeux à hauteur de ce que nous préparons. Traduction : LaurentFeneyrou
Les éditions de la revue Conférence ont eu la bonne idée de publier les Notes inutiles [Appunti inutili], du poète triestin Virgilio Giotti, un ouvrage que Pasolini considérait comme un chef d’œuvre de la littérature italienne du vingtième siècle, et on ne peut que lui donner raison à la lecture de ces pages brèves mais si intenses et si bouleversantes. Il s'agit donc de notes intimes, prises dans un carnet, la première étant datée du premier février 1946 et la dernière du mois d'août 1953. Le point de départ est une lettre reçue par Giotti à la fin du mois de janvier 1946, et qui lui apprend la mort de son fils aîné, Paolo, sur le front russe. Depuis 1942, il était sans nouvelles de lui et de son frère cadet, Franco (le sort de ce dernier ne sera connu que bien plus tard, après la mort de Giotti : ce n'est qu'en 2000, avec l'ouverture tardive des archives militaires soviétiques, que l'on saura qu'il est mort en janvier 1943, au sinistre camp de prisonniers de Tambov).
Ce que nous lisons donc ici est un journal de deuil, inutile puisqu'il ne peut pas guérir de l'absence, mais précieux parce qu'il évoque l'amour des fils et l'apprentissage de la douleur ; de façon simple, sans aucun pathos, à travers des observations quotidiennes apparemment banales, ou des réflexions sur le manque, l'oubli, la fatigue, l'égarement dans un présent où l'on se sent mort tout en restant vivant. Comme dans plusieurs de ses poèmes en dialecte triestin, Giotti converse dans ces notes avec les ombres de ses fils disparus, qu'il brûle de rejoindre ("Si seulement c'était demain !") ; tentation qu'il écarte, comme on le verra dans un des extraits que je cite ci-dessous, "pour continuer à faire comme tout le monde, jusqu'à ce que la mort m'emporte". Il faut enfin saluer le magnifique travail de Laurent Feneyrou, maître d’œuvre de cette édition française : sa traduction est excellente, et sa riche postface est extraordinairement éclairante pour le lecteur français qui découvre ainsi un auteur méconnu et un texte précieux.
30 VII 1947. — Come siamo fatti ! Sono oramai 18 mesi che so che Paolo è morto. Credo di non aver dimenticato né lui né Franco mai, nemmeno per un momento, neanche di notte, neanche nel sonno. Ma mentre durante certe giornate, per delle ore, in certi momenti, li ho, l'uno e l'altro, o uno dei due, dentro di me, nel cervello e negli occhi, altre volte, per giornate, o ore, o momenti, essi sono fuori di me, più o meno lontani, e qualche volta mi sono stati lontanissimi, seppure sempre li vedessi e sentissi presenti. E sono dentro di me o fuori, senza ch'io sappia ciò che fa sì che si verifichi un fatto piuttosto che l'altro.
Oggi, per istrada, Paolo mi è improvvisamente entrato dentro ; ho risentito il fatto della sua morte con la violenza di una prima notizia ; ho esclamato ancora una volta (a voce alta probabilmente, ma non lo so) : Paolo, Paolo è morto ! e ho risentito nuovamente quel fatto come impossibile, come inverosimile. Da quel momento l'ho dentro di me, con la sua figura, col suo caro volto, col suo sorriso e la sua voce, vivo e vero. Probabilmente questa notte lo vedrò in sogno. Domani forse mi si riallontanerà.
30 VII 1947. — De quoi sommes-nous faits ! Cela fait maintenant dix-huit mois que je sais que Paolo est mort. Je crois ne l'avoir jamais oublié, ni lui, ni Franco, pas même un instant, ni la nuit, ni dans mon sommeil. Mais alors que, certains jours, pendant des heures, à certains moments, je les ai, l'un et l'autre, ou l'un des deux, en moi, à l'esprit et sous les yeux, d'autres fois, pendant des jours, ou des heures, ou des instants, ils sont hors de moi, plus ou moins loin, et parfois, ils ont été très loin de moi, même si je les voyais et les sentais présents. Et ils sont en moi ou hors de moi, sans que je sache ce qui fait que j'ai une sensation plutôt que l'autre.
