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lundi 2 décembre 2013

Cara Maria,




C'est aujourd'hui le quatre-vingt dixième anniversaire de la naissance de Maria Callas ; à cette occasion, je propose ici le texte et la traduction d'une lettre que Pier Paolo Pasolini lui a écrite sur le tournage de Médée, et où l'on retrouve l'expression du lien étrange et profond qui les unissait : fascination, tendresse, complicité pour lui, attirance et amour (impossible) pour elle (dans l'une de ses lettres écrite "depuis les nuages" (elle se trouvait alors dans un avion pour New-York), elle lui dit : "Nous sommes liés par l'esprit, comme il est rare que deux êtres le soient dans la vie.").

« Cara Maria, stasera, appena finito di lavorare, su quel sentiero di polvere rosa, ho sentito con le mie antenne in te la stessa angoscia che ieri tu con le tue antenne hai sentito in me. Un'angoscia leggera leggera, non più che un'ombra, eppure invincibile. Ieri in me si trattava di un po' di nevrosi ; ma oggi in te c'era una ragione precisa (precisa fino a un certo punto, naturalmente) ad opprimerti, col sole che se ne andava. Era il sentimento di non essere stata del tutto padrona di te, del tuo corpo, della tua realtà : di essere stata "adoperata" (e per di più con la brutale fatalità tecnica che il cinema implica) e quindi di aver perduto in parte la tua totale libertà. Questo stringimento al cuore lo proverai spesso, durante la nostra opera, e lo sentirò anch'io con te. È terribile essere adoperati, ma anche adoperare. 
Ma il cinema è fatto così : bisogna spezzare e frantumare una realtà "intera" per ricostruirla nella sua verità sintetica e assoluta, che la rende poi più "intera" ancora. 

Tu sei come una pietra preziosa che viene violentemente frantumata in mille schegge per poter essere ricostruita di un materiale più duratura di quello della vità, cioè il materiale della poesia. È appunto terribile sentirsi spezzati, sentire che in uno certo momento, in una certa ora, in un certo giorno, non si è più tutti se stessi, ma una piccola scheggia di se stessi : e questo umilia, lo sò.
Io oggi ho colto un attimo del tuo fulgore, e tu avresti voluto darmelo tutto. Ma non è possibile. Ogni giorno un barbaglio, e alla fine si avrà l'intera, intatta luminosità. C'è poi anche il fatto che io parlo poco, oppure mi esprimo in termini un po' incomprensibili. Ma a questo ci vuol poco a mettere rimedio : sono un po' in trance, ho una visione o meglio delle visioni, le "Visioni della Medea" ; in queste condizioni di emergenza, devi avere un po' di pazienza con me, e cavarmi un po' le parole con la forza. Ti abbraccio. »




« Chère Maria, ce soir, à la fin de notre journée de travail, sur ce sentier de poudre rose, j'ai perçu avec mes antennes qu'il y avait en toi la même angoisse que celle qu'hier, avec tes antennes, tu as perçue en moi. Une angoisse très légère, à peine plus qu'une ombre, et pourtant invincible. Hier, il ne s'agissait pour moi que d'un peu de névrose ; mais aujourd'hui, il y avait en toi une raison précise (précise jusqu'à un certain point, naturellement) à ton accablement, au moment où le soleil disparaissait. C'était le sentiment de ne pas avoir eu complètement la maîtrise de toi-même, de ton corps, de ta réalité : d'avoir été "utilisée" (et de plus avec la fatale brutalité technique qu'implique le cinéma) et par conséquent d'avoir perdu en partie ta pleine liberté. Tu éprouveras souvent ce serrement de cœur, pendant notre tournage, et je l'éprouverai aussi avec toi. Il est terrible d'être celle qui est utilisée, mais aussi celui qui utilise
Toutefois, c'est une exigence du cinéma : il faut briser en mille morceaux une réalité "entière" pour la reconstruire dans sa vérité synthétique et absolue, qui la rend par la suite plus "entière" encore. 

