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lundi 30 juin 2014

Natura dei Còrsi (Nature des Corses)




Je cite ici un nouvel extrait de l'ouvrage de Giuseppe Ungaretti Il deserto e dopo [À partir du désert] ; le poète voyage en Corse et fait halte à Bocognano, le 11 février 1932. C'est l'occasion pour lui de se livrer à une belle méditation sur la nature des Corses, intuitive et poétique, nourrie par sa découverte de l'île, mais aussi par ses lectures, en particulier Boswell et Colonna de Cesari Rocca, auteur d'une Histoire de la Corse publiée en 1890. La traduction que je cite ici est de Philippe Jaccottet, qui a opéré quelques coupures dans le texte original ; j'ai rajouté entre crochets ma propre traduction des passages qu'il n'avait pas repris.

Ho già qualche idea della natura dei Còrsi, ed è che dietro un principio d’idillio troverete sempre una cecità disperata. Il sentimento loro, vorrei paragonarlo a questi graniti per rabbie di polifemi ; e la loro tenerezza, a quelle acque luminose che divengono fossati, e a quelle nuvole dispensatrici a questi pietroni, di lievità malinconica per la pietra che trapela. « A minime cause, dice Colonna de Cesari Rocca, corrispondono in questo paese massime conseguenze. » L’eccesso di sentimento va sempre posto in relazione con un eccesso di serietà. Se c’è popolo che, per la sua stessa formazione, manchi d’ironia, e cioè della facoltà di adattarsi di buon umore a condizioni che minaccino d’essere diverse da quelle affrettate dal sogno, è questo. È anzi pessimista, e non concepisce la felicità se non per mettersi in grado di schierarsi contro una fortuna avversa. S’è detto tanto della sua poca voglia di lavorare ; converrebbe dire che, nato pastore, s’adatta male a occupazioni che non siano quelle di meditare, di guidare, di comandare. In fondo, tuttora patriarcale, ed ho sentito parlare di legami di parentela fino al cuginato di settimo e nono grado ; si potrebbe dire che ancora oggi, come per gli scrittori del ‘700, tende a dividersi in "tribù" , in agglomerati d’interessi e d’affetti, di risentimenti e di battaglia attorno a un "caporale". Un apparato giudiziario, come una volta quello genovese ed ora quello francese, che presuppone la lunga pratica dell’astrattezza nei rapporti sociali, naturalmente sarà considerato da un Còrso come un cavallo di Troia contro la giustizia. 




[Il giornale] Le Temps usa incolpare, dopo 150 anni d’occupazione francese, la cattiva giustizia genovese, per spiegare il banditismo. È lecito domandargli che cosa hanno fatto i Francesi in 150 anni ? Dei buoni o dei cattivi romanzi ? E quanti saranno questi banditi ? Dodici, venti, cinquanta ? La Corsica non è un paese di malviventi, ma di gente che sa buttare la propria vita come un fiore. Saranno Italiani del XVI o del XIII secolo, come vogliono i migliori scrittori di Francia ? Da un lato : il loro sentire la giustizia in modo immediato, da uomo a uomo, e a questo proposito un’altra osservazione del Colonna de Cesari Rocca ci soccorre : « Nessun Còrso può concepire da parte d’un altro uomo un movimento, un gesto irriflessivo » ; anche quell’impeto di dominio che faceva dire a uno di questi montanari, nel timore gli rifiutassero la mano della ragazza adocchiata : « La voglio perché l’amo ; la mia forza è il mio diritto » ; ed anche quel compromettere nella propria causa l’agglomerato fazioso di cui sopra si parlava, incancrenito dal giuoco d’onori e favori del sistema elettorale ; d’altro canto : quell’abile sfruttamento da parte della Francia delle qualità militari di questo popolo di pastori, traendone per le colonie, per i posti più pericolosi, e per la metropoli stessa, un personale autoritario e ambizioso in numero così grande che, se le mie cifre sono esatte, il 27% delle funzioni statali in Francia e il 50, nelle colonie, sono ricoperti da Còrsi ; ne consegue che diminuisce sempre la popolazione dell’isola, oggi ridotta a 200.000 anime, e cresce invece quella emigrata, già salita a 300.000. In poche parole, come dice il Boswell : « l’inclinazione degli uomini che è, come quella degli altri Italiani, naturalmente umana, ma estremamente sensibile e portata alla violenza » ; l’avere lasciato vegetare e corrompersi quell’animo fazioso contro cui il Paoli opponeva tanta energia di leggi "convenienti" ; l’avere promosso l’esodo dall’isola, e l’averlo reso inevitabile non eseguendo alcuno di quei grandi lavori che avrebbero potuto trasformare all’interno le condizioni economiche ; tutto ciò permette che, in un Paese abbandonato, di solitudini, con infinite strade coperte per iscampo, ci siano ancora banditi ; e spiega perché, nonostante spettacolose imprese, potranno essercene domani e dopo.

