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mardi 28 juin 2016

L'assiuolo (L'Oiseau de nuit)




L'assiuolo 

Dov’era la luna ? Ché il cielo
notava in un’alba di perla, 
ed ergersi il mandorlo e il melo 
parevano a meglio vederla. 
Venivano soffi di lampi 
da un nero di nubi laggiù ; 
veniva una voce dai campi : 
chiù... 

Le stelle lucevano rare 
tra mezzo alla nebbia di latte : 
sentivo il cullare del mare, 
sentivo un fru fru tra le fratte ; 
sentivo nel cuore un sussulto, 
com’eco d’un grido che fu. 
Sonava lontano il singulto : 
chiù... 

Su tutte le lucide vette 
tremava un sospiro di vento : 
squassavano le cavallette 
finissimi sistri d’argento 
(tintinni a invisibili porte 
che forse non s’aprono più ?...) ; 
e c’era quel pianto di morte... 
chiù...

Giovanni Pascoli   Myricae 



 
Renata Tebaldi chante L'assiuolo, mis en musique par Riccardo Zandonai


L'Oiseau de nuit

Où était la lune ? Puisque le ciel 
avait la couleur d'une aube de perle,
et que l'amandier et le pommier semblaient 
tendre leurs branches pour mieux la voir.
Des éclairs scintillaient
dans le noir des lointains nuages ;
une voix venait des champs :
chiù...

De rares étoiles brillaient 
 dans une brume de lait :
j'entendais le bercement de la mer,
j'entendais un frou-frou dans les fourrés ;
et je sentais mon cœur tressaillir,
comme l'écho d'un cri éteint.
Un sanglot résonnait dans le lointain :
chiù...

Sur tous les sommets étincelants
tremblait un souffle de vent :
les criquets secouaient obstinément
de fins sistres d'argent
(tintements sur d'invisibles portes
qui sans doute ne s'ouvriront plus ?...) ;
et l'on entendait cette plainte funèbre :
chiù...


 (Traduction personnelle)






Note sur la traduction :  l'assiuolo est un oiseau nocturne semblable à un petit hibou (on l'appelle en français petit-duc). A la fin de chaque strophe, Pascoli reprend la même onomatopée (chiù) qui cherche à imiter le chant du petit-duc (l'équivalent de hou en français) ; on y perçoit aussi toutefois une déformation de più ("plus", dans le sens de "jamais plus"), qui correspond bien à la tonalité crépusculaire et funèbre du poème.

On peut entendre ici une récitation de L'assiuolo.


Images : en haut, Mirko Zammarchi  (Site Flickr

en bas, Site Flickr 

vendredi 24 juin 2016

Centomani






Centomani

Un détour de la route et ce Basento funèbre,
Dans ce pays stérile, âpre, où, sur des collines,
Au loin, s’étendent de noires forêts pourrissantes.
Sur les interminables plateaux, pas un seul arbre.
Des cirques, des vallées vastes, sans verdure,
Où stagnent, avec des reflets de plomb, des eaux infernales
Issues des crevasses des lointaines montagnes de bitume
Dressées dans les régions désertes, sans routes et sans villages,
Près d’un Lago Nero, où semble demeurer éternellement
Un sombre et angoissant crépuscule d’hiver.
Te voici, rude Lucanie, sans un sourire !
Replis stygiens de ces ravins, ces roseaux noirs,
Ces chemins tortueux ouverts à tous les vents ;
J’ai donc vécu, jadis, en Basilicate,
Puisque ces souvenirs me restent bien vivants.

Un détour de la route, et ce Basento funèbre.
(C’est la route de Tito à Potenza ;
Ce talus de cailloux, c’est la ligne où ahanent
Les lents et lourds et noirs express Naples-Tarente.)
Il y a une maison de paysan, en ruines,
Inhabitée ; sur un des murs on a écrit
En français, ces mots peut-être ironiques : Grand Hôtel.
La prairie, à l’entour, est pâle et grise.
On m’a dit que l’endroit était nommé Centomani.
J’y suis venu souvent, pendant l’hiver 1903.
C’est une partie de ma vie que j’ai passée là,
Oubliée, perdue à jamais…
Arbres, ruines, talus, roseaux du Basento,
Ô paysage neutre et à peine mélancolique,
Que n’eûtes-vous cent mains pour barrer la route
À l’homme que j’étais et que je ne serai plus ?

