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lundi 4 juin 2012

Compagnon d'Italie (Lettre à Amicie)



 

Votre vœu, Madame, est de gagner Venise par la route, d'y demeurer une bonne quinzaine et de rentrer en France par un chemin qui ne sera pas celui de l'aller. Vous en êtes à votre premier voyage d'Italie, et vous disposez d'environ quatre semaines. C'est peu. Vous ne pourrez pas beaucoup flâner ; or, visiter l'Italie sans flâner, c'est dévelouter son plaisir. Nous flânerons donc quand même par-ci par-là, lorsque cela en vaudra (ou non) la peine ; et, puisque vous attendez de moi des conseils pratiques, permettez-moi de vous dire ce que l'on dit aux enfants lorsqu'on les conduit à un grand dîner : « Mangez à votre faim, mais ne vous forcez pas ! »
Jean-Louis Vaudoyer Compagnon d'Italie






Les promesses de Florence comptent parmi les promesses majeures que l’Italie offre de loin à l’imagination. Il faut toujours, Amicie, à votre âge comme au mien, faire durer tant qu’on peut les promesses ; surtout à l’instant pathétique où elles vont être exaucées.

Ne vous précipitez donc pas sur Florence comme une affamée ; et, entre Lucques et elle, arrêtez-vous à Pistoie, arrêtez-vous à Prato. Ce sont les deux ambassadrices que la courtoisie de Florence délègue au-devant de vous pour vous donner l’avant-goût de ses beautés.

Pistoie est toute constellée de ces ineffables terres cuites émaillées, typiquement toscanes, ouvrages des Della Robbia ; et c’est à Prato que vous apparaîtra, à l’extérieur du Dôme, la chaire exquise au balcon de laquelle Donatello fait danser une ronde trépignante de bambini, tandis que, à l’intérieur dudit Dôme, peinte à la fresque par Filippo Lippi, une enfantine Salomé danse aussi ; moins, Amicie, pour séduire le tétrarque que pour vous séduire vous-même...

À Prato, vous serez à dix-huit kilomètres de Florence. Freinez, freinez toujours ! Je me répète, mais je suis sûr d’avoir raison : ne vous dépêchez pas ! et lorsque, à un tournant de route, vous verrez, dans les approches du lointain, surgir, envermeillés par les feux du couchant, le Dôme d’argile de Sainte-Marie-des-Fleurs, le thyrse de lis et de roses du Campanile, l’aigrette de fer qui coiffe le double crénelage de la tour de la Seigneurie, stoppez, stoppez immédiatement, et jouissez de cette bienheureuse minute de tous vos yeux, de toute votre âme :
«... Sur le tard du plus long jour de mai, quand les heures nocturnes sont bleues, brodées de vieil argent, entrer à vingt ans pour la première fois à Florence et se dire à chaque pas, avec un bond du cœur au-devant de l’esprit : "je suis à Florence ! je suis à Florence !...", voilà de ces fêtes qu’on ne retrouve plus et qu’on cherche à se rendre toujours plus avidement, au cœur de la vie...» (André Suarès)

Jean-Louis Vaudoyer Compagnon d'Italie, Fayard, 1958








Images : en haut,  Diego (Site Flickr)

en bas, Francesca  (Site Flickr)


vendredi 4 mai 2012

La Danse de Salomé



"Erode : ... Ma questa sera sono triste. Dunque, danza per me. Danza per me, Salomè, te ne supplico. Se tu danzi per me potrai chiedermi tutto quello che vorrai, e io te lo donerò. Si, danza per me, Salomè, ed io ti donerò tutto ciò che mi chiederai, fosse anche la metà del mio regno."





Andavo un giorno da ragazzo nel Duomo di Prato, con altri miei compagni, a vedere danzare Salomè. O gentilezza di Filippo Lippi, quanto mi sei stata buona maestra nell’insegnarmi che la nudità è casta ! E non c’era nulla di strano, per noi ragazzi, seduti in silenzio negli stalli del coro, dietro l’altar maggiore, che Erode e Erodiade e i cortegiani e i paggi, seduti intorno alla lunga tavola lucente di candidi lini e scintillante di cristalli, e i servi con i vassoi delle vivande e le brocche del vino, guardassero con occhio tranquillo la giovane danzatrice, vestita di veli trasparenti che lasciavan nude allo sguardo le teneri carni e la peluria bionda e le ombre segrete. Che facevan di male Erode e Erodiade e i commensali e i servi ? Miravano quella giovinetta nuda, così pudica nel gesto del piede alzato, del viso lievemente piegato sulla spalla, i piccoli seni rosei e fermi sotto la trasparenza dei veli : e anche la testa di Giovanni, servita lessa nel vassoio d’argento, apriva gli occhi estatici, né v’era ombra di pudore offeso in quegli occhi, né desiderio né noia, ma solo il piacere che danno le cose belle e pure. 

