Translate

Affichage des articles dont le libellé est Bonnefoy. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Bonnefoy. Afficher tous les articles

mercredi 6 juin 2018

La lumière, changée (La luce, mutata)




"Fremd bin ich eingezogen,
fremd zieh ich wieder aus..."





La lumière, changée

Nous ne nous voyons plus dans la même lumière,
Nous n'avons plus les mêmes yeux, les mêmes mains.
L'arbre est plus proche et la voix des sources plus vive,
Nos pas sont plus profonds, parmi les morts.

Dieu qui n'es pas, pose ta main sur notre épaule,
Ébauche notre corps du poids de ton retour,
Achève de mêler à nos âmes ces astres,
Ces bois, ces cris d'oiseaux, ces ombres et ces jours.

Renonce-toi en nous comme un fruit se déchire,
Efface-nous en toi. Découvre-nous
Le sens mystérieux de ce qui n'est que simple
Et fût tombé sans feu dans des mots sans amour.

Yves Bonnefoy   Pierre écrite  1965






La luce, mutata

Non ci vediamo più nella stessa luce,
Gli occhi e le mani non sono più gli stessi.
L'albero è più vicino, più viva la voce delle fonti,
E più profondi i nostri passi, tra i morti.

Dio che non sei, posa la tua mano sulla nostra spalla,
Abbozza il nostro corpo col peso del tuo ritorno,
Compi la fusione delle nostre anime agli astri,
Ai boschi, alle grida d'uccelli, alle ombre e ai gorni.

Rinuncia te in noi come si squarcia un frutto,
E noi cancella in te. Rivela il senso
Misterioso di ciò che è solo semplice
E senza fuoco cadrebbe in parole senza amore.

Traduzione : Diana Grange Fiori









Images : en bas, (1) Fabricio  (Site Flickr)

(2) Denis Trente-Huittessan  (Site Flickr)



vendredi 18 mai 2018

Le Chant de la Terre


"Er sprach, seine Stimme war umflort : 
Du, mein Freund, 
Mir war auf dieser Welt das Glück nicht hold !" 






MAHLER, LE CHANT DE LA TERRE

Elle sort, mais la nuit n'est pas tombée,
Ou bien c'est que la lune emplit le ciel,
Elle va, mais aussi elle se dissipe,
Plus rien de son visage, rien que son chant.

Désir d'être, sache te renoncer
Les choses de la terre te le demandent,
Si assurées sont-elles, chacune en soi
Dans cette paix où miroite du rêve.

Qu'elle, qui va, et toi, qui vieillis, poursuiviez
Votre avancée sous le couvert des arbres,
À des moments vous vous apercevrez.

Ô parole du son, musique des mots,
Tournez alors vos pas l'une vers l'autre
En signe de connivence, encore, et de regret.

Yves Bonnefoy La longue chaîne de l'ancre, Mercure de France, 2008








MAHLER, IL CANTO DELLA TERRA

Lei esce, ma la notte non è calata,
Oppure è perché la luna riempie il cielo,
Lei va, ma anche si dilegua,
Più nulla del suo volto, nulla se non il canto.

Desiderio d'essere, sappi rinunciare a te stesso
Le cose della terra te lo chiedono,
Talmente certe sono, ciascuna in sé
In questa pace dove luccica il sogno.

Che lei, che va, e tu, che invecchi, proseguiate
Avanzando sotto le fronde degli alberi,
In certi momenti vi scorgerete.

O parola del suono, musica delle parole,
Volgete allora i vostri passi l'una verso l'altra
In segno di connivenza, e di rimpianto.

Traduzione : Fabio Scotto













 Toutes les photographies sont de Renaud Camus (Site Flickr)

lundi 2 janvier 2017

Der Abschied (L'Adieu)




In memoriam Y.B.






Der Abschied (L'Adieu) est le dernier (et le plus long) lied du Chant de la Terre (Das Lied von der Erde) de Mahler, une symphonie de six lieder pour deux voix solistes et orchestre composée en 1908, sur des textes de La Flûte chinoise, un volume de poèmes chinois dont Mahler avait lu l'adaptation allemande durant l'été 1907 (Die chinesische Flöte). Le texte de L'Adieu est une adaptation d'un poème de Mong-Kao-Jen (ou Meng Hao-ran) et Wang-Wei, deux auteurs du huitième siècle, l'âge d'or de la poésie chinoise. Je cite ici ce que dit Henry-Louis de La Grange, le grand spécialiste de Mahler et l'auteur d'une monumentale biographie en trois tomes du compositeur, à propos de ce magnifique Adieu que l'on peut entendre ici dans l'interprétation unique de Kathleen Ferrier : 

