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samedi 29 janvier 2011

La Déposition



"Le monde peut bien nous contrarier un peu. La flamme brûle toujours, et jamais n'a-t-elle brûlé si vive, si claire, si souveraine ni si droite. La nuit n'a qu'à bien se tenir."

Renaud Camus La Guerre de Transylvanie, Journal 1991, éditions P.O.L






Dans un entretien avec le musicien Gérard Pesson, le peintre Jean-Paul Marcheschi commente le thème de la Déposition dans l'oeuvre de Rosso Fiorentino. Le texte est extrait du catalogue de l'exposition Les Sources rouges, au Carré des arts de Paris (septembre-octobre 1990). Cet entretien a été par la suite repris dans Le livre du sommeil (éditions Somogy, 2001, pages 95-106) :

Jean-Paul Marcheschi
: Pour ce qui est de la déposition, c’est un mot extrêmement riche qui pourrait d’ailleurs quasiment tenir lieu de définition pour l’ensemble de la peinture, puisque peindre, fondamentalement, c’est déposer, en tout cas dans le tableau. Cela fait immédiatement référence à la via di porre telle que l’a définie Léonard, à savoir qu’en peinture il s’agit de poser. D’ailleurs, les Italiens ont quelquefois une hésitation terminologique entre le deposto, qui fait penser au dépôt, au dépôt de suie, de matière, de sens, et d’autre part la deposizione, dans le sens plus actif qui suggère le moment où l’on décroche le corps mort du Christ. On a là deux situations intéressantes, aussi bien plastiquement, puisque peindre c’est déposer des matières, que sémantiquement, car la déposition c’est aussi la tentative de ressusciter un désir problématique. Ici, le sens n’est pas indifférent : le Christ mort dans les bras de sa mère pose bien la question : comment désirer un corps mort ? Ce qui est également une aporie que toute la peinture chrétienne, notamment du seizième siècle, a merveilleusement traitée.

Gérard Pesson : Vous avez chez vous, en bonne place – je le vois en face de moi – une reproduction du tableau du Rosso qui est un tableau que vous aimez beaucoup, et que vous avez commenté à plusieurs reprises.






Jean-Paul Marcheschi : Oui, il s’agit de la Déposition du jeune Rosso, celle qu’il a peinte semble-t-il dans un certain isolement intellectuel, puisqu’il a dû quasiment s’exiler afin de faire apparaître la très forte étrangeté qu’il manifeste. Sans doute l’a-t-il exécutée à Volterra où elle fut longtemps exposée dans l’église de San Giovanni, et elle est tout à fait passionnante. Elle peut frapper d’abord par son extrême modernité puisqu’on pourrait juger précézanienne sa construction et son chromatisme quasiment fauve. Il semblerait que la Déposition ait obsédé Rosso puisque dans sa brève vie il en aurait peint trois. Rosso signifie rouge, donc roux et l’artiste était lui-même roux. On l’aurait identifié dans la représentation du Christ, de sorte que le tableau résonne bien comme une sorte d’espace identificatoire, mimétique, cathartique et autobiographique. Les trois Dépositions – celle de Volterra, celle de Borgo San Sepolcro et celle du Louvre, son œuvre ultime, représentent trois plans, trois cadrages dans le sens cinématographique du mot, c’est-à-dire trois distances vis-à-vis d’un objet extraordinairement angoissant qui correspond au moment athée du christianisme.





On a là un bord extrême du sens, où la pensée chrétienne rencontre un moment d’asymbolie parfaite, épouvantable, d’abandon maximal à la pesanteur des corps. Le Christianisme est une de ces rares religions qui envisage ce moment terrible où son dieu, le dieu fait homme, doute de lui-même, de son propre père et se trouve face à la plus grande déréliction. On peut s’interroger d’ailleurs sur ce paradoxe qui va de manière tout à fait étonnante produire de très grandes performances visuelles, spatiales, chromatiques : s’il n’y a pas de doute sur le père, il n’y a pas d’art. Plus l’objet est impossible à désirer et plus on va réussir à rendre admirable, enfin neuve, la surface du tableau, et le tableau lui-même. Dans la dernière des Dépositions, celle du Louvre, dont je crois que c’est la dernière image laissée par le peintre, la dernière image de son désir, le climat et le mouvement sont plus dramatiques. A Volterra, on a l’impression d’avoir un Christ ivre qui est en train d’être décroché de la croix, tandis que la mère, séparée, est dans l’ombre.








On voit à l’œuvre ici un peintre de la nuit, et on a la sensation que c’est en effet la nuit qui arrive dans le tableau avec le rideau bleu, absolument intact, plat, qui gagne dans le fond et qui rend le tableau encore plus mystérieux. C’est le moment du crépuscule mais la Vierge est déjà dans la nuit. Le dernier moment, qu’il faudrait plutôt nommer celui de la pietà et qui est celui du tableau du Louvre, correspondrait à un très gros plan.






