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mardi 26 juin 2018

Le havre




Ferrare avec son calme et sa tranquillité
n'est-elle pas un lieu presque paradisiaque ?
ces porches réputés de l'université,
ce ghetto mystérieux, ce ciel plein de miracle ?

le château imposant, la cathédrale étrange,
les galets enfoncés dans le ciment des rues,
les vélos circulant sans que rien les dérange,
même ce restaurant dont les plafonds remuent

aux couleurs éraillées de peintures anciennes... ?
L'Arioste, le Tasse avaient vécu ici
mais on n'en soufflait point de pompeuses antiennes
pas plus qu'on n'en faisait de Giorgio Bassani

dont le corps était rentré dormir à Ferrare
comme pour y retrouver son havre de grâce.

William Cliff   Matières fermées, poème  La Table Ronde, 2018







Images : en haut, Massimo Battesini  (Site Flickr)

en bas, (1) Manuela Barattini  (Site Flickr)

(2) Arnold Sam  (Site Flickr)

vendredi 27 janvier 2017

À Micòl





"Schwarze Milch der Frühe wir trinken sie abends

wir trinken sie mittags und morgens wir trinken sie nachts
wir trinken und trinken
wir schaufeln ein Grab in den Lüften da liegt man nicht eng"

Paul Celan Todesfuge



"Since then, at an uncertain hour,

That agony returns :
And till my ghastly tale is told
This heart within me burns."

S.T. Coleridge, The Rime of the Ancient Mariner


"Depuis lors, à une heure incertaine,

Cette angoisse revient :
Et jusqu'à ce que mon étrange histoire soit dite,
Ce cœur brûle en ma poitrine."







que faire de toi, de ton nom,
contre la porte, à Ferrare, où bat
le vide... aux yeux étrangers
il n'y a que des ronces

et pourtant c'est toi
que je frôle, rompue, par-delà
ce brouillard... dans la nuit,
d'autres, bien de chair, ont
étouffé ton rire

de tes yeux inexistants, profonds,
défends-moi (rêche le mur, brève
la coursive) derrière l'écran
de fumée – dans les airs
une tombe, écrit Celan,
la tienne forte, irréelle –

alors peut-être, j'entendrai
que tu n'as pas pleuré

« depuis lors, à une heure incertaine,
cette angoisse revient... »
that agony returns et dans ton regard de vivante brûle
déjà l'affreuse histoire, en exergue, de l'ancien
marin, de cet autre, à Turin, sauvé des camps
que l'homme invente, et qui même l'avait
écrit, tombé, bien après, dans le gouffre :
à sa mémoire nos années vides

épeler, de crainte que l'horreur
ne soit tout le silence, le chemin
par où m'est venue moitié de mon nom,
jusqu'où c'est possible sans que la main
tremble épeler

mais t'aimer, sur la page,
ne coûte rien

la main, quoi qu'on dise, ne tremble
pas dans les mots

Bernard Simeone   Une inquiétude, éditions Verdier, 1991











Images : en haut, Marco Novelli (Site Flickr)

en bas, Ferrara, Mura degli Angeli, Gian Paolo Zoboli (Site Flickr)





vendredi 27 mars 2015

Breve incontro (Brève rencontre)



 

Dans son livre de souvenirs paru chez Bompiani en 2008, Quelli che ami non muoiono (Ceux que tu aimes ne meurent pas), Mario Fortunato raconte une belle et triste histoire. Dans les années 80, à Rome, entre la via Salaria et la via Isonzo, il rencontre souvent, sur le chemin qui le conduit à la rédaction du magazine L'Espresso où il travaille, un homme âgé et distingué, à l'air distrait et réservé. Chaque fois qu'ils se croisent, ils se saluent discrètement d'un petit signe de tête, sans qu'aucune parole ne soit prononcée. Fortunato est intrigué : le visage de cet homme lui est étrangement familier ; pourtant, il est sûr de ne l'avoir jamais rencontré.

Deux ans plus tard, en 1987, il voit à la Mostra de Venise l'adaptation cinématographique (par Giuliano Montaldo) d'un roman qui lui avait beaucoup plu dans son adolescence, Les Lunettes d'or, de Giorgio Bassani. Il se souvient alors de la photo qui se trouvait au dos de la couverture du livre, et il y reconnait les traits du mystérieux passant de la via Isonzo ; il avait vieilli, mais son visage rond et lisse était demeuré identique :


« Il me sourit de façon énigmatique, inclina la tête pour esquisser un salut. Il allait continuer son chemin, ineffable et léger, mais cela a été plus fort que moi : je le saluai à haute voix, en lui disant que j'avais reconnu en lui l'auteur de quelques uns des plus beaux romans de la littérature italienne du vingtième siècle. Il me serra la main, avec un air soucieux. Un court instant, j'eus la nette impression qu'il n'avait pas compris un seul mot de ce que je lui avais dit, comme s'il était un étranger qui ne parlait pas ma langue. Il bredouilla un remerciement étonné et désemparé, retira sa main et s'éloigna aussitôt comme s'il venait de se rappeler d'un rendez-vous urgent.