Tu es comme une pierre précieuse que l'on brise violemment en mille éclats pour qu'elle puisse ensuite être restituée dans une matière plus durable que celle de la vie, c'est à dire la matière de la poésie. Il est justement terrible de se sentir brisés, de sentir qu'à un certain moment, à une certaine heure, en un certain jour, on n'est plus entièrement soi-même, mais seulement un éclat de soi-même : je sais combien cela peut-être humiliant. 
Aujourd'hui, j'ai saisi un instant de ta splendeur, alors que tu aurais voulu me l'offrir tout entière. Mais ce n'est pas possible. À chaque jour sa lueur, et à la fin, on aura la lumière entière et intacte. Il y a aussi le fait que je parle peu, ou que j'ai tendance à m'exprimer de façon incompréhensible. Mais on peut facilement remédier à cela : c'est comme si j'étais en transe, j'ai une vision ou plutôt des visions, les "Visions de la Médée" ; dans cet état d'urgence, tu dois te montrer patiente avec moi, et m'arracher les paroles par la force. Je t'embrasse. »

(Traduction personnelle. Cette lettre inédite a été publiée dans l'édition du dimanche 27 mai 2012 du quotidien La Repubblica. On peut lire l'article intégral ici).












Dei tuoi figli la madre 
Tu vedi vinta e afflitta, 
Fatta trista per te, 
E pur da te proscritta. 
Tu lo sai quanto un giorno t'amò, crudel, 
A te fu cara un dì, crudel ! 
Sola qui, senza amor, scacciata, dolorosa, 
Se mai mi fossi apparso, 
Io sarei buona ancora,
Sarei pietosa! 
Il cor non sapea le orrende passioni ; 
Scorrea la notte in sogni buoni, 
Splendea a me sereno il dì. 
Ero felice allor, 
Avevo un padre, un nido, 
Ho dato tutto a te ; 
Torna sposo per me ! 

Crudel ! Io non voglio che te, 
Lo sdegno mio dimentico ; 
Medea t'implora qui, 
Medea ai piedi tuoi starà ! 
Pietà ! Per tanto amor che volli a te. 
Torna a me ! Torna sposo per me ! 
Torna ancor ! Pietà ! 

Luigi Cherubini  Medea  (Atto Primo)

samedi 30 novembre 2013

Sognando (En rêve)




Don Backy chante Sognando (1978, paroles et musique de Don Backy) :


Me ne sto lì seduto assente, con un cappello sulla fronte
e cose strane che mi passan per la mente.
Avrei una voglia di gridare, ma non capisco a quale scopo
poi d'improvviso piango un poco e rido quasi fosse un gioco.
Se sento voci, non rispondo e vivo in uno strano mondo
dove ci son pochi problemi, dove la gente non ha schemi.
Non ho futuro né presente, e vivo adesso eternamente
il mio passato è ormai per me, distante.
Ma ho tutto quello che mi serve, nemmeno il mare nel suo scrigno
ha quelle cose che io sogno e non capisco perché piango.
Non so che cosa sia l'amore e non conosco il batticuore
per me la donna rappresenta chi mi accudisce e mi sostenta.
Ma ogni tanto sento che gli artigli neri della notte
mi fanno fare azioni non esatte.
D'un tratto sento quella voce, e qui comincia la mia croce
vorrei scordare e ricordare, la mente mia sta per scoppiare.
E spacco tutto ciò che trovo ed a finirla poi ci provo
tanto per me non c'è speranza di uscire mai da questa stanza.
Sopra un lettino cigolante in questo posto allucinante
io cerco spesso di volare, nel cielo.
Non so che male posso fare, se cerco solo di volare
io non capisco i miei guardiani, perché mi legano le mani.
E a tutti i costi voglion che indossi un camice per me
le braccia indietro forte spingo, e a questo punto sempre piango.
Mio Dio che grande confusione, e che magnifica visione
un'ombra chiara mi attraversa la mente.
Le mani forte adesso mordo e per un attimo ricordo
che un tempo forse non lontano qualcuno mi diceva : "T'amo".
In un addio svanì la voce, scese nell'animo la pace
ed è così che da quel dì, io son seduto e fermo qui.


