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mardi 31 août 2010

Lu libbru di li persi (Le livre des disparus)



And who by fire, who by water,

Who in the sunshine, who in the night time,
Who by high ordeal, who by common trial,
Who in your merry merry month of may,
Who by very slow decay,
And who shall i say is calling ? 

Leonard Cohen Who by fire






Rosa Balistreri chante Morsi cu morsi (Qui est mort est mort) (texte et musique de Giuseppe Ganduscio) :


Morsi cu morsi… cu m'amava persi
Comu fineru li jochi e li spassi,
Comu fineru li jochi e li spassi...

'Sta bedda libbirtà comu la persi
L'hannu 'n putìri li canazzi corsi,
L'hannu 'n putiri li canazzi corsi...

Chianciti tutti, li lïùna e l'ursi
Chianci me matri ca 'a vivu mi persi,
Chianci me matri ca vivu mi persi...

Cu dumànna 'i mìa?…Comu 'un ci fussi
Scrivitimi a lu libbru di li persi,
Scrivitimi a lu libbru di li persi...


Qui est mort est mort, et j'ai perdu qui m'aimait

Le temps des jeux et du bonheur est passé...

J'ai perdu ma belle liberté
Livrée aux chiens courants...

Vous pleurez tous, même les lions et les ours,
Comme pleure ma mère qui vivant me perdit...

À qui demande de mes nouvelles, dites que je n'existe plus,
Inscrivez mon nom dans le livre des disparus...






Leonardo Sciascia parle de cette chanson dans son recueil de courts essais Cruciverba (Mots croisés, Fayard, 1985), plus précisément dans le texte qu'il consacre à Renato Guttuso. Je cite ici ce passage dans la traduction de Jean-Noël Schifano :

«J’observe Guttuso tandis qu’il écoute les chansons désespérées de Rosa Balistreri. C’est comme s’il était arrivé aux racines de son angoisse, au fouillis nu des peurs antiques, des antiques souffrances. Quand Guttuso est à Palerme, les soirées sont fréquentes, chez les amis, où Rosa Balistreri chante : avec sa voix viscérale et déchirée, pleine d’amour et de rancœur. D’entre tous les chants, Guttuso semble préférer Morsi cu morsi : un chant de détenu mystérieusement dolent, qui cèle une identité, une histoire. "Elle est morte celle qui est morte et j’ai perdu celle qui m’aimait, les jeux et le bon temps sont finis" : et on traduit tout naturellement "morte" au lieu de "mort" car on a le sentiment que l’homme a tué celle qui l’aimait et qui l’aimait : il découvre, alors, qu’il l’a tuée injustement ; de là le remords, et la contemplation du bonheur lointain et disparu.

"J’ai perdu la belle liberté, je suis désormais au pouvoir des sbires, féroces comme chiens courants ; ainsi tous ils pleurent, même les lions et les ours ; et pleure ma mère, qui moi vivant me perdit. À qui demande de mes nouvelles, faites comme si je n’étais plus : écrivez mon nom au livre des perdus." Nous tuons toujours les choses que nous aimons, nous regrettons toujours les verts paradis de l’enfance et de l’amour ; le monde est une prison, les chiens courants nous plantent leurs crocs. Mais pleure la mère, la nature qui est mère pleure avec elle : et ce ne sont que pleurs sur notre être vivant. Mieux vaut donc être mort, coulé dans le livre des perdus.»






Images : Renato Guttuso Crocifissione (1942) (Source)

lundi 30 août 2010

Addio Roma




Anna Catarina Antonacci interprète le monologue d'Octavie (Monteverdi, Le Couronnement de Poppée, Acte III, scène 6) Accademia degli Astrusi, direzione : Federico Ferri :





A Dio Roma, a Dio patria, amici a Dio.
Innocente da voi partir conviene,
vado a patir l'esilio in pianti amari,
passerò disperata i sordi mari.
L'aria che d'hora in hora
riceverà i miei fiati,
li porterà per nome del cor mio
a veder, a baciar le patrie mura ;
et io starò solinga,
alternando le mosse ai pianti, ai passi,
insegnando pietade ai tronchi, ai sassi,
deh mirate oggi mai perverse genti
allontanarmi dagli amati lidi.
Ahi, sacrilegio duolo,
tu m'interdisci il pianto,
quando lascio la patria
ne stillar una lagrima poss'io,
mentre dico ai parenti, e a Roma a Dio.


Adieu Rome ; adieu, ma patrie ; ô mes amis, adieu.

Innocente, je dois vous quitter,
je vais souffrir de l'exil en pleurs amers,
traverser sans espoir les impassibles mers.
L'air qui d'heure en heure
recueillera mes soupirs,
au nom de mon cœur les portera
jusqu'aux murs sacrés de la patrie ;
et je demeurerai solitaire,
alternant l'errance et les larmes,
enseignant la pitié aux arbres, aux pierres.
Regardez-moi donc, gens pervers,
quitter les rivages aimés.
Hélas, deuil sacrilège,
tu m'interdis les larmes,
au moment où je quitte ma patrie,
et je ne puis laisser couler mes pleurs,
alors qu'à ma famille et à Rome, il me faut dire adieu !

lundi 23 août 2010

Cristo al Mandrione


Cristo al Mandrione (Jésus-Christ au Mandrione) est une des chansons en romanesco (le dialecte romain) écrites par Pasolini pour Laura Betti (sur une musique de Piero Piccioni) au début des années soixante. Le Mandrione était dans les années cinquante une des zones les plus pauvres de Rome. Le nom de ce qui était alors une borgata vient de la rue qui la traverse (Via del Mandrione), où passaient autrefois les troupeaux ("mandrie" en italien) que l'on conduisait aux pâturages. Juste après la seconde guerre mondiale, c'est dans ce quartier que se réfugièrent des rescapés des bombardements, des tziganes et des gens venus du Sud de l'Italie, à l'intérieur de baraques construites sous les arcs du grand aqueduc qui traverse cette zone. Aujourd'hui, le quartier populaire du Mandrione a bien changé, à la suite d'une grande opération dite de "réhabilitation" ; il ne ressemble plus du tout à ce qu'il était quand Pasolini a écrit cette chanson.