"La durée de ce finale égale presque celle des cinq autres morceaux réunis et c'est à tous égards le sommet expressif de l'ouvrage. Chacun des trois grands volets est précédé d'un prélude orchestral et d'un récitatif vocal. Avant le troisième récitatif qui précède la dernière section, le prélude s'amplifie et prend la forme d'une longue Marche funèbre typiquement mahlérienne. La conclusion, bouleversante de douceur, de retenue, de foi paisible, apporte une réponse positive à la déploration funèbre. Les vers magnifiques sur lesquels s'achève l'ouvrage sont de Mahler lui-même :

Partout, la Terre bien-aimée fleurit
au printemps et verdit de nouveau !
Partout et éternellement, l'horizon sera bleu !
Éternellement... éternellement...

À la fin de sa courte vie, au moment où sa prodigieuse maîtrise se joue de tous les problèmes de forme et de toutes les contraintes, sa musique atteint ici à de nouveaux sommets de dépouillement et de lyrisme contemplatif. La matière musicale finit par se raréfier, les voix s'espacent et planent dans l'éther, libérées des lois de la pesanteur et des contraintes habituelles du contrepoint. Ici, comme dans les derniers Adagio malhériens, l'acceptation sereine est comme illuminée d'une lumière venue d'ailleurs. Mahler s'est enfin libéré des contingences terrestres qu'il a si douloureusement ressenties. Plus que jamais, sa musique s'ouvre alors sur l'éternité et sur l'infini."

Der Abschied

Die Sonne scheidet hinter dem Gebirge.
In alle Täler steigt der Abend nieder
mit seinen Schatten, die voll Kühlung sind.
O sieh ! Wie eine Silberbarke schwebt
der Mond am blauen Himmelssee herauf.
Ich spüre eines feinen Windes Weh'n
hinter den dunklen Fichten !
Der Bach singt voller Wohllaut durch das Dunkel.
Die Blumen blassen im Dämmerschein.

Die Erde atmet voll von Ruh' und Schlaf.
Alle Sehnsucht will nun träumen,
die müden Menschen geh'n heimwärts,
um im Schlaf vergess'nes Glück
und Jugend neu zu lernen!
Die Vögel hocken still in ihren Zweigen.
Die Welt schläft ein !

Es wehet kühl im Schatten meiner Fichten.
Ich stehe hier und harre meines Freundes;
ich harre sein zum letzten Lebewohl.
Ich sehne mich, o Freund, an deiner Seite
die Schönheit dieses Abends zu geniessen !
Wo bleibst du ? Da lässt mich lang allein !
Ich wandle auf und nieder mit meiner Laute
auf Wegen, die von weichem Grase schwellen.
O Schönheit ! O ewigen Liebens,
Lebenstrunk'ne Welt !

Er stieg vom Pferd und reichte ihm den Trunk
des Abschieds dar. Er fragte ihn, wohin
er führe und auch warum es müsste sein.
Er sprach, und seine Stimme war umflort: «Du mein Freund,
mir war auf dieser Welt das Glück nicht hold !
Wohin ich geh' ? Ich geh', ich wandre in die Berge.
Ich suche Ruhe für mein einsam Herz.
Ich wandle nach der Heimat, meiner Stätte.
Ich werde niemals in die Ferne schweifen.
Still ist mein Herz und harret seiner Stunde !
Die Liebe Erde allüberall
blüht auf im Lenz und grünt
aufs neu ! Allüberall und ewig
blauen Licht die Fernen !
Ewig... ewig...».





L'Adieu

Le soleil plonge derrière les montagnes.
Sur les vallées tombent le soir
et ses ombres pleines de fraîcheur.
Vois ! Comme une barque d’argent
la lune flotte sur la mer bleue du ciel.
Je sens une tendre brise souffler
derrière les sombres pins !
Le ruisseau chante joliment dans l’ombre.
Les fleurs pâlissent dans le crépuscule.

La Terre respire et se gorge de repos et de sommeil.
Tous les désirs sont désormais changés en rêves,
et les gens fatigués rentrent chez eux
pour trouver dans le sommeil un bonheur oublié
et apprendre à redevenir jeunes !
Les oiseaux se blottissent, silencieux, sur les branches.
Le monde s’endort...

Il passe une brise fraîche à l’ombre de mes pins.
Je suis là et j’attends mon ami ;
je l’attends pour un dernier adieu.
J’ai tant envie, ami, à tes côtés
de partager la beauté de ce soir.
Où es-tu ? Tu me laisses seul si longtemps !
J’erre de-ci de-là, avec mon luth,
sur des sentiers riches d’une herbe douce.
Ô beauté ! Ô monde à jamais
ivre d’amour et de vie !