 


Je reste là assis, absent, un chapeau baissé sur le front
et ces choses étranges qui me passent par la tête.
J’aurais bien envie de hurler, mais ça ne servirait à rien
alors je me mets à pleurer et à rire, comme si c’était un jeu.
Si j’entends parler, je ne réponds pas, et je vis dans un monde étrange
où il n’y a que peu de problèmes et pas d’idées toutes faites.
Je n’ai ni présent ni futur, et je vis dans l’éternité
mon passé est désormais pour moi si lointain.
Mais j’ai tout ce dont j’ai besoin, et même pas la mer dans son écrin
n’a toutes les choses dont je rêve, et je n'ai vraiment aucune raison de pleurer.
Je ne sais pas ce qu’est l’amour, et j'ignore les choses qui font battre le cœur
pour moi une femme, c’est seulement quelqu'un qui m’assiste et me nourrit.
Mais parfois, je sens que la nuit avec ses griffes noires
me pousse à faire des choses plutôt bizarres.
Brusquement, j’entends cette voix, et c'est le début de mon calvaire
je voudrais oublier et me souvenir, et ma tête est prête à éclater.
Alors je me mets à tout casser, et j’essaie même d’en finir
de toute façon il n’y a aucun espoir que je sorte un jour de cette chambre.
Sur un petit lit qui grince, dans cet endroit hallucinant
je rêve souvent que je m’envole dans le ciel.
Je ne vois pas quel mal je fais en rêvant simplement de voler
et pourquoi mes gardiens s’obstinent à m’attacher.
Et ils veulent à tout prix me passer cette blouse
je me débats tant que je peux, et je finis toujours par pleurer.
Mon Dieu, quelle grande confusion et quelle magnifique vision
cette ombre claire qui passe dans ma tête.
Je mords très fort mes mains, et un instant je me souviens
qu’il n’y a sans doute pas si longtemps, quelqu’un me disait : "Je t’aime".
En un éclair, la voix a disparu, la paix est enfin venue
et c'est ainsi que depuis ce jour, je suis assis ici, immobile.

(Traduction personnelle)




Images : en haut, Luca Rossato (Site Flickr)

en bas, Matteo Paciotti (Site Flickr)

La version de Mina

vendredi 29 novembre 2013

Santa Lucia




Francesco De Gregori chante Santa Lucia (1976, paroles et musique de F. De Gregori) :
 




Santa Lucia, per tutti quelli che hanno gli occhi
e un cuore che non basta agli occhi
e per la tranquillità di chi va per mare
e per ogni lacrima sul tuo vestito,
per chi non ha capito.

Santa Lucia per chi beve di notte
e di notte muore e di notte legge
e cade sul suo ultimo metro,
per gli amici che vanno e ritornano indietro
e hanno perduto l'anima e le ali.

Per chi vive all'incrocio dei venti
ed è bruciato vivo,
per le persone facili che non hanno dubbi mai,
per la nostra corona di stelle e di spine,
per la nostra paura del buio e della fantasia.

Santa Lucia, il violino dei poveri è una barca sfondata
e un ragazzino al secondo piano che canta,
ride e stona perchè vada lontano,
fa che gli sia dolce anche la pioggia delle scarpe,
anche la solitudine...

 


Sainte Lucie, pour tous ceux qui ont des yeux,
et un cœur pas assez grand pour leurs yeux
pour la tranquillité de ceux qui vont sur la mer
et pour chaque larme sur ta robe,
pour ceux qui n'ont pas compris.

Sainte Lucie, pour ceux qui boivent la nuit
et qui meurent la nuit, qui lisent la nuit
et tombent alors qu'ils étaient presque arrivés,
pour les amis qui s'en vont et reviennent sur leurs pas
parce qu'ils ont perdu l'âme et les ailes.

Pour tous ceux qui vivent à la croisée des vents
et sont brûlés vifs,
pour tous les gens simples qui n'ont jamais de doutes,
pour notre couronne d'étoiles et d'épines,
pour notre peur du noir et de l'imaginaire.

Sainte Lucie, le violon des pauvres est une barque percée
et un petit garçon, au deuxième étage, qui chante faux et qui rit ;
pour qu'il puisse aller loin,
fais que même la pluie dans ses chaussures lui soit douce,
et même la solitude...

(Traduction personnelle)






Image
s : en haut, Gianni Grillo (Site Flickr)

au centre et en bas, Giorgio Bonomo (Site Flickr)

mercredi 27 novembre 2013

Dolcenera (Doucenoire)




Dans cette chanson, Fabrizio de André évoque l'inondation qui a ravagé Gênes en 1972, si violente qu'on ne se rappelait pas en avoir jamais vu de semblable. En ce mois de novembre, elle nous rappelle aussi la tempête qui s'est abattue sur la Gallura, dans le nord de la Sardaigne, emportant — comme dans la chanson — les rues, les ponts, les digues, les voitures et les troupeaux, mais hélas aussi plusieurs vies humaines...