Aujourd'hui, dans la rue, Paolo est tout à coup entré en moi ; j'ai ressenti le fait de sa mort avec la violence d'une nouvelle toute fraîche : je me suis exclamé encore une fois (à voix haute, probablement, mais je ne saurais dire) : Paolo, Paolo est mort ! et j'ai ressenti à nouveau que c'était impossible, invraisemblable. Depuis lors, je l'ai en moi, avec sa chère silhouette, avec son cher visage, avec son sourire et sa voix, il est vivant et bien réel. Cette nuit, probablement, je le verrai en rêve. Demain, peut-être, il sera encore éloigné de moi.
16 VIII 1947. — Oggi ho il cuore arido. Mi sento vuoto d'ogni affetto, d'ogni mestizia, di tutti i miei dolori. Mi pare che rimarrei indifferente a qualunque cosa succedesse. Lontano, là, ci sono i miei figli, simili a secche immagini fotografiche senz'anima. Ho fatto una doccia, ho bevuto un caffè, ho fumato mezzo sigaro, più tardi mangerò e dormirò. Sono come il letto asciutto di quel torrentello. Si, ma un filino d'acqua vi scorre tuttavia, quasi invisibile. Così in me ; e con quel filino scrivo queste due righe.
(Tutto falso, si capisce. Scherzi dell'estate, che spossa, che addormenta ; scherzi della carne che ha bisogno di riposare).
16 VIII 1947. — Aujourd'hui, j'ai le cœur sec. Je me sens vide, sans affection, sans tristesse, sans la moindre de mes douleurs. Il me semble que tout ce qui pourrait arriver me laisserait indifférent. Au loin, là, mes fils, pareils à des images photographiques séchées, sans âme. J'ai pris une douche, j'ai bu des cafés, j'ai fumé la moitié d'un cigare ; plus tard, je mangerai et je dormirai. Je suis comme le lit asséché de ce petit torrent. Oui, mais un filet d'eau y coule encore, presque invisible. Comme il coule en moi ; et avec ce filet, j'écris ces quelques lignes.
(Tout est faux, bien sûr. Des tours joués par l'été, un été qui vous épuise, qui vous endort ; des tours joués par la chair qui a besoin de repos.)
20 IX 1947. — Sono più di 2 settimane che ho smesso questi appunti. Li riprenderò ? ritroverò il gusto di farne ? Non credo.
In queste 2 settimane ho avuto giornate di pieno deserto. Qualche volta ho anche provato il senso come se un certo me, non propriamente io, si sforzasse di dimenticare : dimenticare per riagganciarmi alla vita, dopo annullata la memoria. Che brutta e vile cosa la rassegnazione ! La solita rassegnazione, intendo, che non è nient'altro che oblio.
Tutt'altra cosa vorrei da me. Una tranquilla e profonda infelicità, con la piana e mai interrotta ricordanza di tutto ; una rassegnazione derivata dalla coscienza dell'inevitabilità delle umane sciagure.
Ma per questo bisognerebbe essere ben vivi e energici, mentre io sono stanco, irrequieto, mutevole, malato ; e però continuerò a fare come tutti, fino a quando la morte mi leverà via.
20 IX 1947. — Cela fait plus de deux semaines que j'ai arrêté d'écrire ces notes. Les reprendrai-je ? retrouverai-je le goût de le faire ? Je ne crois pas.
Pendant ces deux semaines, j'ai traversé des journées de plein désert. Parfois, j'ai aussi eu le sentiment qu'une certaine partie de moi, mais pas moi en réalité, s'efforçait d'oublier : oublier pour me raccrocher à la vie, après avoir réduit la mémoire à néant. Quelle sale et vile chose que la résignation ! La résignation ordinaire, j'entends, qui n'est rien d'autre que l'oubli.
J'attends tout autre chose de moi. Un malheur paisible et profond, et conservant le plein souvenir, jamais interrompu, de tout ce qui s'est passé ; une résignation dérivée de la conscience du caractère inéluctable des malheurs humains.