On est là au plus près de ce qu’il peut y avoir d’extrêmement douloureux dans sa séparation, juste avant la mise au tombeau. Ici l’effervescence spatiale de Volterra s’atténue terriblement, on y reconnaît encore une fois le Rosso, probablement représenté de nouveau dans le corps du Christ. Si l’espace supprimé est renvoyé à la nuit, la couleur, elle, est soumise à une sorte d’antinaturalisme tout à fait étonnant, qui semble la rendre plus que jamais consciente d’elle-même. Le fauvisme, très retenu à Volterra, se déchaîne à Paris en une extrême dissonance des surfaces ; un peu comme si ce qu’il y a de plus douloureux dans la séparation et dans la mort parvenait, à travers le regard, à contaminer la couleur et à la déplacer jusqu’à faire hurler. Dès lors que c’est la couleur qui hurle, c’est déjà l’espace résurrectionnel. La mort est écartée. Même si l’œuvre protège de la mort, elle ne suffit évidemment pas à l’écarter définitivement, et c’est à la fois la gloire et la limite d’une œuvre ; il semblerait d’ailleurs que le Rosso se soit suicidé juste après cette Déposition. On peut également interpréter cette insistance de Rosso sur le Deposto comme le repérage et l’exploration des deux derniers temps de l’initiation et peut-être tout particulièrement de ce moment abyssal du passage entre mort et résurrection. Et pour un peintre la résurrection c’est toujours la peinture.


Images
: en haut, Jean-Paul Marcheschi dans son atelier, photographie de Renaud Camus (Site Flickr). On remarquera, à droite sur la photo, une reproduction de la Deposizione de Volterra.

Deuxième image : Rosso Fiorentino Deposizione, 1521 (Pinacoteca di Volterra) Source : Wiki Commons

Troisième image : Rosso Fiorentino Compianto sul Cristo deposto, 1528 (Sansepolcro, Chiesa di San Lorenzo) Source : Wiki Commons

Dernière image en bas : Rosso Fiorentino Pietà, 1537-1540 (Musée du Louvre, Paris) (Source)

jeudi 27 janvier 2011

Non pioverà mai su questo campo (Il ne pleuvra jamais sur ce terrain)




"Vano dirai quel che disserra e scote

Della virtù nativa
Le riposte faville ? e che del fioco
Spirto vital negli egri petti avviva
Il caduco fervor ? Le meste rote
Da poi che Febo instiga, altro che gioco
Son l'opre de' mortali ?"

G. Leopardi Canti, A un vincitore nel pallone






« La poésie doit être attentive à la vie quotidienne, et donc au sport, dit Roberto Mussapi ; pour ma part, je m’intéresse à l’autre visage du sport, celui qui est vrai, héroïque, opposé à la violence, et qui fait ressembler certains champions au mythique Hector de l’Iliade. Ce sont des personnages faits de nerfs et de sentiments, qui se battent pour défendre quelque chose qui appartient aussi à la collectivité. ». Justement, le poème que l’on va lire ici lui a été inspiré par le cri de victoire du célèbre footballeur Marco Tardelli, grâce à qui l’Italie a remporté la Coupe du Monde de Football en Espagne, le 11 juillet 1982. J’aime beaucoup la réaction tranquille et détachée de Tardelli à la lecture du poème lyrique et épique que Mussapi lui a consacré : « Nel leggerla, la prima volta, ho provato una strana sensazione : lui ha visto in me una specie di eroe, quando io mi sentivo solo un ragazzo fortunato. » (« La première fois que je l’ai lu, j’ai éprouvé une sensation bizarre : il a vu en moi une sorte de héros, alors que moi, je me considérais plutôt comme un garçon chanceux. »)

Tardelli


Le ombre dei pipistrelli abbacinati
dai fari, in alto, qui nel cristallo della luce
verde la rete perforata,
come se un gelo più grande di ogni grido
protraesse il già stato, fissandolo per sempre
mentre l'occhio guardava oltre le carni
in un punto preciso, sulla terra :
senza contatto, come senza erano
i corpi trapassati da quello sguardo :
mentre le forze nel fango hanno incontrato
il destino, e il dettato riempie l'esatta forma :
e una solitudine strana
oltre le prime barriere, oltre le gradinate
si perdeva negli occhi mentre l'esecuzione
feroce traboccava negli altri
e una ragione antica feriva i ginocchi,
piegati sull'erba elettrica, in ginocchio
sulla terra, non pioverà mai su questo campo
non tornerà il giorno e la sera resterà verde
non pioverà, e non ci saranno bambini sulle
tribune, le loro bocche, i loro occhi facili
al pianto prosciugati dal sole in una gola,
mentre il tempo acquatico non attendeva il fischietto
non attendeva il ritorno, immobile nel grido nel
deserto verde nel mistero degli occhi in quella
linea oltre i corpi, come se dalla ferita
della fronte gli occhi
riverberassero nel mare e in un grande
silenzio il sangue si tuffasse
nella luce, mentre il grumo dell'anima
ringhiava, « Non ho parlato con voi e con
nessuno, qualcosa ho dato », e la mente
già lacerata nel grido, lontano, come in un tabernacolo
della battaglia trovasse
oltre gli spalti, la propria pace.

11 luglio 1982

Roberto Mussapi Luce frontale L'età degli eroi Garzanti Ed. 1987





Tardelli

Les ombres des chauve-souris aveuglées
par les phares, en haut, ici, dans le cristal de la lumière
verte, le filet troué,
comme si un gel plus grand que tout cri
prolongeait ce qui a déjà été, l'immobilisant à jamais
tandis que l'œil regardait par-delà les chairs
vers un point précis, sur la terre :
sans contact, comme l'étaient aussi
les corps transpercés par ce regard :
tandis que les forces dans la boue ont rencontré
le destin, et que la dictée remplit l'exacte forme :
et une solitude étrange
au-delà des premières barrières, au-delà des degrés
se perdait dans les yeux cependant que l'exécution
féroce débordait dans les autres yeux
et qu'une raison ancienne blessait les genoux
fléchis sur l'herbe électrique, à genoux
sur la terre, il ne pleuvra jamais sur ce terrain
le jour ne reviendra pas et le soir restera vert,
il ne pleuvra pas, il n'y aura pas d'enfants sur les
tribunes, leurs bouches, leurs yeux prompts
aux larmes séchés par le soleil – elles restent dans la
gorge – et cependant le temps aquatique n'attendait pas
le coup de sifflet
n'attendait pas le retour, immobile dans le cri
dans le désert vert dans le mystère des yeux dans
cette ligne au-delà des corps, comme si du fond
de la blessure au front les yeux
se réverbéraient dans la mer et que dans un grand
silence le sang s'immergeât
dans la lumière, tandis que le caillot de l'âme
grondait, « je ne vous ai pas parlé, à vous ni à
personne, j'ai donné quelque chose »,
et comme si l'esprit déjà lacéré dans le cri, au loin,
comme dans un tabernacle de la bataille trouvait
par-delà les gradins, sa propre paix.