La version de Grazia De Marchi proposée ici n'est pas celle que je préfère, mais c'est la seule dont on dispose sur le Net ; il est dommage qu'on n'y trouve pas celle de Laura Betti, et surtout la poignante interprétation de la chanteuse romaine Gabriella Ferri, qui se trouve sur l'un de ses derniers disques, Ritorno al futuro, publié en 1997.





Ecchime dentro qua',
tutta ignuda e fracica
fino all'ossa de guazza,
'ntorno a me che c'è :
quattro muri zozzi un tavolo
un bide'.
Filame se ce sei Gesu Cristo,
guardeme tutta sporca de pianto,
abbi pieta' de me !
Io che nun so gnente
e te er re dei re !
Lavora' senza mai rifiata',
moro ma l'anima nun sa.
Filame se ce sei
Gesu Cristo !





Et je me retrouve encore ici,
dans la boue, nue et trempée jusqu'aux os,
autour de moi, il n'y a que ces quatre murs sales,
une table et un bidet.
Si tu m'entends, aide-moi, Jésus !
Regarde-moi, salie par mes pleurs,
aie pitié de moi, qui ne suis rien,
ô toi, le Roi des Rois !
Je travaille sans relâche,
je meurs, mais mon âme n'est pas en paix.
Jésus, si tu m'entends,
aide-moi !

Source de la vidéo : Site Flickr

Source des images : site Pasolini.net

dimanche 22 août 2010

Se io fossi un Santo... (Si j'étais un Saint...)


Un extrait du chapitre Un santo come me (Un saint comme moi), dans l'ouvrage de Curzio Malaparte Donna come me (Une femme comme moi) :

Se io fossi un Santo, vorrei esser di quelli veri, dei quali, come dei gusti, non si discute : voglio dire uno di quei Santi alla maniera toscana, che son poi i più garbati, i più civili, e i più lieti Santi del calendario, come San bernardino e San Jacopino. E della mia santità vorrei far oggetto non di devozione o di meraviglia, né di spavento o d’invidia, ma di simpatia.

Me ne andrei a vivere dalle mie parti, nella pineta di Galceti o sul poggio della Sacca, a un tiro di schioppo dalla mia città, e a poche miglia da quell’altra mia città ch’è Firenze. Perché un Santo che vive selvatico, in una grotta come un eremita, o in una capanna di frasche come un uccellatore, lontano dal mondo civile, non mi par che vada con i miei gusti, né con la natura dei Toscani. Non proprio in mezzo agli uomini vorrei vivere, né troppo lontano da loro, ma vicino alle loro case, ai loro teatri, ai loro caffè, alle loro piazze ariose, per poter mescolarmi ai discorsi, ai giochi, alle liti, ai negozi, senza tuttavia lasciarmi prender nel giro, e compromettermi più che a un sant’uomo non convenga.

Naturalmente vorrei vestirmi in modo che tutti, a prima vista, mi riconoscessero per santo. Necessaria prudenza in Toscana, dove l’abito fa il monaco. Il che non vuol dire andar vestito di pelli caprine, o di una tonaca rappezzata, e portare il cilicio, i capelli a zazzera, la barba appesa al mento come una barba finta. Mi vesterei di vergatino, e porterei scarpe di vacchetta, camicia di lino grezzo ; e che la giacca fosse comoda, i calzoni ampi, il colletto della camicia largo, da potervi girare il collo senza fatica. Vestito alla buona, insomma, ma andrei in giro armato di bastone, che le ragioni valgono per quel che valgono, e senza un argomento di quella specie nessuna ragione ti serve al viver tranquillo. E che il bastone fosse di cipresso, nodoso e liscio.

Me ne andrei dunque a vivere in una bella villa sui poggi di Prato, con un bel podere intorno, tutto chiaro d’olivi, giallo di grano, rosso di papaveri, verde di vigne, di quelle che danno un vino asciutto e garbato, che appena sulle labbra ti par dolce e risentito, e con una fiammata leggermente aspra ti svanisce in fondo alla gola, lasciandoti nel palato un magro sapore amarognolo. Che son poi le virtù e il modo di comportarsi del vino toscano : anzi, dirò, dei Toscani.

M’alzerei la mattina prestissimo, non appena il ciglio della Retaia diventasse bianco, e subito me ne andrei in giro per i campi, a veder come si svegliano le viti, gli olivi, il grano, e come le canne lungo la Bardena o lungo il Rianoci pigliano il primo vento mattutino.

(...)

Così passerei la mia vita, sorvegliando i miei poderi, discorrendo con i contadini, mutando i pratesi in cicale, in mosconi, in ranocchi ; e di magia in magia, di srtilegio in sortilegio, di miracolo in miracolo, starei contento al quia, cioè ora al meglio ed ora al peggio, ma più spesso al peggio, se è vero che «il peggio è meglio assai del bene».

E un giorno, quando fosse suonata anche per me l’ora di salire in cielo, salirei tranquillamente in Paradiso. Alla pratese, s’intende : col cappello sulla nuca, le mani in tasca, e la pipa in bocca, tra gli applausi di tutto il popolo di Prato. Salirei in cielo come un vero Santo toscano : sorridendo. Come un palloncino di gomma, oscillando nel vento. Come un aquilone, dimenando la coda. Mi perderei fra le nuvole, e prima di sparire saluterei per l’ultima volta, sventolando il cappello, la mia città cinta di mura, irta di camini fumanti : i suoi pergami, le sue statue, le sue chiese, i suoi colombi, i suoi fiaccherai addormentati a cassetta. E sarei il primo Santo pratese : se è vero che nel calendario non c’è neppure un Santo che sia di Prato.