J'étais vraiment déçu. Je n'avais même pas eu le temps de lui dire que, pour me préparer à la vision du film de Montaldo, j'avais relu Les Lunettes d'or, et que le livre m'avait de nouveau semblé magnifique. Tout échange était demeuré impossible. L'écrivain s'y était soustrait avec une distraite mais ferme ténacité.

Je n'ai plus repensé à cette histoire, jusqu'à ce que, quelques années plus tard, la maladie d'Alzheimer dont souffrait Bassani fut à l'origine d'une des plus pénibles et des plus compliquées querelles d'héritiers que j'aie pu connaître. Même s'il était déjà atteint par le mal qui allait l'emporter en avril 2000, le vieux monsieur que je rencontrais de temps en temps dans le calme feutré de la romaine via Isonzo était un homme aimable et discret, qui affrontait l'inconnu de chaque nouveau pas avec la grâce particulière de ses meilleurs récits. »

Mario Fortunato Quelli che ami non muoiono, Ed. Bompiani, 2008 (Traduction personnelle)




On peut lire en français Lieux naturels, le premier recueil de récits de Mario Fortunato, publié en 1989 aux éditions Rivages.

Un entretien avec Mario Fortunato à propos de Quelli che ami non muoiono.


La photographie de la tombe de Bassani est de Renaud Camus (Site Flickr)



vendredi 18 avril 2014

Le Jour des pleurs




"Mysterium paschale
mistero del Passaggio
in cui
il cammino s'inverte.
Dalla vita passare alla morte –
è questa l'esperienza, l'evidenza.
Attraverso la morte passare nella vita –
questo il mistero."

Karol Wojtyla






Guido Mazzoni (1450–1518) est un peintre et sculpteur spécialisé dans la réalisation des Compianti [Lamentations], ces compositions de statues polychromes grandeur nature en terre cuite  représentant les personnages dont les textes sacrés mentionnent la présence autour du Christ mort. Le plus célèbre et le plus beau des Compianti est sans doute celui de Niccolò dell’Arca, que l’on peut voir à Bologne, dans l’église de Santa Maria della Vita. Guido Mazzoni en réalisa six : à Busseto (1476-77), à Modène (1477-79), à Crémone (il a malheureusement été perdu), à Ferrare (1483-85), à Venise (1485-89, il n’en reste que des fragments, conservés à Padoue), à Naples (1492, pour l’église de Monte Oliveto). 

Son Compianto le plus accompli est sans doute celui de Modène, que l’on peut voir dans l’église de San Giovanni. Filippo De Pisis l’admirait beaucoup et le considérait comme « l’un des plus beaux et expressifs ensembles de sculptures du Quattrocento, l’égal des œuvres des plus célèbres artistes toscans de cette période ». Je cite ici la description qu’en fait Giovanni Reale dans le remarquable ouvrage Il Pianto della statua [Les Larmes de la statue], Bompiani, 2008 : « L’ordre des personnages est donc le suivant : Joseph d’Arimathée, Marie Salomé, saint Jean Évangéliste, la Madone, Marie-Madeleine, Nicodème et Marie de Cléophas. Le Christ étendu au sol est très beau, son visage reflète la paix de la mort, comme celui du Christ dans le Compianto de Niccolò dell’Arca.



Les personnages suivent tous la règle d’une déviation mesurée de la frontalité ; par conséquent, ils sont conçus en relation l’un avec l’autre : on s’en aperçoit par la fonction d’élément de raccord qu’ont les bras ouverts et l’inclinaison du buste, qui contribuent à créer une masse ondulante, une sorte de mouvement perpétuel pathétique et douloureux. On ne retrouve pas ici les profils et les ovales de Piero della Francesca et de Mantegna, mais la spatialité vitale des corps en action. La dramaturgie des mouvements et des positions des bras et des mains des différents personnages est particulièrement remarquable, bien étudiée et bien réalisée.




Il faut également prêter attention à l’expression de douleur des différents personnages, qui ne devient un hurlement que sur le visage de Marie-Madeleine. Parmi les personnages masculins, Joseph d’Arimathée et saint Jean Évangéliste exhalent une plainte avec les lèvres entrouvertes ; la douleur la plus contenue est celle de Nicodème : ses lèvres restent closes, mais le visage est tendu, en un sentiment de grande affliction. La déploration collective, ou la lamentation chorale, est réalisée de façon cohérente et frappante, avec la modération formelle qui est la principale caractéristique de l’art de Mazzoni, chez qui le réalisme n’outrepasse jamais les règles de la bonne mesure, ou des justes proportions, avec la seule exception du Compianto de Ferrare, installé dans l’église du Gesù, où l'atmosphère est plus sombre et plus violemment expressionniste »