Traduction : Jean-Yves Masson (Lumière frontale, L'Âge des héros, Editions de la Différence, 1996)





Source de la vidéo : Site YouTube

mardi 18 janvier 2011

Traces sur le sable




Aujourd’hui, le nom de Bresson est devenu un emblème, une entité, une sorte de manifeste cinématographique de la rigueur poétique. Être bressonien signifiait, pour moi et mes amis, tendre vers l’idéal moral, inatteignable, sublime et mortifiant de l’ascèse cinématographique. Je parle d’idéal mortifiant parce que ses films sont toujours de fortes expériences sensuelles privées d’exutoire (autre qu’esthétique, lequel est d’ailleurs en lui-même une source de plaisir intense).

Un jour, j’appris que Bresson était à Rome pour participer à un colloque au Centre expérimental de cinématographie. Je m’y suis précipité, arrivant au beau milieu de son intervention. Debout derrière un mur d’étudiants, je ne parvenais à voir que la couronne blanche et immaculée de ses cheveux, qui bougeait lentement. Il n’a jamais utilisé la parole "cinéma", parlant toujours de "cinématographe". Tout le reste relevait du théâtre filmé. En face de lui, je tremblais d’admiration. Était-ce en 1964 ou en 1965 ? Je me souviens que cet après-midi-là, Mauro Bolognini m’invita à un dîner organisé en l’honneur de Bresson, qui se trouvait en fait à Rome depuis plusieurs semaines pour y préparer le tournage d’un épisode de La Bible, un film produit par Dino de Laurentiis, avec plusieurs metteurs en scène. Bresson avait pour sa part choisi de réaliser l’épisode de L’Arche de Noé. Avant de me présenter à lui, Bolognini me dit que Bresson était d’assez mauvaise humeur, et il m’en expliqua la raison. Ce matin-là, pendant que Bresson intervenait au colloque, Dino de Laurentiis s’était rendu sur le plateau du tournage et y avait vu de grandes cages contenant des couples d’animaux sauvages : deux lions, mâle et femelle, deux girafes, mâle et femelle, deux hippopotames, mâle et femelle, et ainsi de suite... Quelques heures plus tard, Dino avait exprimé sa grande satisfaction à Bresson en lui disant qu’il était fier d’être le seul producteur au monde à avoir réussi à convaincre le grand Maître de participer à un film spectaculaire, à fort potentiel commercial. «En ce qui concerne les animaux, on ne verra que leurs traces sur le sable», murmura Bresson à Dino. Une heure après, son contrat était annulé.

Bernardo Bertolucci  La mia magnifica ossessione Garzanti ed. 2010 (Traduction personnelle)









Image : Site Flickr

lundi 17 janvier 2011

Via del Campo




Via del Campo est une petite rue des vieux quartiers du centre de Gênes, débouchant sur le port après l'ancienne porte médiévale, dite "Porta di Vacca". Naguère, c'était surtout la rue des trafics, des bouges et des bordels, comme le rappelle cette belle chanson que lui a consacré Fabrizio de André :


Via del Campo c'è una graziosa
gli occhi grandi color di foglia
tutta notte sta sulla soglia
vende a tutti la stessa rosa.

Via del Campo c'è una bambina
con le labbra color rugiada
gli occhi grigi come la strada
nascon fiori dove cammina.

Via del Campo c'è una puttana
gli occhi grandi color di foglia
se di amarla ti vien la voglia
basta prenderla per la mano,

e ti sembra di andar lontano
lei ti guarda con un sorriso
non credevi che il paradiso
fosse solo lì al primo piano.

Via del Campo ci va un illuso
a pregarla di maritare
a vederla salir le scale
fino a quando il balcone ha chiuso.

Ama e ridi se amor risponde
piangi forte se non ti sente
dai diamanti non nasce niente
dal letame nascono i fior.





Via del Campo il y a une jolie fille
avec de grands yeux verts

elle passe ses nuits sur le seuil

et vend à tous la même rose.


Via del Campo il y a une fillette

avec des lèvres fraîches comme la rosée

et des yeux gris comme la rue

les fleurs naissent sur son chemin.

Via del Campo il y a une putain

avec de grands yeux verts

si te vient l'envie de l'aimer

il suffit de la prendre par la main,


et il te semble d'aller très loin

elle te regarde en souriant

tu n'aurais jamais cru que le paradis

était juste là au premier étage.


Via del Campo il y a un nigaud

qui ne rêve que de l'épouser

il la suit des yeux quand elle monte l'escalier
jusqu'à ce qu'elle referme la porte du balcon.

Aime et ris si l'amour te répond
pleure fort s'il ne t'entend pas

des diamants il ne naît rien

mais du fumier naissent les fleurs.


