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lundi 13 mai 2013

Agostino, come un addio




On n'oublie pas la lumière d'un film. Il y a une lumière de La Règle du jeu, qui annonce le début de la guerre ; il y a une lumière de Voyage en Italie, qui annonce L'Avventura d'Antonioni et avec cela tout le cinéma moderne ; et une lumière d'À bout de souffle, qui annonce les années soixante. Et je crois qu'il y a aussi, d'une certaine manière, une lumière de Prima della Rivoluzione.

Bernardo Bertolucci



"D'aucuns estiment que la scène la plus émouvante du film, celle de la bicyclette, l'étrange ballet d'Agostino, les pieds sur son guidon, ou bien debout sur le cadre, et qui ne cesse de s'écraser à terre devant la maison de Cesare, sans jamais cesser de parler (Questa per mio padre. E questa è per mia madre), doit beaucoup à la fascination du metteur en scène pour son acteur – à son amour, peut-être.


Exhorté, pour toute réponse à ses angoisses et sans doute à son amour pour le protagoniste, à prendre la carte du parti, Agostino, le garçon blond au regard de fou, à la coiffure de canari, se livre à un étrange ballet sur sa bicyclette, dont il ne cesse de tomber, là-bas, dans une rue des confins de Parme, presque la campagne déjà. Come facevo a non capire ? Come duravo a vivere, senza sentire ? Deux fois, trois fois, davantage, il tombe, il s'écrase à terre. Il dit :

« Cette fois c'est pour ma mère. Cette fois c'est pour mon père. »

Il m'a fallu dix ans pour passer de ce film-là à La Luna : de l'inceste avec la tante à l'inceste avec la mère. À mon avis, voilà bien le meilleur argument qui soit contre la psychanalyse. Car la scène de la bicyclette est bel et bien, avec celle de l'invocation au fleuve Pô, un peu plus loin, une des plus belles de l'histoire du cinéma, selon moi. Sans doute n'est-ce pas un hasard si dans la topographie de la ville elle intervient exactement devant la maison de Cesare (Morando Morandini), le guide spirituel (et surtout idéologique) du personnage principal (For the world, instead of being made on little separate incidents that one lives one by one...). (Mentre l'amore, mentre l'amore... (un sport cruel, féroce, des gens décidés à l'emporter l'un sur l'autre coûte que coûte).) (Elle aimait venir dans ces jardins.) (Elle aimait venir dans ces jardins.) (On dépasse les routes.) (Êtes-vous sûr de vouloir quitter ?)"


J.R.G. Le Camus & Antoine du Parc  L'Amour l'Automne









 

Route devant la maison de Cesare – jour


Plan général : au loin, Fabrizio, en imperméable, avance. Fin musique. Autre plan : il avance et entend, derrière lui, le timbre peu lointain et aigu d'une bicyclette. Le son est insistant, jusqu'à ce que Fabrizio se retourne. Il se tourne, puis continue sa route, en passant devant la double porte d'une cour de ferme. Le timbre retentit encore. Il se tourne et sort du champ. On reste en plan moyen sur la double porte. Timbre de la bicyclette. Roulement de tambour et timbre off. Cymbale et musique (thème Agostino avec des intonations de musique de cirque) sur Agostino sortant de la porte en pédalant lentement, très digne. Agostino est venu se faire pardonner par son ami. Comment ? Il commence une sarabande à bicyclette autour de Fabrizio, donnant une sorte de petit spectacle sur deux roues. Il roule vers nous, en saluant très bas Fabrizio hors champ. D'abord il tourne en rond sur la route et revient les pieds sur le guidon, puis (autre plan) il repasse devant Fabrizio et le regarde en souriant. Gros plan flash de sa tête. Bruit de chute. Il se relève en plan américain face à nous. Fabrizio, au premier plan de dos, en amorce.



   
AGOSTINO. Ne t'approche pas. Ça, c'est pour mon père !
Plan rapproché de ses mains sur le guidon. Il recule et recommence à rouler. Gros plan de son visage fixant curieusement Fabrizio. Plan moyen de la route. Agostino pose normalement son vélo, y monte, un pied sur le cadre, l'autre sur la selle. Il roule et passe devant Fabrizio (au premier plan de dos), le regardant en souriant. Nouvelle chute. On reprend Agostino roulant. Chute. Plan rapproché, Agostino à terre et la bicyclette. Il se relève.




 AGOSTINO. Et ça, c'est pour ma mère !
Plan rapproché d'Agostino qui reprend la bicyclette et roule. Chute. Son corps sur la route. Il se relève, la chemise tâchée. Il roule à nouveau. Nouvelle chute, le vélo à terre. Gros plan d'Agostino étendu sur le dos. Fabrizio bondit et le relève. Agostino se débat et se dégage, furieux.


AGOSTINO. Et ça, c'est pour moi !
Agostino, en plan rapproché, s'appuie contre une porte et s'y adosse en soupirant et soufflant, fermant les yeux. Panoramique cadrant de profil Fabrizio.

FABRIZIO. Agostino !
Il s'approche. Plan rapproché des deux par travelling latéral.

FABRIZIO. Pourquoi ? Qu'est-ce que tu as ?
AGOSTINO. Ah, le vin est bon !
FABRIZIO. Tiens, allons au cinéma ensemble, allons voir La Rivière rouge.
AGOSTINO. Non, il faut que tu ailles chez Cesare. Va, tu ne dois pas arriver en retard.
Agostino l'entraîne (panoramique). Les deux de dos, Agostino serrant Fabrizio par le bras. Il l'entraîne pour traverser la route vers la maison.