Il est question de ce Compianto ferrarais dans un beau passage du roman de Giorgio Bassani Dietro la porta [Derrière la porte] ; le voici :
« L’église semblait déserte. J’avais parcouru pas à pas le bas-côté droit, le nez en l’air comme un touriste, mais la lumière du soleil, qui pénétrait à travers les vastes vitraux supérieurs, m’empêchait de voir distinctement les grands tableaux baroques posés sur les autels. Après avoir atteint le transept, plongé lui aussi dans une semi-obscurité, j’étais passé dans le bas-côté gauche, inondé de lumière. Et là mon attention avait été aussitôt attirée par un étrange rassemblement de gens immobiles et silencieux, réunis en groupe à côté de la seconde des deux petites portes d’entrée. 
Qui étaient-ils ? Comme j’avais pu m'en rendre compte, une fois arrivé à distance suffisante, il ne s’agissait pas d’êtres vivants, mais de statues de bois peint [il s’agit en fait de terre cuite], sculptées en grandeur naturelle. Et plus précisément de ces fameux Pleureurs de la Rose devant lesquels, enfant, m’avait tant de fois amené la tante Malvina, la seule tante catholique que j’avais (pas là, pas à l’église du Gesù, mais dans celle de la Rose, dans la via Armari, d’où on les avait à l’évidence retirés plus tard). Je regardais, maintenant encore, la scène atroce : le corps livide et misérable du Christ mort, étendu sur la terre nue, et, autour de lui, pétrifiés par la douleur, avec des gestes muets, des rictus muets, des larmes qui n’auraient point de fin, point d’apaisement, les parents et les amis accourus : la Madone, saint Jean, Joseph d’Arimathie, Simon [en fait Nicodème], Madeleine, deux saintes femmes. Et tout en regardant, je me rappelais la tante Malvina qui, face à ce specatcle, ne parvenait jamais à retenir ses larmes. Elle tirait sur ses yeux un châle noir de vieille fille, s’agenouillait sans oser (comme elle l’aurait voulu, la pauvre !) faire agenouiller également son neveu non baptisé. » (le texte est cité dans la traduction de Michel Arnaud, Quarto Gallimard, 2006)








Images : (1), (2), (3) Guido Mazzoni Compianto sul Cristo morto, Chiesa San Giovanni Battista, Modena  Photographies de Renato Morselli  (Site Flickr)

(4) et (5) Guido Mazzoni Compianto sul Cristo morto, Chiesa del Gesù, Ferrara  Photographie de Daniele Pugi  (Site Flickr)







mardi 26 mars 2013

Cena di Pasqua (Dîner de Pâque)






"Poi ci sarebbe stata la scena ultima, quella degli addii. Già la vedevo. Eravamo scesi tutti in gruppo giù per le scale buie, come un greggio oppresso. Giunti nel portico, qualcuno (forse io) era andato avanti, a socchiudere il portone di strada, ed ora, per l'ultima volta, prima di separarci, si rinnovavano da parte di tutti, me compreso, i buonanotte, gli auguri, le strette di mano, gli abbracci, i baci sulle gote. Senonché, improvvisamente, dal portone rimasto mezzo aperto, là, contro il nero della notte, ecco irrompere dentro il portico una raffica di vento. È vento d'uragano, e viene dalla notte. Piomba nel portico, lo attaversa, oltrepassa fischiando i cancelli che separano il portico dal giardino, e intanto ha disperso a forza chi ancora voleva trattenersi, ha zittito di botto, col suo urlo selvaggio, chi ancora indugiava a parlare. Voci esili, gridi sottili, subito sopraffatti. Soffiatti via, tutti : come foglie leggere, come pezzi di carta, come capelli di una chioma incanutita dagli anni e dal terrore..."


Giorgio Bassani Il Giardino dei Finzi-Contini


"Et puis il y aurait eu la dernière scène, celle des adieux. Je la voyais déjà. Nous étions descendus tous ensemble par le sombre escalier, comme un troupeau opprimé. Arrivés sous le porche, quelqu'un (peut-être moi) était allé entrouvrir le portail donnant sur la rue, et maintenant, pour la dernière fois, avant de nous séparer, nous échangions tous, moi compris, les bonne nuit, les vœux, les poignées de main, les embrassades, les baisers sur les joues. Mais brusquement, par le portail demeuré entrouvert, là, contre le noir de la nuit, voici que s'engouffre dans le porche une rafale de vent. C'est un vent d'ouragan, et il vient de la nuit. Il s'abat dans le porche, le traverse, dépasse en sifflant les grilles qui séparent le porche du jardin, et ce faisant il a dispersé de force ceux qui voulaient encore s'attarder, il a réduit au silence, avec son hurlement sauvage, ceux qui continuaient à parler. Des voix grêles, des cris fluets, aussitôt écrasés. Emportés par le vent, tous, comme des feuilles légères, des morceaux de papier, des cheveux blanchis par les ans et par la terreur..."


Giorgio Bassani Le Jardin des Finzi-Contini









 

E quando nel giro del ballo oscuro che ci rimorchia,
dimenticate ombre nostalgiche a fingere la vita,
spirito della notte ci riavrai, dopo le ultime risa,
i baci sulle guance, gli auguri, gli addii sulla porta ;

e là dalla soglia a scroscio, irrompendo, un vento crudele
disperderà le fioche e esili voci come capelli
incanutiti, nel vuoto portico, di tra i cancelli,
cieco soffiando sulle deboli fiamme delle candele :

forse torneremo di sopra, in sala, seduti qua attorno al solito
tavolo, sotto la lampada, commensali distratti,
fermi, le labbra sigillate, pallidi di contro ai pallidi
ritratti dei nostri morti, morti anche noi, ma soli.