Curzio Malaparte Donna come me, Valecchi ed.






Si j’étais un saint, je voudrais être un saint véritable, de ceux dont, comme des goûts, on ne discute pas : c'est-à-dire un de ces saints à la mode toscane qui, parmi tous ceux qui figurent dans le calendrier, sont les plus courtois, les plus polis et les plus joyeux, comme saint Bernardin et saint Jacques. Et je voudrais que ma sainteté ne soit pas un objet de dévotion ou d’émerveillement, mais de sympathie.

J’irais vivre dans mon pays, dans la pinède de Galceti ou sur la colline des Sacca, à deux pas de ma ville, et à quelques milles de mon autre ville, Florence. Parce qu’il me semble qu’un saint qui vivrait en sauvage, dans une grotte comme un ermite, ou dans une cabane de branchages comme un oiseleur, loin de la société, ne serait conforme ni à mes goûts, ni au tempérament des Toscans. Je ne voudrais vivre ni au milieu des hommes, ni trop loin d’eux, mais à proximité de leurs maisons, de leurs théâtres, de leurs cafés, de leurs places aérées, pour pouvoir me mêler à leurs discours, à leurs jeux, à leurs disputes, à leurs affaires, sans toutefois me laisser trop entraîner, et risquer de me compromettre plus qu’il ne siérait à un saint homme.

Naturellement, je voudrais m’habiller de façon à ce que tous, au premier coup d’œil, me reconnaissent comme un saint. Prudence nécessaire en Toscane, où l’habit a toujours fait le moine. Cela ne signifie pas que je me vêtirais de peaux de bique, ou d’une robe de bure rapiécée, ni que je porterais le cilice, la tignasse, la barbe suspendue au menton comme un postiche. Je porterais des costumes rayés, des chaussures en cuir, des chemises de lin, des vestes et des pantalons amples et confortables, des cols de chemise larges, afin de pouvoir tourner le cou sans difficulté. En somme, je serais correctement habillé : mais je ne sortirais qu’avec un bâton, car quelles que soient les raisons que l’on avance, sans un argument de cette nature, on n’est jamais sûr de pouvoir vivre tranquille. Le bâton sera de préférence en cyprès, noueux et lisse.

J’irais donc vivre dans une belle villa sur les collines de Prato, avec un grand domaine tout autour, baigné par la lumière des oliviers, l’or des blés, le rouge des coquelicots et le vert des vignes, celles qui donnent un vin sec et agréable, qui lorsqu’il se dépose sur les lèvres semble doux et tranquille, puis se révolte soudain dans la bouche en se faisant vif et piquant, avant de disparaître dans la gorge en une flambée légèrement âpre, qui laisse sur le palais une petite saveur aigrelette. En fait, il s’agit là des qualités et des manières du vin toscan, et je dirais même des Toscans.

Je me lèverais très tôt le matin, dès que blanchirait la cime de la Retaia, et j’irais aussitôt me promener dans les champs, pour assister au réveil des vignes, des oliviers, du blé, et pour voir les roseaux, le long de la Bardena ou du Rianoci, s’agiter au premier vent du matin.

(...)

C’est ainsi que je passerais ma vie, veillant sur mon domaine, discutant avec les paysans, transformant les gens de Prato en cigales, en grosses mouches, en grenouilles ; et ainsi de magie en magie, de sortilège en sortilège, de miracle en miracle, je saurais me contenter de mon sort, pour le meilleur ou pour le pire, mais plus souvent pour le pire, s’il est vrai que «le pire est préférable au bien».

Et un jour, quand sonnerait pour moi aussi l’heure de monter au ciel, j’irais tranquillement au Paradis. À la manière des gens de Prato, bien sûr : avec le chapeau sur la nuque, les mains dans les poches et la pipe au bec, au milieu des applaudissements de tout le peuple de Prato. Je monterais au ciel comme un vrai saint toscan : le sourire aux lèvres. Comme un petit ballon de caoutchouc se laissant porter par le vent. Comme un cerf-volant balançant sa traîne. Je me perdrais dans les nuages, et avant de disparaître, j’agiterais mon chapeau pour saluer une dernière fois ma ville serrée dans ses murs, hérissée de cheminées fumantes : je saluerais ses chaires, ses statues, ses églises, ses pigeons, ses cochers endormis sur leurs sièges. Et je deviendrais le premier saint de Prato, s’il est vrai que dans le calendrier ne figure pas un seul saint qui soit de Prato.

(Traduction personnelle)

Images : en haut, Xavier de Jauréguiberry (Site Flickr)

en bas, soares77 (Site Flickr)

mardi 10 août 2010

Le sentier introuvable




Une lecture des Carnets de Marche, d'Angèle Paoli :


À quels rendez-vous se rend-elle, cette inlassable marcheuse qui nous offre aujourd’hui ces soixante et un fragments, plus ou moins longs, de ses Carnets ? Le lecteur sait dès la première page qu’il y a eu une séparation douloureuse, une absence dont elle souffre, des blessures toujours à vif. La marche et l’écriture vont donc permettre de dire cette douleur, de l’apprivoiser, de l’éloigner, mais peut-être aussi de l’approfondir et de la rejoindre. Marcher et écrire, dans un même mouvement et dans un même souffle, se perdre et se retrouver dans ce maquis corse à la fois familier et étranger, à la recherche d’un sentier introuvable...