Finché le campane, dall’alto del bel campanile di pietra grigia e di marmo verde di Figline, mandavano i loro gravi, profondi rintocchi, e l’onda sonora scompigliava i veli di Salomè, che nella penombra del coro ci appariva per un istante nuda fino all’inguine. Alle voci dei canonici, che ad uno ad uno uscivano dalla sacrestia per venire a cantare il vespro, andavamo a nasconderci, in fondo al coro, sotto la gran vetrata : i canonici si sedevano negli stalli, chiudevan gli occhi, e si mettevano a cantare a occhi chiusi, per non vedere Salomè. 

No, non chiudevano gli occhi : fingevano di chiuderli. Miravano Salomè tra le ciglia socchiuse, di sotto in su, e cantavano. Poiché gli occhi, in Italia, anche quelli dei preti, son fatti per guardare, e gli italiani hanno occhi bellissimi, avidi e vivi, che succhiano il miele che è nelle immagini, come fanno le api. Direi che gli italiani si nutrono con gli occhi : ed è forse per questa ragione che non muoiono di fame. Ma succhiano solo il miele, non il succo amaro, non il sangue e la carne che son dietro le immagini. Non penetrano nelle corolle, dentro le cose. Poiché il proprio degli italiani è veder soltanto quel che appare : l’immagine delle cose, non la sostanza. Sono, per questa ragione, impropri alla filosofia, e ad ogni specie d’introspezione. Il mondo segreto, l’interno, o meglio l’inferno delle cose, è sconosciuto agli italiani. Non che sia loro precluso : non lo vedono, e non lo vedono perché non ha per loro nessun interesso.

Curzio Malaparte  Benedetti italiani Vallecchi Ed. 1961

J’allais un jour, encore enfant, avec quelques camarades, au Dôme de Prato pour voir danser Salomé. Ô grâce de Filippo Lippi, quelle bonne leçon tu m’as donnée en m’apprenant que la nudité est chaste ! Pour nous, jeunes garçons assis en silence dans les stalles du chœur, derrière le maître-autel, il n’y avait rien d’étrange à ce que Hérode, Hérodiade, les courtisans, les pages, autour de la longue table luisante de lin blanc et scintillante de cristaux, et les serviteurs avec les plateaux chargés de mets et les jarres de vin, rien d’étrange à ce que tous regardent d’un œil tranquille la jeune danseuse vêtue de voiles transparents qui laissaient entrevoir les tendres chairs, le duvet blond, les ombres secrètes. Que faisaient là de mal Hérode, Hérodiade, les commensaux et les serviteurs ? Ils regardaient cette jeune fille nue, si pudique avec son pied levé, sa tête légèrement penchée en arrière, ses petits seins roses et fermes sous la transparence des voiles. La tête du Baptiste elle-même, servie sur un plat d’argent, ouvrait des yeux extasiés, et il n’y avait pas la moindre ombre de pudeur offensée dans ces yeux, aucun désir ni reproche, mais uniquement le plaisir que procure la contemplation des choses belles et pures.




Mais à un moment les cloches, du haut du beau campanile de pierre grise et de marbre vert de Figline, faisaient entendre leurs appels graves et profonds ; et l’onde sonore dérangeait les voiles de Salomé qui, dans la pénombre du chœur, nous apparaissait un instant nue jusqu’à l’aine. En entendant les voix des chanoines, qui l’un derrière l’autre sortaient de la sacristie pour venir chanter les vêpres, nous allions nous cacher au fond du chœur, sous le grand vitrail. Les chanoines s’asseyaient dans les stalles et se mettaient à chanter les yeux fermés pour ne pas voir Salomé.




Non, ils ne fermaient pas les yeux : ils faisaient semblant de les fermer. Ils admiraient Salomé par en dessous, à travers leurs cils baissés, et ils chantaient. Parce que les yeux, en Italie, y compris ceux des prêtres, sont faits pour regarder ; et les Italiens ont de très beaux yeux, avides et vifs, qui sucent le miel des images comme font les abeilles. On peut dire que les Italiens se nourrissent par les yeux : c’est sans doute pour cette raison qu’ils ne meurent jamais de faim. Mais ils ne sucent que le miel, pas le suc amer, ni le sang ni la chair qui sont derrière les images. Ils ne pénètrent pas les corolles, l’intérieur des choses. Parce que le propre des Italiens, c’est de ne voir que ce qui apparaît : l’image des choses, pas la substance. C’est pour cette raison qu’ils ne sont guère doués pour la philosophie, ni pour aucune sorte d’introspection. Le monde secret, l’intérieur, ou pour mieux dire l’enfer des choses, reste inconnu pour les Italiens. Ce n’est pas qu’il leur soit fermé, mais ils ne le voient pas ; et ils ne le voient pas parce qu’il n’a pour eux aucun intérêt.