Mais pour cela, il faudrait être bien vivant et plein d'énergie, alors que je suis fatigué, instable, changeant, malade ; mais je continuerai à faire comme tout le monde, jusqu'à ce que la mort m'emporte.
Virgilio GiottiNotes inutiles Éditions de la revue Conférence, 2015 (Traduction : Laurent Feneyrou)
Le manuscrit du poème de Virgilio Giotti Ai mii fioi morti [À mes fils morts]
Virgilio Giotti est un poète né à Trieste en 1885 et mort dans la même ville en 1957. La plus grande partie de son œuvre poétique a été écrite en dialecte triestin (celui que l'on retrouve dans les dialogues d'Ernesto, l'unique roman d'Umberto Saba, qui a d'ailleurs été un ami de Giotti). Les précieuses éditions de la revue Conférence ont eu la bonne idée de traduire en français ses Notes inutiles, que Pasolini considérait comme un chef d’œuvre de la littérature italienne du vingtième siècle. Il s'agit d'un bref journal intime (une cinquantaine de pages), publié de façon posthume en Italie en 1959, dans lequel Giotti évoque le drame qui a marqué sa vie : la disparition de ses deux fils, Paolo et Franco, engagés pendant la guerre sur le front russe où ils sont morts en 1942 et 1943. Je reviendrai bientôt dans ce blog sur la parution en français de ce très beau livre, mais je propose aujourd'hui un poème que Giotti a dédié à ses deux fils morts ; il s'agit d'une conversation avec des ombres, vivantes et plus que jamais présentes. Le poème, en dialecte triestin, est très révélateur du style simple et direct de Giotti, qui touche vraiment au cœur :
Ombre d'i mii fioi,
prima che sparisso anca mi,
stemo qua un poco insieme
'na volta ancora, insieme
ciacolemo e ridemo.
Se gavè pianto, piànzer
no' ste più. Ormai sughèmose
i oci tuti. Andeghe
far 'na carezza a vostra
mama. Piànzer no' servi.
Xe morti tanti tanti ;
e papà e mame e fioi,
tanti, ga pianto e pianzi.
'Sto qua nassi nel mondo :
nassi e xe sempre nato.
Se no go savù darve
tuto quel che bramavo
in cuor, oh perdoneme !
Del ben che de vualtri
go 'vu, mi ve ringrazio
Adesso, qua, che àncora
'na volta stemo insieme
un poco, e insieme, come
nei nostri ani bei,
ciacolemo e ridemo.
Virgilio Giotti, primavera 1948
Virgilio Giotti et ses trois enfants : de gauche à droite Franco, né en 1919, Paolo, né en 1915 et Natalia, dite Tanda, née en 1913.
Solo e pensoso dalla spiaggia i lenti passi rivolgo alla casa lontana. È la sera di Pasqua. Una campana piange dal borgo sui passati eventi. L'aure son miti, son tranquilli i venti crepuscolari ; una dolcezza arcana piove dal ciel sulla progenie umana, le passioni sue fa meno ardenti. Obliando, io penso alle legende di Fausto, che a quest'ora era inseguito dall'avversario in forma di barbone. E mi par di vederlo, sbigottito fra i campi, dove ombrosa umida scende la notte, e lungi muore una canzone. Umberto SabaCanzoniere, Poesie dell'adolescenza e giovanili
Le soir du dimanche de Pâques Seul et pensif, je reviens de la plage à pas lents vers la maison lointaine. C'est le soir de Pâques. Une cloche pleure depuis le bourg sur ce qui s'est passé. Les brises sont légères, tranquilles les vents du crépuscule ; une mystérieuse douceur tombe du ciel sur les humains, dont les passions se font moins ardentes. Méditant, je pense aux légendes de Faust, qui à cette heure était poursuivi par l'adversaire changé en chien. Et il me semble le voir, stupéfait, aller par les champs, où la nuit ombreuse et humide descend, et au loin meurt une chanson. (Traduction personnelle)
In tutti i miei pensieri
di sempre o nati ieri,
insiste.
