Le domeniche azzurre della primavera.
La neve sulle case come una parrucca bianca.
Le passeggiate degli amanti lungo il canale.
Fare il pane la mattina di domenica.
La pioggia di Marzo che batte sui tegoli grigi.
Il glicine fiorito su pel muro.
Le tende bianche alle finestre del convento.
Le campane del sabato.
I ceri accesi davanti alle reliquie.
Gli specchi illuminati nelle camere.
I fiori rossi sopra la tovaglia bianca.
Le lampade d’oro che s’accendono la sera.
I crepuscoli di sangue che muoion sulle mura.
Le rose sfogliate sul letto dei malati.
Suonare il pianoforte un giorno di festa.
Il canto del cuculo nella campagna.
I gatti sopra i davanzali.
Le candide colombe sui tetti.
Le malve nelle pentole.
I mendicanti che mangian sulle soglie delle chiese.
I malati al sole.
Le bambine che si pettinano l’oro al sole sulle porte.
Le donne che cantano alle finestre.
Les dimanches d'azur du printemps. La neige sur les maisons comme une perruque blanche. Les promenades des amants le long du canal. Faire le pain le dimanche matin. La pluie de Mars qui bat sur les tuiles grises. La glycine fleurie sur le mur. Les rideaux blancs aux fenêtres du couvent. Les cloches du samedi. Les cierges allumés devant les reliques. Les miroirs illuminés dans les chambres. Les fleurs rouges sur la nappe blanche. Les lampes dorées qui s'allument le soir. Les crépuscules sanglants qui meurent sur les murs. Les roses effeuillées sur les lits des malades. Jouer du piano un jour de fête. Le chant du coucou dans la campagne. Les chats sur les rebords des fenêtres. Les colombes blanches sur les toits. Les mauves dans les casseroles. Les mendiants qui mangent sur les seuils des églises. Les malades au soleil. Les fillettes qui peignent leurs cheveux blonds au soleil sur les pas des portes. Les femmes qui chantent aux fenêtres. (Traduction personnelle)
Chers amis, l'état de plus en précaire de ma santé et la terrible dépression qui s'empare de moi à l'idée que je ne pourrais plus écrire et lutter pour la liberté de Cuba me conduisent à mettre fin à mes jours. (...) Je vous laisse en héritage toutes mes craintes, mais aussi l'espoir que Cuba sera bientôt libre. Je suis heureux d'avoir pu contribuer, même de façon modeste, à l'avènement de cette liberté. Je mets volontairement fin à mes jours parce que je ne peux plus travailler. Personne dans mon entourage n'est responsable de cette décision. Le seul responsable, c'est Fidel Castro. Les souffrances de l'exil, la douleur du déracinement, la solitude et les maladies contractées en exil, je n'en aurais pas souffert si j'avais pu continuer à vivre librement dans mon pays. J'exhorte le peuple cubain, sur l'île ou en exil, à continuer à lutter pour la liberté. Ce n'est pas un message de défaite, mais de lutte et d'espoir. Cuba sera libre. Moi, je le suis déjà.
(dernière lettre de Reinaldo Arenas, écrivain et poète cubain, peu avant sa mort, le 7 décembre 1990 à New York)
Autoepitafio
Mal poeta enamorado de la luna,
no tuvo más fortuna que el espanto ;
y fue suficiente pues como no era un santo
sabía que la vida es riesgo o abstinencia,
que toda gran ambición es gran demencia
y que el más sordido horror tiene su encanto.
Vivió para vivir que es ver la muerte
como algo cotidiano a la que apostamos
un cuerpo espléndido o toda nuestra suerte.
Supo que lo mejor es aquello que dejamos
— precisamente porque nos marchamos.
Todo lo cotidiano resulta aborrecible,
sólo hay un lugar para vivir, el imposible.
Conoció la prisión, el ostracismo, el exilio,
las múltiples ofensas típicas de la vileza humana ;
pero siempre lo escoltí cierto estoicismo
que le ayudó a caminar por cuerdas tensas
o a disfrutar del esplendor de la mañana.
Y cuando ya se bamboleaba surgía una ventana
por la cual se lanzaba al infinito.
No quiso ceremonia, discurso, duelo o grito,
ni un túmulo de arena donde reposase el esqueleto
(ni después de muerto quiso vivir quieto).