Dolcenera

(Fabrizio de André - Ivano Fossati)

Amìala ch'â l'arìa amìa cum'â l'é
amiala cum'â l'aria ch'â l'è lê ch'â l'è lê
amiala cum'â l'aria amìa amia cum'â l'è
amiala ch'â l'arìa amia ch'â l'è lê ch'â l'è lê

Guardala che arriva guarda com'è com'è
guardala come arriva guarda che è lei che è lei
guardala come arriva guarda guarda com'è
guardala che arriva che è lei che è lei

nera che porta via che porta via la via
nera che non si vedeva da una vita intera così dolcenera nera
nera che picchia forte che butta giù le porte

nu l'è l'aegua ch'à fá baggiá
imbaggiâ imbaggiâ

Non è l'acqua che fa sbadigliare
(ma) chiudere porte e finestre chiudere porte e finestre

nera di malasorte che ammazza e passa oltre
nera come la sfortuna che si fa la tana dove non c'è luna luna
nera di falde amare che passano le bare

âtru da stramûâ
â nu n'á â nu n'á

Altro da traslocare
non ne ha non ne ha

ma la moglie di Anselmo non lo deve sapere
ché è venuta per me
è arrivata da un'ora
e l'amore ha l'amore come solo argomento
 e il tumulto del cielo ha sbagliato momento

acqua che non si aspetta altro che benedetta
acqua che porta male sale dalle scale sale senza sale sale
acqua che spacca il monte che affonda terra e ponte

nu l'è l'aaegua de 'na rammâ
'n calabà 'n calabà

Non è l'acqua di un colpo di pioggia
(ma) un gran casino un gran casino

ma la moglie di Anselmo sta sognando del mare
quando ingorga gli anfratti si ritira e risale
e il lenzuolo si gonfia sul cavo dell'onda
e la lotta si fa scivolosa e profonda

amiala cum'â l'aria amìa cum'â l'è cum'â l'è
amiala cum'â l'aria amia ch'â l'è lê ch'â l'è lê

Guardala come arriva guarda com'è com'è
guardala come arriva guarda che è lei che è lei

acqua di spilli fitti dal cielo e dai soffitti
acqua per fotografie per cercare i complici da maledire
acqua che stringe i fianchi tonnara di passanti

âtru da camallâ
â nu n'à â nu n'à

Altro da mettersi in spalla
non ne ha non ne ha

oltre il muro dei vetri si risveglia la vita
che si prende per mano
a battaglia finita
come fa questo amore che dall'ansia di perdersi
ha avuto in un giorno la certezza di aversi

acqua che ha fatto sera che adesso si ritira
bassa sfila tra la gente come un innocente che non c'entra niente
fredda come un dolore Dolcenera senza cuore

atru de rebellâ
â nu n'à â nu n'à

Altro da trascinare
non ne ha non ne ha

e la moglie di Anselmo sente l'acqua che scende
dai vestiti incollati da ogni gelo di pelle
nel suo tram scollegato da ogni distanza
nel bel mezzo del tempo che adesso le avanza

così fu quell'amore dal mancato finale
così splendido e vero da potervi ingannare

Amìala ch'â l'arìa amìa cum'â l'é
amiala cum'â l'aria ch'â l'è lê ch'â l'è lê
amiala cum'â l'aria amìa amia cum'â l'è
amiala ch'â l'arìa amia ch'â l'è lê ch'â l'è lê

Guardala che arriva guarda com'è com'è
guardala come arriva guarda che è lei che è lei
guardala come arriva guarda guarda com'è
guardala che arriva che è lei che è lei...






Doucenoire

Regarde-la qui arrive, regarde comme elle est, comme elle est
regarde-la  arriver, regarde c'est elle, c'est elle

Noire qui emporte tout, qui emporte la rue
noire que l'on n'avait pas vue depuis une vie entière aussi doucenoire, noire
noire qui frappe fort, qui défonce les portes

................................................................
 