La nature offre le refuge, l’abri que l’on recherche, "abri-chêne" ou creux de roche d’où la narratrice peut observer sans être vue, rêver et s’abandonner, bercée par les odeurs du maquis et le grand silence que n’habitent que le bruit du vent, le son des cloches, la présence des insectes, des oiseaux et des troupeaux. Mais la nature n’est pas seulement consolatrice, elle peut aussi troubler et inquiéter, comme ces superbes massifs d’hellébores (Helleborus corsicus), la fleur vénéneuse que l’on retrouve au fil des pages tel un mystérieux leitmotiv. Il y a aussi ces coups de fusil soudains, ces jappements de chiens qui font craindre que la promenade se transforme en traque, comme sur les contrées maudites du comte Zaroff. Dans ce paysage de fin des terres (le Cap Corse) qu’elle connaît bien, la narratrice retrouve aussi les traces d’anciens massacres (le hameau de Ficajola incendié par les lansquenets du condottiere génois Andrea Doria) et les menaces d’une possible disparition : «Dans cinquante ans peut-être, l’île ne sera plus que dunes de sable. Ou pire, un vaste paysage de détritus encastrés les uns dans les autres. Une décharge généralisée de Muragellu.» Comment s’opposer à la "loi invisible d’ici", à cet ubac de l’île qui est aussi son irréductible part d’ombre ? La question est angoissante, et la Corse qu’évoque Angèle Paoli n’a rien de conventionnel ni de folklorique ; certes, le soleil et la mer y règnent, mais il suffit d’un jour de brouillard pour que le décor change et que l’on se retrouve dans les Moors et les Hauts de Hurlevent : «même maquis ras, délimité par des murets aux pierres moussues. La brume dense et mobile qui se déplace sur l’arrondi de la montagne. Wuthering Heights». De la même façon, un rocher émergeant d’un bosquet peut aussitôt nous transporter à Hanging Rock, en Australie, ou une montagne surgissant au détour d’une courbe (le Monte Minerviu) évoquer le légendaire Kaos
de Pirandello.

Alors, à quels rendez-vous se rend-elle, l’inlassable marcheuse? Ce n’est sans doute pas l’apaisement ou la sérénité qui se trouvent au bout du chemin, et le désespoir est souvent à l’affût, qui fait que l’on se demande pourquoi on ne peut pas mourir de ne plus être aimé ; mais il y a l’écriture qui porte et qui emporte, vers des confins où souvent la prose rejoint le poème (et se souvient de Rimbaud, d’Apollinaire, d’Artaud, de Duras, et des Italiens : Andrea Zanzotto, Mario Luzi). Tout se termine par le silence et le vent du matin qui gifle et qui grince, mais celle qui se définit comme "une colportrice de mots sans échos" peut être sûre que les siens résonneront longtemps encore dans la mémoire de ses lecteurs.


Les Carnets de Marche d'Angèle Paoli ont paru en juillet 2010 aux éditions du Petit Pois.

Image : merci à pass2b (Site Flickr)

lundi 2 août 2010

Furore !



« Crude furie degl'orridi abissi
aspergetemi d'atro veleno !
Crolli il mondo e'l sole s'eclissi
a quest'ira, che spira il mio seno ! »


Serse, atto III, scena XI G.F. Händel (testo di N. Minato e S. Stampiglio)

Joyce DiDonato, au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, le 27 juillet 2009.



mercredi 7 juillet 2010

L'alba a Marsala (L'aube à Marsala)


Je cite ici deux extraits du dernier ouvrage de Giuseppe Culicchia, Sicilia, o cara. Comme l’indique le sous-titre, Un viaggio sentimentale, l’auteur y évoque des souvenirs d’enfance, liés à sa découverte de la Sicile en 1972 (et plus spécialement de la ville de Marsala, que son père avait quitté vingt-cinq ans plus tôt pour chercher du travail à Turin). Le ton est souvent mélancolique et nostalgique, et le rythme de la narration plutôt contemplatif, bien loin en tout cas de la frénésie volontairement répétitive du précédent livre de Culicchia, Brucia la città.

Tutte le volte che torno a Marsala faccio in modo di passare almeno una sera seduto con le gambe penzoloni sul pelo dell’acqua all’estremità del molo per Mozia, guardando l’isola che si staglia nera contro il cielo invaso dal rosso del sole sul punto di tramontare al di là dell’orizzonte, nel breve tratto di mare che da qui sembra quasi unire, anziché separare, Marettimo e Favignana. In quel punto non si sente altro rumore che quello del mare e del vento. Se chiudo gli occhi mi rivedo in barca con mio padre, mia madre, mia sorella, con Nuzzo e il barcaiolo. È di nuovo il 1972. Siamo ancora tutti vivi. Sono ancora bambino. Poi li riapro.

(...)

L’alba a Marsala quando tutto si risveglia al sorgere del sole e il mare e il vento, o la sua assenza, ti dicono che giornata sarà, e il profumo di pini che ti fa venire voglia di andare a correre lungo la litoranea.

Cerco di immaginarmi come possa essere diversa l’alba a Marsala per chi a Marsala ci è nato e vissuto : l’alba dei panettieri, l’alba dei giornalai, l’alba di chi lavora nelle cantine e di chi ad agosto si alza dal letto per andare a vendemmiare. L’alba dei pescatori e l’alba dei militari, l’alba dei pasticceri e l’alba dei baristi. Di sicuro anche per loro c’è stato un giorno in cui da bambini si sono svegliati tanto presto la mattina e hanno pensato che la luce dell’alba rendesse Marsala ancora più splendente e meravigliosa che mai.