Ordenó que sus cenizas fueran lanzadas al mar
donde habrán de fluir constantemente.
No ha perdido la costumbre de soñar :
espera que en sus aguas se zambulla algún adolescente.
Reinaldo Arenas, Nueva York, 1989
Autoepitaffio
Cattivo poeta innamorato della luna,
non ebbe più fortuna che lo spavento ;
e fu sufficiente perché dato non era un santo
sapeva che la vita è rischio o astinenza
che ogni gran ambizione è gran demenza
e che il più sordido orrore ha il suo incantesimo.
Visse per vivere che è vedere la morte
come qualcosa di quotidiano sulla quale scommettiamo
un corpo splendido o tutta la nostra fortuna.
Seppe che la cosa migliore è quella che lasciamo
— precisamente perché andiamo via.
Tutto il quotidiano risulta odioso,
c' è solo un posto per vivere, l'impossibile.
Conobbe la prigione, l'ostracismo, l'esilio,
le multiple offese tipiche della viltà umana ;
però sempre lo scortò un certo stoicismo
che l'aiutò a camminare attraverso gli archi tesi
o a godere dello splendore della mattina.
E quando ormai tentennava sorgeva una finestra
per la quale si lanciava nell'infinito.
Non volle cerimonia, discorso, dolore o grido,
né un tumulo di sabbia dove riposasse lo scheletro,
(nemmeno dopo morto volle vivere tranquillo).
Ordinò che le sue ceneri fossero lanciate al mare
là dove fluiranno costantemente.
Non ha perso l'abitudine di sognare :
aspetta che nelle sue acque si tuffi qualche adolescente.
Reinaldo Arenas, New York, 1989
Autoépitaphe
Mauvais poète amoureux de la lune,
il n'eut d'autre fortune que l'effroi ;
et ce fut suffisant puisque, n'étant pas un saint,
il savait que la vie est risque ou abstinence,
que toute ambition démesurée est une folie
et que la plus sordide horreur a son charme.
Il a vécu pour vivre, c'est-à-dire pour voir la mort
comme une chose quotidienne sur laquelle nous parions
un corps splendide ou notre destin tout entier.
Il a su que le meilleur est ce que nous laissons
— précisément parce que nous partons.
Le quotidien tout entier est odieux,
il n'y a qu'un seul endroit vivable : l'impossible.
Il a connu la prison, l'ostracisme, l'exil,
les multiples offenses qu'inflige la lâcheté humaine ;
mais il ne s'est jamais départi d'un certain stoïcisme
qui l'a aidé à marcher en équilibre sur la corde tendue
ou à goûter la splendeur de l'aurore.
Et quand il lui arrivait de vaciller, toujours surgissait une fenêtre
par laquelle il s'élançait vers l'infini.
Il n'a voulu ni cérémonie, ni discours, pas de douleur et pas de plainte,
aucune terre pour y ensevelir ses os,
(même après sa mort, la tranquillité lui faisait horreur).
Il a ordonné que ses cendres soient jetées à la mer,
livrées pour l'éternité au tumulte des flots.
Il n'a pas perdu l'habitude de rêver :
il espère que dans ces eaux quelques adolescents viennent plonger.
Reinaldo Arenas, New York, 1989 (Traduction personnelle)
Un homme pénètre dans une église et on ne voit d’abord que son ombre ; on n’entend que le bruit de ses pas qui résonnent dans l’espace immense, parmi les colonnes de marbre. Nous sommes à Rome, dans la basilique de Saint-Pierre-aux-Liens, située entre le forum romain et Sainte-Marie-Majeure. L’homme, c’est Michelangelo Antonioni, qui se met ici en scène dans ce qui sera son tout dernier film, un court-métrage intitulé Lo Sguardo di Michelangelo [Le Regard de Michel-Ange], tourné en 2004, trois ans avant la mort du cinéaste, alors âgé de quatre-vingt-douze ans. On le sait, Antonioni avait été victime quelques années auparavant d’un accident vasculaire cérébral qui l’avait laissé partiellement paralysé et totalement privé de l’usage de la parole.