(Traduction personnelle)






Images : en haut, Wiki Commons

au centre, Xaci (Site Clikon.it)


samedi 15 janvier 2011

"Vivere ancora"


"C'est l'époque où toutes les villas, le long de l'avenue, sont habitées par des parents, des amis, tandis que maintenant, quelle révolution ! Il y a des coups de théâtre, des renversements. Seulement lui et elle, toujours ensemble, toujours enlacés, incapables de se séparer.
"




Travelling latéral suivant Gina en gros plan ; elle courbe la tête.

PÈRE. (off) Eh, Maman ! Maman ! Maman ! Eh bien, elle est partie.

Gina, se penchant, a mis un disque. Début de la musique et de la chanson Vivere ancora. On reste sur un gros plan de Gina, rêveuse, qui regarde Fabrizio hors champ. La chanson s'amplifie alors qu'elle avance en souriant et l'enlace. Ils dansent et sortent du champ, découvrant le père qui lit attentivement son journal, sans faire attention à rien. Il lève les yeux, puis se lève, ôtant ses lunettes. Il passe devant le couple, qui danse enlacé. Gros plan des deux.

PÈRE. (off) Je vais me coucher. Réveillez-moi à quatre heures.

On reste un moment sur Gina et Fabrizio. Suite de la chanson. Panoramique vers le fauteuil où dort la grand-mère. Le couple passe devant elle, la regarde dormir. Ils se regardent. Long baiser sur la bouche en gros plan. Ils se regardent, alors qu'à l'arrière-plan Antonio entre dans la pièce et les regarde. [Le scénario original indique ici qu'Antonio (Giuseppe dans le scénario), "comme l'enfant qui suit le joueur de flûte de Hamelin", avance d'abord dans le couloir, puis observe Gina et Fabrizio par la porte entr'ouverte avant d'entrer.]

GINA. (dos à nous et se tournant vers lui) Maintenant, nous dansons tous les deux, hein ?

Plan américain : pendant que Fabrizio la regarde, Gina prend Antonio dans les bras et essaie de le faire danser.

ANTONIO. Mais non, je ne sais pas !

GINA. Si, dansons, allons ! Mais si, danse !

ANTONIO. Qu'est-ce que tu veux que je danse, la danse de l'ours ?

GINA. Ne bouge pas !

Travelling avant sur Gina qui essaie d'entraîner Antonio dans la danse et fixe, par dessus son épaule, Fabrizio hors champ. Fin musique. Elle se serre contre Antonio, lui sourit.

(Découpage du film de Bernardo Bertolucci Prima della Rivoluzione, L'Avant-Scène Cinéma n. 82, juin 1968)




La chanson de Gino Paoli Vivere ancora (Vivre encore) :


Vivere ancora....
soltanto per un ora
e per un ora
averti tra le braccia
e far sparire
per sempre dal tuo viso
ogni incertezza
che ti tormenta ancora.

Vivere ancora....
soltanto per un ora
e per un ora
vedere sul tuo viso
tutto l'amore che ti ho
saputo dare
e la mia vita
che ora è solo tua.

E poi restare
vicini ad occhi aperti
ad aspettare che
dalla finestra giunga la luce
di un giorno che ci veda
stretti abbracciati
con gli occhi dentro agli occhi.

Poter vedere
in una stanza buia
con gli occhi chiusi
quello che vogliamo.

Poter sentire vicino alla mia mano
i tuoi capelli
sparsi sul cuscino
sentire che per sempre
il mio destino
è diventato tuo...


Vivre encore...
pour une heure seulement
et pour une heure
t'avoir dans mes bras
et effacer
pour toujours de ton visage
tous les doutes
qui encore te tourmentent.

Vivre encore...
pour une heure seulement
et pendant cette heure
voir sur ton visage
tout l'amour
que j'ai su te donner
et ma vie
qui maintenant t'appartient.

Et puis rester ensemble
les yeux ouverts
à attendre que
de la fenêtre
vienne la lumière
d'un jour qui nous voit
tous les deux enlacés
les yeux dans les yeux.

Pouvoir découvrir
dans une chambre obscure
les yeux fermés
tout ce que nous désirons.

Pouvoir sentir près de ma main
tes cheveux
répandus sur le coussin
et sentir que pour toujours
mon destin
t'appartient...


Source de la vidéo : Site YouTube

vendredi 14 janvier 2011

Fellini Amarcord




Je me souviens de la sirène du Rex, le paquebot transatlantique, au moment où il surgit du brouillard dans la nuit de Rimini (et sur la mer de plastique de Cinecittà), avec toutes ses lumières, ses gerbes d'écume et son panache de fumée. Je me souviens des cris qui le saluent, des larmes de la Gradisca lorsqu'elle lui envoie des baisers, et du vieil accordéoniste aveugle qui soulève ses lunettes noires et demande autour de lui : "Com'è ? Com'è ?" ("Comment est-il ? Comment est-il ?")...






Source de la vidéo : Site YouTube

jeudi 13 janvier 2011

La douceur de Lucques



[Agliano toujours, mercredi 11 août, trois heures et demie.] Hier, vers cette heure-ci, nous sommes partis pour Lucques, qui est distante d’une trentaine de kilomètres. Madeleine nous attendit sur un gros banc de pierre tandis que nous gravissions, Pierre et moi, la tour des Giunigi, fameuse pour les arbres qui poussent à son sommet. J’avais déjà fait cette escalade avec Rodolfo, il y a de cela je ne sais combien d’années – douze, peut-être, ou bien quinze ? Mais alors nous nous étions trouvés seuls, là-haut, entre les branches en plein ciel ; tandis qu’hier cinq ou six nationalités au moins se pressaient sur l’étroite plate-forme, et quarante ou cinquante personnes, non sans une abondante marmaille.

