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dimanche 3 juin 2018

Mattino d'estate a Bologna




Perché questo pianto improvviso
nel chiaro mattino ?
Mi son seduto ai piedi della Garisenda
a fumar la mia pipa.
Son entrato in San Bartolomeo
per rivedere il bell'Angelo dell'Albani
di cui mi parlava fanciullo mia madre.
Profumo d'incenso,
ombre dorate, figure curve.
Poi ho cercato un angolo morto
per piangere in pace,
una quercia, un angiporto,
un vicolo scuro.
Perché questo pianto dirotto
nel chiaro mattino ?

Filippo De Pisis  Poesie, Garzanti ed.


Matin d'été à Bologne


Pourquoi ces larmes soudaines
dans le matin clair ?
Je me suis assis au pied de la Garisenda
pour y fumer ma pipe.
Je suis entré à San Bartolomeo
pour revoir le bel Ange de l'Albane
dont me parlait ma mère lorsque j'étais enfant.
Odeur d'encens,
ombres dorées, silhouettes voûtées.
Puis j'ai cherché un endroit retiré
pour pleurer en paix,
un chêne, une impasse,
une ruelle sombre.
Mais pourquoi ces torrents de larmes
dans le matin clair ?

(Traduction personnelle)








Images : en haut, Francesco Albani (1578-1660) Annunciazione

en bas, Site Flickr



lundi 6 juin 2016

La Torre di Vicenza (La Tour de Vicence)



Per Vincenzo





[1939] À Vicence, De Pisis loge au vieil hôtel Cavalletto, où il invite son ami Raimondi à le rejoindre, «à deux pas de l'admirable Basilique de Palladio». Il prend ses repas dans les trattorie voisines de la Piazza delle Erbe, profitant de la douceur retrouvée d'une province joyeuse et volubile. Quand il est à table, son regard est toujours aussi mobile, mais les choses qui l'enchantent restent les mêmes. Sur une table à moitié blanche et à moitié verte, il y a un vase en verre avec quelques fleurs fanées. Un œillet rouge vif à la longue tige vibre dans l'air comme s'il était saisi d'un tic nerveux, un bouquet d'asters blancs, comme de petites étoiles venues d'un monde irréel... Le maestro pense aux traits qu'il aurait pu esquisser sur une feuille blanche pour fixer un peu – «oh, rien qu'un tout petit peu, je le savais bien!» – de la grâce, de la mélancolie de ces fleurs.

Nico Naldini  De Pisis, vita solitaria di un poeta pittore, Ed. Einaudi, 1991 (Traduction personnelle)



La Torre di Vicenza

In un ora di dubbio
e tèdio amaro
mi sei comparsa in un ciel clemente
rossa, rosea torre
leggera consolatrice,
miracoloso equilibrio !
e il cuor mi ha detto :
«Vedi questo bel cumulo di pietre
ha sfidato bufere
e tu le fiere lotte vincerai».
Anche la mia vita
contro la perfidia umana
ha bisogno d'incanto
e come su un precipizio io cammino.
Bella, pura, leggera
rossa, rosea torre,
tu mi sorridi da cieli sognati
e il cuor ti manda un saluto
tra lacrime e canto.

Filippo De Pisis  Poesie, Ed. Garzanti 



 



La Tour de Vicence

Dans un moment de doute
et d'ennui amer
tu m'es apparue dans un ciel clément
rouge, rose tour
légère consolatrice,
miraculeux équilibre !
et mon cœur m'a dit :
«Regarde ce bel ensemble de pierres
il a bravé les tempêtes
et toi, dans les terribles combats, tu vaincras».
Ma vie aussi
contre la perfidie des hommes
a besoin d'enchantement
et comme au bord d'un précipice, j’avance.
Belle, pure, légère
rouge, rose tour,
tu me souris du haut de ciels rêvés
et mon cœur te salue
entre les larmes et le chant.

(Traduction personnelle)



 




Images : en haut et au centre, Andra Moclinda-Bucuta (Site Flickr)

en bas : Site Flickr

vendredi 21 février 2014

Preghiera (Prière)




«I poveri, i tribolati, gli oppressi !»
 Sull'alba grigia mi tornano
queste parole di una preghiera
che aveva composto per noi mio padre
e recitavamo fanciulli la sera.
Il dolore non aveva toccato il mio cuore
e forse non ha ancora davvero.
Ecco un brivido mi trapassa
e mi pare di pregare per me stesso
di un giorno.
«I poveri, i tribolati, gli oppressi,
e la conversione dei poveri peccatori».

Oh, padre, per me
per me solo pregava
quel vispo fanciullo
a mani giunte.

Filippo De Pisis   Poesie Garzanti Ed.


Prière


«Les pauvres, les malheureux, les opprimés !»

À l'aube grise me reviennent
ces mots d'une prière
que notre père avait composée pour nous
et que le soir enfants nous récitions.
Mon cœur ne connaissait pas la douleur
et peut-être ne la connait-il pas encore vraiment.
Voilà qu'un frisson me parcourt
et il me semble que je prie pour celui que
je serai un jour.
«Les pauvres, les malheureux, les opprimés,
et la conversion des pauvres pécheurs».

Oh, mon père, c'est pour moi
pour moi seul que priait
cet enfant espiègle
aux mains jointes.