Filmé en contre-plongée, il se dirige lentement vers le joyau de l’église : le tombeau du Pape Jules II, réalisé par Michel-Ange. Le regard de Michelangelo se lève vers ces marbres immenses, et la caméra s’arrête en gros plan sur les yeux clos du pontife ; de lents panoramiques explorent les statues tandis que par une série de champs-contrechamps s’installe un échange de regards silencieux entre le cinéaste et la figure centrale de cet ensemble : le terrible Moïse au regard furieux qui lui fait face. Dans son ouvrage Je cherche l’Italie, Yannick Haenel évoque de façon saisissante cette rencontre : « D’un silence à l’autre, qu’est-ce qui se passe ? De quelle nature est le passage entre le Moïse de Michel-Ange et son homonyme antonionien ? Est-ce le Moïse de Michel-Ange qui offre quelque chose à Antonioni, ou celui-ci qui fait de son mutisme une offrande ? La transparence inquiète de cet échange convoque dans sa mélancolie des figures immémoriales : sans doute Antonioni vient-il à la fois saluer la beauté et annoncer sa sortie, comme si, une fois son parcours artistique bouclé, il s’agissait encore de s’exposer au verdict de l’art, à la terrible endurance de son regard : rencontrer son propre silence dans le marbre, c’est se mesurer à l’énigme de la transfiguration. »
Pendant un long moment, le duel se poursuit : les pupilles furieuses de Moïse, son inflexibilité marmoréenne face à la fragilité du cinéaste. La caméra s’approche au plus près du marbre dont elle explore les volutes, bientôt rejointe par la main tavelée et ridée du cinéaste, qui frôle et caresse la statue, comme pour en approcher le mystère. Les mains cherchent à dire ce que la bouche ne peut plus exprimer, mais en vain ; l’index se pose une dernière fois sur les lèvres tandis que de nouveau s’impose le regard outragé de la statue, qui perfore l’image.
Ce rendez-vous avec la beauté et le divin nous fait aussi penser à la rencontre de Don Juan avec le Commandeur, cette terrifiante figure de pierre qu’évoque ici le Moïse de marbre, avec son regard bondissant et pétrifiant, que même la caméra renonce à soutenir, se réfugiant dans le flou d’un fondu-enchaîné.
Toujours en contre-plongée, le regard de Michelangelo se tourne alors vers l’une des figures qui entourent le Prophète, celle de Rachel, les mains jointes. Une dernière fois, la main effleure le marbre, semble parfois vouloir s’y poser, tandis que les bruits étouffés du dehors sont peu à peu recouverts par les notes du Magnificat de Palestrina, sur lesquelles le cinéaste s’éloigne à pas lents, s’immobilisant soudain le temps d’un dernier regard vers le tombeau qu’un plan large nous montre pour la première fois tout entier. On le voit de loin traverser la basilique et se diriger vers le rai de lumière qui surgit d’une porte étroite qu’il va bientôt franchir, avant un ultime fondu au noir : ce sera la dernière image de toute son œuvre, tandis que sur l'écran déserté le mystère se creuse et s’épuise dans les volutes sonores du Magnificat.
Comme on le sait, dans ce prodigieux édifice que constitue la
Divine Comédie de Dante, le chiffre 3 règne en maître ; d'abord dans la division en trois parties du poème, puis dans le choix de la
terzina, cette strophe de trois vers qui est la cellule de base du poème
(chaque vers est composé de onze syllabes, ce qui fait
trente-trois-syllabes pour chaque strophe), mais aussi dans la terza rima, qui génère le rythme du poème, le relance à chaque fois comme un
moteur secret.
Qu'est-ce que la tierce rime ? C'est une sonorité qui
apparaît au deuxième vers de chaque tercet et que l'on retrouve à la
fin du premier vers et du troisième vers du tercet suivant, comme
on le verra dans l'extrait du chant que je cite ci-dessous. Or, dans les nombreuses traductions françaises du poème de Dante, très peu (deux ou trois, en fait) prennent en compte cette contrainte, et la résolvent en ayant recours à l'alexandrin, ce qui n'est pas non plus une solution satisfaisante.