Je ne sais si l’Italie a beaucoup changé, ou bien si mes souvenirs d’elle ne concernaient pas le mois d’août. Il semblerait bien qu’un seuil ait été franchi. A Pise, par exemple, j’ai vu qu’il fallait prendre un billet pour entrer dans la cathédrale, ce qui eût été inimaginable dans ma jeunesse. Il est vrai qu’à Notre-Dame de Paris il n’en va pas autrement, si je ne me trompe.

Lucques était jadis la plus attachante des villes sans tourisme, ou du moins sans tourisme de masse. On l’aimait pour son air réservé, pour sa discrétion, l’écart qu’elle avait su garder, sa grande beauté sans apprêt, son mépris des petits commerces à trois sous. Je crains que ces temps-là ne soient révolus, hélas, et toutes ces belles qualités perdues. Il y a dans Lucques un peuple dense, à présent, et tous les peuples de la terre.

A cet insinuant détail près – la foule –, la beauté de la ville est intacte. Et s’il y avait cohue dans San Frediano, vers cinq heures, à cinq heures et demie nous n’étions qu’une douzaine dans les jardins du palais Pfanner. Encore plus tard, dans les salons du palais Mansi, nous n’avons croisé que trois jeunes Italiennes.



Ce musée est fameux pour son Jeune Homme de Pontormo, à la casaque rose. Le tableau, à je ne sais quelle époque de son histoire, a pris un mauvais coup au niveau du visage. Pourtant là n’est pas la raison, bien entendu, qui fait qu’il est un peu déchu dans ma faveur. Je lui préfèrerais mille fois, si j’avais le choix, le très ribéresque Saint Sébastien de Luca Giordano. Ce n’est pas que j’aie une passion particulière pour le sujet. Mais on est à mille lieues des alanguissements sado-pédérastiques habituels. Un homme maigre au corps blanc, légèrement jaunâtre, est suspendu par les poignets. Irradiant une lumière tragique, son torse fait une longue diagonale sur le fond presque noir de la toile. On aperçoit deux visages, en contrebas. Ce n’est pas ceux des bourreaux : deux hommes qui passaient dans cette ombre, plutôt, et qui commentent le supplice, avec une compassion recueillie.

On peut trouver tout cela bien théâtral. C’est de la peinture à effet, sans doute. Mais comme elle produit son effet...

Les Mansi avaient le goût des batailles. Ils semblent avoir fait collection des peintures de ce genre-là. On en voit trois de Salvator Rosa, tumultueuses à souhait, pleines de nuages de poudre et de chevaux cabrés, sous de beaux ciels rouge et gris. Les visages sont un peu bâclés, cependant – caricaturaux à l’excès. Pour le préromantisme rêveur dans la mêlée, je crois garder un faible pour Jacques Courtois, Il Borgognone, dont nous avons vu aussi une belle toile.

Madeleine s’est assise à une terrasse de la place Napoléon tandis que Pierre et moi courions jusqu’à la cathédrale. J’ai peine à croire que tous les bas-reliefs du portique soient médiévaux. Beaucoup paraissent taillés d’hier – surtout les plus grands. Mais les guides ne pipent mot d’interventions récentes. Et pourtant, par une fidélité ruineuse à cette collection admirable, j’ai fait l’acquisition du guide rouge Toscana, édité par le Touring Club italien.

Plus peut-être que la cathédrale, ce que j’aime sur la place qu’elle orne, c’est le mur jaune d’un jardin, percé d’une porte énorme et de grosses fenêtres grillagées, dessinées par Ammanati. Il est aussi l’auteur du palais princier, ou du moins de sa partie la plus belle, celle de gauche.



Regardant la façade se dresse la statue de Marie-Louise de Bourbon, qui gouvernait la principauté pour son fils enfant, Charles-Louis, pendant que Marie-Louise de Habsbourg régnait à Parme. La statue commémore l’arrivée à Lucques d’une eau salubre, en 1842. La princesse, à laquelle est dû ce bienfait, tient par l’épaule son fils adolescent, entièrement nu. Ce devait faire un drôle d’effet d’être exposé tout entier au regard de ses sujets, sous prétexte de néo-classicisme canovien.

Quand mourut la veuve de Napoléon, en 1847, les Bourbons de Lucques, après trente ans d’une attente polie, retournèrent à Parme, et redevinrent Bourbon-Parme comme devant. Ils régnèrent encore une douzaine d’années, jusqu’à l’unité italienne.

Le palais princier de Lucques, cette belle énorme caserne (Ammaniti nonobstant), c’est tout à fait le décor et l’esprit de La Chartreuse de Parme. Stendhal, cependant, si mon souvenir est exact, s’est plutôt inspiré, pour son Ernest-Ranuce, du tyran qui régnait à Ferrare.

A Lucques on était assez doux, je crois bien.

Renaud Camus Retour à Canossa Journal 1999 éditions Fayard, 2002





Images
: (1) Andrea Della Lena (Site Flickr)

(3) Gianna Elena (Site Flickr)

(4) Audrey H (Site Flickr)

mardi 11 janvier 2011

Retour à Canossa


Mantoue, hôtel des Deux-Guerriers, lundi 16 août, minuit et quart. Je suis trop fatigué pour aller bien loin ici dans la relation de nos errances. Hier soir nous sommes retournés à Canossa, dont nous avions été frustrés par la nuit deux jours plus tôt, quoique nous eussions dîné alors dans une auberge voisine du village. Le site et son nom, curieusement, ont dû garder une grande signification pour les Allemands, car la salle de restaurant arborait de grandes photographies de diverses époques montrant des groupes teutoniques – je crains que ce ne soit le mot juste – en pèlerinage sur les lieux, sans doute sur les traces du malheureux Henri IV.

