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mercredi 25 mai 2016

Sentore (2) (Parfum (2))


"Io non farò più l'avvocato, mi hanno sacrosantamente bocciato. Me n'infischio e non ho tempo da perdere con queste castronerie di esami. Voglio salvarmi l'anima, non la pancia. Morirò sull'orlo d'una strada guardando le stelle."

"Je ne serai jamais avocat, ils m'ont à juste titre recalé. Je m'en fiche et je n'ai pas de temps à perdre avec ces histoires d'examens. Je veux sauver mon âme, pas mon ventre. Je mourrai sur le bord d'une route, en regardant les étoiles."


Giovanni Comisso, 12 juin 1925, lettre à son ami Natale Mazzolà





Cinq autres poèmes de jeunesse de Giovanni Comisso :

Col padre accanto il figlio provò ad arare.
Compiuto il primo solco
staccò le mani dall'aratro
e guardò indietro.

Au côté de son père, le fils essaya de labourer.
Ayant tracé le premier sillon
il lâcha le manche de la charrue
et regarda en arrière.


Una giovane scema
vestita d'un lungo grembiule grigio
sta sulla strada a cogliere sassi :
passa una coppia d'amanti,
ella riguarda e non pensa che mai amerà.

Une jeune arriérée
vêtue d'une longue blouse grise
ramasse des cailloux dans la rue :
un couple d'amants passe,
elle les regarde et ne pense pas que jamais elle n'aimera.


Nude le gambe di tre uomini
calcano l'uva nella tinozza.
Per la spinta ne esce vivace il dolce mosto,
che spumando ricolma il recipiente.
Una mano prende una tazza,
la immerge, beve e poi la passa ai tre,
che di sopra riguardano.

Les jambes nues de trois hommes
foulent le raisin dans le baquet.
Sous la poussée s'écoule vivement le moût sucré,
qui en moussant remplit le récipient.
Une main saisit une tasse,
la plonge dans le liquide, boit et la passe aux trois autres,
qui regardent de là-haut.




Un uomo con gli occhi sperduti
guardava fisso nella vallata.
«È buona questa strada» gli chiesi.
«Sono forestiero, non la conosco»
mi rispose
e gli tremavano le mani e il volto.

Un homme aux yeux égarés
regardait fixement dans la vallée.
Je lui demandai :«Est-ce que c'est la bonne route ?»
«Je ne suis pas d'ici, je ne la connais pas»
me répondit-il
et ses mains et son visage tremblaient.




Spinto dalla corrente
rotola sui sassi del fondo un suicida.
Gli si tagliano le mani e il volto,
ma sangue non esce.

Emporté par le courant
un suicidé roule sur les pierres au fond de l'eau.
Il se coupe les mains et le visage,
mais il n'y a pas de sang.

Giovanni Comisso La virtù leggendaria (in Opere, I Meridiani, Mondadori, 2002) (Traduction personnelle)






Images, de haut en bas :

(1) Andrea Guerra (Site Flickr)

(2) Jesùs Pérez Pacheco (Site Flickr)

(3) et (4) Ivano Schiavinato (Site Flickr)


jeudi 12 mai 2016

L'Ermite du sémaphore




Peu de Palermitains connaissent ce sémaphore perché au sommet du mont Gallo, et moins encore l’incroyable décoration intérieure réalisée par son mystérieux occupant, surnommé l’Ermite. Depuis une quinzaine d’années, ce Facteur Cheval sicilien orne patiemment tous les murs de l’édifice de cailloux, de coquillages, de tessons de verre et autres bouts de plastique qu’il a recueillis sur les plages alentour. Du hall d’entrée à la tour d’observation, en passant par la cuisine, la salle de bain ou même le long du sentier menant au bâtiment, tout n’est que prétexte pour laisser parler sa créativité fantasque et sa ferveur religieuse. Nombre d’ornementations, en effet, sont dédiées au Christ ou à la Vierge Marie. Quant aux inscriptions en grosses lettres sur la façade, elles mêlent extraits de l’Apocalypse, étoiles de David et messages prophétiques. Si cet accueil mystique peut déconcerter le promeneur, il ne doit pas l’empêcher de franchir le seuil de l’édifice afin d’en admirer les étonnantes mosaïques. Il n’a rien à craindre de l’Ermite, dont on sait très peu de chose, sinon qu’il se fait appeler Israele, est âgé d’une cinquantaine d’années et part se cacher dès qu’il aperçoit des visiteurs. Sa présence est tolérée par les services de la Forêt domaniale en charge de la Réserve naturelle du capo Gallo, car elle dissuade les rôdeurs et les actes de vandalisme dans cette construction autrement laissée sans surveillance. 