Noire de mauvais sort qui tue et poursuit sa route
noire comme la malchance qui reste tapie dans le noir de la nuit
noire des sources amères quand passent les cercueils

Il n'y a plus rien d'autre à déménager

............................................................

Eau qu'on n'attendait pas, pas du tout bénite
eau qui porte malheur qui monte les escaliers
eau qui emporte la montagne, noie la terre et les ponts

Ce n'est pas l'eau d'un coup de pluie
mais un déluge un déluge

.............................................................

Eau comme de grosses épingles tombées du ciel et des plafonds
eau pour photographies pour chercher des complices à maudire
eau qui enserre les flancs filet refermé sur les passants

.............................................................

Eau qui le soir venu enfin se retire
basse elle se faufile entre les gens comme un innocent qui n'y est pour rien
froide comme la douleur doucenoire sans coeur

.............................................................


Regarde-la qui arrive, regarde comme elle est, comme elle est
regarde-la  arriver, regarde c'est elle, c'est elle...






samedi 23 novembre 2013

Le temps d'une chanson




Mina chante Un anno d'amore (Nino Ferrer - Alberto Testa - Mogol) : 

Si può finire qui
ma tu davvero puoi
buttare via così
un anno d'amore
se adesso te ne vai
da domani saprai
un giorno com'è lungo e vuoto senza me.
E di notte
e di notte
per non sentirti solo
ricorderai
i tuoi giorni felici
ricorderai
tutti quanti i miei baci
e capirai
in un solo momento
cosa vuol dire
un anno d'amore
cosa vuol dire
un anno d'amore.
Lo so non servirà
e tu mi lascerai
ma dimmi, tu lo sai
che cosa perdiamo
se adesso te ne vai
non le ritroverai
le cose conosciute
vissute
con me.
E di notte
e di notte
per non sentirti solo
ricorderai
i tuoi giorni felici
ricorderai
tutti quanti i miei baci
e capirai
in un solo momento
cosa vuol dire
un anno d'amore
cosa vuol dire
un anno d'amore.
E capirai
in un solo momento
cosa vuol dire
un anno d'amore
cosa vuol dire
un anno d'amore.






Et la nuit
et la nuit
pour ne pas te sentir seul
tu te souviendras
de tes jours heureux
tu te souviendras
de tous mes baisers
et tu comprendras
en un seul instant
ce que signifie
une année d'amour.






Mina : Un año de amor (version espagnole)



Images : en haut, Federico Distefano  (Site Flickr

mardi 19 novembre 2013

Le Jour ni l'Heure





"Voca, voca me..."








 Mai 1952

Il peut sembler étrange que Cardarelli ait choisi la via Veneto pour y vivre ses dernières années. S'il y a une rue qui n'aurait jamais dû lui plaire, c'est bien celle-là. Dans les premiers temps de notre amitié, il ne sortait jamais du Corso, des rues de la piazza del Popolo, des trattorias de la via del Gambero. Sa destination la plus audacieuse, le soir, était Tito Magri, un marchand de vins toscan de la via Capo le case, et maintenant le voilà via Veneto, et même dans sa partie supérieure, près de la porte Pinciana, au milieu de la foule des grands hôtels, des coups de sifflets des portiers qui appellent les taxis, des figurants de cinéma qui se font pousser la barbe parce qu'ils jouent dans Quo vadis ? Aujourd'hui, il prenait le soleil et avait l'air de tout approuver, comme le vieil émigrant qui a gagné de l'argent puis est revenu dans son village. En réalité, de l'argent, il en a tout juste pour se payer une pension dans cette rue, et un infirmier. Mais il a la certitude de se sentir riche. Quant à son amour pour son véritable village, il l'a fait passer tout entier dans ses livres et il doit lui en rester bien peu. Il sait que c'est sa dernière étape.

Ennio Flaiano  La solitude du satyre, Editions du Promeneur, 1996 (Traduction : Brigitte Pérol)



Alla morte

Morire sì,
non essere aggrediti dalla morte.
Morire persuasi
che un siffatto viaggio sia il migliore.
E in quell'ultimo istante essere allegri
come quando si contano i minuti
dell'orologio della stazione
e ognuno vale un secolo.
Poi che la morte è la sposa fedele
che subentra all'amante traditrice,
non vogliamo riceverla da intrusa,
né fuggire con lei.
Troppo volte partimmo
senza commiato !
Sul punto di varcare
in un attimo il tempo,
quando pur la memoria
di noi s'involerà,
lasciaci, o Morte, dire al mondo addio,
concedici ancora un indugio.
L'immane passo non sia
precipitoso.
Al pensier della morte repentina
il sangue mi si gela.
Morte non mi ghermire
ma da lontano annùnciati
e da amica mi prendi
come l'estrema delle mie abitudini. 