(Traduction personnelle)







Images : en haut, Bruno (Site Flickr)

en bas, Site Flickr

mercredi 17 octobre 2012

Allegro




Je cite ici un autre extrait de l'ouvrage de Giovanni Comisso Mio sodalizio con De Pisis (Mon amitié avec De Pisis). Il y est question de l'un de mes tableaux favoris, Portrait d'Allegro :

Quando fu di ritorno a Milano andai a trovarlo. Abitava sempre all'albergo Vittoria e mi fece vedere un grande quadro fatto a Rimini, il ritratto di Allegro, un ragazzo dagli occhi verdi che aveva conosciuto sulla spiaggia. Era con me Massimo Bontempelli e al vederlo disse che quel quadro apparteneva a un nuovo classicismo. Io pure ne fui estremamente colpito, De Pisis aveva scritto con il pennello sullo sfondo, giocando sul nome del ragazzo : Allegri non allegro, una volta tanto giocandosi con orgoglio, nel raffrontarlo a un Correggio. Mentre tante altre volte con umiltà scriveva, quando vi era qualche lontano avvicinamento : «Omaggio a Tosi» o ad altri suoi pittori amici. Lo comperai subito ed egli mi pregò di lasciarglielo per una sua mostra che si doveva fare nella Galleria Barbaroux. 

L'Allegro è uno dei quadri più singolari di De Pisis, è un ritratto di un ragazzo, a mezzo busto nudo, abbronzato e arrossato dal sole estivo di Rimini ed à per sfondo la parete dello studio cinerea con un altro quadro di De Pisis appeso. Mentre lo sfondo è pacato e unitario, il ritratto è brusco e composto di macchie di rosso sul cartone bruno lasciato scoperto. Chi lo vede per la prima volta non riesce a fondere i colori di questo corpo estivo e li considera quasi urtanti. Ma come per gli altri quadri, anche per questo, dopo che sia diventato familiare, lo si accetta armonioso e come una nostra conquista, come una decifrazione nostra di un linguaggio nuovo. Dopo qualche tempo che lo ebbi nella mia casa, indotto il mio sguardo a cercare di adattarsi a quel contrasto tra il rosso e il bruno, che è forte specie nel volto, mi avvenne di vedere, in Venezia, uno di quei ragazzi friulani che dal loro paese montano vi scendono a fare i salumai. Nel suo volto vi era naturale lo stesso contrasto, tra il rosso acceso della guancia e il bianco femmineo dall'orecchio al colle. Era un rosso di sangue giovanissimo purissimo, e un bianco materno e latteo. Da quell'incontro venne come assolto l'iniziale urtante contrasto dei due colori nel quadro di De Pisis e il mio sguardo si era educato, non adattato. Anche questa esperienza mi confermava il valore della sua pittura. Essa non dà tutto per risolto, per dimostrato, per attuato fino alla stanchezza, alla sazietà, alla noia, ma costringe chi possiede un quadro di De Pisis a una elaborazione, a una lettura continua e progressiva, in modo da legarlo con una partecipazione che lo conferma in essa. È questa l'essenza suprema dell'opera d'arte in genere. Ed è per questo che chi à un De Pisis difficilmente se ne separa, staccarsi è come mutilare se stesso.

Giovanni Comisso Mio sodalizio con De Pisis Ed. Neri Pozza, 2010


Quand il revint à Milan, je lui rendis visite. Il se trouvait toujours à l'hôtel Vittoria et il me montra un grand tableau qu'il avait fait à Rimini, le portrait d'Allegro, un garçon aux yeux verts qu'il avait rencontré sur la plage. Massimo Bontempelli m'accompagnait, et en découvrant ce tableau, il dit qu'il relevait d'une nouvelle approche du classicisme. Il me fit aussi une très forte impression ; De Pisis avait écrit au pinceau sur le fond, en jouant sur le nom du garçon, Allegri non allegro (Allegri pas allègre), n'hésitant pas pour une fois à faire preuve d'un certain orgueil, en faisant un rapprochement avec Le Corrège. Alors que tant d'autres fois, il avait écrit avec humilité, quand l'une de ses toiles rappelait vaguement la manière d'un autre artiste : «Hommage à Tosi», ou à d'autres amis peintres. J'achetai aussitôt ce tableau, et De Pisis me pria de le lui laisser pour une exposition qui devait avoir lieu à la Galerie Barbaroux.