Marsala, dopo che ci sei stato, non ti lascia più. Impossibile dimenticarla. Al tramonto, ammirata da uno dei moli che si allungano sulle acque basse dello Stagnone, Marsala si tinge d’oro e di rosso e splende di una luce calda nel silenzio rotto solo dal rumore del mare.
Tu la guardi un’ultima volta e non puoi fare a meno di riprometterti di tornare a trovarla, un giorno.

Giuseppe Culicchia Sicilia, o cara Feltrinelli ed., 2010

Toutes les fois que je reviens à Marsala, je m’arrange pour passer au moins une soirée assis les jambes pendantes au-dessus de l’eau à l’extrémité de l’embarcadère pour Mozia, à regarder la silhouette noire de l’île qui se détache sur le ciel envahi par le rouge du soleil qui s’apprête à basculer de l’autre côté de l’horizon, dans le bras de mer qui d’ici semble unir, plutôt que séparer, Marettimo et Favignana. À cet endroit, on n’entend pas d’autre bruit que celui de la mer et du vent. Si je ferme les yeux, je me revois dans une barque avec mon père, ma mère, ma sœur, Nuzzo et le batelier. Je me retrouve en 1972. Nous sommes tous encore vivants. Je suis encore un enfant. Et puis je rouvre les yeux.

(...)

L'aube à Marsala, quand tout se réveille avec le lever du soleil, et la mer et le vent, ou son absence, te disent à quoi ressemblera la journée, et le parfum des pins qui te donne envie d’aller courir sur la route côtière.

J’essaie de m’imaginer combien l’aube à Marsala peut être différente pour ceux qui y sont nés et y ont vécu : l’aube des boulangers, l’aube des marchands de journaux, l’aube de ceux qui travaillent dans les chais, de ceux qui en août se lèvent pour aller vendanger. L’aube des pêcheurs et l’aube des militaires, l’aube des pâtissiers et l’aube des garçons de café. Il y a certainement eu pour eux aussi un jour où, enfants, ils se sont levés le matin très tôt en pensant que la lumière de l’aube rendait Marsala encore plus resplendissante et plus merveilleuse que jamais.

Quand on est allé à Marsala, on ne peut plus l’oublier. Au crépuscule, quand on l’admire depuis l’un des môles qui s’étendent sur les eaux basses du Stagnone, Marsala se teinte d’or et resplendit d’une lumière chaude dans le silence seulement rompu par le bruit de la mer. On la regarde une dernière fois et on ne peut pas faire autrement que de se promettre d’y revenir, un jour.

(Traduction personnelle)

Image : Site Flickr

Giuseppe Culicchia parle de Sicilia, o cara (en italien)

Quelques comptes rendus de lecture :

La Repubblica

Corriere della sera

La Stampa

Un autre compte rendu ici.

Murieduri, un site consacré à Giuseppe Culicchia.

mardi 6 juillet 2010

Questo è il fin...



Atlante aixois sortant de la représentation de Don Giovanni, hier soir, au Théâtre de l'Archevêché.

À titre de consolation, voici une leçon de chant mozartien : Luigi Alva dans le rôle de Don Ottavio, en 1960, dans la même ville et le même théâtre (erano altri tempi...).






ll mio tesoro intanto
Andate a consolar,
E del bel ciglio il pianto
Cercate di asciugar.

Ditele che i suoi torti
A vendicar io vado,
Che sol di stragi e morti
Nunzio vogl’io tornar.

(Da Ponte - Mozart, Don Giovanni, Acte II, scène X)

Allez, pendant ce temps,
Consoler celle que j'aime
Et de ses beaux yeux cherchez
À sécher les larmes.

Dites-lui que je vais
Venger les torts qu'elle a subis
Et que je ne veux revenir
Que pour annoncer des massacres et des morts.


«Ce soir, 21 juillet [1958], je tourne le bouton de la radio. Ô merveille ! Je plonge d'un seul coup dans le Don Juan d'Aix. La terrible joie du débauché traverse la nuit orageuse et déferle dans cette chambre de Seine-et-Oise. Je n'irai pas dormir avant d'avoir reçu la visite du Commandeur. Ce sont les marches de mon escalier qui vont retentir dans un instant sous les semelles de pierre. Il vient toujours dans toute vie.»


François Mauriac, Bloc-notes 1958-1960


Source de la vidéo : Site YouTube

Image : Site Flickr

dimanche 4 juillet 2010

Corsicana


Maria Carta chante Corsicana (chanson traditionnelle sarde) :

Lu cori chi t'hagghiu datu
sta dì e notti tristu
no t'haissi mai vistu
pa no patì lu chi patu.

Lu cori chi m'hai presu
mai più me l'hai discioltu
di solti chi m'hai moltu
senza piddammi la vita.

Lu sonnu da l'occi mei
s'è di lu tutt'appaltatu
pinsendi in te incantatu
passu dì e notti intrei.

Dimmi cun sinzeridai
comu stocu in lu to cori
è veru chi m'hai amori
o no m'hai amatu mai ?

Le cœur que je t'ai donné
est triste le jour comme la nuit
si je ne t'avais jamais vue
je ne souffrirais pas ainsi.

Le cœur que tu m'as pris
tu ne me l'as jamais rendu
de sorte que tu m'as tué
sans jamais me prendre la vie.

Je ne ferme plus les yeux
le sommeil m'a fui
je passe mes jours et mes nuits
à ne penser qu'à toi.

Dis-moi avec sincérité
ce que tu ressens pour moi
est-il vrai que tu m'aimes
ou ne m'as-tu jamais aimé ?