Je me souviens d’avoir vu à Florence, il y a vingt ans, dans le magnifique théâtre de la Pergola, Giorgio Albertazzi dans la pièce de Pirandello. Je ne suis pas sûr que la production ait été exceptionnelle, elle m’a peu marqué – mais l’acteur, lui, était admirable. Quant à la pièce elle-même, je ne serais pas étonné qu’elle soit l’une des plus hautes et des plus fortes que le vingtième siècle ait produites. Et pour ma part, j’échangerais volontiers tout Brecht contre la moitié de Pirandello.

A notre deuxième passage sur la hauteur mythique il était un peu moins tard, le soleil en était seulement à se coucher. L’accès au sommet n’était plus possible, hélas – d’ailleurs je n’avais pas compris que dans la journée on pouvait y accéder, sans quoi nous nous serions présentés là plus tôt. Mais nous avons marché dans les prairies environnantes, et même nous y sommes étendus. Et il me semblait alors, tant j’étais heureux à Canossa, tant le soir était beau, l’air transparent, l’herbe accueillante, les pierres mêmes amicales, aurait-on dit, qu’il était peu de lieux de résidence plus désirables, sur la terre, que ce rocher chargé d’histoire et coiffé d’acacias, qui domine toute la plaine du Pô.

Il regarde aussi le grand arc des Alpes : et si claire l’avancée de la nuit, ce soir-là, qu’on distinguait presque toutes les crêtes, de celles qui surplombent Pignerol ou Saluces jusqu’aux premières Dolomites.

A l’emplacement du château où vint s’humilier l’empereur, il ne se dresse qu’une maison basse, moderne sans doute, et qu’on voit mal du pied de la falaise. Elle paraît être peu de chose. Or elle n’a pas besoin d’être davantage, tant on doit y marcher dans l’intimité du ciel et des siècles, pour peu qu’on y songe, en ce carrefour d’Europe où se sont défiées les Puissances, les âges, les futurs, les conceptions du monde.

Renaud Camus Retour à Canossa, Journal 1999 éditions Fayard, 2002





Images
: en haut, Site Flickr

en bas, Site Flickr

samedi 8 janvier 2011

Pensieri del tè

Deux fois par jour, de bon matin et l'après-midi, Guido Ceronetti boit quelques tasses de thé de Chine. Alors, la parole se régénère, l'esprit opère des associations nouvelles, «de nombreuses petites fenêtres s'ouvrent à nouveau, et les mots ont moins de peine à retrouver leur origine dans les espaces éloignés.» Voici quelques exemples de ces "pensées du thé" :




Anna, nome in declino... La ragione è forse nella sua eccessiva pregnanza, nei suoi significati che si oppongono alla necessità di adattarsi all'indurimento e all'insensibilità. Nelle lingue semitiche, tra arabo ed ebraico, è grazia, amore, aff
etto, donna, sposa, bell'aspetto, misericordia, compassione, pietà, muggito del cammello. In arabo (Kazimirski), hannanah è fruscio dell'arco quando parte la freccia e insieme – arco meliodioso – donna divorziata che parla con tenerezza dell'uomo con cui non vive più. Annetta, Annina, Annuska, Ania, Annette, Ann, Hanna, Ana, Anita. Inimmaginabile, con un nome simile, nomen-omen, l'inclemenza.


Anna, prénom en déclin... La raison en est peut-être dans son excessive prégnance, dans ses significations qui contrarient la nécessité de s'adapter à l'endurcissement et à l'insensibilité. Dans les langues sémitiques, arabe et hébreu, ce nom signifie grâce, amour, affection, femme, épouse, bel aspect, miséricorde, pitié, voix du chameau. En arabe (Kazimirski), hannanah est le bruissement de l'arc au départ de la flèche et aussi – arc mélodieux – la femme divorcée parlant avec tendresse de l'homme avec qui elle ne vit plus. Annetta, Anne, Annina, Annuska, Ania, Anette, Ann, Hanna, Ana, Anita. Inimaginable avec un tel nom, nomen est omen, un coeur inflexible.






L'adolescente che per un giorno intero contempla una rosa mentre guarda un montone su un prato, a Marrakèsh (Pierre Mac Orlan, «Hambourg» in Villes, Gallimard) senza mai annoiarsi, senza neppure immaginare che cosa è noia, smentisce Leopardi, il cui pastore il tedio assale se giace in riposo. Neppure lo Jeli verghiano sa cha cos'è la noia, vive la vita dell'universo, ha la sua rosa da contemplare mentre guarda i cavalli. Neanche la guardiana di montoni di Millet si annoia. La rottura col reale precipita nella noia. Un uomo che, alle nove di sera, dice : «mi voglio divertire» è già un malato incurabile, un essere in pericolo, pronto a commettere qualche crimine.

L'adolescent qui, pendant un jour entier, contemple une rose en gardant un mouton dans un pré, à Marrakech (Pierre Mac Orlan, «Hambourg», in Villes, Gallimard), sans jamais s'ennuyer ni même imaginer ce qu'est l'ennui, dément Leopardi, dont le berger est assailli par l'ennui quand il connaît le repos. Le Jeli de Verga ne sait pas non plus ce qu'est l'ennui, il vit la vie de l'univers, il a sa rose à contempler pendant qu'il garde les chevaux. Et la Bergère de Millet ne s'ennuie pas non plus. La rupture avec le réel précipite dans l'ennui. Un homme qui, à neuf heures du soir, dit : «Je veux aller m'amuser» est déjà un malade incurable, un être en danger, prêt à commettre quelque crime.