Valery Larbaud   Poésies d'A.O. Barnabooth





Centomani

La strada svolta, ed ecco questo Basento funebre,
Terra sterile, aspra, dove sulle colline
Lontano si distendono nere foreste putride.
Sugli altopiani immensi non c’è neppure un albero.
Circhi, vallate vaste, senza vegetazione,
Dove stagnano plumbee acque infernali uscite
Dai crepacci di monti lontani di bitume
Tra regioni deserte, senza strade o villaggi,
Vicino a un Lago Nero, dove sembra abitare
Un cupo ed angoscioso crepuscolo invernale.
Eccoti qui, Lucania, rude, senza un sorriso !
Stigi recessi delle forre, le canne nere,
E i tortuosi sentieri aperti a tutti i venti ;
Dunque, ho vissuto già in Basilicata,
Se i miei ricordi sono tanti vivi.

La strada svolta, ed ecco questo Basento funebre.
(E’ la strada di Tito per Potenza ;
La scarpata pietrosa è la linea in cui penano
Lenti, pesanti, neri treni Napoli-Taranto).
C’è una casa in rovina, casa di contadini
Disabitata; ma su di un muro, in francese,
Si legge, forse ironica, la scritta: Grand Hôtel.
I prati, tutt’intorno, sono pallidi e grigi.
Mi hanno detto che il posto si chiama Centomani.
Ci sono stato spesso, nell’inverno del 1903.
C’è un po’ della mia vita che ho trascorso laggiù,
Dimenticata, ormai, persa per sempre…
Piante, rovine, canne, scarpata del Basento,
Paesaggio neutro, appena malinconico,
Perché con cento mani non sbarraste la strada
All’uomo ch’ero e che non sarò più ?

Traduction : Valerio Magrelli






Un article de Valerio Magrelli sur le site du Giornale di filosofia : Dire e ridire. Larbaud vs Larbaud (cliquer au bas de la page pour accéder à l'article complet (en italien) au format PDF).



Images : en haut, Giuseppe Quattrone  (Site Flickr)

 en bas, Diego Buda  (Site Flickr)

au centre, Viajero Italico  (Site Flickr)

mardi 21 juin 2016

Aria d'estate




Sapore di sale  (testo e musica di Gino Paoli, 1963) :

Sapore di sale, sapore di mare
che hai sulla pelle, che hai sulle labbra
quando esci dall'acqua e ti vieni a sdraiare
vicino a me, vicino a me.
Sapore di sale, sapore di mare
un gusto un po' amaro di cose perdute
di cose lasciate lontano da noi
dove il mondo è diverso, diverso da qui.

Il tempo è nei giorni che passano pigri
e lasciano in bocca il gusto del sale
ti butti nell'acqua e mi lasci a guardarti
e rimango da solo nella sabbia e nel sol.
Poi torni vicino e ti lasci cadere
così nella sabbia e nelle mie braccia
e mentre ti bacio sapore di sale
sapore di mare, sapore di te.




Un goût de sel, un goût de mer
qui reste sur ta peau, sur tes lèvres
quand tu sors de l'eau et que tu viens t'allonger
à côté de moi.
Un goût de sel, un goût de mer
le goût un peu amer des choses perdues
des choses que l'on a laissées derrière soi
dans un monde où tout est différent.

Le temps est dans les jours qui passent lentement
et laissent dans la bouche le goût du sel
tu te jettes dans l'eau et je reste seul à te regarder
dans le sable et le soleil.
Puis tu reviens près de moi et tu te laisses tomber
dans le sable et dans mes bras
et les baisers ont un goût de sel
un goût de mer, un goût de toi.






