Der Abschied (L'Adieu) est le dernier (et le plus long) lied du Chant de la Terre (Das Lied von der Erde) de Mahler, une symphonie de six lieder pour deux voix solistes et orchestre composée en 1908, sur des textes de La Flûte chinoise, un volume de poèmes chinois dont Mahler avait lu l'adaptation allemande durant l'été 1907 (Die chinesische Flöte). Le texte de L'Adieu est une adaptation d'un poème de Mong-Kao-Jen (ou Meng Hao-ran) et Wang-Wei, deux auteurs du huitième siècle, l'âge d'or de la poésie chinoise. Je cite ici ce que dit Henry-Louis de La Grange, le grand spécialiste de Mahler et l'auteur d'une monumentale biographie en trois tomes du compositeur, à propos de ce magnifique Adieu que l'on peut entendre ici dans l'interprétation unique de Kathleen Ferrier :
"La durée de ce finale égale presque celle des cinq autres morceaux réunis et c'est à tous égards le sommet expressif de l'ouvrage. Chacun des trois grands volets est précédé d'un prélude orchestral et d'un récitatif vocal. Avant le troisième récitatif qui précède la dernière section, le prélude s'amplifie et prend la forme d'une longue Marche funèbre typiquement mahlérienne. La conclusion, bouleversante de douceur, de retenue, de foi paisible, apporte une réponse positive à la déploration funèbre. Les vers magnifiques sur lesquels s'achève l'ouvrage sont de Mahler lui-même :
Partout, la Terre bien-aimée fleurit au printemps et verdit de nouveau ! Partout et éternellement, l'horizon sera bleu ! Éternellement... éternellement...
À la fin de sa courte vie, au moment où sa prodigieuse maîtrise se joue de tous les problèmes de forme et de toutes les contraintes, sa musique atteint ici à de nouveaux sommets de dépouillement et de lyrisme contemplatif. La matière musicale finit par se raréfier, les voix s'espacent et planent dans l'éther, libérées des lois de la pesanteur et des contraintes habituelles du contrepoint. Ici, comme dans les derniers Adagio malhériens, l'acceptation sereine est comme illuminée d'une lumière venue d'ailleurs. Mahler s'est enfin libéré des contingences terrestres qu'il a si douloureusement ressenties. Plus que jamais, sa musique s'ouvre alors sur l'éternité et sur l'infini."
Der Abschied
Die Sonne scheidet hinter dem Gebirge.
In alle Täler steigt der Abend nieder
mit seinen Schatten, die voll Kühlung sind.
O sieh ! Wie eine Silberbarke schwebt
der Mond am blauen Himmelssee herauf.
Ich spüre eines feinen Windes Weh'n
hinter den dunklen Fichten !
Der Bach singt voller Wohllaut durch das Dunkel.
Die Blumen blassen im Dämmerschein.
Die Erde atmet voll von Ruh' und Schlaf.
Alle Sehnsucht will nun träumen,
die müden Menschen geh'n heimwärts,
um im Schlaf vergess'nes Glück
und Jugend neu zu lernen!
Die Vögel hocken still in ihren Zweigen.
Die Welt schläft ein !
Es wehet kühl im Schatten meiner Fichten.
Ich stehe hier und harre meines Freundes;
ich harre sein zum letzten Lebewohl.
Ich sehne mich, o Freund, an deiner Seite
die Schönheit dieses Abends zu geniessen !
Wo bleibst du ? Da lässt mich lang allein !
Ich wandle auf und nieder mit meiner Laute
auf Wegen, die von weichem Grase schwellen.
O Schönheit ! O ewigen Liebens,
Lebenstrunk'ne Welt !
Er stieg vom Pferd und reichte ihm den Trunk
des Abschieds dar. Er fragte ihn, wohin
er führe und auch warum es müsste sein.
Er sprach, und seine Stimme war umflort: «Du mein Freund,
mir war auf dieser Welt das Glück nicht hold !
Wohin ich geh' ? Ich geh', ich wandre in die Berge.
Ich suche Ruhe für mein einsam Herz.