L'Allegro est un des tableaux les plus singuliers de De Pisis, c'est le portrait d'un garçon, torse nu, bronzé et rougi par le soleil estival de Rimini ; le fond représente le mur cendreux de l'atelier, où est suspendu un autre tableau de De Pisis. Alors que le fond est paisible et uni, le portrait est brusque et composé de taches rouges sur le carton brun laissé à découvert. Quand on le découvre pour la première fois, on a du mal à percevoir la fusion de toutes les couleurs de ce corps estival, et on les trouve même presque dissonantes. Mais quand il nous est devenu familier, ce tableau, comme tous les autres, se révèle harmonieux, comme si notre regard l'avait conquis, par le déchiffrement d'un nouveau langage. Je l'installai chez moi, et après quelques jours, ayant cherché à adapter mon regard à ce contraste entre le rouge et le brun, particulièrement marqué sur le visage, il m'arriva de rencontrer à Venise l'un de ces garçons frioulans descendus de leur village de montagne pour travailler comme charcutiers. Sur son visage, il y avait au naturel ce même contraste, entre le rouge vif de la joue et le blanc féminin depuis l'oreille jusqu'au cou. C'était le rouge du sang très pur d'un très jeune homme, et un blanc maternel et laiteux. Cette rencontre effaça aussitôt ma première impression d'une dissonance entre les deux couleurs dans le tableau de De Pisis ; mon regard s'était éduqué, et non pas adapté. Cette expérience fut également pour moi une confirmation supplémentaire de la valeur de sa peinture. Celle-ci ne se donne pas comme un ensemble résolu, démontré, accompli jusqu'à la lassitude, la satiété, l'ennui ; au contraire, elle oblige celui qui possède un tableau de De Pisis à un travail d'élaboration, à une lecture continue et progressive qui finit par créer un lien indissoluble avec une œuvre devenue partie de lui-même. Et c'est bien cela, l'essence suprême de toute œuvre d'art. C'est la raison pour laquelle le possesseur d'un tableau de De Pisis a beaucoup de mal à s'en séparer ; s'en détacher, c'est comme se mutiler soi-même.

(Traduction personnelle)









Images : en haut, Filippo De Pisis Ritratto di Allegro, 1940

en bas, merci à Jacques, auteur du blog Rimini a giorni dispari




jeudi 13 septembre 2012

Les vagues brisées



"Amavo sopratutto la luce i colori 
i fiori e lo slancio 
e i palpiti e il canto.
Amo molto ora 
anche l'ombra 
(l'ombre lunghe e preziose della sera) 
il grigio delicato e i rami secchi. 
E le cose lungamente pensate 
e non dette 
e il non sapere 
e il ristare. 
E il silenzio leggero, 
il dolce silenzio 
che alla morte somiglia." 

Filippo De Pisis Vecchiaia






Les dernières années de la vie de Filippo De Pisis ont été particulièrement tristes. Souffrant de troubles maniaco-dépressifs, il n'a plus guère quitté sa chambre de la clinique neurologique de Brugherio, près de Milan. Giovanni Comisso raconte ici sa toute dernière visite au peintre, en décembre 1952 :


Je lui rendis à nouveau visite. On m'avait dit de faire semblant d'être malade, de porter une écharpe autour du cou comme si j'étais souffrant, de lui dire que tous nos vieux amis étaient aussi en mauvaise santé ; l'idée de n'être pas le seul à souffrir lui aurait peut-être apporté un peu de réconfort. Mais quand je me retrouvai dans sa chambre lugubre, il ne me sembla plus nécessaire de jouer cette comédie. Il n'avait rien perdu de son génie de la conversation, sa mémoire et son ironie étaient intactes. Il se souvint que Panzini, dont il avait été l'ami, était allé habiter à Bellaria, dans une maison proche de la voie ferrée, constamment secouée par le passage des trains, pour la seule raison qu'il s'y trouvait autrefois une auberge dans laquelle Garibaldi avait séjourné. Il exerça son ironie sur De Chirico, en évoquant leur première rencontre à Ferrare. «C'était au moment, dit-il, où De Chirico avait commencé à apprendre à dessiner de manière convenable.» Il me dit qu'il s'était remis à lire Les Fiancés [I Promessi sposi] et «bien que fort mal écrit, c'était tout de même un très beau livre.» 

Il était assis, se tenant bien droit, les épaules maigres, le visage ceusé, les yeux mi-clos, on avait l'impression qu'il avait soixante-dix ans [nous sommes alors en 1952, De Pisis a cinquante-six ans]. Cette chambre ne ressemblait pas à ses ateliers d'autrefois, remplis de toiles retournées au pied des murs. Il alla chercher au-dessus d'une armoire l'un de ses derniers tableaux, comme s'il s'agissait d'un objet hors d'usage que l'on aurait entreposé là, et il me dit : «Que veux-tu, il n'y a pas de lumière dans cette chambre, et je je suis obligé de faire des tableaux en noir et blanc. Ici, je ne peux plus voir les couleurs.» Je m'aperçus que ses mains ne tremblaient plus, comme dans les récentes années de sa maladie ; elles étaient à nouveau calmes, potelées, et d'une douce blancheur, comme revêtues d'un duvet d'oiseau. Il prenait grand soin de ses mains, et il aimait les mettre en valeur en arborant des bagues très voyantes. Maintenant, il n'en portait plus qu'une seule, en argent. Je lui dis que j'étais heureux de retrouver ses mains d'autrefois, mais je m'étonnai de ne plus y voir ses fameuses bagues. Je lui demandai ce qu'était devenue sa bague ornée d'une pierre sur laquelle était gravé un petit nu, qu'il appelait Le berger d'Arcadie et qu'il utilisait comme sceau au dos des enveloppes de ses lettres. Il ne me répondit pas, mais me parla plutôt de l'un de ses tableaux qui portait le même titre, et qu'il avait peint à Paris ; il aurait bien aimé savoir ce qu'il était devenu. Il avait la sensation de vivre uniquement dans ses œuvres, et cela me réconforta. 