Images : en haut, Eugénia M  (Site Flickr

en bas, Francesco Montalbano  (Site Flickr)

jeudi 16 juin 2016

Jardin de Boboli





"Dirò altresì, non per migliore chiarezza ma per scolpire meglio con un'immagine la positura, che se in questa terra la collina vi tiene il posto della signora, e quasi sempre signora vera, principessa, la pianura vi tiene quello della serva, della cameriera o ancella ; e che il più benevolo e cortese dei passanti ha per lei quella cordialità di concessione che si usa verso la donna che ci apre la porta allorquando si va per visitare la sua padrona ; o nel più fortunato dei casi della dama di compagnia che mantiene il proprio rango con dignità e compostezza senza permettersi di giudicare, esternando ammirazione bonaria e socchiudendo appena gli occhi o storcendo un po' la bocca alla molta polvere che per colpa dell'altra è costretta a inghiottire dalla mattina alla sera, e alla motriglia che tale scorribanda le produce davanti a casa inzaccherandone l'uscio fino in cima ; e qualche volta infine, della mendicante supplice ai suoi piedi.

Riporterò alcuni nomi di queste colline riuscendo essi, meglio delle parole, a dimostrarsi tale evidenza : Bellosguardo, e notate che molte ve ne sono dove lo sguardo è ancor più bello, Il Gelsomino, Giramonte, Il Poggio Imperiale, Torre del Giallo, San Gersolè, Settignano, Fiesole, Vincigliata e Castel di Poggio, Montebeni, Il Poggio delle Tortore, Montiloro, L'Apparita e L'Incontro, Monte Asinario, Il Giogo, Monte Morello... Sentite invece i nomi della pianura : Rifredi, Le Caldine, Le Panche, Peretola, Legnata, Soffiano, Petriòlo, Brozzi, Campi, Quarto, Quinto, Sesto... anche la fantasia pedestre si spegne, sembrano gli evirati dell'immaginazione."


Aldo Palazzeschi   Sorelle Materassi  Ed. Mondadori






De Florence, il est souhaitable – ne serait-ce que pour se laver l'esprit de tant de chefs-d'œuvre assemblés en si peu d'espace – de s'éloigner vers les collines en grimpant jusqu'à San Miniato – bien verte, bien blanche, bien romane, bien mignonne – ou en progressant par les terrasses du jardin de Boboli. Ah ! les collines... c'est presque décourageant, elles semblent mises là pour composer le plus harmonieux tableau du monde. On souhaiterait un vague désordre, au moins une discordance. Avec leurs maisons semées au milieu du feuillage, leurs cyprès (seuls arbres que je reconnais à coup sûr), leurs pentes douces, elles ont l'air de dire : ici tout va de soi, moins on se force et plus c'est beau. Aussi je ne m'acharnerai pas à les célébrer, les collines, il y faudrait un art très subtil, celui d'un Aldo Palazzeschi qui, au début des Soeurs Materassi, arrive à restituer leur présence. Voilà un livre à la mesure de ce paysage : faussement simple comme l'âme de ces pauvres sœurs, vieilles brodeuses, qui s'éprennent à la folie de leur charmant neveu dont la beauté physique, qu'elles contempleront en vain, les conduira à leur perte. Un livre superbe, allant de soi lui aussi et dont l'ironie allège et accuse le drame. On me dit que Palazzeschi subit, depuis sa mort, une éclipse en Italie. Les meilleurs font le vide.




Dans le jardin de Boboli, soucieux d'anecdote, je cherche la vasque où Teresa Stich-Randall, alors à l'aube de sa carrière, a plongé après avoir chanté un air d'Obéron. À elle, je demeurerai éternellement redevable. Au festival d'Aix-en-Provence, vers la fin des années cinquante, ses interprétations de Donna Anna et de Pamina me révélèrent un Mozart limpide, épuré comme un dessin à la plume. Je la revois dans la nuit de la cour de l'Archevêché, je revois les décors de Cassandre, de Jean-Denis Malclès : quelques heures de ma jeunesse que je suis certain de ne pas embellir.