Source de la vidéo : Site YouTube

Image : Gianluca Mureddu (Site Flickr)

samedi 3 juillet 2010

La Notte brava



Laurent Terzieff (27 juin 1935 - 2 juillet 2010)




 
« Je veux te couvrir de roses ! »

 
 Extrait de La Notte brava, de Mauro Bolognini (1959, titre français : Les Garçons)

Source de la vidéo : Site YouTube

mercredi 30 juin 2010

La lumière et les ombres




Le texte que l'on va lire ici a été publié dans la revue Cinéforum en 1968, au moment de la sortie française de Prima della Rivoluzione (le film a été projeté en France quatre ans après sa sortie italienne). L'entretien a été repris dans un ouvrage qui vient de paraître en Italie, La mia magnifica ossessione (Garzanti ed.) : c'est cette version-là que j'ai traduite ici. Les propos de Bertolucci sont bien sûr marqués par l'ambiance idéologique de l'époque, avec son insistance sur la thématique marxiste qui est sans doute l'élément le plus daté de l'entretien. Mais on retrouve aussi dans ce texte l'intelligence de Bertolucci, et sa passion pour le cinéma (sa «magnifique obsession», selon le titre du livre qui vient de paraître en Italie) qui font que l'essentiel de ce qui est dit reste fort et passionnant. Il y a dans les premiers films de Bertolucci (disons jusqu'à La Stratégie de l'araignée), une force poétique (à laquelle l'influence de son père, Attilio Bertolucci, n'est sans doute pas étrangère), un sens de la métaphore, une ambiguïté des personnages qui dépassent largement l'aspect idéologique du propos, à la différence me semble-t-il des films de Bellocchio de la même époque, beaucoup plus marqués et datés de ce point de vue. Je place à la fin du texte un extrait du documentaire de Jean-André Fieschi Pasolini l'enragé, où l'on peut voir un Bertolucci de vingt-cinq ans témoigner (en français) à propos de son travail auprès de Pasolini sur le tournage d'Accatone. Au passage, on ne peut qu'être frappé par son extraordinaire ressemblance avec Francesco Barilli, le Fabrizio de Prima della Rivoluzione ; j'aime aussi ce moment de l'entretien où Bertoluccci s'interrompt pour dire à Pasolini qui vient d'entrer dans la pièce : «Esci, per favore, non posso parlare davanti a te.» (Sors, je t'en prie, je ne peux pas parler devant toi.)...

La droite et la gauche italiennes ont attaqué Prima della Rivoluzione pour des raisons essentiellement idéologiques. Il s’agissait en fait d’un conflit de générations. Nous faisons partie d’une génération qui est née trop tard pour participer à la Résistance, et trop tôt pour partager l’idéologie beatnik ou tout ce qui lui ressemble. De plus, nous avons découvert la politique dans les années qui marquaient la fin de l’engagement. C’était une période de vacuité, et c’est pour cela que Prima della Rivoluzione est un film ambigu, je n’ai pas peur de le dire. Doublement ambigu, même : sur le plan d’un certain discours politique, mais aussi sur le plan de l’esthétique, du langage cinématographique. Je crois que les cinéastes, et plus spécialement ceux qui sont jeunes et n’ont pas achevé leur formation, ne doivent pas seulement prendre conscience d’eux-mêmes par rapport au monde, à la société et à l’histoire, mais aussi par rapport au cinéma. Il faut s’interroger sans relâche sur ce que représente le cinéma, même s’il est impossible de donner à cette question une réponse dogmatique. Ce qui est merveilleux lorsque l’on voit un film, c’est de découvrir «le cinéma» à travers ce film.




Dans Prima della Rivoluzione, j’ai voulu décrire un personnage de vaincu, d’impuissant, qui croit être quelque chose alors qu’il n’est rien. À un autre niveau, Fabrice, c’est moi, comme je suis aussi Gina, Puck, ou Cesare. Il y a un lien d’affection qui m’attache à ces personnages, c’est une chose qui m’a sauté aux yeux quand j’ai revu le film deux ans après l’avoir tourné. D’autre part, un metteur en scène aime toujours ses personnages. Si je devais faire un film avec des personnages vraiment négatifs, je ne sais pas très bien comment j’assumerais cela. Fabrizio représente l’impossibilité pour un bourgeois d’être marxiste. Il cristallise ce qui m’effrayait quand je tournais le film : l’impossibilité pour moi d’être un marxiste bourgeois.

C’est un problème que je n’ai pas encore résolu : la seule façon d’être marxiste, pour moi, c’est d’adhérer au dynamisme, à l’incroyable vitalité du prolétariat, du peuple, qui est la seule force révolutionnaire qui existe au monde. Je me place derrière ce mouvement et je me laisse porter, pour ne pas être poussé trop en avant. Il faut dire aussi que mon discours était volontairement ambigu : il est important de regarder en face sa propre ambiguïté et de chercher à la dépasser. Je suis double parce que je suis un bourgeois, comme Fabrice dans le film, et je fais des films pour éloigner des dangers, des peurs qui m’habitent : peur de la faiblesse, de la lâcheté. Je viens d’une bourgeoisie terrible parce qu’elle est très rusée ; elle a tout prévu et accueille à bras ouverts le réalisme et le communisme. Mais cette attitude libérale est évidemment le masque de son hypocrisie. À propos de réalisme, je voudrais dire que ce que je n’aime pas dans le cinéma italien, c’est qu’il n’est pas un cinéma réaliste, mais plutôt naturaliste. Ceci est à l’origine d’un grand malentendu : on s’obstine à appeler « réalisme» ce qui n’en est qu’une caricature. Le cinéma de Godard, par exemple, est réaliste. Et en Italie, le seul grand réaliste est Rossellini.