Au moment de nous séparer, il regarda les murs nus de sa chambre, et la tapisserie aux fleurs délavées, comme celle que l'on retrouve dans les hôtels les plus modestes. Lui qui dans tant de demeures, presque partout dans le monde, procurait la joie de poser le regard sur ses tableaux, et d'oublier ainsi les désagréments de la vie, c'est dans ce triste décor qu'il devait passer le restant de ses jours. Et il semblait considérer sa chambre de reclus comme l'une des nombreuses bizarreries qui avaient accompagné sa vie aventureuse. Il n'avait aucun désir de sortir de cette clinique, de retourner dans sa demeure vénitienne, de pouvoir guérir et de reprendre le cours de sa vie fatale et sublime d'autrefois ; en fait, il avait fini par se complaire dans cet enfermement, comme quelqu'un qui, empêtré dans les rouages d'un implacable engrenage judiciaire, passe d'un procès à l'autre, d'une prison à l'autre, certain désormais de ne plus jamais retrouver la liberté. Cela semble impossible, mais rien dans le monde n'est plus prêt que l'âme humaine à s'adapter à un mode de vie totalement opposé à celui qu'elle a précédemment suivi, et cela vaut aussi pour les esprits les plus irréductibles et les plus rebelles.  Il s'aperçut que je pleurais, je pleurais déjà sur sa mort et sur la fin de notre amitié, mais il se montra plus fort que moi en me reprochant cette faiblesse inutile. Au moment de prendre congé, il m'accompagna jusqu'aux escaliers et, dans le couloir, nos pas s'accordaient comme lorsque nous arpentions, sûrs de nous et heureux, les rues de Paris et de Cortina ; on aurait pu croire à ce moment-là qu'il s'apprêtait à sortir avec moi pour retourner à notre vie merveilleuse. Il me dit alors, comme s'il se séparait de moi : «Reviens vite.» Et il était passé pour toujours de l'autre côté du mur.

Je descendais tristement les marches et, comme une soudaine révélation, je songeais que nous n'étions que des vagues magnifiques, toujours sur le point de se briser et de s'écrouler sur le rivage.

Giovanni Comisso Mio sodalizio con De Pisis Ed. Neri Pozza, 2010 (Traduction personnelle)






Images : en haut, Filippo De Pisis San Sebastiano, 1947 

en bas, Filippo De Pisis Natura morta marina, 1929



samedi 12 novembre 2011

Alba (Aube)





Il cielo ecco appena si colora
di rosa,
a un piccolo frastuono
e s'aprono su in alto
nel muro di grigio prezioso
due piccole imposte
scolorite dalla pioggia e dal tempo.
Ho visto un braccio
rosa fiorente
e la dolcezza della vita
non è ancora sciupata.
Un passo lento
lungo il canale lento
un fruscio
nell'acqua verde
e l'antico desiderio ardente
di partire, di morire.

Filippo De Pisis Poesie Ed. Garzanti, 2003

Voilà, le ciel se colore à peine 
de rose,
un bref vacarme
et s'ouvrent tout en haut
dans le mur d'un gris précieux
deux petits volets
décolorés par la pluie et le temps.
J'ai vu un bras
d'un rose pimpant
et la douceur de la vie
n'est pas encore gâchée.
Un pas lent
le long du lent canal
un bruissement
dans l'eau verte
et l'ancien désir ardent
de partir, de mourir.

(Traduction personnelle)










Images : en haut, Site Flickr

en bas, pour les trois photographies : Site Flickr

mercredi 19 octobre 2011

Peindre Venise




L'Italie était encore sens dessus dessous et il n'était pas aisé de se déplacer ; d'ailleurs, tout le monde venait à Venise où De Pisis avait sa maison, son atelier et sa gondole. Pendant toute cette année [1946], il ne bougea pas, continuant à peindre sans arrêt. C'était un plaisir de le voir travailler. Pour lui, à Venise, tout était magnifique, il n'était pas nécessaire de choisir les points de vue habituels. Il reconstruisait Venise selon sa propre inspiration poétique.

Il sortait vers dix heures du matin, suivi de Bruno qui portait le chevalet, la toile, la boîte de couleurs et les pinceaux. Il s'arrêtait à l'improviste, pour une raison qui n'avait parfois rien à voir avec la beauté du lieu à peindre, presque toujours parce que, dans une boutique voisine, il avait aperçu un beau garçon qui manifestait une certaine curiosité ; il plantait là son chevalet et, fixant son regard comme un chasseur qui guette sa proie, il commençait par tracer sommairement en noir les limites du paysage. Ensuite, il prêtait une attention extrême aux couleurs du paysage et au choix de celles qu'il disposait sur sa palette. Pendant ce temps-là, autour de lui, se réunissaient les enfants, puis les jeunes gens du quartier ; il percevait la chaleur de ces observateurs étonnés, il écoutait leurs commentaires, s'ils osaient en faire, parfois même il s'adressait à l'un deux pour lui demander si le tableau lui semblait réussi. Rien n'échappait à son regard : un linge rouge sur un étendage, une fleur à une fenêtre, un morceau de papier bleu jeté par terre ; à la fin, il égalisait par de larges touches la composition du dallage et la splendeur du ciel d'été.