Giorgio Bassani Storie dei poveri amanti Ed. Mondadori



Et quand dans le tourbillon du bal obscur qui nous emporte,

ombres nostalgiques oubliées simulant la vie,
nous reviendrons à toi, esprit de la nuit, après les derniers rires,
les baisers sur les joues, les vœux, les adieux sur la porte ;

et là, sur le seuil, en cascade déferlante, un vent cruel
éparpillera les voix ténues et frêles comme des cheveux
blanchis, sous le porche vide, entre les grilles,
soufflant à l'aveugle sur les faibles flammes des bougies :

peut-être remonterons-nous dans la salle, assis autour de la même
table, sous la lampe, commensaux distraits,
immobiles, les lèvres scellées, pâles face aux pâles
images de nos morts, morts nous aussi, mais seuls.

(Traduction personnelle)







 

Images : merci à Jules Pajot (Site Flickr)



samedi 28 avril 2012

Un sorriso tra le lacrime (Un sourire en larmes)




Pier Paolo Pasolini a écrit ce poème (Voce in poesia), dédié à Marilyn Monroe, pour le commentaire de son film  La Rabbia (1963). Le texte a été publié en Italie dans le recueil Pier Paolo Pasolini, il cinema di poesia (Cinemazero Edizioni, 1979), et en France dans le numéro hors-série des Cahiers du cinéma, Pasolini cinéaste (mars 1981). J'en donne ici une traduction personnelle. Dans l'extrait de La Rabbia que l'on peut voir ci-dessous, le texte est lu par Giorgio Bassani.


Voce in poesia

Del mondo antico e del mondo futuro
era rimasta solo la bellezza, e tu,
povera sorellina minore,
quella che corre dietro ai fratelli più grandi,
e ride e piange con loro, per imitarli,

tu sorellina più piccola,
quella bellezza l’avevi addosso umilmente,
e la tua anima di figlia di piccola gente,
non ha mai saputo di averla,
perché altrimenti non sarebbe stata bellezza.

Il mondo te l’ha insegnata.
Così la tua bellezza divenne sua.
 
Del pauroso mondo antico e del pauroso mondo futuro
era rimasta solo la bellezza, e tu
te la sei portata dietro come un sorriso obbediente.
L’obbedienza richiede troppe lacrime inghiottite.
Il darsi agli altri, troppi allegri sguardi,
che chiedono la loro pietà. Così
ti sei portata via la tua bellezza.
Sparì, come un pulviscolo d'oro.

Dello stupido mondo antico
e del feroce mondo futuro
era rimasta una bellezza che non si vergognava
di alludere ai piccoli seni di sorellina,
al piccolo ventre così facilmente nudo.
E per questo era bellezza, la stessa
che hanno le dolci ragazze del tuo mondo...
le figlie dei commercianti
vincitrici ai concorsi a Miami o a Londra.
Sparì, come una colombella d’oro.
 
Il mondo te l’ha insegnata,
e così la tua bellezza non fu più bellezza.
 
Ma tu continuavi ad essere bambina,
sciocca come l’antichità, crudele come il futuro,
e fra te e la tua bellezza posseduta dal potere
si mise tutta la stupidità e la crudeltà del presente.
La portavi sempre dietro, come un sorriso tra le lacrime,
impudica per passività, indecente per obbedienza.
Sparì, come una bianca colomba d’oro.  
La tua bellezza sopravvissuta dal mondo antico,
richiesta dal mondo futuro, posseduta
dal mondo presente, divenne un male mortale.
 
Ora i fratelli maggiori finalmente si voltano,
smettono per un momento i loro maledetti giochi,
escono dalla loro inesorabile distrazione,
e si chiedono: «È possibile che Marilyn,
la piccola Marilyn ci abbia indicato la strada ?»
Ora sei tu,
quella che non conta nulla, poverina, col suo sorriso,
sei tu la prima oltre le porte del mondo
abbandonato al suo destino di morte.






Voix en poésie

Du monde ancien et du monde futur,
seule le beauté était restée, et toi,
pauvre petite sœur,
celle qui court derrière ses frères aînés,
et rit et pleure avec eux, pour les imiter,

toi, la petite sœur
tu portais cette beauté avec humilité,
et ton âme de fille de petites gens
n'en a jamais été consciente,
parce que sinon ça n'aurait pas été la beauté.

Le monde te l'a enseignée.
Et ainsi, ta beauté est devenue sienne.

De l'effrayant monde ancien et de l'effrayant monde futur
il n'était resté que la beauté, et toi
tu l'as arborée comme un sourire obéissant.
L'obéissance requiert trop de larmes avalées.
Le fait de se donner aux autres, trop de regards joyeux
qui réclament leur pitié. Ainsi
tu as emporté ta beauté.
Elle disparut, comme une poussière d'or.

Du stupide monde ancien
et du féroce monde futur
il était resté une beauté qui n'avait pas honte
de ses petits seins de sœur cadette,
du petit ventre si facilement nu.
Et c'est ce qui en faisait la beauté,
semblable à celle des douces filles de ton monde...
les filles de commerçants
gagnantes aux concours de Miami ou de Londres.
Elle disparut, comme une colombe d'or.