Dans Prima della Rivoluzione, il y a à la fois du courage et de la complaisance : du courage parce que le film est une sorte d’exorcisme par lequel je m’efforçais de couper les ponts avec mon enfance et mon adolescence ; complaisance parce que cette rupture volontaire n’allait pas sans quelque regret. J’avais vingt trois ans et je n’avais jamais connu la «douceur de vivre». C’est pour cela que j’ai mis en épigraphe la phrase de Talleyrand. J’avais d’abord l’intention de placer la phrase à la fin du film, parce qu’elle aurait eu un sens très fort à la suite de tout ce qui était advenu. Mais ce sens aurait peut-être été trop fort, justement, et j’ai préféré mettre la citation au début, comme pour annoncer la couleur et le ton du film.

J’ai toujours été frappé par le fait que l’on se rappelle davantage la lumière des films que l’on a aimés, plutôt que leur contenu, l’histoire qu’ils racontent. Il y a ainsi une lumière de Voyage en Italie, qui n’est pas la lumière conventionnelle du Sud italien, comme l’est par exemple celle de Salvatore Giuliano, mais une lumière absolument «inventée». Et il y a aussi une lumière d'À bout de souffle, laquelle, selon moi, restera la lumière la plus caractéristique des années Soixante. Peut-être y a-t-il aussi une lumière de Prima della Rivoluzione.




Mon film s’inscrit dans le sillage de Stendhal. Surtout parce que la Parme qu’il évoque est une ville rêvée. Ses descriptions ne sont pas du tout fidèles à la réalité et, dans ses notes de voyage, il dit simplement : «Parme est une ville plutôt plate.», avant de passer aussitôt à un autre sujet. Je crois qu’il y a situé l’action de la Chartreuse uniquement en raison de sa passion pour Corrège. D’autre part, comme chacun sait, il n’y a jamais eu de Chartreuse à Parme.

Verdi a lui aussi un rôle bien particulier dans le film. Verdi, qui représentait à la fin du dix-neuvième siècle l’esprit de la révolution, incarne fort bien aujourd’hui celui de la bourgeoisie. La grande scène de l’Opéra, avec la représentation de Macbeth, permet dans le film de montrer un temple de la bourgeoisie, à la fois grandiose et trompeur.

On cherche toujours au cinéma à créer des métaphores, mais cela n’en vaut pas la peine, parce que les métaphores naissent spontanément. Je n’aime pas pour ma part la métaphore «voulue», comme le gros poisson mort que l’on voit à la fin de la Dolce vita.Il n’y a pas besoin d’organiser les choses puisque, à partir du moment où l’on monte les plans d’un film, on voit aussitôt surgir des métaphores. C’est d’ailleurs une chose étrange, parce que le cinéma n’est pas en son essence métaphorique : les images sont absolues, alors que les mots sont métaphoriques. Si l’on écrit le mot «arbre» dans un poème, le lecteur est libre d’imaginer tous les arbres qui existent dans le monde, le mot est le symbole de quelque chose d’autre ; alors que lorsque l’on filme un arbre, c’est seulement cet arbre-ci et pas un autre, il ne peut pas être le symbole d’autres arbres. Ce qui est bizarre dans le cinéma, c’est que le caractère absolu de l’image est aussitôt contredit dès qu’on la fait suivre par une autre image : c’est de cette succession que naît la métaphore. Jusqu’à Prima della Rivoluzione, je croyais que la poésie et le cinéma étaient une seule et même chose. Après, j’ai changé d’avis. Ce que je continue toutefois à penser, c’est que le cinéma est plus proche de la poésie que le théâtre ou le roman. Non pas en raison d’un illusoire langage commun, mais simplement parce que l’on peut avoir, en faisant du cinéma, une grande liberté, la même que celle dont on dispose quand on écrit des poésies. Selon moi, le romancier est beaucoup moins libre.

Je dois tout à mon père : c’est lui qui m’a fait connaître la poésie, non pas en m’enseignant des dogmes ou des théories, mais en me rendant sensible à une sorte de poésie totale de la vie. J’ai commencé à écrire des poèmes à sept ans, pour l’imiter, et j’ai cessé beaucoup plus tard d’en écrire, justement pour ne plus l’imiter, parce qu’il devenait paradoxal que je passe ma vie à imiter mon père. Il était aussi critique cinématographique ; nous habitions à la campagne dans les environs de Parme et deux ou trois fois par semaine, il m’amenait en ville pour y voir des films. C’est ainsi que j’ai connu John Ford et les autres grands auteurs. Il a été pour moi un initiateur, tant dans le domaine du cinéma que dans celui de la poésie.

Les cinéastes que je préfère sont Pasolini et Godard. Je les aime parce qu’ils sont deux grands esprits et deux grands poètes ; c’est justement pour cela que je veux faire des films contre Pasolini et contre Godard, parce que je suis convaincu que pour avancer, il faut nécessairement faire la guerre à ceux que l’on aime le plus.

(Les propos de Bernardo Bertolucci ont été recueillis par Jean-André Fieschi et publiés dans le numéro 73 de la revue Cinéforum (mars 1968). Ils ont été repris en italien dans La mia magnifica ossessione (Garzanti, 2010). Traduction personnelle)




Source de la vidéo : Site YouTube

Images
: en haut, Patrick Chartrain (Site Flickr)


autres : site Meddle TV

jeudi 24 juin 2010

Azzurri


"Azzurro, il pomeriggio è troppo azzurro, e lungo per me..."




"Sento fischiare sopra i tetti un aeroplano che se ne va..."

Source de la vidéo
: Site YouTube

mercredi 23 juin 2010

Occhio di capra


HANNU A PASSARI STI VINTINOV'ANNI | UNNICI MISI E VINTINOVI JORNA. Hanno da passare questi ventinove anni | undici mesi e ventinove giorni. Distico che come modo proverbiale sopravvive all'ottava che così comincia. L'intero canto si trova in più di una raccolta, ed è notissimo per la diffusione che in questi anni ne hanno fatto la radio e la televisione (quasi sempre cantato da Rosa Balistreri). Dice, in prima persona, di un uomo condannato a trent'anni di carcere, e ne ha scontato un solo giorno : con spavalda e atroce ironia sulla propria sorte. E a Racalmuto i due versi appunto si dicono a fare ironia su se stessi, quando ci si trova in una condizione che non consente fuga, quasi disperata.