Il reculait de quelques pas, observait en fronçant les yeux, se retournait brusquement vers l'assistance, comme pour capter dans les regards leur impression sur l’œuvre, ou simplement pour voir s'il connaissait quelqu'un ; il ajoutait ensuite quelques coups de pinceau, puis apposait aussitôt sa signature, en la faisant précéder du sigle S.B. (San Barnaba). C'est moi qui lui avait suggéré d'indiquer sur chacun de ses tableaux, en plus de la date, l'adresse de l'atelier où il avait été réalisé. Il avait commencé à Milan avec le sigle V.R. (via Rogabella) ; je lui avais dit qu'en relation avec chaque atelier, se créait simultanément une nouvelle période de sa carrière. Quand il occupait un nouvel atelier, ou lorsqu'il s'installait dans un nouveau pays, on avait l'impression que son immense volonté de s'imposer le conduisait à adopter une nouvelle manière. 

Quand il avait achevé son tableau, il ne se livrait pas comme les autres peintres à un nettoyage minutieux de ses pinceaux, il les entassait tous pêle-mêle dans la boîte de couleurs et presque toujours se présentait l'un des nombreux admirateurs de sa peinture qui lui achetait sur le champ l’œuvre à peine terminée.

Giovanni Comisso Mio sodalizio con De Pisis Ed. Neri Pozza, 2010 (Traduction personnelle)









Images : de haut en bas, Filippo De Pisis Venezia, Palazzo Ducale, 1947

Venezia, Chiesa delle Salute, 1947

Venezia, 1946



vendredi 14 octobre 2011

Pesci marci (Poissons pourris)





Dans un très beau petit livre, Mio sodalizio con De Pisis, l'écrivain Giovanni Comisso raconte la trentaine d'années (de 1919 à 1952) de son amitié avec le peintre ferrarais Filippo De Pisis, au fil de leurs fréquentes rencontres à Rome, Paris, Milan ou Venise. L'ouvrage n'a jamais été traduit en français ; il faut dire que la notoriété de De Pisis est beaucoup moins affirmée en France qu'en Italie, où un musée lui a été consacré à Ferrare, sa ville natale. Comisso évoque de façon vivante, à travers de nombreuses anecdotes, les multiples facettes d'un artiste fantasque et excentrique qu'il considère d'abord comme un très grand peintre, n'accordant que peu d'importance aux activités littéraires et poétiques de De Pisis, lesquelles sont pourtant loin d’être négligeables (on peut lire sur ce blog plusieurs de ses poèmes en suivant le libellé "De Pisis"). Tous ces souvenirs sont passionnants, mais les passages les plus précieux de l'ouvrage sont ceux où Comisso, en témoin privilégié, raconte la genèse et la réalisation de quelques unes des plus belles œuvres du peintre, comme ici le tableau I pesci marci (Les poissons pourris):

Quando lo raggiunsi a Parigi nel novembre del 1927 era passato provvisorio da place Saint Sulpice all'Hôtel de Verneuil, in rue de Verneuil.

 Una sera, presi dalla nostalgia per l'Italia, De Pisis propose di andare dalle parti del Temple, a vedere rue de Venise. È una stretta e semibuia straducola, dove in rapporto al nome si erano insediati alcuni pescivendoli, interposti a maisons de passe, dalle quali, nell'ora tarda, vedemmo uscire certe donne stanche, impacciate nel camminare, dopo essere state tutta la giornata a lavorarvi in amore. Le botteghe dei pescivendoli erano chiuse, ma l'odore marino della mercanzia racchiusa gravava nell'aria. La straducola tra gli odori di putrefazione e le luci bieche di qualche fanale a gas inebriava De Pisis in furente attesa di qualche apparizione eccezionale. Guardava dovunque come un cacciatore in una selva che fiuti la preda e di un tratto gridando : «Mirabile ! Mirabile !» lo vidi chinarsi su di un mucchio di immondizie e raccogliere tre grandi merluzzi marci gettati via dai pescivendoli. Li mise con cura tra le pagine di un Paris-Soir, steso per terra e rimase a guardarli sebbene puzzassero nauseanti. In quei pochi istanti gli si era già impresso il quadro. Ne fece un cartoccio che tenne tra le sue braccia come fosse di fiori e subito volle ritornare all'albergo, in rue de Verneuil, per fare quel quadro. La gioia gli sfavillava  nello sguardo, come se quei pesci li avesse appena tratti dal mare per una pesca miracolosa e si promettesse di mangiarli. Lo lasciai alla porta del suo albergo augurandogli con la buona notte di fare un  bel quadro.

La mattina dopo andai da lui : il quadro era già compiuto. Nella notte aveva messo quei pesci, così com'erano tra le pagine del Paris-Soir, sul davanzale, con la finestra aperta che rivelava il riverbero rosa e cinereo dell'illuminazione parigina. Stimolato dal puzzo e dall'orrido di quelle polpe in disfacimento aveva lavorato rapido e poi, a quadro finito, aveva buttato quei pesci giù sulla strada. Fu uno dei suoi quadri che presagiva le sue più originali possibilità future e lo volli comperare. In quel quadro non vi erano più inutili inceppi letterari o tutte quelle "metafisicherie" alle quali aveva ceduto per emulare De Chirico e Carrà, volendo inserirsi nella loro maniera e nella loro fama, con il puntiglio di averli precorsi. In quel quadro vi era De Pisis, nitido e potente nel dare alla pittura una nuova parola.