Le monde te l'a enseignée,
et ainsi ta beauté ne fut plus beauté.

Mais tu restais toujours une petite fille,
sotte comme l'antiquité, cruelle comme le futur,
et entre toi et ta beauté possédée par le pouvoir
s’immisça toute la stupidité et la cruauté du présent.
Tu la portais toujours avec toi, comme un sourire en larmes,
impudique par passivité, indécente par obéissance.
Elle disparut, comme une blanche colombe d'or.

Ta beauté avait survécu au monde ancien ;
réclamée par le monde futur, possédée
par le monde présent, elle devint un mal mortel.

Maintenant les frères aînés se retournent enfin,
ils cessent pour un moment leurs jeux maudits,
ils sortent de leur inexorable distraction,
et se demandent : «Est-il possible que Marilyn,
la petite Marilyn, nous ait montré la route ?»
Maintenant, c'est toi,
celle qui ne compte pas, la pauvre, avec son sourire,
c'est toi qui es passée la première au delà des portes du monde 
abandonné à son destin de mort.

(Traduction personnelle)






Images : en haut et en bas, Marilyn par André de Dienes, Californie, 1945

jeudi 15 décembre 2011

Pontelagoscuro





Tornai al mio giornale.
Ed ecco, in fondo alla pagina di sinistra, di riscontro a quella sportiva, gli occhi mi caddero su un titolo di media grandezza.Diceva :


NOTO PROFESSIONISTA FERRARESE ANNEGATO NELLE ACQUE DEL PO PRESSO PONTELAGOSCURO


Credo che per qualche secondo il cuore mi si fermasse. Eppure non avevo capito bene, ancora non avevo capito bene, ancora non mi ero reso ben conto. Respirai profondamente. E adesso capivo, sì, avevo capito già prima che cominciassi a leggere il mezzo colonnino sotto il titolo, il quale non parlava affatto di suicidio, s'intende, ma, secondo lo stile dei tempi, soltanto di disgrazia (a nessuno era lecito sopprimersi, in quegli anni : nemmeno ai vecchi disonorati e senza più ragione alcuna di restare al mondo...).Non finii di leggerlo, comunque. Abbassai le palpebre. Il cuore aveva ripreso a battere regolare. Aspettai che l'Elisa, riapparsa per un attimo, ci lasciasse un'altra volta soli, e poi, quietamente, ma subito :« È morto il dottor Fadigati », dissi.


Giorgio Bassani Gli occhiali d'oro Ed. Mondadori


Je repris mon journal.Et voici qu'au fond de la page de gauche, en face de celle des sports, mes yeux tombèrent sur un titre de grosseur moyenne.Il était écrit :


UN MÉDECIN BIEN CONNU DE FERRARE SE NOIE DANS LES EAUX DU PÔ PRÈS DE PONTELAGOSCURO


Il me semble que pendant quelques secondes mon cœur s'est arrêté. Et pourtant, je n'avais pas pas bien compris, je n'avais pas encore bien réalisé.Je respirai profondément. Et maintenant je comprenais, oui, j'avais déjà compris avant de lire la demi-colonne sous le titre, dans lequel il n'était pas question de suicide, bien sûr, mais, selon le style de l'époque, seulement d'un accident (il n'était consenti à personne de mettre fin à ses jours, en ce temps-là, pas même aux vieillards déshonorés qui avaient perdu toute raison de vivre...).Quoi qu'il en soit, je n'achevai pas ma lecture. Je fermai les yeux. Mon cœur s'était remis à battre de façon régulière. J'attendis qu'Élise, un instant réapparue, nous laissât à nouveau seuls, et puis, calmement, je dis aussitôt :« Le docteur Fadigati est mort. »








PONTELAGOSCURO

Dimenticami, se alla ruota sfavillante di raggi
ti affidi lungo gli asfalti dorati nella brezza
celeste che ti spalanca a sogni di giovinezza
infinita la fresca sera dei sottopassaggi.

Verso un borgo d'obliqui camini fumiganti,
bassi sull'erba madida della sgombra pianura,
emergi tu e ti dilegui. Vengono per l'aria scura
angeli in tuta azzurra, a sciami, in un fuoco di canti.

Giorgio Bassani Storie dei poveri amanti Ed. Mondadori






PONTELAGOSCURO

Oublie-moi, si à la roue étincelante de rayons
tu te confies le long de l'asphalte doré dans la brise
azurée que le soir frais des passages souterrains
ouvre pour toi à des rêves de jeunesse infinie.

Vers un bourg de cheminées penchées qui fument
en bas sur l'herbe humide de la plaine vide,
tu émerges et tu te dissipes. À travers l'air obscur arrivent
des anges en salopette bleue, en essaim, dans l'embrasement des chants.


Traduction
: Muriel Gallot (Giorgio Bassani, Poèmes, Cahiers de l'Hôtel de Galliffet, 2007)






Images
: en haut et en bas, Paolo C. (Site Flickr)






dimanche 27 mars 2011

Per un quadro di Morandi (Pour un tableau de Morandi)





O tu cui lenta abbraccia la collina accaldata,

casa persa nel verde, esile volto e bianco,
solo tu durerai, muto, eroico pianto,
non resterai che tu, e la luce assonnata.