Uno che ha voglia di cantare,
come un valzer che ti fa girare
la testa.
Come una musica ostinata,
sentita e mai scordata,
Trieste.
Un vento all'improvviso,
che ti bacia forte il viso,
Trieste.
Mare e cielo senza fondo,
ombelico del mio mondo,
Trieste.
Una nave impavesata
di bianco col celeste,
Trieste.
Una rosa in un bicchiere,
due gerani al davanzale,
Trieste floreale.
Canzoni antiche da osteria,
di vino, donne e nostalgia,
Trieste mia.
Foto di gruppo a Miramare
in divisa da marina,
Trieste in cartolina
e i tuoi vecchi in riva al mare,
una sirena per sognare,
Trieste.
Trieste valzerina,
allegra e boreale,
Trieste imperiale,
favorita del sultano
e dell'imperatore,
Trieste, l'amore.
Come una donna non trovata,
perduta e poi cercata,
Trieste ritrovata,
tricolore a primavera,
bandiera di frontiera,
Trieste bersagliera.
Speranza rifiorita
e subito tradita,
Trieste ferita.
Romana e repubblicana,
vendi cara la sottana,
se devi essere italiana.
Allegra e valzerina,
Trieste imperiale,
favorita del sultano
e dell'imperatore,
Trieste, l'amore.
Speranza rifiorita
e subito tradita,
Trieste ferita.
(Dans toutes mes pensées d'un jour ou de toujours, elle revient. Comme quelqu'un qui veut chanter, une valse qui te fait tourner la tête. Comme une musique obstinée, entendue et jamais oubliée, Trieste. Une rafale de vent soudaine sur ton visage, comme un baiser, Trieste. Mer et ciel sans fond, centre de mon monde, Trieste. Un navire pavoisé de blanc et d'azur, Trieste. Une rose dans un verre, deux géraniums sur un balcon, Trieste en fleurs. De vieilles chansons à boire, qui parlent de vin, de femmes, de nostalgie, Ma Trieste. Photo de groupe à Miramare, en uniforme de marine, Trieste en carte postale avec tes parents au bord de la mer, une sirène pour rêver, Trieste.
Trieste qui valse, joyeuse et boréale, Trieste impériale, Favorite du sultan et de l'empereur, Trieste, l'amour...
Espoir refleuri et aussitôt trahi Trieste blessée.)
Longtemps dura l'enfance au mur sombre et je fus La conscience d'hiver ; qui se pencha Tristement, fortement, sur une image, Amèrement, sur le reflet d'un autre jour. N'ayant rien désiré Plus que de contribuer à mêler deux lumières, Ô mémoire, je fus Dans son vaisseau de verre l'huile diurne Criant son âme rouge au ciel des longues pluies. Qu'aurai-je aimé ? L'écume de la mer Au-dessus de Trieste, quand le gris De la mer de Trieste éblouissait Les yeux du sphinx déchirable des rives.
A lungo durò l'infanzia dal muro opaco e fui La coscienza d'inverno, china Intensamente, tristemente, su un immagine, Amaramente, sul riflesso di un altro giorno.
Non chiedendo nulla Di più che contribuire all'unione di due luci, Oh memoria, io fui Nel vasello di vetro l'olio diurno Urlante l'anima rossa al cielo delle lunghe piogge.
Che avrò amato ? La schiuma del mare Alta su Trieste, quando il perlaceo Del mare di Trieste abbacinava Gli occhi alla sfinge illusoria delle rive.
Dolore, dove sei ? Qui non ti vedo ; ogni apparenza t'è contraria. Il sole indora la città, brilla nel mare. D'ogni sorta veicoli alla riva partono in giro qualcosa o qualcuno. Tutto si muove lietamente, come tutto fosse di esistere felice.
Umberto SabaCanzoniere Ed. Mondadori
Douleur, où es-tu ? Ici, je ne te vois pas ; toute apparence t'est contraire. Le soleil dore la ville, brille dans la mer. De toutes sortes de véhicules sur la rive partent en voyage quelque chose ou quelqu'un. Tout s'anime joyeusement, comme si tout était heureux d'exister.