Vincenzo Cardarelli  Opere Ed. Mondadori, I Meridiani








 À la mort

Mourir, oui,
mais ne pas être agressés par la mort.
Mourir en étant persuadés
qu'il n'y a pas de plus beau voyage.
Et en cet ultime instant être joyeux
comme quand on compte les minutes
à l'horloge de la gare
et que chacune dure un siècle.
Puisque la mort est l'épouse fidèle
qui succède à l'amante volage,
ne la recevons pas comme une intruse,
ne fuyons pas avec elle.
Trop de fois nous sommes partis
sans prendre congé !
Au moment de dépasser
en un instant les limites du temps,
tandis que même la mémoire
de ce que nous avons été s'effacera,
permets-nous, ô Mort, de dire adieu au monde,
accorde-nous encore un délai.
Que l'immense pas
ne soit pas précipité.
À la pensée d'une mort soudaine,
mon sang se glace.
Mort, ne viens pas me saisir
mais de loin, fais-moi signe
et emporte-moi comme une amie,
comme la dernière de mes habitudes.

(Traduction personnelle)








Images : en haut, Site Flickr

au centre et en bas, merci à Patrick Raymond pour ses photos de la Via Veneto  (Site Flickr)



dimanche 17 novembre 2013

Le Sentier des douaniers




Je cite ici un deuxième extrait de Marguerite et les grenouilles, le livre de Marie Ferranti qui réunit quelques belles chroniques, portraits et histoires de Saint-Florent, en Corse. Le sentier des douaniers dont il est question dans ce texte est une vaste étendue de trente-cinq kilomètres de rivages, où, à travers  paysages rocheux et maquis (on longe le désert des Agriates), on peut, à partir de la plage de la Roya à Saint-Florent, rejoindre la plage de l'Ostriconi, en Balagne 

Depuis Chilcott, les temps ont changé. Désormais, l’été, sur le sentier des douaniers, aux alentours de Fornali, au mépris des précautions qu’exige un soleil ardent, de la fatigue, de la connaissance des lieux, on voit déambuler des randonneurs harnachés, ceints de sacs pesants qui leur scient les épaules, chaussés d’énormes bottillons de cuir épais, suivis ou précédés d’enfants à la peau brûlée par le soleil, hagards de fatigue. La jubilation qui les anime, sans doute née de l’épreuve inutile qu’ils s’infligent, crée une pauvre cérémonie de bienséance, un protocole urbain, qui les fait vous saluer, sans vous connaître, d’un air compassé. Parfois, ils vous laissent le passage, avec déférence, ou, arrogants, obstruent le chemin, car celui-ci est public et donc leur appartient. 

Quand ils rejoignent le village, ils ont l’air béat. Une fatigue voisine de l’épuisement donne cet air rêveur, proche de l’extase, mais leur satisfaction naît sans doute du luxe qu’ils pressentent dans cette fatigue superflue, car ils ignorent celle qui est nécessaire. Ployant sous l’effort, que voient-ils de la beauté inquiétante des temps de canicule ? Ils ont oublié le charme des promenades, la fraîcheur de l’ombre, les bienfaits du repos. 




De ces lieux, qui n’étaient pas encore balisés, mais dont ils connaissaient tous les noms et les propriétaires, jadis, les hommes revenaient recrus de fatigue. Le travail était rude et les journées éreintantes. On se lavait de la poussière, on se mettait une chemise propre, et, après dîner, on allait en promenade, à deux pas de chez soi, rejoindre ses voisins et ses amis sur la place du village. Il arrivait que l’on chante des chants très anciens ou que l’on se mette à l’écart pour parler d’amour aux filles. Les vieux et les femmes conversaient tout en surveillant les enfants. Parfois, ceux-ci disparaissaient sur les quais pour continuer leurs jeux à l’abri des regards. On les entendait crier comme des sauvages. À l’appel de leurs mères, ils revenaient, essoufflés, les joues rougies par l’effort. On les grondait de s’être éloignés si longtemps, mais les hommes, animés d’une soudaine mansuétude, prenaient la défense des garçons intrépides. Le ravissement se lisait sur le visage des enfants. On regardait le ciel et cette grande nuit étoilée apaisait tous les cœurs. On rentrait chez soi à petits pas pour en prolonger la douceur et, en chemin, on saluait d’une voix claire le jeune voisin retardataire qui vous dépassait au pas de course.