In casa mia, di primo mattino e di sera, quasi sempre c'è una candela accesa, non votiva, ma per rischiarare gli oggetti. A volte, manca la corrente. Allora è bello vedere, mentre le luci artificiali ammutoliscono, quel lume vero restare vivo, solitario, indifferente alle macchine dell'Energia, ai tonfi e alle sincopi dell'Ente Elettrico.

Chez moi, au petit matin et le soir, il y a presque toujours une bougie allumée, non votive, mais qui éclaire les objets. Parfois, le courant manque. C'est beau, alors, de voir, tandis que les lumières artificielles deviennent muettes, cette lumière vraie rester vivante, solitaire, indifférente aux machines de l'Énergie, aux chutes et aux syncopes de la Compagnie de l'Électricité.





Faust de Murnau. Faust disperato di non poter vincere la peste senza l'aiuto dei demoni è alta tragedia moderna. Vinciamo la peste ricorrendo al diavolo, che poi ci condurrà per le sue vie di assassinio e di distruzione (la peste vinta, strumento dell'inganno). Edipo vince andando in fondo alla verità e accecandosi. La sua tragedia avrà un termine, la nostra no.

Faust de Murnau. Faust, désespéré de ne pas pouvoir triompher de la peste sans l'aide des démons, est une haute tragédie moderne. Nous triomphons de la peste en recourant au diable, qui nous mènera ensuite sur les chemins du crime et de la perdition (la peste vaincue, instrument de la duperie). Œdipe triomphe en allant au bout de la vérité et en se crevant les yeux. Sa tragédie aura un terme, la nôtre, non.





La terra si è velata come Cesare alle Idi, per ricevere da noi ventitremila miliardi di pugnalate. Se qualcuno poi ne mostrasse dai Rostri la toga insanguinata, nessuno sarebbe scandalizzato : tutti erano congiurati.

La terre s'est voilée comme César aux Ides de mars, pour recevoir de nous vingt-trois milliards de coups de poignard. Si quelqu'un, ensuite, montrait des Rostres sa toge ensanglantée, personne ne serait scandalisé : tous étaient conjurés.


Non muori. Entri nella vita profonda della dimenticanza.


Tu ne meurs pas. Tu entres dans la vie profonde de l'oubli.


I corpi li unisce il piacere, le anime la pena.

Les corps sont unis par le plaisir, les âmes par la souffrance.


Scrivo dei libri, pensavo senza rallegrarmi, destinati esclusivamente a tavolini di suicidi, qualcuno volontario, i più involontari, suicidi per destino collettivo, per essersi trovati sul ponte che attraversava la valle d'ombra di questo secolo della morte.


J'écris des livres, pensais-je sans m'en réjouir, destinés exclusivement aux tables de chevet de candidats au suicide, quelques-uns volontaires, pour la plupart involontaires, suicidés par un destin collectif, pour s'être trouvés sur le pont qui traversait la vallée d'ombre de ce siècle de la mort.

Guido Ceronetti Pensieri del tè Adelphi ed. 1987

Traduction : André Maugé (Ce n'est pas l'homme qui boit le thé mais le thé qui boit l'homme Albin Michel, 1991)




Image (en bas) : Guido Ceronetti dessiné par Sante Prevarin (Site Flickr)

jeudi 6 janvier 2011

Fortezza Bastiani




In uno spiraglio delle vicine rupi, già ricoperte di buio, dietro una caotica scalinata di creste, a una lontananza incalcolabile, immerso ancora nel rosso sole del tramonto, come uscito da un incantesimo, Giovanni Drago vide allora un nudo colle e sul ciglio di esso una striscia regolare e geometrica, di uno speciale coloro giallastro : il profilo della Fortezza.
Oh, quanto lontana ancora. Chissà quante ore di strada, e il suo cavallo era già sfinito. Drogo la fissava affascinato, si domandava che cosa ci potesse essere di desiderabile in quella solitaria bicocca, quasi inaccessibile, così separata del mondo. Quali segreti nascondeva ? Ma erano gli ultimi istanti. Già l'ultimo sole si staccava lentamente dal remoto colle e su per i gialli bastioni irrompevano le livide folate della notte sopraggiungente.

Dino Buzzati Il Deserto dei Tartari


À travers une fissure des roches voisines que l'obscurité recouvrait déjà, derrière de chaotiques gradins, à une distance incalculable, Giovanni entrevit alors, encore noyé dans le rouge soleil du couchant et comme issu d'un enchantement, un plateau dénudé et, sur le rebord de celui-ci, une ligne régulière et géométrique, d'une couleur jaunâtre particulière : le profil du fort.
Oh ! comme il était loin encore, ce fort ! Qui sait à combien d'heures de route encore, et le cheval de Drogo qui était déjà fourbu ! Drogo, fasciné, regardait fixement le fort, se demandant ce qu'il pouvait bien y avoir de désirable dans cette bâtisse solitaire, presque inaccessible, à tel point isolée du monde. Quels secrets cachait-elle ? Mais c'étaient les derniers instants. Déjà les ultimes rayons du soleil se détachaient lentement du lointain plateau et, sur les bastions jaunes, les livides bouffées de la nuit qui tombait faisaient irruption.

(Traduction : Michel Arnaud)



Franco Battiato canta Fortezza Bastiani (2004, testo e musica di F. Battiato)

Resisterà alle dolci lusinghe la Fortezza Bastiani ?
Bugiardi imbonitori l'assediano
con violenze degne di Tamerlano.
Resisterò andando incontro al piacere,
ascoltando il respiro, trattenendo il calore,
su un'altra forma d'onda intonerò il mio pensiero.