Per me al mondo non v'ha un più caro e fido luogo di questo. Dove mai più solo mi sento e in buona compagnia che al molo San Carlo, e più mi piace l'onda e il lido ?
Vedo navi il cui nome è già un ricordo d'infanzia. Come allor torbidi e fiacchi – forse aspettando dell'imbarco l'ora – i garzoni s'aggirano ; quei sacchi su quella tolda, quelle casse a bordo di quel veliero, eran principio un giorno di gran ricchezze, onde stupita avrei l'accolta folla a un lieto mio ritorno, di bei doni donati i fidi miei. Non per tale un ritorno or lascerei molo San Carlo, quest'estrema sponda d'Italia, ove la vita è ancora guerra ; non so, fuori di lei, pensar gioconda l'opera, i giorni miei quasi felici, così ben profondate ho le radici nella mia terra.
Né a te dispiaccia, amica mia, se amore reco pur tanto al luogo ove son nato. Sai che un più vario, un più movimentato porto di questo è solo il nostro cuore.
Umberto SabaIl Canzoniere, Trieste e una donna Einaudi ed.
Le môle
Il n'y a pas pour moi au monde un lieu plus cher et plus sûr que celui-là. Où pourrais-je donc me sentir plus seul et en meilleure compagnie qu'au môle San Carlo, où me plairaient davantage les flots et le rivage ?
Je vois des bateaux dont le nom déjà est un souvenir d'enfance. Comme en ce temps-là, troublés et fatigués – en attendant peut-être l'heure de l'embarquement – les garçons rôdent ; tous ces sacs sur le pont, ces caisses à bord de ce voilier, étaient alors l'annonce de grandes richesses, par lesquelles j'aurais étonné la foule accourue pour fêter mon retour, et comblé de beaux présents mes amis fidèles. Même pour un tel retour, je ne quitterais aujourd'hui le môle San Carlo, cette rive extrême d'Italie, où la vie est encore une guerre ; je ne sais pas, loin d'ici, imaginer un travail joyeux, et mes journées presque heureuses, tant mes racines sont profondément enfoncées dans ma terre.
Et ne t'offusque pas, mon amie, si j'ai tant d'amour pour les lieux où je suis né. Tu sais bien qu'un port plus varié et plus animé que celui-là n'existe qu'en notre cœur.
(Traduction personnelle)
Images : Renaud Camus (Autoportrait au grand voilier, Site Flickr)
Tiziana de Meis (Trieste, Molo San Carlo, Site Flickr)
Glauco, un fanciullo dalla chioma bionda, dal bel vestito di marinaretto, e dall'occhio sereno, con gioconda voce mi disse, nel natio dialetto :
Umberto, ma perché senza un diletto tu consumi la vita, e par nasconda un dolore o un mistero ogni tuo detto ? Perché non vieni con me sulla sponda
del mare, che in sue azzurre onde c'invita ? Qual'è il pensiero che non dici, ascoso, e che da noi, così a un tratto, t'invola ?
Tu non sai come sia dolce la vita agli amici che fuggi, e come vola a me il mio tempo, allegro e immaginoso.
Umberto SabaCanzoniere, Poesie dell'adolescenza e giovanili.
Glauco, un enfant à la blonde chevelure, au bel habit de petit marin, et à l'œil limpide, d'une voix enjouée me dit, dans son dialecte natal :
Umberto, mais pourquoi sans plaisir consumes-tu ta vie, et sembles-tu cacher une souffrance ou un mystère dans chacune de tes paroles ? Pourquoi ne viens-tu pas avec moi sur la rive
de la mer, qui dans ses vagues d'azur nous invite ? Quelle est cette pensée que tu ne dis pas, secrète, et qui à nous, d'un seul coup, t'arrache ?
Tu ne sais pas combien douce est la vie aux amis que tu fuis, ni comment pour moi fuit le temps, plein de gaieté et d'imagination.