Giovanni Comisso Mio sodalizio con De Pisis, Ed. Neri Pozza, 2010



Quand je le rejoignis à Paris au mois de novembre 1927, il avait quitté la place Saint Sulpice pour s'installer dans un hôtel de la rue de Verneuil.

Un soir, alors que nous étions saisis par la nostalgie de l'Italie, De Pisis proposa d'aller du côté du Temple, pour voir la rue de Venise. C'est une petite rue sombre et étroite, où, sans doute à cause de son nom, s'étaient installés quelques marchands de poissons, à côté de maisons de passe, d'où, tard dans la nuit, nous vîmes sortir des femmes fatiguées, au pas lourd, après toute une journée passée à se livrer au commerce de l'amour. Les boutiques des poissonniers étaient fermées, mais l'odeur marine de toute la marchandise qu'elles contenaient persistait dans l'air. La petite rue, avec les odeurs de putréfaction et les lumières sinistres des rares becs de gaz, enivrait De Pisis, suspendu dans l'attente de quelque apparition extraordinaire. Il regardait partout, comme un chasseur à l'affût dans une forêt. Soudain, il s'exclama : «Admirable ! Admirable !», et je le vis se pencher sur un tas d'ordures pour en extraire trois cabillauds pourris, jetés là par les poissonniers. Il les déposa avec soin entre les pages d'un Paris-Soir trouvé par terre, et il les observa longuement, malgré la puanteur écœurante qui s'en dégageait. En ces quelques instants, il avait déjà décidé dans son esprit de la composition de son tableau. Il empaqueta le tout en le tenant délicatement comme s'il s'agissait d'un bouquet de fleurs, et il voulut aussitôt retourner à l'hôtel, rue de Verneuil, pour se mettre à l’œuvre. Ses yeux brillaient de joie, comme si, à la suite d'une pêche miraculeuse, il venait à peine d'extraire ces poissons de la mer, et qu'il avait hâte de les déguster. Je le quittai devant son hôtel en lui souhaitant de passer une bonne nuit et de réaliser un beau tableau.

Le lendemain matin, j'allai le retrouver : le tableau était déjà achevé. Pendant la nuit, il avait déposé ces poissons, enveloppés dans les pages de Paris-Soir, sur le rebord de la fenêtre ouverte, dans les reflets roses et cendrés de l'éclairage parisien. Stimulé par cette puanteur et par l'effroi de cette chair en décomposition, il avait travaillé rapidement ; puis, le tableau achevé, avait jeté ces poissons dans la rue. Ce tableau laissait déjà présager la future grande originalité de sa peinture et je voulus l'acheter. Il n'y avait plus dans cette œuvre aucune entrave rhétorique, ni aucune de ces prétentions métaphysiques auxquelles De Pisis avait parfois cédé pour rivaliser avec De Chirico et Carrà, cherchant à se rapprocher de leur manière et de leur notoriété, obstiné dans sa certitude d'avoir été leur précurseur. Dans ce tableau, il y avait De Pisis, précis et décidé dans sa volonté d'ouvrir une nouvelle voie à la peinture.

(Traduction personnelle)







Images : en haut, Filippo De Pisis I pesci marci, 1927

en bas, Paris, rue de Venise (Site Flickr)

mercredi 19 mai 2010

Un castello nel Gers (Un château dans le Gers)


Dans sa biographie de Filippo De Pisis, Nico Naldini consacre un chapitre à un épisode peu connu de la vie de l’artiste : ses séjours au château d’Argentens (Gers), dans les années trente. Cet épisode avait aussi intrigué Renaud Camus, qui en parle dans son journal 2001, Sommeil de personne (Fayard, 2004) :

«Dimanche 29 juillet, neuf heures du soir. Hier soir, à Argentens, chez les Pébereau, après dîner, dans la bibliothèque, j’ai pu feuilleter le catalogue de cette exposition De Pisis que Pierre et moi avions vue à Ferrare, il y a deux ans, au rez-de-chaussée du musée Boldini. Nous étions dans une telle dèche, au cours de ce voyage d’été en Italie, que je n’avais pas pu faire l’acquisition de ce très utile mémento. J’y aurais pourtant découvert une photo de l’artiste posant, vers 1932 ou 33, dans la cour même du château d’Argentens, devant les communs.

Le catalogue reproduit une lettre de son frère, adressée à je ne sais qui. Il explique qu’il avait, lui, le frère, acheté le domaine. Il en parle d’ailleurs comme d’une propriété exclusivement agricole, il mentionne essentiellement la ferme, et très marginalement il ajoute qu’il y a aussi un château, auquel il n’a pas l’air d’accorder grande importance. Il dit encore qu’il avait parlé de cet endroit à son frère, le peintre, que celui-ci n’avait pas paru s’y intéresser beaucoup, mais que peu de temps après il s’y était rendu, et qu’il y avait fait plusieurs séjours.

Il y a là quelque chose d’étrange. Certes il y avait entre les deux guerres, et même avant la première, un fort courant d’émigration italienne vers la Gascogne, mais c’était une émigration de la pauvreté, je crois – elle ne consistait pas en l’achat de grands domaines et de châteaux. Pourtant M. Capéran mon voisin m’a parlé une ou deux fois d’Italiens "fascistes", d’après lui, qui s’étaient installés à peu près à la même époque dans une assez belle maison proche de Castet-Arrouy. Pourquoi des Italiens "fascistes" quittaient-ils l’Italie pour s’établir en France aux belles années du fascisme ? Était-ce pour recruter pour le régime parmi les très nombreux Italiens de la région ? Était-ce au contraire pour les surveiller ? Ou l’un et l’autre ?