La grande nouveauté de la nouvelle traduction que propose Danièle Robert aux éditions Actes Sud (pour l'instant limitée à L'Enfer, mais on devrait bientôt pouvoir lire aussi le Purgatoire et le Paradis), c'est qu'elle réussit à proposer une version française cohérente et toujours parfaitement lisible de la Commedia tout en en respectant la structure, et en particulier le recours à la tierce rime (et l'utilisation fréquente de l'hendécasyllabe). C'est une sorte d'exploit, que la traductrice ne réalise parfois qu'au prix de certaines acrobaties dans la disposition des mots ou de quelques accommodements que l'on pourra parfois trouver un peu osés, mais dans l'ensemble, c'est une magnifique réussite. J'ai rarement eu l'impression comme ici de retrouver en français un mouvement, un rythme, une respiration si proches du texte original, c'est vraiment fascinant ! Et cela bien sûr sans sacrifier le sens, toujours nettement accessible. Je voudrais donner ici un exemple de cette formidable réussite en citant le passage fameux du voyage d'Ulysse, au chant XXVI de L'Enfer. J'espère que cet extrait donnera envie aux visiteurs de ce blog de découvrir l'intégralité de cette traduction extraordinaire :
Poi che la fiamma fu venuta quivi
dove parve al mio duca tempo e loco,
in questa forma lui parlare audivi:
"O voi che siete due dentro ad un foco,
s’io meritai di voi mentre ch’io vissi,
s’io meritai di voi assai o poco
quando nel mondo li alti versi scrissi,
non vi movete; ma l’un di voi dica
dove, per lui, perduto a morir gissi".
Lo maggior corno de la fiamma antica
cominciò a crollarsi mormorando,
pur come quella cui vento affatica;
indi la cima qua e là menando,
come fosse la lingua che parlasse,
gittò voce di fuori e disse: "Quando
mi diparti’ da Circe, che sottrasse
me più d’un anno là presso a Gaeta,
prima che sì Enëa la nomasse,
né dolcezza di figlio, né la pieta
del vecchio padre, né ’l debito amore
lo qual dovea Penelopè far lieta,
vincer potero dentro a me l’ardore
ch’i’ ebbi a divenir del mondo esperto
e de li vizi umani e del valore;
ma misi me per l’alto mare aperto
sol con un legno e con quella compagna
picciola da la qual non fui diserto.
L’un lito e l’altro vidi infin la Spagna,
fin nel Morrocco, e l’isola d’i Sardi,
e l’altre che quel mare intorno bagna.
Io e’ compagni eravam vecchi e tardi
quando venimmo a quella foce stretta
dov’Ercule segnò li suoi riguardi
acciò che l’uom più oltre non si metta;
da la man destra mi lasciai Sibilia,
da l’altra già m’avea lasciata Setta.
"O frati," dissi, "che per cento milia
perigli siete giunti a l’occidente,
a questa tanto picciola vigilia
d’i nostri sensi ch’è del rimanente
non vogliate negar l’esperïenza,
di retro al sol, del mondo sanza gente.
Considerate la vostra semenza:
fatti non foste a viver come bruti,
ma per seguir virtute e canoscenza".
Li miei compagni fec’io sì aguti,
con questa orazion picciola, al cammino,
che a pena poscia li avrei ritenuti;
e volta nostra poppa nel mattino,
de’ remi facemmo ali al folle volo,
sempre acquistando dal lato mancino.
Tutte le stelle già de l’altro polo
vedea la notte, e ’l nostro tanto basso,
che non surgëa fuor del marin suolo.
Cinque volte racceso e tante casso
lo lume era di sotto da la luna,
poi che 'ntrati eravam ne l'alto passo,
quando n’apparve una montagna, bruna
per la distanza, e parvemi alta tanto
quanto veduta non avëa alcuna.
Noi ci allegrammo, e tosto tornò in pianto;
ché de la nova terra un turbo nacque
e percosse del legno il primo canto.
Tre volte il fé girar con tutte l’acque;
a la quarta levar la poppa in suso
e la prora ire in giù, com’altrui piacque,
infin che ’l mar fu sovra noi richiuso".