Il descendit de cheval et lui donna la coupe de l’adieu.
Il lui demanda où il allait et pourquoi c’était impératif.
Il parla, et sa voix était voilée : «Ô mon ami,
sur cette Terre, le bonheur ne m’a pas souri !
Où vais-je ? Je vais errer dans les montagnes.
Je cherche le repos pour mon cœur solitaire.
Je chemine vers mon pays, mon refuge.
Pour moi, plus jamais d’horizons lointains.
Calme est mon cœur et il attend son heure.
Partout, la Terre bien-aimée fleurit
au printemps et verdit de nouveau !
Partout et éternellement, l’horizon sera bleu !
Éternellement... éternellement...»

Traduction : © Philips Classics Productions






L'Addio

Se ne va il sole, dietro la montagna.
In ogni valle scende la sera
con le sue ombre, che tanto rinfrescano.
Guarda ! Come una barca d'argento, dondola
la luna sull'azzurro lago del cielo.
Sento il soffio di un vento sottile
spiare dal buio degli abeti.
Il ruscello canta, pieno d'armonie, attraverso l'oscurità.
I fiori impallidiscono nell'imbrunire.

La terra respira, tutta pace e sonno.
Ogni desiderio ora vorrebbe sognare,
gli uomini, stanchi, camminano verso casa,
per ritrovare, nel sonno, felicità
e giovinezza dimenticate !
Gli uccelli fanno silenzio, appollaiati sui loro rami.
Il mondo si addormenta !

Spira aria fresca all'ombra dei miei abeti.
Qui, fermo, aspetto in ansia il mio amico;
lo aspetto in ansia, per l'ultimo addio.
Come desidero, amico, al tuo fianco
godere la bellezza di questa sera !
Dove indugi ? Mi lasci a lungo solo !
lo vago su e giù con il mio liuto
su sentieri di morbida erba gonfi.
O bellezza ! o mondo, d'amore
e di vita eternamente inebriato !

Scese da cavallo, e gli offrì il bicchiere
dell'addio. L'altro gli domandò quale fosse
la sua meta, e perché dovesse esser cosi.
Egli parlò, e la sua voce era velata: «Amico mio,
in questo mondo non mi ha arrìso la fortuna !
Dove vado ? Vado, a vagare sui monti.
Cerco pace al mio cuore solitario.
Vado via, torno in patria, il mio sito.
Mai più di lì mi muoverò per andare lontano.
Tace il mio cuore e attende con ansia la sua ora !
La cara terra dovunque
fiorisce in primavera e verdeggia
sempre di nuovo. Dovunque, eternamente
d'azzurro s'illuminano i lontani orizzonti!
Eternamente... eternamente...».

(Traduzione : Quirino Principe)






Images : en haut et au centre, grazie a Luca Sallusti (Site Flickr)

en bas, Site Flickr



vendredi 1 juillet 2016

Une voix (Una voce)



In memoriam Yves Bonnefoy (24 juin 1923 - premier juillet 2016)






Souviens-toi de cette île où l'on bâtit le feu
De tout olivier vif au flanc des crêtes,
Et c'est pour que la nuit soit plus haute et qu'à l'aube
Il n'y ait plus de vent que de stérilité.
Tant de chemins noircis feront bien un royaume
Où rétablir l'orgueil que nous avons été,
Car rien ne peut grandir une éternelle force
Qu'une éternelle flamme et que tout soit défait.
Pour moi je rejoindrai cette terre cendreuse,
Je coucherai mon cœur sur son corps dévasté.
Ne suis-je pas ta vie aux profondes alarmes,
Qui n'a de monument que Phénix au bûcher ?



Demande pour tes yeux que les rompe la nuit,
Rien ne commencera qu'au delà de ce voile,
Demande ce plaisir que dispense la nuit
De crier sous le cercle bas d'aucune lune,
Demande pour ta voix que l'étouffe la nuit.

Demande enfin le froid, désire cette houille.

Yves Bonnefoy  Du mouvement et de l'immobilité de Douve, Éditions Gallimard


Ricordati dell'isola in cui si desta il fuoco
Di ogni olivo vivente su scoscesi pendii,
Ed è perché la notte sia più alta e all'alba
Il vento e la sterilità siano pari.
Quei sentieri abbrunati formeranno un regno
In cui restaurare l'orgoglio che fummo,
Nulla rinvigorisce una perenne forza
Quanto un'eterna fiamma e che tutto sia sfatto.
Per me raggiungerò quella terra cinerea,
Distenderò il mio cuore su quel corpo distrutto.
Non son io la tua vita dalle angosce profonde,
Che solo ha un monumento per Fenice sul rogo ?