Marie Ferranti  Marguerite et les grenouilles  Editions Gallimard, 2013












Images : en haut, Vincent Leroy (Site Flickr)

au centre, Corse sauvage  (Site Flickr)

en bas, Marie (Solea20  Site Flickr)

vendredi 15 novembre 2013

Come fossi una bambola




L'image, dit la phénoménologie, est un néant d'objet. Or, dans la Photographie, ce que je pose n'est pas seulement l'absence de l'objet ; c'est aussi d'un même mouvement, à égalité, que cet objet a bien existé et qu'il a été là où je le vois. C'est ici qu'est la folie ; car jusqu'à ce jour, aucune représentation ne pouvait m'assurer du passé de la chose, sinon par des relais ; mais avec la Photographie, ma certitude est immédiate : personne au monde ne peut me détromper. La Photographie devient alors pour moi un medium bizarre, une nouvelle forme d'hallucination : fausse au niveau de la perception, vraie au niveau du temps : une hallucination tempérée, en quelque sorte, modeste, partagée (d'un côté «ce n'est pas là», de l'autre «mais cela a bien été») : image folle, frottée de réel.

J'essaye de rendre la spécialité de cette hallucination, et je trouve ceci : le soir même d'un jour où j'avais encore regardé des photos de ma mère, j'allai voir, avec des amis, le Casanova de Fellini ; j'étais triste, le film m'ennuyait ; mais lorsque Casanova s'est mis à danser avec la jeune automate, mes yeux ont été touchés d'une sorte d'acuité atroce et délicieuse, comme si je ressentais tout d'un coup les effets d'une drogue étrange ; chaque détail, que je voyais avec précision, le savourant, si je puis dire, jusqu'au bout de lui-même, me bouleversait : la minceur, la ténuité de la silhouette, comme s'il n'y avait qu'un peu de corps sous la robe aplatie ; les gants fripés de filoselle blanche ; le léger ridicule (mais qui me touchait) du plumet de la coiffure, ce visage peint et cependant individuel, innocent : quelque chose de désespérément inerte et cependant de disponible, d'offert, d'aimant, selon un mouvement angélique de «bonne volonté». Je pensai alors irrésistiblement à la Photographie : car tout cela, je pouvais le dire des photos qui me touchaient (dont j'avais fait, par méthode, la Photographie même).

Je crus comprendre qu'il y avait une sorte de lien (de nœud) entre la Photographie, la Folie et quelque chose dont je ne savais pas bien le nom. Je commençais par l'appeler : la souffrance d'amour. N'étais-je pas, en somme, amoureux de l'automate fellinien ? N'est-on pas amoureux de certaines photographies ? (Regardant des photos du monde proustien, je tombe amoureux de Julia Bartet, du duc de Guiche.) Pourtant, ce n'était pas tout à fait ça. C'était une vague plus ample que le sentiment amoureux. Dans l'amour soulevé par la Photographie (par certaines photos), une autre musique se faisait entendre, au nom bizarrement démodé : la Pitié. Je rassemblais dans une dernière pensée les images qui m'avaient «point» (puisque telle est l'action du punctum), comme celle de la négresse au mince collier, aux souliers à brides. A travers chacune d'elles, infailliblement, je passais outre l'irréalité de la chose représentée, j'entrais follement dans le spectacle, dans l'image, entourant de mes bras ce qui est mort, ce qui va mourir, comme le fit Nietzsche, lorsque le 3 janvier 1889, il se jeta en pleurant au cou d'un cheval martyrisé : devenu fou pour cause de Pitié.

Roland Barthes La Chambre claire Cahiers du cinéma / Gallimard / Seuil, 1980






Source de la vidéo
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