Leonardo Sciascia Occhio di capra, ed. Einaudi

Il reste à passer ces vingt-neuf ans | onze mois et vingt-neuf jours. Distique qui, sur un mode proverbial, survit à la strophe de huit vers qui commence ainsi. Le chant, dans son intégralité, se trouve dans de nombreux recueils, et il est devenu très célèbre à la suite de ses nombreuses diffusions à la radio et à la télévision ces dernières années (presque toujours dans la version chantée par Rosa Balistreri). C'est le témoignage, à la première personne, d'un homme condamné à une peine de trente ans de prison, dont il n'a purgé qu'un seul jour : de façon atroce et fanfaronne, il ironise ainsi sur son triste sort. Et justement, à Racalmuto, on dit ces deux vers pour ironiser sur soi, quand on se trouve dans une situation sans issue, pratiquement désespérée.

Oeil de chèvre est disponible en français aux éditions Fayard.

Voici la chanson dont parle Sciascia dans son texte, Buttana di to mà (Putain de ta mère) :

Buttana di to mà ‘ngalera sugnu
Senza fari un millesimu di dannu
Tutti l’amici mia cuntenti foru
Quannu carzarateddu mi purtaru
Tutti lì amici mia ‘nfami e carogna
Chiddu ca si manciau la castagna
Quannu arristaru a mia era ‘nuccenti
Era lu jornu di tutti li santi
Nun sugnu mortu no ! Su vivu ancora !
Ogliu ci nn’è e la lampa ancora addruma
Si voli Diu e nesciu di sta tana
Risposta cci haju a dali a li ‘nfamuna
Hannu a finiri sti vintinov’anni
Unnici misi e vinti novi jorna.


Putain de ta mère, je suis en prison
Alors que je n’ai rien fait de mal.
Tous mes amis étaient ravis
De me voir emprisonné.
Traîtres tous ces amis, mais vraie charogne
Celui qui m’a dénoncé
Alors que j’étais innocent.
C’était le jour de la Toussaint
Mais je ne suis pas mort ! Je suis encore vivant !
Il y a toujours de l’huile dans la lampe
Et elle éclaire encore !
Si Dieu me permet de sortir de ce trou,
Je me vengerai de tous ces traîtres.
Il reste à passer ces vingt-neuf ans
Onze mois et vingt-neuf jours.





lundi 21 juin 2010

Celesti prati (Champs d'azur)




Nico Naldini est sutout connu comme biographe de son cousin Pasolini (la mère de Naldini était la sœur de Susanna Colussi-Pasolini), mais c'est aussi un très bon poète. On retrouve dans ses vers, d'un lyrisme pur et volontiers bucolique, l'influence de Saba et de Sandro Penna, mais aussi celle du Pasolini des poèmes frioulans. Les deux poèmes que je cite ici sont extraits du premier recueil de poésies de Naldini, La Curva di San Floreano. Ils ont été traduits en français par René de Ceccatty, dans une anthologie intitulée Je reviens des champs d'azur, publiée en 2000 aux éditions du Scorff.



Ritorno dai celesti prati


Ritorno dai celesti prati
quando d'incenso si veste
la recente sera.
E s'ode la voce di un fanciullo
smarrito nei campi
quando già ansiosa la sera
sulle erbe piove.


Je reviens des champs d'azur

Je reviens des champs d'azur

quand se vêt d'encens
le soir qui tombe à peine.
Et l'on entend la voix d'un enfant
perdu dans les prés
quand le soir déjà anxieux
pleut sur les herbes.



Con l'amico tornando dal campo

Lieti fanciulli siamo sul carro
incontro alla sera, fra campi odorosi,
fresche ventate e caldi soffi.

L'erba medica è umida
e un soave odore di erbe falciate
allegre nell'estivo calore.

Andiamo incontro al paese
che la sera vela
e ogni nostra voce s'è stancata
e più calde sono le case.
Dentro, al lume dei lampioni
fuma la cena,
e in qualche orto, fra casa e casa
un cuculo si prepara al canto.


En revenant des champs avec mon ami


Enfants joyeux, nous sommes sur la charrette
à la rencontre du soir, parmi les champs parfumés,
les fraîches bourrasques et les souffles chauds.

La luzerne est humide
et une suave odeur d'herbes fauchées
gaies dans la chaleur de l'été.

Nous allons à la rencontre du village
que voile le soir
et toutes nos voix se sont lassées
et les maisons sont plus chaudes.
À l'intérieur, à la lueur des lampions,
le dîner fume,
et dans quelque potager, entre deux maisons,
un coucou se prépare au chant.

Nico Naldini Je reviens des champs d'azur (édition bilingue)
Editions du Scorff, 2000

Traduction : René de Ceccatty

Images (1) et (2) : Site Flickr

dimanche 20 juin 2010

Italiques


À Rome en septembre
Hôtel du Sénat,
À Nice en décembre
Place Masséna,

Devant qu'attaquée
Que de jours cueillis,
Devant que marquée
Pour les jours punis !

Mais ne crois qu'on meure.
Car si tu mourais,
Je te chercherais
Dans l'autre demeure.

Entends-moi déjà
Chez les exilées...
Tu m'entends déjà,
Prête aux envolées :

«Viens. La place d'Espagne a mis ses azalées

Marcel Thiry Le Jardin fixe, Italiques, 1969

Image : Francesco De Benedetto (Site Flickr)