Chiedi per i tuoi occhi che li rompa la notte,
Nulla comincerà se non dietro quel velo,
Chiedi il piacere che dispensa la notte
D'urlare sotto l'alone di lune inesistenti,
Chiedi per la tua voce che l'affoghi la notte.

Infine chiedi il freddo, anela a queste tenebre.

Traduzione : Diana Grange Fiori (Yves Bonnefoy, L'Opera poetica, I Meridiani, Mondadori, 2010) 




 



Images : grazie a Vincentello (Site Flickr)



mercredi 17 février 2016

À San Francesco





À San Francesco, le soir

... Ainsi le sol était de marbre dans la salle
Obscure, où te mena l'inguérissable espoir.
On eût dit d'une eau calme où de doubles lumières
Portaient au loin les voix des cierges et du soir.

Et pourtant nul vaisseau n'y demandait rivage,
Nul pas n'y troublait plus la quiétude de l'eau.
Ainsi, te dis-je, ainsi de nos autres mirages,
Ô fastes dans nos cœurs, ô durables flambeaux.

Yves Bonnefoy Hier régnant désert, Gallimard, 1958


A San Francesco, la sera

... E il suolo era di marmo nella sala
Oscura, cui ti guidò l'insanabile speranza.
Sembrava acqua tranquilla dove le doppie luci
Trainavano al largo le voci dei ceri e della sera.

Eppure nessun vascello vi chiedeva approdo,
Non un passo turbava più l'acqua serena.
Così, ti dissi, sia così d'altri nostri miraggi,
Nel nostro cuore oh fasti, oh fiaccole perenni !

Traduzione : Diana Grange Fiori






 Images : Basilica di San Francesco, Ferrara, David Bramhall  (Site Flickr)

mardi 25 août 2015

Dévotion (Devozione)




 In memoriam D.G.F.







 I

Aux orties et aux pierres.

Aux «mathématiques sévères». Aux trains mal éclairés de chaque soir. Aux rues de neige sous l'étoile sans limite.

J'allais, je me perdais. Et les mots trouvaient mal leur voie dans le terrible silence. – Aux mots patients et sauveurs.




II

À la «Madone du soir». À la grande table de pierre au-dessus des rives heureuses. À des pas qui se sont unis, puis séparés.

À l'hiver oltr'Arno. À la neige et à tant de pas. À la chapelle Brancacci quand il fait nuit.








III

Aux chapelles des îles.

À Galla Placidia. Les murs étroits portant mesure dans nos ombres. À des statues dans l'herbe ; et, comme moi peut-être, sans visage.

À une porte murée de briques couleur du sang sur la façade grise, cathédrale de Valladolid. À de grands cercles de pierre. À un paso chargé de terre morte noire.

À Sainte Marthe d'Agliè, dans le Canavese. La brique rouge et qui a vieilli prononçant la joie baroque. À un palais désert et clos parmi les arbres. 
(À tout palais de ce monde, pour l'accueil qu'ils font à la nuit.)

À ma demeure à Urbin entre le nombre et la nuit.


À Delphes où l'on peut mourir.

À la ville des cerfs-volants et des grandes maisons de verre où se reflète le ciel.

Aux peintres de l'école de Rimini. J'ai voulu être historien par angoisse de votre gloire. Je voudrais effacer l'histoire par souci de votre absolu.








IV  

Et toujours à des quais de nuit, à des pubs, à une voix disant Je suis la lampe. Je suis l'huile.

À cette voix consumée par une fièvre essentielle. Au tronc gris de l'érable. À une danse. À ces deux salles quelconques, pour le maintien des dieux parmi nous.


Yves Bonnefoy  Poésies, Gallimard








I

Alle ortiche e alle pietre.

Alle « matematiche severe ». Ai treni mal rischiarati di ogni sera. Alle strade di neve sotto la stella senza limite. 

Andavo, mi perdevo. E le parole trovavano male la via nel tremendo silenzio. — Alle parole pazienti e salvatrici.


II

Alla « Madonna della sera ». Al gran desco di pietra alto sulle rive felici. A passi che si sono uniti, poi divisi. 

All'inverno oltr'Arno. Alla neve e a tanti passi. Alla cappella Brancacci, quando è notte. 


III

Alle cappelle delle isole.

A Galla Placidia. I muri esigui recando misura nelle nostre ombre. A qualche statua nell'erba ; e, come forse me stesso, senza volto.

A una porta murata con mattoni color del sangue sulla tua facciata grigia, cattedrale di Valladolid. A gran cerchi di pietra. A un paso carico di terra morta nera.

