"Voca, voca me..."
Mai 1952
Il peut sembler étrange que Cardarelli ait choisi la via Veneto pour y vivre ses dernières années. S'il y a une rue qui n'aurait jamais dû lui plaire, c'est bien celle-là. Dans les premiers temps de notre amitié, il ne sortait jamais du Corso, des rues de la piazza del Popolo, des trattorias de la via del Gambero. Sa destination la plus audacieuse, le soir, était Tito Magri, un marchand de vins toscan de la via Capo le case, et maintenant le voilà via Veneto, et même dans sa partie supérieure, près de la porte Pinciana, au milieu de la foule des grands hôtels, des coups de sifflets des portiers qui appellent les taxis, des figurants de cinéma qui se font pousser la barbe parce qu'ils jouent dans Quo vadis ? Aujourd'hui, il prenait le soleil et avait l'air de tout approuver, comme le vieil émigrant qui a gagné de l'argent puis est revenu dans son village. En réalité, de l'argent, il en a tout juste pour se payer une pension dans cette rue, et un infirmier. Mais il a la certitude de se sentir riche. Quant à son amour pour son véritable village, il l'a fait passer tout entier dans ses livres et il doit lui en rester bien peu. Il sait que c'est sa dernière étape.
Ennio Flaiano La solitude du satyre, Editions du Promeneur, 1996 (Traduction : Brigitte Pérol)
Alla morte
Morire sì,
non essere aggrediti dalla morte.
Morire persuasi
che un siffatto viaggio sia il migliore.
E in quell'ultimo istante essere allegri
come quando si contano i minuti
dell'orologio della stazione
e ognuno vale un secolo.
Poi che la morte è la sposa fedele
che subentra all'amante traditrice,
non vogliamo riceverla da intrusa,
né fuggire con lei.
Troppo volte partimmo
senza commiato !
Sul punto di varcare
in un attimo il tempo,
quando pur la memoria
di noi s'involerà,
lasciaci, o Morte, dire al mondo addio,
concedici ancora un indugio.
L'immane passo non sia
precipitoso.
Al pensier della morte repentina
il sangue mi si gela.
Morte non mi ghermire
ma da lontano annùnciati
e da amica mi prendi
come l'estrema delle mie abitudini.
Vincenzo Cardarelli Opere Ed. Mondadori, I Meridiani
À la mort
Mourir, oui,
mais ne pas être agressés par la mort.
Mourir en étant persuadés
qu'il n'y a pas de plus beau voyage.
Et en cet ultime instant être joyeux
comme quand on compte les minutes
à l'horloge de la gare
et que chacune dure un siècle.
Puisque la mort est l'épouse fidèle
qui succède à l'amante volage,
ne la recevons pas comme une intruse,
ne fuyons pas avec elle.
Trop de fois nous sommes partis
sans prendre congé !
Au moment de dépasser
en un instant les limites du temps,
tandis que même la mémoirede ce que nous avons été s'effacera,
permets-nous, ô Mort, de dire adieu au monde,
accorde-nous encore un délai.
Que l'immense pas
ne soit pas précipité.
À la pensée d'une mort soudaine,
mon sang se glace.
Mort, ne viens pas me saisir
mais de loin, fais-moi signe
et emporte-moi comme une amie,
comme la dernière de mes habitudes.
Images : en haut, Site Flickr
au centre et en bas, merci à Patrick Raymond pour ses photos de la Via Veneto (Site Flickr)