Ich wandle nach der Heimat, meiner Stätte.
Ich werde niemals in die Ferne schweifen.
Still ist mein Herz und harret seiner Stunde !
Die Liebe Erde allüberall
blüht auf im Lenz und grünt
aufs neu ! Allüberall und ewig
blauen Licht die Fernen !
Ewig... ewig...».
L'Adieu
Le soleil plonge derrière les montagnes.
Sur les vallées tombent le soir
et ses ombres pleines de fraîcheur.
Vois
! Comme une barque d’argent
la lune flotte sur la mer bleue du ciel.
Je sens une tendre brise souffler
derrière les sombres pins
!
Le ruisseau chante joliment dans l’ombre.
Les fleurs pâlissent dans le crépuscule.
La Terre respire et se gorge de repos et de
sommeil.
Tous les désirs sont désormais changés en rêves,
et les gens fatigués rentrent chez eux
pour trouver dans le sommeil un bonheur oublié
et apprendre à redevenir jeunes
!
Les oiseaux se blottissent, silencieux, sur les
branches.
Le monde s’endort...
Il passe une brise fraîche à l’ombre de mes pins.
Je suis là et j’attends mon ami
;
je l’attends pour un dernier adieu.
J’ai tant envie, ami, à tes côtés
de partager la beauté de ce soir.
Où es-tu
? Tu me laisses seul si longtemps
!
J’erre de-ci de-là, avec mon luth,
sur des sentiers riches d’une herbe douce.
Ô beauté
! Ô monde à jamais
ivre d’amour et
de vie
!
Il descendit de cheval et lui donna la coupe
de l’adieu.
Il lui demanda où
il allait et pourquoi c’était impératif.
Il parla, et sa voix était voilée :
«Ô mon ami,
sur cette Terre, le bonheur ne m’a pas souri
!
Où vais-je
?
Je vais errer dans les montagnes.
Je cherche le repos pour mon cœur solitaire.
Je chemine vers mon pays, mon refuge.
Pour moi, plus jamais d’horizons lointains.
Calme est mon cœur et il attend son heure.
Partout, la Terre bien-aimée fleurit
au printemps et verdit de nouveau
!
Partout et éternellement, l’horizon sera bleu
!
Éternellement... éternellement...»
Se ne va il sole, dietro la montagna.
In ogni valle scende la sera
con le sue ombre, che tanto rinfrescano.
Guarda ! Come una barca d'argento, dondola
la luna sull'azzurro lago del cielo.
Sento il soffio di un vento sottile
spiare dal buio degli abeti.
Il ruscello canta, pieno d'armonie, attraverso l'oscurità.
I fiori impallidiscono nell'imbrunire.
La terra respira, tutta pace e sonno.
Ogni desiderio ora vorrebbe sognare,
gli uomini, stanchi, camminano verso casa,
per ritrovare, nel sonno, felicità
e giovinezza dimenticate !
Gli uccelli fanno silenzio, appollaiati sui loro rami.
Il mondo si addormenta !
Spira aria fresca all'ombra dei miei abeti.
Qui, fermo, aspetto in ansia il mio amico;
lo aspetto in ansia, per l'ultimo addio.
Come desidero, amico, al tuo fianco
godere la bellezza di questa sera !
Dove indugi ? Mi lasci a lungo solo !
lo vago su e giù con il mio liuto
su sentieri di morbida erba gonfi.
O bellezza ! o mondo, d'amore
e di vita eternamente inebriato !
Scese da cavallo, e gli offrì il bicchiere
dell'addio. L'altro gli domandò quale fosse
la sua meta, e perché dovesse esser cosi.
Egli parlò, e la sua voce era velata: «Amico mio,
in questo mondo non mi ha arrìso la fortuna !
Dove vado ? Vado, a vagare sui monti.
Cerco pace al mio cuore solitario.
Vado via, torno in patria, il mio sito.
Mai più di lì mi muoverò per andare
lontano.
Tace il mio cuore e attende con ansia la sua ora !