Dante AlighieriCommedia, Inferno, canto XXVI
Lecture : Vittorio Gassman
Dès que la flamme fut vers nous arrivée,
mon guide agréant le temps et le lieu,
en ces termes je l'entendis parler :
« Ô vous qui êtes deux dans un seul feu,
si j'ai mérité de vous durant ma vie,
si j'ai mérité de vous beaucoup ou peu
quand mes vers nobles au monde j'écrivis,
ne partez pas ; que l'un de vous indique
où, s'étant perdu, il est allé mourir. »
La haute flèche de cette flamme antique
se mit à vaciller en murmurant
tout comme sous un souffle chaotique ;
puis la pointe ça et là s'agitant,
comme si c'était la langue qui parlait
en jaillit une voix qui disait : « Quand
je quittai Circé, qui m'avait gardé
là-bas près de Gaète plus d'une année,
bien avant qu'Enée l'eût ainsi nommée,
ni tendresse pour mon fils, ni piété
pour mon vieux père, ni le bonheur
qu'à Pénélope mon amour devait
ne purent triompher en moi de l'ardeur
que j'eus à devenir du monde expert,
et des vices de l'homme et de sa valeur :
je repris donc le large, en haute mer
avec un seul bateau et peu d'amis,
ceux-là qui jamais ne m'abandonnèrent.
Jusqu'en Espagne deux rivages je vis,
jusqu'au Maroc, jusqu'à l'île des Sardes,
et les autres que la mer circonscrit.
Mes amis et moi étions de lents vieillards
quand nous parvînmes au détroit resserré
où Hercule posa ses deux butoirs
pour que l'on ne puisse s'y hasarder.
À main droite je quittai donc Séville,
de l'autre Ceuta m'avait déjà quitté.
« Ô frères », leur dis-je, « qui par cent mille
périls êtes venus en occident,
à ce moment si ténu de vigile
qui est ce qui nous reste de nos sens,
veuillez ne pas refuser l'expérience
au-delà du Soleil, du monde sans gens.
Réfléchissez bien sur votre naissance :
non pas pour vivre en bêtes brutes conçus
mais pour suivre vertu et connaissance. »
Mes compagnons furent si convaincus,
par ce bref discours, d'aller de l'avant
qu'avec peine je les aurais retenus ;
nous fîmes, poupe tournée vers l'orient,
de nos rames des ailes en vol de folie,
du côté gauche toujours nous approchant.
De l'autre pôle je voyais la nuit,
toutes ses étoiles, et le nôtre si bas
que le sol marin l'avait englouti.
Cinq fois éteinte et rallumée cinq fois
la lumière était au-dessous de la Lune
depuis notre entrée dans cet obscur pas
quand apparut une montagne brune
vue de loin, qui si haute me semblait
que je n'en avais ainsi vu aucune.
Notre joie fut bientôt en pleurs transformée :
de la terre neuve un ouragan jaillit
qui l'avant du bateau vint percuter ;
en tourbillon tourner trois fois le fit,
la quatrième lever la poupe en l'air
et la proue plonger, comme il plut à autrui,
jusqu'à ce que nous engloutisse la mer. »
Traduction : Danièle Robert (Éditions Actes Sud, 2016)
Image : Renaud Camus (oeuvre de Jean-Paul Marcheschi, La Barque des Ombres)
E’ qui dove vivendo si produce ombra, mistero
per noi, per altri che ha da coglierne e a sua volta
ne getta il seme alle sue spalle, è qui
non altrove che deve farsi luce.
E’ passata, ne resta appena traccia,
l’età immodesta e leggera
quando si aspetta che altri,
chiunque sia, diradi queste ombre.
Quel che verrà, verrà da questa pena.
Siedo presso il mio fuoco triste, attendo
finché nasca la vampa piena o il guizzo
sul sarmento bagnato dalla fiamma.
Tu che aspetti da fuori della casa,
della luce domestica, del giorno ?
Oggi, oggi che il vento
balza, corre nell’allegria dei monti
e a quell’annuncio di vino e di freddi
la furbizia dei vecchi scintilla tra le grinze ?
Quel che verrà, verrà da questa pena.
Altra sorte non spero mai, neppure
sotto il cielo di questo mese arcano
che il colore dell’uva si diffonde
e l’autunno ci spinge a viva forza
fino ai Cessati Spiriti o al Domine quo vadis ?
C'est ici, où vivant l'on produit de l'ombre, mystère
pour nous, pour quiconque doit en récolter sa part et à son tour
en jette la semence derrière soi, c'est ici,
pas ailleurs, que doit se faire la lumière.
Il est passé, à peine en reste-t-il la trace,
l'âge prétentieux et léger
où l'on compte qu'un autre,
n'importe qui, dissipera ces ombres.
Ce qui adviendra, viendra de cette peine.