A Santa Maria dell'Agliè, nel Canavese. Pronunciando, i mattoni rossi e invecchiati, la gioia barocca. A un palazzo deserto e chiuso fra gli alberi.
(A tutti i palazzi di questo mondo, per l'accoglienza che fanno alla notte.)

Alla mia dimora in Urbino fra numero e notte.

A Sant'Ivo della Sapienza.

A Delfi dove si può morire.

Alla città degli aquiloni e delle grandi case di vetro dove si riflette il cielo.

Ai pittori della scuola di Rimini. Ho voluto essere storico per ansia della vostra gloria. Vorrei cancellare la storia per sollecitudine del vostro assoluto.


IV

E sempre a marciapiedi notturni, a pubs, a una voce che dica Io sono il lume, Io sono l'olio.

A questa voce consumata da una febbre essenziale. Al tronco grigio dell'acero. A una danza. A queste due stanze qualunque, per mantenere gli dèi in mezzo a noi. 

Traduzione : Diana Grange Fiori



Images : en haut, V. Gomis (Site Flickr)

un peu plus bas, Site Flickr

tout en bas, Site Flickr

Pietro da Rimini  Deposizione, 1320-1325, Musée du Louvre, Paris (Source : Wiki Commons)





lundi 29 juillet 2013

L'Arrière-pays (L'entroterra)




Et Capraia, si longtemps l'objet de mes vœux ! Sa forme – une longue modulation de cimes et de plateaux – me semblait parfaite, et je ne pouvais détacher mes yeux pour des minutes entières, surtout le soir, depuis qu'elle avait surgi de la brume le second jour du premier été, et tellement plus haut que je n'avais cru que se trouvait l'horizon. Or, Capraia appartenait à l'Italie, rien ne la reliait à l'île où j'étais moi-même, on disait aussi qu'elle était presque déserte : tout se prêtait donc à ce que ce nom, qui la réduisait à quelques bergers, à leur errance à jamais sur des tables rocheuses au ras du ciel dans le jasmin, l'asphodèle (quelques oliviers et caroubiers dans les creux), lui conférât une qualité d'archétype et en fît, pour ma pensée désirante, le vrai lieu. Ainsi, pour quelques saisons, puis ma vie changea, je ne vis plus Capraia, je l'oubliai presque, et d'autres années passèrent. Après quoi il advint que je pris un bateau un matin à Gênes, allant en Grèce, et vers le soir, brusquement, je me sentis poussé à monter sur le pont et à regarder vers l'ouest, où paraissaient déjà, où allaient passer à droite de nous, et tout près, quelques rochers, un rivage. Un regard, un ébranlement intérieur : une mémoire en moi, plus profonde que la conscience, ou plus aux aguets, avait compris avant que je sache. Est-ce possible, mais oui, c'est Capraia devant moi, Capraia par son autre bord, celui que je n'avais jamais vu, l'inimaginable ! Dans sa forme changée, ou plutôt annulée par notre proximité (car vraiment nous passions à cent mètres à peine du rivage), l'île avançait, s'ouvrait, se révélait – brève côte, terre de rien, on n'y voyait qu'un petit débarcadère, un chemin qui s'en éloignait, quelques maisons ça et là, une sorte de forteresse sur un à-pic, allait bientôt disparaître.

Et je fus pris alors de compassion. Capraia, tu appartiens à l'ici du monde, comme nous. Tu souffres de finitude, tu es dessaisie du secret, recule donc, efface-toi dans la nuit qui tombe. Et veille là, ayant établi avec moi d'autres liens, dont je ne veux rien savoir encore, car je reste requis par l'espérance, ou le leurre. Demain, je verrai Zante, Céphalonie, beaux noms aussi et plus grandes terres, préservées par leur profondeur. Ah, comme je comprends la fin de l'Odyssée, quand Ulysse retrouve Ithaque, mais en sachant déjà qu'il lui faudra repartir, une rame sur l'épaule, et s'enfoncer plus avant dans les montagnes de l'autre rive jusqu'à ce que quelqu'un lui demande ce que c'est que cet objet bizarre qu'il porte, montrant ainsi qu'il ne sait rien de la mer ! Si les rivages m'attirent, plus encore l'idée d'un pays en profondeur, défendu par l'ampleur de ses montagnes, scellé comme l'inconscient. Je marche près de l'eau, je regarde bouger l'écume, signe qui cherche à se former, mais en vain. L'olivier, la chaleur, le sel qui se déposera sur la peau, que vouloir de plus, – pourtant le vrai chemin est celui, là-bas, qui s'éloigne, par des passes rocheuses de plus en plus resserrées. Et plus je vais vers l'intérieur, dans un pays de la Méditerranée, plus fortement l'odeur de plâtre des vestibules, les bruits du soir, le frémissement du laurier, changeant d'intensité, de hauteur (comme on le dit d'un son, déjà aigu) vont se faire, jusqu'à l'angoisse, évidence, bien que close, et appel, bien qu'impossible à comprendre.