Située à 527 mètres d’altitude au sommet du promontoire qui marque la séparation entre les côtes septentrionale et occidentale de la Sicile, cette tour de garde a été bâtie dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle pour surveiller les mers. Sa position en fait un site panoramique d’exception, permettant d’accéder à des paysages spectaculaires. C’est sans doute pour cette raison que des jaloux souhaiteraient déloger l’Ermite et transformer le sémaphore en un point d’observation ornithologique. Qu’adviendra-t-il alors de l’œuvre de cet artiste illuminé que certains n’hésitent pas à considérer comme un représentant de l’art brut contemporain ?

Régine Cavallaro   Dictionnaire insolite de la Sicile  Éditions Cosmopole, 2013









Images :   de haut en bas, (1), (2), (3), (4)  Rino Porrovecchio  (Site Flickr)

(5), (6), (7), (8)  Carlo Columba  (Site Flickr)

samedi 7 mai 2016

Le piéton de Rome




Dans l’un de ses récents ouvrages, Le piéton de Rome, Dominique Fernandez nous fait visiter cette ville ("la" Ville) qu’il arpente depuis plus de cinquante ans, et dont il connaît tous les visages, tous les secrets. Rien ne manque dans ce périple : ni la Rome antique (très belles visites de la Domus Aurea de Néron, et de la Villa Hadriana), ni la Rome baroque, particulièrement chère à son cœur, avec ses statues, ses églises, ses places et ses fontaines. Il nous replonge aussi par ses souvenirs dans la Rome des années cinquante et soixante, avec l’évocation de dîners réunissant les grands écrivains de cet âge d’or : Ungaretti, Moravia, Morante, Pasolini, Bassani, Penna... Des chapitres sont aussi consacrés à des personnalités étonnantes et moins connues comme Mario Praz (le Cyclope dans son antre) ou Fabrizio Clerici (l’aigle dans son aire). Je recommande vivement la lecture de ce très bel ouvrage, dont je cite ici un passage extrait du chapitre Itinéraire Bernin, consacré aux œuvres du Bernin conservées à la Galleria Borghese : 

À vingt-cinq ans, le sculpteur avait fixé les grands traits de la grammaire baroque. Énée et Anchise regroupe trois personnages : Énée qui s’enfuit de Troie en emportant sur son épaule son père lui-même chargé des lares et des pénates, divinités protectrices du foyer ; derrière Énée, son fils Ascagne tient la lampe à huile qui permettra d’allumer des feux pendant l’exil ; Ce groupe symbolise les trois âges, enfance, maturité, vieillesse, les trois saisons, printemps, été, hiver (il n’y a pas d’automne à Rome), ou encore trois états d’âme : l’accablement (Anchise), le courage et la maîtrise de soi (Énée), l’espoir (Ascagne). Chaque détail est calculé avec une minutie réaliste : les yeux exorbités d’effroi d’Anchise, la fixité de ses pupilles profondément enfoncées, le relief des muscles au-dessus de ses arcades sourcilières, sa peau flasque, ses pieds noueux ; la pilosité vigoureuse et l’assurance tranquille d’Énée ; la rondeur lisse et potelée d’Ascagne. On est loin des visages et des corps peu caractérisés, souvent idéalisés, des sculpteurs de la Renaissance toscane. 







Au David monumental, vertical, altier, immobile, imperturbable, intemporel de Michel-Ange, figé dans le sentiment de sa puissance, Bernin a substitué un David mobile, tordu, inquiet, en train de tendre la fronde, peu sûr de bien viser. Il l’a représenté en pleine action, dans un moment très bref de sa vie. C’est un instantané, saisi dans la fugacité de l’action. La comparaison des deux statues est devenue un exercice d’école, tant la rupture à la fois philosophique et stylistique est éclatante.






L’enlèvement de Proserpine chante la joie de l’amour physique, le transport des sens matérialisé par la main droite de Pluton profondément enfoncée dans la cuisse gauche de Proserpine. Prodigieux est le travail du marbre, qui semble céder sous la pression des doigts. Il faut avoir l’esprit singulièrement tourné pour voir dans cette statue une métaphore de la résurrection, sous prétexte que Déméter, la mère de Proserpine, a obtenu de Pluton qu’il lui restitue sa fille pendant les six mois de l’été. Rien, dans l’œuvre de Bernin, ne fait allusion à ce retour sur terre. Bernin célèbre l’instant présent, le moment fugace de l’enlèvement : on reconnaît là le goût des baroques pour la précarité de l’éphémère. 