La cara terra dovunque
fiorisce in primavera e verdeggia
sempre di nuovo. Dovunque, eternamente
d'azzurro s'illuminano i lontani orizzonti!
Eternamente... eternamente...».
(Traduzione : Quirino Principe)
Images : en haut et au centre, grazie a Luca Sallusti (Site Flickr)
In memoriam Yves Bonnefoy (24 juin 1923 - premier juillet 2016)
Souviens-toi de cette île où l'on bâtit le feu De tout olivier vif au flanc des crêtes, Et c'est pour que la nuit soit plus haute et qu'à l'aube Il n'y ait plus de vent que de stérilité. Tant de chemins noircis feront bien un royaume Où rétablir l'orgueil que nous avons été, Car rien ne peut grandir une éternelle force Qu'une éternelle flamme et que tout soit défait. Pour moi je rejoindrai cette terre cendreuse, Je coucherai mon cœur sur son corps dévasté. Ne suis-je pas ta vie aux profondes alarmes, Qui n'a de monument que Phénix au bûcher ?
Demande pour tes yeux que les rompe la nuit, Rien ne commencera qu'au delà de ce voile, Demande ce plaisir que dispense la nuit De crier sous le cercle bas d'aucune lune, Demande pour ta voix que l'étouffe la nuit.
Demande enfin le froid, désire cette houille.
Yves BonnefoyDu mouvement et de l'immobilité de Douve, Éditions Gallimard
Ricordati dell'isola in cui si desta il fuoco Di ogni olivo vivente su scoscesi pendii, Ed è perché la notte sia più alta e all'alba Il vento e la sterilità siano pari. Quei sentieri abbrunati formeranno un regno In cui restaurare l'orgoglio che fummo, Nulla rinvigorisce una perenne forza Quanto un'eterna fiamma e che tutto sia sfatto. Per me raggiungerò quella terra cinerea, Distenderò il mio cuore su quel corpo distrutto. Non son io la tua vita dalle angosce profonde, Che solo ha un monumento per Fenice sul rogo ?
Chiedi per i tuoi occhi che li rompa la notte, Nulla comincerà se non dietro quel velo, Chiedi il piacere che dispensa la notte D'urlare sotto l'alone di lune inesistenti, Chiedi per la tua voce che l'affoghi la notte.
À une porte murée de briques couleur du sang sur la façade grise, cathédrale de Valladolid. À de grands cercles de pierre. À un paso chargé de terre morte noire.
À Sainte Marthe d'Agliè, dans le Canavese. La brique rouge et qui a vieilli prononçant la joie baroque. À un palais désert et clos parmi les arbres.
(À tout palais de ce monde, pour l'accueil qu'ils font à la nuit.)
À la ville des cerfs-volants et des grandes maisons de verre où se reflète le ciel.
Aux peintres de l'école de Rimini. J'ai voulu être historien par angoisse de votre gloire. Je voudrais effacer l'histoire par souci de votre absolu.
IV
Et toujours à des quais de nuit, à des pubs, à une voix disant Je suis la lampe. Jesuis l'huile.
À cette voix consumée par une fièvre essentielle. Au tronc gris de l'érable. À une danse. À ces deux salles quelconques, pour le maintien des dieux parmi nous.
Yves Bonnefoy Poésies, Gallimard
I
Alle ortiche e alle pietre.
Alle « matematiche severe ». Ai treni mal rischiarati di ogni sera. Alle strade di neve sotto la stella senza limite.
Andavo, mi perdevo. E le parole trovavano male la via nel tremendo silenzio. — Alle parole pazienti e salvatrici.
II
Alla « Madonna della sera ». Al gran desco di pietra alto sulle rive felici. A passi che si sono uniti, poi divisi.
All'inverno oltr'Arno. Alla neve e a tanti passi. Alla cappella Brancacci, quando è notte.
III
Alle cappelle delle isole.
A Galla Placidia. I muri esigui recando misura nelle nostre ombre. A qualche statua nell'erba ; e, come forse me stesso, senza volto.
A una porta murata con mattoni color del sangue sulla tua facciata grigia, cattedrale di Valladolid. A gran cerchi di pietra. A un paso carico di terra morta nera.