(Traduction personnelle)


Images : Filippo Lippi, Le Festin d'Hérode (détails)  Cappella Maggiore, Duomo di Prato 



dimanche 22 août 2010

Se io fossi un Santo... (Si j'étais un Saint...)


Un extrait du chapitre Un santo come me (Un saint comme moi), dans l'ouvrage de Curzio Malaparte Donna come me (Une femme comme moi) :

Se io fossi un Santo, vorrei esser di quelli veri, dei quali, come dei gusti, non si discute : voglio dire uno di quei Santi alla maniera toscana, che son poi i più garbati, i più civili, e i più lieti Santi del calendario, come San bernardino e San Jacopino. E della mia santità vorrei far oggetto non di devozione o di meraviglia, né di spavento o d’invidia, ma di simpatia.

Me ne andrei a vivere dalle mie parti, nella pineta di Galceti o sul poggio della Sacca, a un tiro di schioppo dalla mia città, e a poche miglia da quell’altra mia città ch’è Firenze. Perché un Santo che vive selvatico, in una grotta come un eremita, o in una capanna di frasche come un uccellatore, lontano dal mondo civile, non mi par che vada con i miei gusti, né con la natura dei Toscani. Non proprio in mezzo agli uomini vorrei vivere, né troppo lontano da loro, ma vicino alle loro case, ai loro teatri, ai loro caffè, alle loro piazze ariose, per poter mescolarmi ai discorsi, ai giochi, alle liti, ai negozi, senza tuttavia lasciarmi prender nel giro, e compromettermi più che a un sant’uomo non convenga.

Naturalmente vorrei vestirmi in modo che tutti, a prima vista, mi riconoscessero per santo. Necessaria prudenza in Toscana, dove l’abito fa il monaco. Il che non vuol dire andar vestito di pelli caprine, o di una tonaca rappezzata, e portare il cilicio, i capelli a zazzera, la barba appesa al mento come una barba finta. Mi vesterei di vergatino, e porterei scarpe di vacchetta, camicia di lino grezzo ; e che la giacca fosse comoda, i calzoni ampi, il colletto della camicia largo, da potervi girare il collo senza fatica. Vestito alla buona, insomma, ma andrei in giro armato di bastone, che le ragioni valgono per quel che valgono, e senza un argomento di quella specie nessuna ragione ti serve al viver tranquillo. E che il bastone fosse di cipresso, nodoso e liscio.

Me ne andrei dunque a vivere in una bella villa sui poggi di Prato, con un bel podere intorno, tutto chiaro d’olivi, giallo di grano, rosso di papaveri, verde di vigne, di quelle che danno un vino asciutto e garbato, che appena sulle labbra ti par dolce e risentito, e con una fiammata leggermente aspra ti svanisce in fondo alla gola, lasciandoti nel palato un magro sapore amarognolo. Che son poi le virtù e il modo di comportarsi del vino toscano : anzi, dirò, dei Toscani.

M’alzerei la mattina prestissimo, non appena il ciglio della Retaia diventasse bianco, e subito me ne andrei in giro per i campi, a veder come si svegliano le viti, gli olivi, il grano, e come le canne lungo la Bardena o lungo il Rianoci pigliano il primo vento mattutino.

(...)

Così passerei la mia vita, sorvegliando i miei poderi, discorrendo con i contadini, mutando i pratesi in cicale, in mosconi, in ranocchi ; e di magia in magia, di srtilegio in sortilegio, di miracolo in miracolo, starei contento al quia, cioè ora al meglio ed ora al peggio, ma più spesso al peggio, se è vero che «il peggio è meglio assai del bene».

E un giorno, quando fosse suonata anche per me l’ora di salire in cielo, salirei tranquillamente in Paradiso. Alla pratese, s’intende : col cappello sulla nuca, le mani in tasca, e la pipa in bocca, tra gli applausi di tutto il popolo di Prato. Salirei in cielo come un vero Santo toscano : sorridendo. Come un palloncino di gomma, oscillando nel vento. Come un aquilone, dimenando la coda. Mi perderei fra le nuvole, e prima di sparire saluterei per l’ultima volta, sventolando il cappello, la mia città cinta di mura, irta di camini fumanti : i suoi pergami, le sue statue, le sue chiese, i suoi colombi, i suoi fiaccherai addormentati a cassetta. E sarei il primo Santo pratese : se è vero che nel calendario non c’è neppure un Santo che sia di Prato.