Je suis assis près de mon triste feu, j'attends
que surgisse la totale flambée ou l'éclair
de la flamme sur le sarment mouillé.
Toi, qu'attends-tu hors de la maison,
hors de la lumière domestique, hors du jour ?
Aujourd'hui, aujourd'hui que le vent
bondit, court dans l'allégresse des montagnes
et qu'à cette annonce de vin et de froids
la ruse des vieillards brille parmi les rides ?
Ce qui adviendra, viendra de cette peine.
Je n'espère jamais d'autre sort, pas même
sous le ciel de ce mois mystérieux
où la couleur du raisin se répand,
et où l'automne nous pousse de vive force
jusqu'aux Cessati Spiriti ou au Domine quo vadis?
Traduction : Antoine Fongaro (Prémices du désert, Poésie / Gallimard, 2005)
Mario Luzi lit Versi d'ottobre :
On peut lire ici le texte de la seconde poésie dite par Mario Luzi : Ignominiosamente.
Un extrait du dernier volume de la série Notes d’un peintre, de Jean-Paul Marcheschi, dont il a été déjà souvent question dans ce blog. L’ouvrage s’intitule L’ouvert sans fin des peintres, et l’on y trouve de passionnantes analyses sur les œuvres de Cézanne, Rodin (ses aquarelles et dessins), Picasso, Twombly. Comme les volumes précédents, celui-ci se présente sous forme de fragments, un peu à la manière de Barthes ; rien de didactique et de « raisonné », à la manière d’un traité, mais plutôt des opinions, humeurs brèves, intuitions. Tout est pris dans le mouvement d’une pensée qui ne s’interdit pas la digression. « Qu’un sens brille un instant, écrit Marcheschi dans son avant-propos, très vite il s’abolit. Non qu’il soit détruit ou perdu, mais qu’il se transforme et se change en un autre. Il faudrait aussi ajouter que ces livres sur l’art sont des reconnaissances de dette, des ex-voto, des remerciements vis-à-vis de ces maîtres que je découvrais enfant ou adolescent, qui non seulement me firent peindre mais m’accueillirent. La joie qu’ils me procurèrent, je la rends à ma façon dans ces écrits qui sont d’abord un exercice de gratitude. » Je cite ici un extrait du chapitre consacré aux dernières années de Cézanne ; il s’agit du fragment intitulé L’éclair de Bâle.
Dans le cas de Cézanne, pour en venir à la question énigmatique de la mémoire, il faut un modèle. Prenons n’importe lequel de ses tableaux — la Sainte-Victoire de Bâle, par exemple ; on fait le voyage de Bâle, on déambule dans les salles du Kunst Museum. On ne sait trop ce que l’on va découvrir. Et voici qu’en arrière de la vue, quelque chose remue qui n’a forme, ni nom. C’est un point blanc — gris-blanc — un cristal qui explose, ourlé de bleu. On est comme aimanté. Plus moyen de s’échapper. On n’est plus aux commandes — ni de son œil, ni de son esprit. Il n’est que de se laisser porter (plus qu’une perception précise, il s’agit d’une onde). Voilà la longue distance de l’œuvre qui s’est mise au travail. À notre insu, on est dirigé lentement vers la tache. Voici qu’apparaît le format (« paysage », de modestes proportions : 60 x 70 centimètres). On ne sait toujours pas ce que l’on voit : une sorte de tapis, de tissu dressé, moucheté, raidi de couleurs ?
Ce trouble, pourtant, Rilke l’a bien décrit : « Même quand on ne regarde aucun de ses tableaux en particulier, rien qu’en restant debout entre deux salles, on sent leur présence se reformer avec une colossale réalité. » Rien de « magique » ici. Expérience éminemment physique, au contraire — concrète, profonde. Mais poursuivons (revenons à Bâle). Le visiteur progresse, il s’avance lentement (change constamment de distance). À un moment donné une vague ressemblance se fait : masse feuillue, rugueuse, droite. Paysage ? Lointains bleutés, ocres, verts émeraude, bleus outremer, gris, trouée blanche ? Montagne claire qui se penche vers la droite ? On s’avance et c’est comme « si les peaux de l’œil tombaient une à une », on se voit voyant. On se sent plus vivant, plus actif, plus présent ; On ressent physiquement le tissu rétinien et chacun des bâtonnets colorés qui le composent.