A Santa Maria dell'Agliè, nel Canavese. Pronunciando, i mattoni rossi e invecchiati, la gioia barocca. A un palazzo deserto e chiuso fra gli alberi.
(A tutti i palazzi di questo mondo, per l'accoglienza che fanno alla notte.)
Alla mia dimora in Urbino fra numero e notte.
A Sant'Ivo della Sapienza.
A Delfi dove si può morire.
Alla città degli aquiloni e delle grandi case di vetro dove si riflette il cielo.
Ai pittori della scuola di Rimini. Ho voluto essere storico per ansia della vostra gloria. Vorrei cancellare la storia per sollecitudine del vostro assoluto.
IV
E sempre a marciapiedi notturni, a pubs, a una voce che dica Io sono il lume, Io sono l'olio.
A questa voce consumata da una febbre essenziale. Al tronco grigio dell'acero. A una danza. A queste due stanze qualunque, per mantenere gli dèi in mezzo a noi.
Et Capraia, si longtemps l'objet de mes vœux ! Sa forme – une longue modulation de cimes et de plateaux – me semblait parfaite, et je ne pouvais détacher mes yeux pour des minutes entières, surtout le soir, depuis qu'elle avait surgi de la brume le second jour du premier été, et tellement plus haut que je n'avais cru que se trouvait l'horizon. Or, Capraia appartenait à l'Italie, rien ne la reliait à l'île où j'étais moi-même, on disait aussi qu'elle était presque déserte : tout se prêtait donc à ce que ce nom, qui la réduisait à quelques bergers, à leur errance à jamais sur des tables rocheuses au ras du ciel dans le jasmin, l'asphodèle (quelques oliviers et caroubiers dans les creux), lui conférât une qualité d'archétype et en fît, pour ma pensée désirante, le vrai lieu. Ainsi, pour quelques saisons, puis ma vie changea, je ne vis plus Capraia, je l'oubliai presque, et d'autres années passèrent. Après quoi il advint que je pris un bateau un matin à Gênes, allant en Grèce, et vers le soir, brusquement, je me sentis poussé à monter sur le pont et à regarder vers l'ouest, où paraissaient déjà, où allaient passer à droite de nous, et tout près, quelques rochers, un rivage. Un regard, un ébranlement intérieur : une mémoire en moi, plus profonde que la conscience, ou plus aux aguets, avait compris avant que je sache. Est-ce possible, mais oui, c'est Capraia devant moi, Capraia par son autre bord, celui que je n'avais jamais vu, l'inimaginable ! Dans sa forme changée, ou plutôt annulée par notre proximité (car vraiment nous passions à cent mètres à peine du rivage), l'île avançait, s'ouvrait, se révélait – brève côte, terre de rien, on n'y voyait qu'un petit débarcadère, un chemin qui s'en éloignait, quelques maisons ça et là, une sorte de forteresse sur un à-pic, allait bientôt disparaître. Et je fus pris alors de compassion. Capraia, tu appartiens à l'ici du monde, comme nous. Tu souffres de finitude, tu es dessaisie du secret, recule donc, efface-toi dans la nuit qui tombe. Et veille là, ayant établi avec moi d'autres liens, dont je ne veux rien savoir encore, car je reste requis par l'espérance, ou le leurre. Demain, je verrai Zante, Céphalonie, beaux noms aussi et plus grandes terres, préservées par leur profondeur. Ah, comme je comprends la fin de l'Odyssée, quand Ulysse retrouve Ithaque, mais en sachant déjà qu'il lui faudra repartir, une rame sur l'épaule, et s'enfoncer plus avant dans les montagnes de l'autre rive jusqu'à ce que quelqu'un lui demande ce que c'est que cet objet bizarre qu'il porte, montrant ainsi qu'il ne sait rien de la mer ! Si les rivages m'attirent, plus encore l'idée d'un pays en profondeur, défendu par l'ampleur de ses montagnes, scellé comme l'inconscient. Je marche près de l'eau, je regarde bouger l'écume, signe qui cherche à se former, mais en vain. L'olivier, la chaleur, le sel qui se déposera sur la peau, que vouloir de plus, – pourtant le vrai chemin est celui, là-bas, qui s'éloigne, par des passes rocheuses de plus en plus resserrées. Et plus je vais vers l'intérieur, dans un pays de la Méditerranée, plus fortement l'odeur de plâtre des vestibules, les bruits du soir, le frémissement du laurier, changeant d'intensité, de hauteur (comme on le dit d'un son, déjà aigu) vont se faire, jusqu'à l'angoisse, évidence, bien que close, et appel, bien qu'impossible à comprendre.