AGOSTINO. Va, il t'attend...
Agostino pousse Fabrizio en avant, puis il revient vers nous en murmurant «Merde, merde» alors que Fabrizio, à l'arrière-plan, reste au milieu de la route, tourné vers Agostino qui lui tourne le dos et s'avance au premier plan. CUT.


Extrait du découpage et des dialogues du film de Bernardo Bertolucci, Prima della Rivoluzione (L'Avant-Scène n. 82, traduction : Bernard Eisenchitz)



  

jeudi 1 mars 2012

Souvenirs de "La Commare secca"




La Commare secca est le premier long métrage de Bernardo Bertolucci ; le film est sorti en 1962.


Rome

 C’est une Rome en noir et blanc du début des années 60, celle des borgate que l’on voit aussi dans les films de Pasolini (l’auteur du scénario de ce premier film de Bertolucci), mais surtout du quartier Ostiense, près de la basilique San Paolo, où se noue l’intrigue. La prostituée assassinée exerce son activité dans le parc Paolino, situé juste derrière la basilique; la scène du meurtre se situe au bord du Tibre, sous le pont Marconi, près du cynodrome.




La pluie 

La structure narrative du film est visiblement inspirée du Rashomon de Kurosawa : les uns après les autres, les personnes suspectées du meurtre de la prostituée témoignent, en donnant leur version des faits. Et au même moment, dans des lieux différents, ils sont surpris par un orage violent, qui efface les traces de la mort au travail, lave les mensonges et les remords.
 


 Ragazzi di vita 

Il y a Canticchio, qui guette les couples occupés à flirter sur les bords du Tibre pour leur chiper un sac ou un transistor ; Il Califfo, qui sort de prison et vit aux crochets de sa femme, avec qui il se dispute régulièrement ; Francolicchio et Pipito, deux garçons passés maîtres dans l’art difficile de la petite arnaque, notamment aux dépens des homosexuels qui draguent dans les parcs. Francolicchio aura moins de chance que son compère, et il finira noyé dans le Tibre. C’était le plus sentimental des deux ; il aimait fredonner à ses conquêtes féminines la chanson de Nico Fidenco Come nasce un’amore : “Ti voglio far provare come nasce un’amore / Forse tu non lo sai / Piano piano ti sfiorerò / E le labbra ti toccherò / E come una farfalla che si posa su un fiore / Io ti accarezzerò...” 



 Allen Midgette 

Comment un jeune homme blond venu du New Jersey s’est-il retrouvé à Rome pour jouer le rôle de Teodoro Cosentino, un soldat de Catanzaro, avec, par la grâce du doublage, un accent calabrais à couper au couteau ? C’est un des mystères et des charmes du cinéma italien de ces années-là... Deux ans plus tard, Midgette sera Agostino dans Prima della Rivoluzione. On le verra aussi, très furtivement, au début de La Stratégie de l’araignée : c’est le marin qui descend du train en gare de Tara, en même temps qu’Athos Magnani. Midgette apparaîtra une dernière fois dans un film de Bertolucci en 1975 : il joue le rôle d’un vagabond qui s’accuse du meurtre d’un enfant, dans la seconde partie de Novecento. À cette époque, il est devenu à New York l’un des acteurs de la Factory de Warhol et le sosie officiel du maître, qui l’envoie souvent à sa place dans des vernissages, des séances d'interviews ou des conférences. 

La Camarde 

L’explication du titre est donnée dans la toute dernière image du film ; on y voit la façade de l’église Santa Maria dell’Orazione e Morte, dans la Via Giulia, et plus particulièrement la plaque située à côté de la porte de l’édifice, où est représentée la Camarde. On voit alors s’inscrire à l’écran les derniers mots d’un des nombreux sonnets écrits en dialecte romain (le romanesco) par Gioachino Belli : "E già la comaraccia secca de strada Giulia arza er rampino" ("Et déjà la camarde de Via Giulia soulève sa faux"). Pasolini avait déjà placé ces vers en épigraphe de son premier roman, Ragazzi di vita, dont le dernier chapitre est également intitulé La Commare secca. Bertolucci dit à ce propos à Jean Gili (in Le Cinéma italien, 10 / 18, 1978) : «Mon film est également un film sur la mort la "commare secca" veut dire la mort en dialecte romain – cependant, ici, elle était vue de manière plus lyrique, plus crépuscuaire, que chez Pasolini. Le sens de la sacralité de Pier Paolo me manquait et me manque. L'odeur de la mort était davantage donnée dans La Commare secca par la manière dont j'avais structuré le film, un film entièrement construit sur le temps qui passe et qui consume tout, et cela ne se voit pas. L'idée, c'est un peu la fameuse phrase de Cocteau : "Le cinéma, c'est saisir la mort au travail." (...) Je voulais vraiment raconter comment le temps agit : quelque chose de tout à fait semblable  à la mort qui travaille, c'est à dire le temps qui passe et la mort à l’œuvre. L'orage unifiait le tout, rappelait la mort, et la pluie lavait cette convention de la mort : à vingt et un ans, d'ailleurs, je me croyais immortel.»






Images : (3) Blog Only the Cinema