Après le rapt, le viol. La transformation de Daphné en laurier, le durcissement progressif des pieds et des mains, le passage insensible de la chair à l’écorce, marquent une autre conquête du baroque : l’art de rendre sensible, comme si elle se produisait sous nos yeux, la métamorphose. On sourira, une fois de plus, des interprétations catholiques du mythe, avancées pour justifier la présence d’un nu féminin dans les collections d’un cardinal, commanditaire de la statue : Apollon serait le Soleil immortalisant par son contact la Vertu, laquelle ne serait rien de moins que l’âme chrétienne, ou carrément Marie elle-même. Voilà comment une scène de viol et un kidnapping se trouvent affadis en allégories morales.





Dominique Fernandez  Le piéton de Rome, Editions Philippe Rey, 2015


Images : de haut en bas, (1) Le Bernin, Le Rapt de Perséphone (détail), (1621-1622) Galerie Borghèse, Rome

(2), (3), (4), (5) Le Bernin, Énée, Anchise et Ascagne, (1618-1619) Galerie Borghèse, Rome

(6), (7), (8) Le Bernin, David, (1623-1624) Galerie Borghèse, Rome

(9), (10), (11) Le Bernin, Le Rapt de Perséphone (1621-1622) Galerie Borghèse, Rome

(12), (13) Le Bernin, Apollon et Daphné (1622-1625) Galerie Borghèse, Rome

dimanche 1 mai 2016

Le Seigneur des Cavernes




"Seigneur des Cavernes" : c'est ainsi que Filippo  Bentivegna, dit aussi Filippo delle Teste ("Philippe des Têtes"), se faisait appeler. Un original selon certains, un fou pour d'autres, un artiste assurément. De son retour des États-Unis en 1919, où il avait cherché à émigrer, jusqu'à sa mort en 1967, ce sculpteur autodidacte, né à Sciacca en 1888 et issu d'un milieu très modeste, a réalisé plus de trois mille têtes en pierre. Elles se trouvent toutes sur le terrain qu'il avait acheté et où il vivait reclus, parmi les oliviers et les amandiers, avec la mer en toile de fond. 




Situé sur une colline à l'est de Sciacca, le "Castello Incantato" (le "Château Enchanté") comme il l'a lui-même baptisé, est aujourd'hui un lieu pour le moins insolite, une sorte de musée à ciel ouvert, avec sa profusion de têtes de toutes tailles, tantôt isolées, tantôt formant des masses pyramidales ou encastrées dans des murs. Certaines portent un nom : Mussolini, Garibaldi, Napoléon, Dante, Léonard de Vinci... L'artiste a toujours refusé de vendre ses oeuvres. Quelques-unes, cependant, ont réussi à se frayer un chemin jusqu'à la Collection de l'Art brut à Lausanne, créée à l'initiative de Jean Dubuffet.




Mais pourquoi cette obsession à ne sculpter que des têtes ? L'explication relève presque du cas médical. Lors de son séjour aux États-Unis, il subit un grave traumatisme crânien, au cours d'une bagarre déclenchée, dit-on, par un rival en amour. Le coup fut si violent qu'il resta sans connaissance plusieurs jours et souffrit par la suite de pertes de mémoire.

Régine Cavallaro  Dictionnaire insolite de la Sicile  Editions Cosmopole, 2013












Images : en haut, Site Flickr

en bas, (2) Site Flickr

pour toutes les autres photographies, merci à Valentina (Site Flickr)



Vittorio Immanuele Garibbaldo Toro Seduto
tutti mi hanno guardato
le teste senza forza dei morti mi hanno parlato
Vittorio Immanuele Garibbaldo Toro Seduto
tutti mi hanno parlato “Benvenuto nessuno - hanno detto - nessuno bentornato”.

Mattanza, mattanza di me mattanza di me
mattanza, mattanza di me mattanza di me
mattanza di me sulla banchina del porto
like a tuna fish
mattanza di me

Iddu son-of-a-bitch cu li cumpari
fanno mattanza di me
che ho guardato la donna sbagliata
l’unica donna sbagliata per me
che ho scolpito nel magma dei sogni
una storia concreta di sguardi
una fine di pietra per me.

Ade segreto, lasciami entrare
con questa testa di cane bastonato
voglio sentire le ombre respirare
vedere i volti che hai cancellato.

E venivano i più lungo i muri dell’orto
a portarmi quel poco che c’era
da scherzare con me.
“Ricinu ca voi abbruciari Sciacca
bravu Filippu, te’ li cirina!”
e ridevano così come ridono i più
e ridevano così come ridono i più.

Giove Padre Liberatore
lasciami aprirti il cuore
voglio conoscere il fuoco greco
che muove il fiume e incendia il mare. 

 [1999] 
Parole di Simone Lenzi 
Musica dei Virginiana Miller 
Nell’album intitolato “Italiamobile