Curzio Malaparte Donna come me, Valecchi ed.






Si j’étais un saint, je voudrais être un saint véritable, de ceux dont, comme des goûts, on ne discute pas : c'est-à-dire un de ces saints à la mode toscane qui, parmi tous ceux qui figurent dans le calendrier, sont les plus courtois, les plus polis et les plus joyeux, comme saint Bernardin et saint Jacques. Et je voudrais que ma sainteté ne soit pas un objet de dévotion ou d’émerveillement, mais de sympathie.

J’irais vivre dans mon pays, dans la pinède de Galceti ou sur la colline des Sacca, à deux pas de ma ville, et à quelques milles de mon autre ville, Florence. Parce qu’il me semble qu’un saint qui vivrait en sauvage, dans une grotte comme un ermite, ou dans une cabane de branchages comme un oiseleur, loin de la société, ne serait conforme ni à mes goûts, ni au tempérament des Toscans. Je ne voudrais vivre ni au milieu des hommes, ni trop loin d’eux, mais à proximité de leurs maisons, de leurs théâtres, de leurs cafés, de leurs places aérées, pour pouvoir me mêler à leurs discours, à leurs jeux, à leurs disputes, à leurs affaires, sans toutefois me laisser trop entraîner, et risquer de me compromettre plus qu’il ne siérait à un saint homme.

Naturellement, je voudrais m’habiller de façon à ce que tous, au premier coup d’œil, me reconnaissent comme un saint. Prudence nécessaire en Toscane, où l’habit a toujours fait le moine. Cela ne signifie pas que je me vêtirais de peaux de bique, ou d’une robe de bure rapiécée, ni que je porterais le cilice, la tignasse, la barbe suspendue au menton comme un postiche. Je porterais des costumes rayés, des chaussures en cuir, des chemises de lin, des vestes et des pantalons amples et confortables, des cols de chemise larges, afin de pouvoir tourner le cou sans difficulté. En somme, je serais correctement habillé : mais je ne sortirais qu’avec un bâton, car quelles que soient les raisons que l’on avance, sans un argument de cette nature, on n’est jamais sûr de pouvoir vivre tranquille. Le bâton sera de préférence en cyprès, noueux et lisse.

J’irais donc vivre dans une belle villa sur les collines de Prato, avec un grand domaine tout autour, baigné par la lumière des oliviers, l’or des blés, le rouge des coquelicots et le vert des vignes, celles qui donnent un vin sec et agréable, qui lorsqu’il se dépose sur les lèvres semble doux et tranquille, puis se révolte soudain dans la bouche en se faisant vif et piquant, avant de disparaître dans la gorge en une flambée légèrement âpre, qui laisse sur le palais une petite saveur aigrelette. En fait, il s’agit là des qualités et des manières du vin toscan, et je dirais même des Toscans.

Je me lèverais très tôt le matin, dès que blanchirait la cime de la Retaia, et j’irais aussitôt me promener dans les champs, pour assister au réveil des vignes, des oliviers, du blé, et pour voir les roseaux, le long de la Bardena ou du Rianoci, s’agiter au premier vent du matin.

(...)

C’est ainsi que je passerais ma vie, veillant sur mon domaine, discutant avec les paysans, transformant les gens de Prato en cigales, en grosses mouches, en grenouilles ; et ainsi de magie en magie, de sortilège en sortilège, de miracle en miracle, je saurais me contenter de mon sort, pour le meilleur ou pour le pire, mais plus souvent pour le pire, s’il est vrai que «le pire est préférable au bien».

Et un jour, quand sonnerait pour moi aussi l’heure de monter au ciel, j’irais tranquillement au Paradis. À la manière des gens de Prato, bien sûr : avec le chapeau sur la nuque, les mains dans les poches et la pipe au bec, au milieu des applaudissements de tout le peuple de Prato. Je monterais au ciel comme un vrai saint toscan : le sourire aux lèvres. Comme un petit ballon de caoutchouc se laissant porter par le vent. Comme un cerf-volant balançant sa traîne. Je me perdrais dans les nuages, et avant de disparaître, j’agiterais mon chapeau pour saluer une dernière fois ma ville serrée dans ses murs, hérissée de cheminées fumantes : je saluerais ses chaires, ses statues, ses églises, ses pigeons, ses cochers endormis sur leurs sièges. Et je deviendrais le premier saint de Prato, s’il est vrai que dans le calendrier ne figure pas un seul saint qui soit de Prato.

(Traduction personnelle)

Images : en haut, Xavier de Jauréguiberry (Site Flickr)

en bas, soares77 (Site Flickr)