Yves Bonnefoy  L'Arrière-pays, Poésie / Gallimard, 2003







Images : en haut, Site Flickr.

en bas, Nicola Borzi  (Site Flickr)

lundi 22 avril 2013

Sans retour (Senza ritorno)




Et je pense à Coré l'absente ; qui a pris 
Dans ses mains le cœur noir étincelant des fleurs 
Et qui tomba, buvant le noir, l'irrévélée, 
Sur le pré de lumière - et d'ombre. Je comprends 
Cette faute, la mort. Asphodèles, jasmins 
Sont de notre pays. Des rives d'eau 
Peu profonde et limpide et verte y font frémir 
L'ombre du cœur du monde... Mais oui, prends. 
La faute de la fleur coupée nous est remise, 
Toute l'âme se voûte autour d'un dire simple, 
La grisaille se perd dans le fruit mûr. 

Le fer des mots de guerre se dissipe 
Dans l'heureuse matière sans retour. 

Yves Bonnefoy  Pierre écrite  Le dialogue d'Angoisse et de Désir  Éditions Gallimard






E penso a Core l'assente ; che prese fra le mani 
Il radioso nero cuore dei fiori 
E cadde, bevendo il nero, irrivelata, 
Sul prato di luce - e d'ombra. Capisco 
Questa colpa, la morte. Asfodeli e gelsomini 
Son della nostra terra. Rive d'acqua 
Poco profonda e trasparente e verde fanno fremere 
L'ombra del cuore del mondo... Ma sì, prendi. 
La colpa del fiore reciso ci è condonata, 
L'anima tutta s'inarca intorno a un dire semplice, 
Il grigiore si perde nel frutto maturo. 

Il ferro delle parole di guerra si consuma 
Nella materia felice senza ritorno. 

Traduzione : Diana Grange Fiori








Images : (1) et (2)  Sebastià Giralt (Site Flickr)

(3)  Site Flickr



samedi 25 août 2012

Dans la feuille du lierre (Nella foglia dell'edera)



 
Oft denk' ich, sie sind nur ausgegangen,
Bald werden sie wieder nach Hause gelangen,
Der Tag ist schön, o sei nicht bang,
Sie machen nur einen weiten Gang.







Le Lieu des morts

Quel est le lieu des morts,
Ont-ils droit comme nous à des chemins,
Parlent-ils, plus réels étant leurs mots,
Sont-ils de l'esprit des feuillages ou des feuillages plus hauts ?

Phénix a-t-il construit pour eux un château,
Dressé pour eux une table ?
Le cri de quelque oiseau dans le feu de quelque arbre
Est-il l'espace où ils se pressent tous ?

Peut-être gisent-ils dans la feuille du lierre,
Leur parole défaite
Étant le port de la déchirure des feuilles, où la nuit vient.

Yves Bonnefoy Pierre écrite Ed. Gallimard, 1965







Il Luogo dei morti

Qual'è il luogo dei morti,
Hanno diritto come noi ai sentieri,
Parlano, essendo le loro parole più reali,
Sono lo spirito delle fronde, o più alte fronde ?

Fenice costruì per loro un castello ?
Il grido d'un uccello nel fuoco di un albero
È lo spazio in cui tutti si premono?

Forse si adagiano nella foglia dell'edera,
La loro sfatta parola essendo porto
Allo squarcio delle foglie, ove scende la notte.

(Traduzione : Diana Grange Fiori)














Images
: en haut, Emanuele Lotti (Site Flickr)

au centre et en bas, Christian Boltanski Exposition Derniers Jours au château de Plieux, été 1997 (Source : galerie Flickr de Renaud Camus)

jeudi 24 mai 2012

Il ricordo del sole (Le souvenir du soleil)




"Chi li visiterà, i perduti ?"