Giorgio Bassani Te lucis ante Ed. Mondadori


Ô toi qu'avec douceur embrasse la colline échauffée,

maison perdue dans la verdure, visage frêle et blanc,
toi seule demeureras, muette, héroïque plainte,
il ne restera plus que toi, et la lumière ensommeillée.

(Traduction personnelle)







Images
: en haut, Giorgio Morandi Paesaggio (1936)

en bas, Site Flickr





lundi 3 mai 2010

La Nuit de Ferrare



Que restera-t-il de l’œuvre imposante de Pierre-Jean Remy, qui vient de mourir ? Lira-t-on encore ces dizaines de romans souvent trop vite écrits et publiés ? Son Journal de Rome (Odile Jacob, 2008), tenu pendant les trois ans où il a dirigé la villa Médicis (1994-1997), nous montre un homme avide d’honneurs et de mondanités, mais aussi un esprit éclairé que l’art et la culture italienne passionnent et qui ne se lasse jamais de respirer l’«aria di Roma», pour reprendre le titre de l’un de ses romans. Je voudrais citer ici quelques lignes d’un autre de ses ouvrages, La Nuit de Ferrare, dans lequel il rend hommage avec beaucoup de subtilité à l’œuvre de Bassani, dont on voit soudain, de façon très suggestive et saisissante, ressurgir les personnages dans le brouillard de Ferrare :

Le soir était tombé. Peut-être simplement par crainte de cette foule noire, j’avais quitté les rues commerçantes du centre et m’étais engagé dans les quartiers ouest, les longues rues très finement pavées qui, du corso della Gioveca, remontent vers les murs et le cimetière, via Montebello ou via Mantova. Et très vite, la masse compacte qui déambulait si férocement entre les rangées de magasins aux vitrines provocantes s’était éparpillée en petits groupes, bientôt trois, quatre personnes, puis des couples seulement, des passants solitaires à mesure que je m’avançais plus loin du périmètre sacré de la promenade du samedi. Et la formidable rumeur s’était elle aussi tue, on aurait dit que la masse serrée des promeneurs en noir, si vulgaires et si gras, le vacarme qui se dégageait d’eux avaient eu raison de ces brumes délicates aux camaïeux précieux, jusqu’à les chasser loin du château et de ses environs, la place de la cathédrale pourtant si noble, désertée, le matin encore. C’était une jeunesse sans âme qui avait eu raison du climat éternel de la ville. J’ai pensé aux escadrons de tueurs de ces nuits de guerre dont la fureur sanglante avait éclaté à Ferrare comme dans l’Europe entière : étaient-ils vraiment moins redoutables, les gamins en noir, lunettes fumées, qui battaient le pavé dans leur ronde lente, implacable, dévoreuse, la brume, donc, ondoyait à nouveau entre les hautes façades des palais, au-dessus de ces murs qui abritaient des jardins, d’autres jardins encore. Elle n’était pas uniforme, plutôt des nuages cotonneux qui n’assourdissaient la lointaine rumeur que de manière inégale, avec des percées qui, le temps du regard, permettaient parfois d’apercevoir l’extrémité d’une rue, la façade en proue, ici, d’une église. Et puis la lumière vert pâle des réverbères ponctua cet espace indéfini de repères fragiles et incertains. C’est alors que j’ai commencé à distinguer d’autres silhouettes, des visages surtout, qui allaient et venaient, de loin, de près, dans cette soirée d’entre chien et loup où, après le grondement du tonnerre qui avait pollué un silence dix fois centenaire, tout Ferrare était redevenue la ville de son passé. Des hommes portaient de hauts chapeaux mous, comme Bruno Lattes ou comme moi, dans le reflet du miroir du matin, chez le chapelier devant la cathédrale. Les femmes, plus loin, avaient les cheveux blonds, on le devinait plus qu’on ne le voyait, et des coiffures en hauteur.

(...)

Qu’on ne se méprenne pas : je les distinguais à peine, ces passants qui surgissaient, flottaient mollement autour de moi, pour «croiser», si j’ose dire, à la manière de nefs vaguement familières mais bientôt disparaître dans un océan qui était à la fois l’espace et le temps de même que, je le devinais peu à peu, la mémoire de la ville où il me semblait inéluctablement revenu. Ainsi, Bruno Lattes et ses amis étudiants, jeunes joueurs de tennis, son père qui serait du même voyage que la jeune fille qu’ils avaient tous aimés passaient, hors de portée, mais je les reconnaissais : ceux-là étaient, sans conteste, des miens. Et c’était ce miracle d’avant la nuit et d’après le soir : ces personnages épars sur mon chemin, si peu nombreux, à peine un passant parfois, mais qui revenaient, surgissaient ici ou là à intervalles réguliers, me frôlant ou lointains, à la dérive, pouvaient être un moment de parfaits inconnus et, l’instant d’après, se révéler les acteurs familiers d’une scène très ancienne qui avait eu pour théâtre cette ville telle que je croyais, à présent, la connaître depuis toujours. Bruno Lattes, donc, ou le docteur Fadigati, le malheureux médecin homosexuel, héros des Lunettes d’or, du même Bassani, et qui osait enfin ne plus frôler les murs...

