L'imagination compte au nombre des facultés primordiales en usage dans la promenade. Existe-t-il en effet une sensation plus exaltante que de se laisser ensorceler par les airs, au sommet d'une montagne, les yeux fermés, en rêvant que nous sommes propulsés à l'ère secondaire, tandis qu'au-dessus de nous volent de hideuses bestioles ?
L'ivresse qui naît de la fréquentation de la nature nous hisse hors de l'histoire ; grâce à ce paradis artificiel nous quittons quelques instants, ou quelques heures, le monde contemporain enlaidi de technique, pour ravir des bribes d'éternité. À qui sait le pressentir, la promenade mène à un Eden perdu dans lequel se mêlent, sans que l'on sache exactement pourquoi, la paix et l'effroi.
Rien ne ressemble autant à la liberté que la désertion promise par les chemins. Le vieux procédé qui consiste à s'échapper pour mieux se retrouver hors des contingences, tout près de l'unique nécessaire, me semble si efficace ! Je l'expérimente chaque fois que je prends ma voiture pour le cheval d'Angelo Pardi et que je file n'importe où, fenêtres ouvertes, dans l'air vif du matin. Il ne me reste qu'à fumer de petits cigares et la magie opère : je ne vois que l'émeraude des prés et l'ocre des bois ; je traverse un paysage intemporel, emporté mieux que sur un tapis d'Orient, léger, pur esprit dans l'azur des collines, enivré de la grâce qui pleut comme une onde sur celui qui ne l'a pas méritée. Havre, asile, refuge, abri protecteur et consolateur, je ne me gausse pas des conceptions romantiques qui s'insinuent si bien, près de deux siècles après leur profération, dans les replis cachés de mon âme.
Rémi Villedecaze De la promenade Editions du Bon Albert, 1997
Images : (1) et (2) Le Hussard sur le toit, film de Jean-Paul Rappeneau, d'après le roman de Jean Giono