Ce ne sont là de ma part que des suppositions romanesques. Et je ne sais rien non plus de ce qui a pu pousser la famille De Pisis, dont les penchants politiques me sont inconnus, à faire de gros investissements agricoles dans le département du Gers, il y a soixante-dix ans de cela. Mais cette histoire me séduit autant qu’elle m’intrigue. Je trouve qu’elle ajoute beaucoup au charme d’Argentens – beaucoup aussi à l’attrait de De Pisis.» (pages 392-393)

Il ne semble pas que dans le cas de De Pisis, la piste politique soit la bonne ; il ne s’est jamais senti très concerné par le fascisme, dont il a pourtant failli être victime en 1943, quand sa vie privée agitée et son homosexualité lui ont presque valu une mesure de confinement. Il y a finalement échappé en quittant Milan pour Portofino, et en bénéficiant de l’appui de l’un de ses camarades d’école devenu une personnalité influente du régime fasciste. Concernant le château d’Argentens, Naldini note que Pietro, l’un des trois frères de De Pisis, l’a acheté en 1933, «sur les conseils de Filippo». Il en parle comme d’une «propriété agricole de cent hectares, dans le département du Gers, en Gascogne, à Fleurance. Au centre de la propriété, un château du dix-huitième siècle, que le général Lannes, duc de Montebello, avait fait construire.»

Naldini raconte le séjour qu’y fit De Pisis à l’été 1934 : « Les gens du pays appréciaient ce petit marquis italien venu de Paris, chaussé de sabots de bois, vêtu de chemises colorées et de pantalons de coton blanc, et coiffé d’un grand chapeau de paille.» Il cite également deux lettres envoyées par De Pisis pendant ce séjour gersois. L’une est adressée à son ami Giuseppe Raimondi : «J’ai passé un mois dans une quasi-solitude et c’est avec grand plaisir que je te montrerai les tableaux que j’ai peints ici. Je crois que ma peinture s’est raffinée, dans sa qualité sinon dans son esprit (mais, de grâce, ne nous étendons pas sur ce sujet...)» La seconde lettre (datée du 17 juillet 1934, «un pomeriggio ardente», «un après-midi torride») est adressée à un autre complice et ami, l’écrivain Giovanni Comisso : «Ici, la campagne est belle et j’ai peint avec beaucoup de joie quelques petites choses. Toutefois, dans l’ensemble, c’est un séjour calme. (...) Comme je serais heureux de parler avec toi de certains délicieux mystères de la réalité : il y a ici une horloge dorée Second Empire avec la Madonne de la Chaise qui a perdu sa chaise en chemin et s’est assise par terre avec l’Enfant et un grand livre. (...) L’autre jour à Auch (une sympathique petite ville française qui a un goût d’Espagne), j’ai assisté à des "courses landaises", une sorte de parodie de corrida avec des vaches maigres et jaunes, aux cornes comme des bâtons plantés sur la tête. J’étais avec deux fâcheux dont j’essayais de me débarrasser. J’ai surtout pensé à toi en passant devant une caserne de soldats africains. C’était une espèce de villa-sérail avec des tours comme des minarets et de mystérieuses fenêtres, ouvertes sur un jardin abandonné. Depuis les plus hautes fenêtres, des soldats coiffés de turbans blancs me faisaient des signes. Derrière une grille donnant sur la rue, un jeune et très beau soldat, bras nus, les yeux argentés, discutait avec une jeune fille sèche et plutôt laide, peut-être la fille du pharmacien dont la boutique se trouvait de l’autre côté de la rue. Lui devait être l’odalisque de la caserne. Et sur ces paroles, je laisse ton admirable imagination d’artiste monter dans la stratosphère de la douce réalité (et pour cela, je sais bien que tu n’as pas besoin d’une montgolfière). Maintenant, avec une lune "silencieuse et brune", je m'en vais dans une très ancienne chênaie, sur les traces de gracieux fantômes.»

De Pisis, de Nico Naldini, est paru en 1991 aux éditions Einaudi.

Je signale également le merveilleux petit livre de Giovanni Comisso, Mio sodalizio con De Pisis, introuvable depuis longtemps, et qui vient de reparaître aux éditions Neri Pozza.

Image : Filippo De Pisis Paesaggio del Gers (1934)

lundi 26 avril 2010

Nulla muta quaggiù


O mio cuore incorreggibile
o assetato, o senza posa,
lo sai bene
nulla muta quaggiù.
Le meraviglie sognate
son d'altri lidi ;
questi cieli
(oh il bello stellato di stanotte !)
sono quasi immutabili.
Attendevi un bell'angiolo d'oro
(o delizia, o freschezza, o mistero)
ed è venuto il vecchio amico
che credevi perduto,
più pallido e stanco,
attendevi l'ebbrezza capziosa
e hai avuto la mesta grazia.
Vedi questo lucido cielo di settembre
è quello dell'anno passato
e le stesse foglie ha il vecchio rampicante.
Tutto ritorna
tutto sfiorisce
tutto stanca
tutto passa
ma nulla muore
o mio amore.
Vedi, una nuvola passa :
è quella che
un giorno sognammo.