On a perdu le sujet. Le voici qui revient ! Soudain, sous l’action des touches — tellement présentes — à la fois dissociées et unifiées (par le vide, le blanc écru de la toile) qui s’agrippent à la surface du tableau, dont on commence à voir la trame, les fils verticaux, tressés, la ressemblance s’évanouit (plutôt elle s’épaissit). On se rapproche encore : l’œuvre est à trois mètres de nous. Cette fois le thème est complètement détruit (détruire le thème — la loi — et la saisir justement — c’est Cézanne ! C’est l’Exode de la peinture, Moïse au Sinaï (autre histoire de montagne)). Il ne se reconstruira plus. On ne peut plus s’arrêter. On est encore plus près (à moins d’un mètre du tableau). Au-delà du miroir. Mais quel miroir ? Ici pas de miroir, ni d’image ! L’au-delà c’est l’ici — l’absolument là. La lumière de la ville — lumière froide et blanche, parce qu’on est au printemps, reflétée par le vaste fleuve — entre dans les fentes laissées blanches par le peintre. C’est Bâle qui pénètre dans le tableau. Lui, se tient fermement dans son propre temps. Lequel ? Il fonce vers son amont, vers Pompéi, Naples, la Campanie. Pourtant, c’est la Provence, sa lumière de 1906, exactement saisie ! Mais pas tout à fait non plus ! On recule quelque peu et tout recommence. Mais à rebours. Cavare sans fin.
Jean-Paul MarcheschiCézanne Rodin Picasso Twombly... L'ouvert sans fin des peintres Art 3 éditions, 2016
L'univers élégant : le titre du deuxième CD du jeune auteur compositeur et interprète Gianluca De Rubertis, originaire des Pouilles, lui va comme un gant : des arrangements subtils, une voix de crooner à la tonalité très grave, profonde, du côté de Leonard Cohen, de Nick Cave ou de Paolo Conte, mais un univers vraiment personnel et effectivement élégant... Il y a beaucoup de mélancolie dans ses chansons, une grande lucidité sceptique, une ironie qui tient à distance la douleur, celle des blessures de l'enfance qui brûlent encore quand on y repense (Brucia comme brucia) ou celle des tourments amoureux (Sotto la tua gonna).
De Rubertis sait que la vie est un rêve qui peut virer au cauchemar, et qu'il y a des secrets protégés par des formules cabalistiques qu'il vaut mieux ne pas révéler, comme dans Labbracadabra, qui cache son mystère derrière des allitérations ironiques. L'inspiration est multiple : de la désenchantée Chiedi alla polvere, allusion au roman de John Fante, au franciscain Cantico di una creatura, jusqu'au nocturne rêveur de l'instrumental Chiaro di luna siderale. Il n'y a qu'une seule adaptation, celle d'une chanson enjouée d'Adamo de 1966 Tenez-vous bien, devenue ici Magnifica notte, un hymne mélancolique à la splendeur de la nuit, quand elle nous fait croire que tout est encore possible et que rien ne pourra jamais nous empêcher de réaliser nos rêves et de vivre notre vie...
L'extrait que je propose ici est un duo avec Amanda Lear, Mai più, dans lequel leurs deux belles voix graves et rauques s'accordent merveilleusement pour évoquer de façon légère et distanciée (l'élégance, toujours !) la cruauté et le déchirement du never more, le mai più, le jamais plus. Je recommande vraiment ce très beau disque, disponible sur les sites de vente en ligne, par exemple ici.
Jamais plus (paroles et musique : Gianluca De Rubertis, 2016, Traduction personnelle)
Si l'on en juge par la conclusion
C'est une affaire qui ne peut pas finir
Jamais plus, jamais plus
Tu cherches parmi les hommes des mots subtils
Tu cherches dans les champs des langues inconnues
Jamais plus, jamais plus
Jamais plus le miracle de nos bouches réunies
Jamais plus les courbes de ton regard sur moi
Maintenant il ne reste plus beaucoup de mots
Seulement quelques-uns et je ne veux pas les dire
Jamais plus, jamais plus
Est-ce que tu crois en la résurrection ?