Oft denk' ich, sie sind nur ausgegangen, Bald werden sie wieder nach Hause gelangen, Der Tag ist schön, o sei nicht bang, Sie machen nur einen weiten Gang.
Le Lieu des morts
Quel est le lieu des morts,
Ont-ils droit comme nous à des chemins,
Parlent-ils, plus réels étant leurs mots,
Sont-ils de l'esprit des feuillages ou des feuillages plus hauts ?
Phénix a-t-il construit pour eux un château,
Dressé pour eux une table ?
Le cri de quelque oiseau dans le feu de quelque arbre
Est-il l'espace où ils se pressent tous ?
Peut-être gisent-ils dans la feuille du lierre,
Leur parole défaite
Étant le port de la déchirure des feuilles, où la nuit vient.
Yves BonnefoyPierre écrite Ed. Gallimard, 1965
Il Luogo dei morti
Qual'è il luogo dei morti,
Hanno diritto come noi ai sentieri,
Parlano, essendo le loro parole più reali,
Sono lo spirito delle fronde, o più alte fronde ?
Fenice costruì per loro un castello ?
Il grido d'un uccello nel fuoco di un albero
È lo spazio in cui tutti si premono?
Forse si adagiano nella foglia dell'edera,
La loro sfatta parola essendo porto
Allo squarcio delle foglie, ove scende la notte.
"Sans l'avoir voulu, par ce qu'a d'instinctif son regard sur la culture et la vie, Mussapi a jeté un pont entre ici et ailleurs dans le présent, et entre maintenant et jadis dans le souci poétique. (...) Quand on s'attache à d'autres époques, ou à des êtres de celles-ci, il est fréquent, autant qu'assez naturel, d'aborder les uns et les autres par leurs monuments ou leurs œuvres, autrement dit par des traces, des textes, au plan d'un déjà exprimé qui voue le questionneur d'aujourd'hui à une rencontre par le dehors, entre les pôles opposés de la citation et du commentaire. Mais chez Mussapi il en va tout autrement. Comme les Paroles de Pline[Yves Bonnefoy cite ici l'un des poèmes du recueil La Poussière et le feu : Paroles de Pline du haut du volcan en flammes] le montrent bien, ce poète se porte d'emblée dans la forêt du passé – «épaisse d'ombres», dit Dante – vers de telles ombres, justement : non le poète ancien tel qu'il paraît dans son œuvre, ou le héros comme il s'efface dans ses hauts faits, mais la personne qu'ils furent, en son moment et son lieu, et qui n'est plus mais n'en a pas moins à nos yeux la sorte de vie qui enveloppe le nom que l'on prononce, vie qui a retenu tout son mystère bien qu'elle dise à plein désormais sa finitude. Cette vie, cette présence au sein de l'absence, est évidemment transcendante à toutes nos approches, comme il en va de toute existence. Évoquer Pline ainsi – ou Enée comme le fait également Mussapi –, c'est se vouer à ne plus tenir ce que l'on sait de ces êtres, par la littérature ou l'histoire, que pour des vues simplifiées ou des mirages. Mais en retour, et c'est comme cela que ce regard se fait poésie, on va être prêt à comprendre qu'ils ont accédé du fait de la mort à un sens, une vérité, qui ne se donnent qu'en celle-ci, et auxquels on ne peut songer soi-même, en leur difficulté essentielle, pourtant notre seule tâche, que si, aussi intensément que possible, on pense à eux sous le signe de la fin qu'ils ont rencontrée. Des morts, chez Mussapi, mais disons plutôt des vivants rencontrant leur mort."