Filippo De Pisis
Poesie Garzanti ed.








Rien ne change ici-bas


Ô mon cœur incorrigible
assoiffé, sans répit,
tu le sais bien
rien ne change ici-bas.
Les merveilles que nous avons rêvées
sont sur d'autres rivages ;
tous ces ciels
(oh comme le firmament était beau cette nuit !)
sont presque immuables.
Tu attendais un bel ange doré
(ô délice, ô fraîcheur, ô mystère)
et c'est ton vieil ami qui est venu
alors que tu pensais l'avoir perdu,
plus pâle et plus las,
tu attendais la captieuse ivresse
et tu as eu la grâce mélancolique.
Regarde ce lumineux ciel de septembre
c'est le même que celui de l'an passé
et le vieux lierre a les mêmes feuilles.
Tout revient
tout se fane
tout lasse
tout passe
mais rien ne meurt
ô mon amour.
Regarde, un nuage passe :
c'est celui
qu'un jour nous avons rêvé.

(Traduction personnelle)


En haut : Filippo De Pisis Le cipolle di Socrate (1927)
En bas : Filippo De Pisis Il Gladiolo fulminato (1930)

vendredi 23 avril 2010

Pallido viso



Le temps du dessin et de la poésie, chez de Pisis, était différent du temps du travail pictural. Il était souvent nocturne, lorsque l'artiste se retrouvait dans la solitude, après le plaisir ; ou bien il précédait de peu le plaisir, en ces après-midi dionysiaques que les proses parisiennes nous ont révélées. Je veux ajouter que ces dessins charnels, des corps ou des visages, ne sont presque jamais signés par de Pisis mais que celui-là les faisait signer par le modèle, ou, si l'on veut, le sujet, ce qui souligne leur fonction mémoriale. Des signatures ont souvent été ajoutées par des faussaires, et des visages aux corps qui n'étaient que des corps, et de la couleur là où de Pisis n'aurait pas songé à la mettre. Les poèmes, comme les dessins, participent d'un anonymat qui est tragique même quand il semble sourire. Que l'on ne s'y trompe pas, les dessins et les poèmes de de Pisis sont ainsi que des lampes dans une nuit qui pourrait faire peur. Raison pourquoi je les aime.
André Pieyre de Mandiargues


Pallido viso


Morto ignoto e lontano
a te tutto il mio cuore.
Tanta inutile gente
blàtera vicino, importuna.
Tu, partito per sentieri alpestri
hai trovato un letto di rose
o la fredda terra ?
Talora a te penso
come alla cara libertà il prigioniero.
Il tuo volto appena ricordo,
ma nel mio sangue resta l'armonia della tua forma.
Nessuna "nota stonata" più
per le miserie quotidiane.
O pallido volto sorridimi
da più pure sfere.

Pâle visage

Mort inconnu lointain
tout mon cœur est à toi.
Tant d'importuns m'entourent
inutiles bavards.
Mais toi sur les sentiers alpestres
as-tu trouvé un lit de roses
ou bien la froide terre ?
Parfois je pense à toi
comme à sa chère liberté le prisonnier.
De ton visage à peine j'ai souvenir
mais dans mon sang demeure
l'harmonie de ta forme.
Nulle «fausse note» ne reste
sous les misères quotidiennes.
Pâle visage souris-moi
du haut de plus pures sphères.

Filippo De Pisis Onze plus un poèmes éditions Fata Morgana, 1983 (Traduction : André Pieyre de Mandiargues)

Image : Filippo De Pisis Ritratto di giovane con cappello


dimanche 18 avril 2010

L'angelo


Angelo biondo di dove sei venuto
a consolarmi, di dove ?
O l'oro antico dei tuoi capelli
e la fronte pura
e l'occhio ridente, pur nella tua nequizia
(è un giorno e mezzo che non mangi, hai detto)
e le spalle gentili
e le gambe marmo antico
e il tuo sorriso nell'ombra
e la tua voce.
Un bacio sulla fronte ti ho dato
e leggero ho abbozzato il segno della croce
sul tuo petto di giovane atleta.
Sulla porta hai voluto rendermi
fuggevole un bacetto.
Sull'albero di verde cupo
ho visto accendersi una luce in cielo,
e poi sei scomparso.

Filippo De Pisis Poesie ed.Garzanti

L'ange

Ange blond, d'où donc es-tu venu
pour me consoler ?
Ô le vieil or de tes cheveux
et le front pur
et l'œil rieur, même dans ton iniquité
(tu n'as rien mangé depuis un jour et demi, m'as-tu dit)
et les épaules gracieuses
et les jambes d'un marbre antique
et ton sourire dans l'ombre
et ta voix.
Je t'ai donné un baiser sur le front
et j'ai esquissé un léger signe de croix
sur ta poitrine de jeune athlète.
Sur le seuil tu as voulu me rendre
un furtif baiser.
Sur l'arbre d'un vert sombre
j'ai vu briller une lumière dans le ciel,
et tu as disparu.

(Traduction personnelle)

Image : Filippo De Pisis Ragazzo nudo (1927)