Ce n'est pas un plat que l'on puisse commander
Jamais plus, jamais plus
Jamais plus le miracle de nos bouches réunies
Jamais plus les courbes de ton regard sur moi
Jamais plus de figures planes avec un solide
Jamais plus, jamais plus
Je sens ta joue contre la mienne et tu n'es pas là
Crois-tu que si c'était une maladie
Nous ne trouverions pas le moyen de guérir ?
Jamais plus, jamais plus
J'ai mille collections de phalènes
Mais pas une seule maison que je puisse t'ouvrir
Jamais plus, jamais plus
Jamais plus le miracle de nos bouches réunies
Jamais plus les courbes de ton regard sur moi
Jamais plus de figures planes avec un solide
Jamais plus, jamais plus
Je sens ta joue contre la mienne et tu n'es pas là
La chanson du générique de fin du film de Mauro BologniniUn bellissimo novembre (1969) :
Nuddu (Franco Pisano - Ennio Morricone), chantée par Fausto Cigliano
L'autri nun hanu a viriri quannu ti vardu iu,
l'autri nun hanu a sentiri comu batti u cori.
Si fussi sempri niuru nuddu si n'addunassi,
ma di stu ciatu tou iu sulu m'impazzisciu.
Sulu, sulu nuiautri, tra e manu, ciatu a ciatu,
e tu cu mia e nuddu ci hav'a stari...
L'autri nun hanu a viriri quannu ti vardu iu,
l'autri nun hanu a sentiri comu batti u cori...
Les autres ne doivent pas voir quand je te regarde, les autres ne doivent pas entendre comment battent nos cœurs. Quand je suis près de toi, que personne ne s'approche, je veux être le seul à m'enivrer de ton souffle. Tous les deux seuls, main dans la main, souffles mêlés, toi seul près de moi et personne d'autre... Les autres ne doivent pas voir quand je te regarde, les autres ne doivent pas entendre comment battent nos cœurs...
Don Backy canta L'Immensità (Aldo Caponi - Mogol - Detto Mariano, 1967) :
Io son sicuro che, per ogni goccia,
per ogni goccia che cadrà,
un nuovo fiore nascerà
e su quel fiore una farfalla volerà.
Io son sicuro che,
in questa grande immensità,
qualcuno pensa un poco a me
e non mi scorderà.
Sì, io lo so,
tutta la vita sempre sola non sarò,
un giorno troverò
un po' d'amore anche per me,
per me che sono nullità
nell'immensità.
Sì, io lo so,
tutta la vita sempre solo non sarò,
e un giorno io saprò
d'essere un piccolo pensiero
nella più grande immensità
del suo cielo.
Je suis sûr que, pour chaque goutte, pour chaque goutte qui tombera, une nouvelle fleur naîtra, et sur cette fleur un papillon se posera.
Oui, je suis sûr que
dans cette immensité,
quelqu'un pense un peu à moi
et ne m'oubliera pas
Oui, je le sais, je ne serai pas seul toute ma vie, un jour, je trouverai un peu d'amour pour moi aussi, pour moi qui ne suis que néant dans l'infini...
On trouve une belle exégèse de cette chanson dans le film de Dino Risi Straziami, ma di baci saziami (1969, sorti en France sous le titre : Fais-moi mal mais couvre-moi de baisers) :
Traduction du dialogue :
Marino (Nino Manfredi) : "Je suis sûr que dans cette grande immensité / Quelqu'un pense un peu à moi / Et ne m'oubliera pas / Et un jour, je trouverai un peu d'amour / pour moi aussi "
Marisa (Pamela Tiffin) : "Pour moi qui suis une nullité / dans l'immensité..." J'aime bien la musique, mais les paroles ne me plaisent pas !
Marino : Mais elles ont été écrites pour ceux qui s'aiment, comme toi et moi...
Marisa : Ah bon ? Merci beaucoup ! Alors moi, je serais une nullité ?
Marino : "Nullité" par rapport à l'immensité de l'univers...
Marisa : Non, je ne suis pas d'accord ! C'est notre amour qui est l'immensité ; la nullité, c'est tout le reste !
Marino : Dans le sens où il n'existe rien d'autre en dehors de notre amour ?
Marisa : Oui, plus ou moins... Marino : C'est bien possible ! D'ailleurs, on retrouve la même idée dans la chanson Il y a une maison blanche qui... Attends, je vais te la lire...