Yves Bonnefoy
Enea guarda gli accampamenti alla sera
Tra pochi istanti questo campo sarà un solo respiro e nessuno ricorderà il proprio nome, nel sonno respirerà il mio esercito, e il popolo dei dormienti si unirà nel silenzio al popolo dei morti.
Fumi leggeri escono dalle tende, fumi dalle ceneri sulle are dove sono stati bruciati i caduti in battaglia, in questo giorno che declina, che dalla terra esala il ricordo del sole.
Chi li visiterà, i perduti ? scaglie di sole, brandelli di memoria raggiungeranno il loro silenzio, come accade ai dormienti, i miei morti avranno visite incorporee, fuggite dal giorno ? Conosceranno anche loro il risveglio e il mattino, scuotendo la morte come si scuote il sonno, l'oblio che la prima luce asciuga e rapprende ? Voi campi arsi che a poco a poco ora trovate il respiro, voi letto o tomba del mio esercito transitante, campi... Dormono in voi, esalarono l'ultimo respiro alla luce che si allontanava, dormono accanto quelli che caddero nel vostro grembo d'oro guardando il vuoto luminoso tra i colli e tra gli occhi rubando per la morte l'estremo sole.
Bientôt ce camp sera un unique souffle et plus personne ne se souviendra de son nom, dans le sommeil respirera mon armée, et le peuple des dormeurs s'unira dans le silence au peuple des morts.
Des fumées légères s'élèvent des tentes, et des cendres sur les autels où l'on a brûlé ceux qui sont tombés au combat, en ce jour qui décline, exhalant de la terre le souvenir du soleil.
Qui viendra les visiter, les perdus ? Des éclats de soleil, des lambeaux de mémoire rejoindront-ils leur silence, comme cela arrive aux dormeurs, mes morts auront-ils des visites incorporelles, échappées au jour ? Connaîtront-ils eux aussi le réveil et le matin, s'éveillant de la mort comme on le fait du sommeil, l'oubli que la première lueur essuie et fige ? Vous, champs arides qui maintenant peu à peu reprenez souffle, vous, lit et tombeau de mon armée nomade, champs... Ils dorment en vous, ils exhalèrent leur dernier soupir à la lumière qui s'éloignait, ils dorment à côté de ceux qui tombèrent en votre sein d'or, regardant le vide lumineux entre les collines et entre les yeux, dérobant pour la mort le dernier soleil.
«Il n'y a qu'un froid, le froid. Tous ceux qui ont froid sont ensemble. Tous ceux qui ont faim, tous ceux qui sont amoureux, tous ceux qui ont peur : tous dans le même bateau.»
À la voix de Kathleen Ferrier
Toute douceur toute ironie se ressemblaient
Pour un adieu de cristal et de brume,
Les coups profonds du fer faisaient presque silence,
Longtemps dura l'enfance au mur sombre et je fus La conscience d'hiver ; qui se pencha Tristement, fortement, sur une image, Amèrement, sur le reflet d'un autre jour. N'ayant rien désiré Plus que de contribuer à mêler deux lumières, Ô mémoire, je fus Dans son vaisseau de verre l'huile diurne Criant son âme rouge au ciel des longues pluies. Qu'aurai-je aimé ? L'écume de la mer Au-dessus de Trieste, quand le gris De la mer de Trieste éblouissait Les yeux du sphinx déchirable des rives.
A lungo durò l'infanzia dal muro opaco e fui La coscienza d'inverno, china Intensamente, tristemente, su un immagine, Amaramente, sul riflesso di un altro giorno.
Non chiedendo nulla Di più che contribuire all'unione di due luci, Oh memoria, io fui Nel vasello di vetro l'olio diurno Urlante l'anima rossa al cielo delle lunghe piogge.
Che avrò amato ? La schiuma del mare Alta su Trieste, quando il perlaceo Del mare di Trieste abbacinava Gli occhi alla sfinge illusoria delle rive.