Giuseppe Ungaretti  Il deserto e dopo, Monti, marine e gente di Corsica  Mondadori Editore, 1961 






J’ai déjà quelques idées sur la nature des Corses : c’est qu’elle cache toujours sous une apparence d’idylle, un aveuglement désespéré. Leur passion, je la voudrais comparer à ces granites pour fureurs de Cyclope ; et leur tendresse, à ces eaux lumineuses qui deviennent ravines, et à ces nuages qui donnent aux montagnes dont n’émergent plus que les pitons, une légèreté mélancolique. « La Corse, écrit Colonna de Cesari Rocca (1), est le pays où les causes les plus infimes engendrent les plus grandes conséquences. » L’excès de sentiment va toujours de pair avec un excès de sérieux. S’il est un peuple qui, par sa formation même, manque d’ironie, c’est-à-dire de la faculté de s’adapter de bon cœur à des conditions qui menacent d’être différentes de celles qu’anticipe le songe, c’est bien celui-là. Pessimiste, au contraire, il ne conçoit le bonheur que pour se mettre en condition de se battre contre l’adversité. On a beaucoup raillé son peu de goût pour le travail ; il conviendrait de nuancer. Le Corse, né berger, s’accommode mal d’autres occupations que méditer, conduire et commander. Il est resté, au fond, patriarcal, et j’ai entendu mentionner des liens de cousinage au septième ou au neuvième degré ; on pourrait dire qu’aujourd’hui encore, comme pour les écrivains du dix-huitième siècle, il tend à se diviser en "tribus", en agglomérats d’intérêts et d’affections, de ressentiments et de luttes, autour d’un "caporal". Dans un appareil judiciaire tel que celui des Gênois naguère et celui de la France aujourd’hui, le Corse ne peut voir qu’un cheval de Troie dirigé contre la justice. 




[Le journal] Le Temps, pour expliquer la survivance du banditisme après cent cinquante ans d’occupation française, en rejette encore la faute sur la médiocrité de la justice gênoise. Est-il permis de lui demander ce que les Français ont fait, en cent cinquante ans ? De bons et de mauvais romans ? Et combien sont-ils, ces bandits ? Douze, vingt, cinquante ? Les Corses ne sont pas de mauvais sujets ; mais ils sont capables de sacrifier leur vie comme on jetterait une fleur. Sont-ils des Italiens du seizième ou du treizième siècle, comme le prétendent les meilleurs écrivains français ? D’une part, ils ont le sens de la justice immédiate, d’homme à homme, et à ce propos une autre observation de Colonna de Cesari Rocca vient à point : « Nul ne peut y prévoir les conséquences d’un geste irréfléchi. » Il y a aussi cet instinct de domination qui faisait dire à un montagnard, dans la crainte de se voir refuser la main d’une jeune fille : « Je la veux parce que je l’aime : ma force est mon droit. » Il y a encore le goût de compromettre dans les moindres affaires personnelles tout l’agglomérat factieux dont j’ai parlé, gangrené par les jeux d’honneurs et de faveurs du système électoral. [D’autre part, il ne faut pas négliger l’exploitation habile des qualités militaires de ce peuple de bergers de la part de la France, qui a pu ainsi bénéficier pour ses colonies, pour son armée et pour la métropole elle-même d’un personnel autoritaire et ambitieux en nombre si important que, si mes chiffres sont exacts, 27 % des postes de fonctionnaires sont occupés par des Corses, la proportion atteignant même 50 % dans les colonies ; la conséquence est une diminution toujours plus forte de la population de l’île, aujourd’hui réduite à 200.000 habitants, tandis que le nombre des émigrés ne cesse de croître, pour atteindre aujourd’hui le chiffre de 300.000.] Bref, « le tempérament de ces hommes qui est, dit Boswell (2), comme celui des autres Italiens, naturellement humain, mais extrêmement sensible et porté à la violence » ; le fait d’avoir laissé végéter et pourrir cet esprit factieux auquel Paoli opposait l’énergie des lois "adéquates" ; d’avoir encouragé et rendu inévitable l’exode, faute des quelques grands travaux qui auraient transformé les conditions économiques de l’intérieur : tout cela explique que, dans un pays déshérité, un pays de solitudes et d’innombrables sorties dérobées, il y ait encore des bandits ; et pourquoi il pourra en subsister encore à l’avenir, en dépit d’opérations spectaculaires.

(1) Colonna de Cesari Rocca, auteur de La Vendetta dans l'histoire, Paris, Société générale d'éditions, 1908.

(2) La citation de Boswell est extraite de L'Etat de la Corse, suivi d'un Journal de voyage dans l'Isle et des Mémoires de Pascal Paoli, traduction S.D.C., Londres, 1769.

Giuseppe Ungaretti  À partir du désert, Montagnes, marines et gens de Corse  Éditions du Seuil, 1965 (Traduction : Philippe Jaccottet)






Images : en haut, Site Flickr



4 commentaires:

  1. (Oh, c'est dommage , la vidéo s'arrête à mi-course...)
    Très beau texte. Mystère de terre , de ses habitants et de ses poètes.
    Impossible d'oublier cette beauté sauvage et ardente. "Leur passion, je la voudrais comparer à ces granites pour fureurs de Cyclope ; et leur tendresse, à ces eaux lumineuses qui deviennent ravines, et à ces nuages qui donnent aux montagnes dont n’émergent plus que les pitons, une légèreté mélancolique." (oui, que cela est juste.

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    1. Pour la vidéo, j'ai vérifié et elle semble fonctionner normalement (il serait dommage de se priver de la moitié de cette belle interprétation de la "Complainte du bandit" ("Lamentu di u banditu") par César Vezzani).

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  2. Rentrant d'une escapade j'ai le bonheur, cette fois de la voir en entier. Captivantes ces vues d'en haut - mais pas trop haut - juste comme si on était un oiseau. Quelle beauté... La chanson et le combat de cerf nous tirent vers l'ensauvagement de l'île (terre des irréductibles !).

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