"Sans l'avoir voulu, par ce qu'a d'instinctif son regard sur la culture et la vie, Mussapi a jeté un pont entre ici et ailleurs dans le présent, et entre maintenant et jadis dans le souci poétique. (...) Quand on s'attache à d'autres époques, ou à des êtres de celles-ci, il est fréquent, autant qu'assez naturel, d'aborder les uns et les autres par leurs monuments ou leurs œuvres, autrement dit par des traces, des textes, au plan d'un déjà exprimé qui voue le questionneur d'aujourd'hui à une rencontre par le dehors, entre les pôles opposés de la citation et du commentaire. Mais chez Mussapi il en va tout autrement. Comme les Paroles de Pline [Yves Bonnefoy cite ici l'un des poèmes du recueil La Poussière et le feu : Paroles de Pline du haut du volcan en flammes] le montrent bien, ce poète se porte d'emblée dans la forêt du passé – «épaisse d'ombres», dit Dante – vers de telles ombres, justement : non le poète ancien tel qu'il paraît dans son œuvre, ou le héros comme il s'efface dans ses hauts faits, mais la personne qu'ils furent, en son moment et son lieu, et qui n'est plus mais n'en a pas moins à nos yeux la sorte de vie qui enveloppe le nom que l'on prononce, vie qui a retenu tout son mystère bien qu'elle dise à plein désormais sa finitude. Cette vie, cette présence au sein de l'absence, est évidemment transcendante à toutes nos approches, comme il en va de toute existence. Évoquer Pline ainsi – ou Enée comme le fait également Mussapi –, c'est se vouer à ne plus tenir ce que l'on sait de ces êtres, par la littérature ou l'histoire, que pour des vues simplifiées ou des mirages. Mais en retour, et c'est comme cela que ce regard se fait poésie, on va être prêt à comprendre qu'ils ont accédé du fait de la mort à un sens, une vérité, qui ne se donnent qu'en celle-ci, et auxquels on ne peut songer soi-même, en leur difficulté essentielle, pourtant notre seule tâche, que si, aussi intensément que possible, on pense à eux sous le signe de la fin qu'ils ont rencontrée. Des morts, chez Mussapi, mais disons plutôt des vivants rencontrant leur mort."

Yves Bonnefoy




Enea guarda gli accampamenti alla sera


Tra pochi istanti questo campo sarà un solo respiro
e nessuno ricorderà il proprio nome, nel sonno
respirerà il mio esercito, e il popolo
dei dormienti si unirà nel silenzio al popolo dei morti.

Fumi leggeri escono dalle tende, fumi dalle ceneri
sulle are dove sono stati bruciati i caduti
in battaglia, in questo giorno che declina,
che dalla terra esala il ricordo del sole.

Chi li visiterà, i perduti ? scaglie di sole,
brandelli di memoria raggiungeranno il loro silenzio,
come accade ai dormienti, i miei morti
avranno visite incorporee, fuggite dal giorno ?
Conosceranno anche loro il risveglio e il mattino,
scuotendo la morte come si scuote il sonno, l'oblio
che la prima luce asciuga e rapprende ?
Voi campi arsi che a poco a poco ora trovate il respiro,
voi letto o tomba del mio esercito transitante, campi...
Dormono in voi, esalarono l'ultimo respiro
alla luce che si allontanava, dormono
accanto quelli che caddero nel vostro grembo d'oro
guardando il vuoto luminoso tra i colli e tra gli occhi
rubando per la morte l'estremo sole.

Roberto Mussapi Gita meridiana Il Sonno degli eroi Jaca Book 2009




Enée regarde au soir le campement

Bientôt ce camp sera un unique souffle
et plus personne ne se souviendra de son nom, dans le sommeil
respirera mon armée, et le peuple
des dormeurs s'unira dans le silence au peuple des morts.

Des fumées légères s'élèvent des tentes, et des cendres
sur les autels où l'on a brûlé ceux qui sont tombés
au combat, en ce jour qui décline,
exhalant de la terre le souvenir du soleil.

Qui viendra les visiter, les perdus ? Des éclats de soleil,
des lambeaux de mémoire rejoindront-ils leur silence,
comme cela arrive aux dormeurs, mes morts
auront-ils des visites incorporelles, échappées au jour ?
Connaîtront-ils eux aussi le réveil et le matin,
s'éveillant de la mort comme on le fait du sommeil, l'oubli
que la première lueur essuie et fige ?
Vous, champs arides qui maintenant peu à peu reprenez souffle,
vous, lit et tombeau de mon armée nomade, champs...
Ils dorment en vous, ils exhalèrent leur dernier soupir
à la lumière qui s'éloignait, ils dorment
à côté de ceux qui tombèrent en votre sein d'or,
regardant le vide lumineux entre les collines et entre les yeux,
dérobant pour la mort le dernier soleil.

(Traduction personnelle)



Images : en haut, Vincenzo Mazza (Site Flickr)

au centre, Bartolomeo Pinelli Enea e il Tevere (Wiki Commons)

Roberto Mussapi sur le site Terres de femmes

dimanche 20 novembre 2011

Pietà





 SUR UNE PIETÀ DE TINTORET 

Jamais douleur
Ne fut plus élégante dans ces grilles
Noires que dévora le soleil. Et jamais
Élégance ne fut cause plus spirituelle,
Un feu double, debout sur les grilles du soir.