Ho camminato girando a vuoto,
senza nessuna direzione.
Mi tiene immobile nei limiti
l'ossessione dell'Io

Mi ritrovai seduto su una panchina
al sole di febbraio,
un magico pomeriggio dai riflessi d'oro,
e mi svegliai con l'aria di pioggia recente
che aveva lasciato frammenti di gioia.

Résistera-t-il aux douces flatteries, le fort Bastiani ?
Des bonimenteurs l'assiègent
avec des outrages dignes de Tamerlan.
Je résisterai en recherchant le plaisir,
écoutant chaque souffle, retenant la chaleur,
j'accorderai ma pensée sur une autre longueur d'onde.

J'ai marché au hasard,
sans aucune direction.
Immobile derrière les barrières
de l'obsession du moi.

Je me suis retrouvé assis sur un banc
au soleil de février,
un magique après-midi aux reflets d'or,
et je me suis réveillé dans un air rafraîchi par une pluie récente
où subsistaient des fragments de joie.

(Traduction personnelle)






Image (en bas) : Leonardo Sagnotti (Site Flickr)

Source de la vidéo : Site YouTube

mercredi 5 janvier 2011

Il treno che viene dal Sud (Le train qui vient du Sud)




Sergio Endrigo canta Il Treno che viene dal Sud (1968, testo e musica di S. Endrigo) :




Il treno che viene dal sud
Non porta soltanto Marie
Con le labbra di corallo
E gli occhi grandi così
Porta gente gente nata tra gli ulivi
Porta gente che va a scordare il sole
Ma è caldo il pane
Lassù nel nord

Nel treno che viene dal sud
Sudore e mille valigie
Occhi neri di gelosia
Arrivederci Maria
Senza amore è più dura la fatica
Ma la notte è un sogno sempre uguale
Avrò un casa
Per te per me

Dal treno che viene dal sud
Discendono uomini cupi
Che hanno in tasca la speranza
Ma in cuore sentono che
Questa nuova questa bella società
Questa nuova grande società
Non si farà
Non si farà




Dans le train qui vient du Sud,
Il n'y a pas que des Maries,
Avec des lèvres de corail
Et des yeux immenses.
Il y a des gens nés au pays des oliviers
Et qui vont oublier le soleil.
Mais le pain est chaud,
Là haut dans le Nord.

Dans le train qui vient du Sud,
Il y a de la sueur et mille valises,
Des yeux noirs de jalousie,
Au revoir Marie !
Sans amour, la fatigue est plus pesante,
Mais toutes les nuits revient le même rêve :
J'aurai une maison,
pour toi, pour moi.

Du train qui vient du Sud
Descendent des hommes sombres,
Qui ont dans leurs poches l'espérance,
Mais qui dans leur cœur sentent bien
Que cette société belle et nouvelle,
Cette neuve et grande société,
Elle n'existera jamais,
Jamais...

(Traduction personnelle)







Source de la vidéo :  Site YouTube

mardi 4 janvier 2011

Corno inglese



Il vento che stasera suona attento
– ricorda un forte scotere di lame –
gli strumenti dei fitti alberi e spazza
l'orizzonte di rame
dove strisce di luce si protendono
come aquiloni al cielo che rimbomba
(Nuvole in viaggio, chiari
reami di lassù ! D'alti Eldoradi
malchiuse porte !)
e il mare che scaglia a scaglia,
livido, muta colore
lancia a terra una tromba
di schiume intorte ;
il vento che nasce e muore
nell'ora che lenta s'annera
suonasse te pure stasera
scordato strumento,
cuore.

Eugenio Montale Ossi di seppia Movimenti



dimanche 2 janvier 2011

Cartolina da Firenze (Une carte postale de Florence)









Firenze è come un albero fiorito
che in piazza dei Signori ha tronco e fronde,
ma le radici forze nuove apportano
dalle convalli limpide e feconde !
E Firenze germoglia ed alle stelle
salgon palagi saldi e torri snelle !
L’Arno, prima di correre alla foce,
canta baciando piazza Santa Croce,
e il suo canto è sì dolce e sì sonoro
che a lui son scesi i ruscelletti in coro !
Così scendonvi dotti in arti e scienze
a far più ricca e splendida Firenze !
E di val d’Elsa giù dalle castella
ben venga Arnolfo a far la torre bella!
E venga Giotto dal Mugel selvoso,
e il Medici mercante coraggioso !
Basta con gli odi gretti e coi ripicchi !
Viva la gente nova e Gianni Schicchi !

G.Puccini Gianni Schicchi [Aria di Rinuccio] (libretto di G.Forzano)


Florence est comme un arbre fleuri,
dont le tronc et les feuilles sont Place de la Seigneurie
mais les racines puisent des forces neuves
dans les vallées limpides et fécondes !
Et Florence germe et élève jusqu'aux étoiles
ses palais puissants et ses tours effilées !
L'Arno, avant de courir à la mer,
embrasse en chantant la Place Santa Croce,
et son chant est si doux et sonore
que tous les ruisseaux le rejoignent en chœur !
Ainsi descendent docteurs ès arts et sciences
pour faire plus riche et splendide Florence !
Et du Val d'Elsa, descendu des castels
bienvenu soit Arnolphe qui fit la tour belle !
Et vienne Giotto du Mugello boisé,
et Médicis, le négociant rusé !
Assez de haines mesquines et de dépit !
Vive les gens nouveaux et Gianni Schicchi !




Image (en haut) : Angela Massagni (Site Flickr)