Tous venaient vers moi ou s’éloignaient, via Belloria ou sur la petite via Ocabaletta qui s’arrêtait net à buter sur un mur, et je ne savais plus si leur passé n’était pas en train, lentement, de devenir le mien. Quand je suis parvenu à un vaste espace ouvert entre les palais, une sorte de cuvette rectangulaire, des arbres, mes fantasmes sont devenus plus monstrueux. Je devinais que la peur montait en moi. C’était là qu’ils avaient choisi de converger, la belle piazza Ariostea que je n’avais pas tout de suite reconnue, les premières arcades de la via Palestro et la haute façade un peu délabrée du palais Massari. Je m’arrêtai un moment, ils se figèrent, à distance de moi, je les avais surpris. Puis sans doute se concertèrent-ils d’un regard, un signe, comme des oiseaux, des bêtes sauvages surpris par l’étranger et qui, la première inquiétude passée, reprenaient leurs habitudes. Ils repartirent ainsi dans leur déambulation incertaine. Pendant un moment, j’eus même l’impression qu’au lieu de continuer à marcher sans but précis, ils avaient amorcé autour de moi, gardant pourtant leurs distances, une espèce de ronde, une promenade giratoire inégale, trouée de vide, d’espaces nus ou simplement de brumes. La carrure chaleureuse, complice, de Bruno Lattes, qui s’éloignait quand même. Et le sourire, une dernière fois, de la jeune fille blonde qui ressemblait à la petite Laure, sa tenue de tennis qui ne pouvait plus me surprendre malgré l’humidité tombée avec le soir : un sourire qui voulait dire – et c’était peut-être déjà Laure, ma petite voisine... – que rien n’était encore fini. La silhouette de la jeune fille est demeurée figée quelques secondes, suspendue dans le brouillard où, lentement (mais c’était un voile qu’on tirait), elle s’est fondue. J’étais seul au milieu de la piazza Ariostea déserte.

Pierre-Jean Remy La Nuit de Ferrare Albin Michel, 1999

Image : Cosmè Tura, Août, Salle des Mois, Palais Schifanoia, Ferrare (Source : Wiki Commons)

vendredi 30 octobre 2009

L'airone




Plus loin, plus près de la mer, au paysage on ne distinguait plus de formes, plus de lignes clairement identifiables, plus de volumes : étroites vallées sinueuses et plateaux énormes s'étaient entre-temps confondus, il n'y avait plus de consistance démêlable à la musique immobile et sourde qu'ils émettaient en silence, plus d'épaisseur ; ce n'était plus une masse, même savamment différenciée, c'était une pure opalescence diaphane, à peine une vibration, une clarté voilée, tout occupée d'elle-même n'étant clarté de rien, clarté sur rien sinon sur des ajoncs au bord d'une eau blanche qu'un envol ridait – un revers de la main, un frémissement de héron, un changement du vent et la voici argentée puis bleu pâle, et blanche de nouveau.

Renaud Camus Loin (pages 200-201) éditions P.O.L


L'altro non rispose. Era già tornato a rialzarsi. Col busto girato di tre quarti, stava guardando verso destra, in alto.
Si mise a scrutare anche lui il cielo, nella stessa direzione et vide subito un uccello isolato che, a un centinaio di metri di quota, stava lentamente avvicinandosi.
« Che cos'è ? » domandò.
« Dovrebbe essere un airone », disse Gavino.
Si trattava di un uccello piuttosto grosso : con due ali grandi, molto grandi, però sproporzionate rispetto al corpo che invece era piccolo, gracile. Veniva avanti con fatica evidente, arrancando. Il lungo collo a esse, stretto fra le scapole ; le vaste ali marrone, di una pesantezza da stoffa, aperte a tirarsi sotto la pancia il maggior volume di aria possibile : sembrava non farcela a tagliare di traverso il vento, e anzi in procinto ad ogni istante di venire travolto, d'essere spezzato via come uno straccio.
« Che buffa bestia ! », pensò.
Lo vide sorvolare adagio il pezzo di laguna che separava la barena dalla botte, e quindi sospendersi a perpendicolo sopra le loro teste : fermo, in pratica, e perdendo via via un po' di quota. Ad attirarlo a questo punto erano di sicuro i richiami. Ma prima ? Fino a poco fa, insomma ? Che buffa bestia ! Valeva la pena di chiedersi che cosa lo avesse indotto a volare tanto a lungo così, contro vento o quasi, che cosa fosse venuto a cercare talmente lontano dalle rive, nel mezzo della valle.
« Non credo che sia buono da mangiare », disse.
« Ha ragione » assentì Gavino. « Sa di pesce, preciso al coccale. Ma impagliato fa sempre il suo effetto. »
L'airone si abbassò ancora. Ormai se ne scorgevano chiaramente le zampe magre come stecchi, tese all'indietro, il becco grande, a punta, la testina da rettile. Di colpo, tuttavia, quasi spossato dallo sforzo compiuto, oppure come se fiutasse qualche pericolo, si rovesciò sul dorso, e, riprendendo quota, in pochi secondi scomparve in direzione del campanile di Pomposa.