Ici,
Un grand espoir fut peintre. Oh, qui est plus réel
Du chagrin désirant ou de l'image peinte ?
Le désir déchira le voile de l'image,
L'image donna vie à l'exsangue désir.

Yves Bonnefoy Pierre écrite Éditions Gallimard, 1965 


SU UNA PIETÀ DEL TINTORETTO

Mai dolore
Fu più elegante nelle grate
Nere, divorate dal sole. E mai
Eleganza fu cagione più spirituale,
Duplice fuoco, alto sulle grate della sera.

Qui,
Una grande speranza fu pittore. Chi più reale,
L'affanno desiderante o la dipinta immagine ?
Il desiderio lacerò il velo del'immagine,
L'immagine diede vita all'esangue desiderio.

Traduzione : Diana Grange Fiori 



Image : Jacopo Robusti, il Tintoretto, Pietà, 1563, Pinacoteca di Brera, Milano

jeudi 17 novembre 2011

Là-bas (Laggiù)


«Il n'y a qu'un froid, le froid. Tous ceux qui ont froid sont ensemble. Tous ceux qui ont faim, tous ceux qui sont amoureux, tous ceux qui ont peur : tous dans le même bateau.» 






À la voix de Kathleen Ferrier

Toute douceur toute ironie se ressemblaient
Pour un adieu de cristal et de brume,
Les coups profonds du fer faisaient presque silence,
La lumière du glaive s'était voilée.

Je célèbre la voix mêlée de couleur grise
Qui hésite aux lointains du chant qui s'est perdu
Comme si au delà de toute forme pure
Tremblât un autre chant et le seul absolu.

Ô lumière et néant de la lumière, ô larmes
Souriantes plus haut que l'angoisse ou l'espoir,
Ô cygne, lieu réel dans l'irréelle eau sombre,
Ô source, quand ce fut profondément le soir !

Il semble que tu connaisses les deux rives,
L'extrême joie et l'extrême douleur.
Là-bas, parmi ces roseaux gris dans la lumière,
Il semble que tu puises de l'éternel.

Yves Bonnefoy  Hier régnant désert, Gallimard, 1958






Alla voce di Kathleen Ferrier

Ogni dolcezza ogni ironia riunite
Per un addio di cristallo e di nebbia,
I cupi tonfi del ferro s'attutivano
La luce della spada era velata.

Celebro la voce screziata di grigio
Esitante ai confini del canto smarrito
Come se di là da ogni forma pura
Solo assoluto tremasse un altro canto.

Oh luce e niente della luce, lacrime
Più alto sorridenti che angoscia o speranza,
Oh cigno, luogo reale nell'irreale acqua oscura,
Oh fonte, quando fu profondamente sera !

Sembra che tu conosca le due rive,
L'estrema gioia e l'estremo dolore.
Laggiù, fra grigi canneti nella luce,
Tu attingi, sembra, all'eterno.

Traduzione : Diana Grange Fiori






Images : en haut, Renaud Camus (Site Flickr)

en bas, Site Flickr



mercredi 16 novembre 2011

Les Yeux du sphinx




UNE PIERRE


Longtemps dura l'enfance au mur sombre et je fus
La conscience d'hiver ; qui se pencha
Tristement, fortement, sur une image,
Amèrement, sur le reflet d'un autre jour.

N'ayant rien désiré
Plus que de contribuer à mêler deux lumières,
Ô mémoire, je fus
Dans son vaisseau de verre l'huile diurne
Criant son âme rouge au ciel des longues pluies.

Qu'aurai-je aimé ? L'écume de la mer
Au-dessus de Trieste, quand le gris
De la mer de Trieste éblouissait
Les yeux du sphinx déchirable des rives.

Yves Bonnefoy Poèmes, Pierre écrite (Poésie / Gallimard)



UNA PIETRA


A lungo durò l'infanzia dal muro opaco e fui
La coscienza d'inverno, china
Intensamente, tristemente, su un immagine,
Amaramente, sul riflesso di un altro giorno.

Non chiedendo nulla 
Di più che contribuire all'unione di due luci,
Oh memoria, io fui
Nel vasello di vetro l'olio diurno
Urlante l'anima rossa al cielo delle lunghe piogge.

Che avrò amato ? La schiuma del mare
Alta su Trieste, quando il perlaceo
Del mare di Trieste abbacinava
Gli occhi alla sfinge illusoria delle rive.

Traduzione : Diana Grange Fiori






 

Images : en haut, Site Flickr

en bas, Gabriele Cralli (Site Flickr)