Giorgio Bassani L'airone ed. Mondadori



L'autre ne répondit pas. Il s'était déjà redressé. Le buste tourné de trois quarts, il regardait vers la droite, en haut.
Alors il se mit lui aussi à scruter le ciel, dans la même direction ; et il vit presque aussitôt un oiseau isolé qui, à une centaine de mètres d'altitude, avançait lentement vers eux.
« Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il.
– Ça doit être un héron », dit Gavino.
C'était un oiseau plutôt gros, avec deux grandes ailes, très grandes mais disproportionnées par rapport au corps, lequel, par contre, était petit et gracile. Il volait avec une peine évidente, en souquant. Son long cou en forme de S serré entre ses omoplates, ses vastes ailes marron, d'une pesanteur d'étoffe, déployées pour attirer sous son ventre le plus grand volume d'air possible, il semblait ne pas parvenir à fendre le vent et, même, sur le point, à chaque instant, d'être entraîné, balayé comme un chiffon.
« Quelle drôle de bête ! » pensa-t-il.
Il le vit survoler la partie de lagune qui séparait le banc de sable de la tonne, puis s'arrêter perpendiculairement au-dessus de leurs têtes : immobile, à peu près, et perdant graduellement de l'altitude. Ce qui l'avait attiré à cet endroit, c'était sûrement les leurres. Mais avant cela ? Bref, il y avait encore quelques instants ? Quelle drôle de tête ! Cela valait vraiment la peine de se demander ce qui avait bien pu l'inciter à voler aussi longtemps ainsi, avec le vent debout ou presque, et ce qu'il était venu chercher aussi loin des rives, au milieu du marais.
« Mais je ne crois pas qu'ils soient bons à manger, dit-il.
– Vous avez raison, acquiesça Gavino. Ils ont un goût de poisson, exactement comme les mouettes. Mais empaillé, un héron, ça fait toujours son effet. »
Le héron descendit encore. À présent, on distinguait nettement ses pattes aussi maigres que des allumettes, tendues vers l'arrière, son grand bec pointu et sa petite tête de reptile. Tout à coup, néanmoins, comme épuisé par l'effort qu'il venait de faire ou comme si, brusquement, il avait flairé un danger, il se renversa sur le dos et, reprenant de l'altitude, disparut en quelques secondes dans la direction du campanile de Pomposa.

Traduction : Michel Arnaud (éditions Gallimard).

Le Roman de Ferrare, cycle de romans et nouvelles dont Le Héron fait partie, est disponible en français dans la collection Quarto.

Source de l'image : Site Flickr

lundi 20 avril 2009

Fine stagione (2)


Come spesso accade sull'Adriatico, ai primi di settembre la stagione di colpo mutò. Piovve un giorno soltanto, il 31 agosto. Ma il bel tempo dell'indomani non ingannò nessuno. Il mare era inquieto, d'un verde vegetale ; il cielo d'una trasparenza esagerata, da pietra preziosa. Nel tepore stesso dell'aria si era insinuata una piccola persistente punta di freddo.
Il numero dei villegianti cominciò a diminuire. Sulla spiaggia le tre o quattro file di tende e ombrelloni si ridussero in breve a due, e poi, dopo una nuova giornata di pioggia, a una sola. Di là dai capanni ormai in buona parte smontati, le dune, ricoperte fino a pochi giorni avanti di una sterpaglia stenta e bruciacchiata, apparivano punteggiate da una quantità incredibile di meravigliosi fiori gialli, alti sui gambi come gigli. Per rendersi esatto conto del significato di quella fioritura bastava un po' conoscere la costa romagnola. L'estate era finita : da quel momento non sarebbe stato più che un ricordo.

Giorgio Bassani Il Romanzo di Ferrara, Gli occhiali d'oro. Ed. Mondadori.

Ainsi qu'il arrive souvent sur l'Adriatique, le temps, dès les premiers jours de septembre, changea brusquement. Il ne plut qu'un seul jour, le 31 août. Mais le beau temps du lendemain ne trompa plus personne. La mer, agitée, était verte, d'un vert végétal ; et le ciel, d'une transparence exagérée, de pierre précieuse. Dans la tiédeur même de l'air s'était insinuée une légère et persistante pointe de froid.
Le nombre des estivants commença à diminuer. Sur la plage, les trois ou quatre rangées de tentes et de parasols se réduisirent bientôt à deux et puis, après une nouvelle journée de pluie, à une seule. Au-delà des cabines, désormais en grande partie démontées, les dunes recouvertes, il y a quelques jours encore, d'une maigre broussaille désséchée, étaient à présent semées d'une incroyable quantité de merveilleuses fleurs jaunes, aussi hautes sur tige que des lis. Il suffisait de connaître un peu la côte romagnole pour savoir ce que signifiait cette floraison. L'été était fini : à partir de cet instant, il n'allait plus être qu'un souvenir.

Traduction : Michel Arnaud, ed. Gallimard.

Source de l'image : Site Flickr.