Des jeunes, j'en croise beaucoup par ici. La plupart vont s'asseoir sur les pelouses du Belvédère tout en haut. Filles et garçons – blue-jeans, chemises claires – bavardent ou lisent, pas Aldo Palazzeschi, des livres de classe et des BD. Quelques-uns écoutent de la musique branchée à leurs oreilles, pas du Mozart. Ils ne se distinguent pas des jeunes de partout, sympathiques, éphémères, un de perdu, dix de retrouvés. Dans ce paysage pourtant, à cause des collines, ils paraissent inaltérables.

Christian Giudicelli
  Quartiers d'Italie Editions du Rocher, 1993







Images : en haut, Site Flickr

an centre, Manuel Palomino Ajorna (Site Flickr)

en bas, Alessio Mariottini (Site Flickr)

dimanche 12 juin 2016

Vacances romaines (Vacanze romane)




Dans son ouvrage intitulé Persone speciali [Des personnes particulières], Masolino d’Amico réunit quelques portraits de grands personnages de la culture ou du spectacle dans l’Italie de l’après-guerre. Fils de la célèbre scénariste Suso Cecchi d’Amico (et du musicologue Fedele d’Amico), Masolino a bien connu dès l'enfance ces écrivains et ces artistes puisque, pour la plupart, ils fréquentaient régulièrement la maison de ses parents. Je traduis ici un extrait du beau texte qu’il consacre à Audrey Hepburn, qu’il a rencontrée en 1952 (il avait treize ans, mais on verra qu’elle lui a laissé un grand souvenir), lors du tournage de Vacances romaines, le film qui allait la révéler au grand public (et lui valoir un Oscar) ; Suso Cecchi d’Amico et Ennio Flaiano avaient travaillé au scénario du film, afin de lui donner une couleur locale plus authentique, et c’est à cette occasion qu’ils avaient fait la connaissance de la jeune actrice. 

« La nouvelle venue était ravissante. Ses débuts à l’écran n’ont-ils pas été les plus éclatants de toute l’histoire du cinéma ? À quelle star d’aujourd’hui pouvons-nous la comparer ? Qui d’autre a influencé autant qu’elle l’attitude, le look, la façon de s’habiller de toute une génération ? La Julia Roberts de Pretty woman ? La malheureuse Lady Diana ? Totò aurait répondu : «Ma mi faccia il piacere !» [«Mais vous voulez rire !»]. Aujourd’hui encore, plus de cinquante ans plus tard, la présence d’Audrey illumine le petit film de Wyler, fort heureusement en noir et blanc, comme jamais aucune actrice avant elle n’avait illuminé un film, à l’exception de Louise Brooks. Un remake de Vacances romaines serait inconcevable (en fait, il y en a bien eu un, avec Tom Conti, mais personne ne l’a vu). Audrey Hepburn était unique, et elle l’est restée à jamais. Sans être le moins du monde mielleuse ou mièvre, il émanait d'elle une grâce et une innocence juvénile, et dans le même temps un raffinement et une maîtrise tempérés par une pointe d’espièglerie (sa spontanéité était en fait une recréation, comme celle des marionnettes de Kleist) ; elle avait des yeux immenses, un sourire irrésistible, et elle était si photogénique que cela frisait l'indécence. Je crois bien qu’aujourd’hui encore, personne n’a eu plus de couvertures qu’elle, au moins de revues sur papier glacé. Née à Bruxelles, elle a grandi en Hollande (où ses parents s’étaient réfugiés pendant la guerre : elle me raconta un jour que pendant deux ans, elle n’avait mangé que des endives belges, ce qui est peut-être à l’origine de sa maigreur légendaire) et a fait son éducation à Londres ; on ne pouvait par conséquent l’associer à aucun lieu en particulier, son charme était platonicien, c'est-à-dire idéal, absolu. Elle réunissait en elle l’understatement britannique, l’élégance française et l’absence de préjugés américaine, en les harmonisant avec une application disciplinée et scrupuleuse. »

Masolino d'Amico Persone speciali, Sellerio editore, Palermo, 2012 (Traduction personnelle)














lundi 6 juin 2016

La Torre di Vicenza (La Tour de Vicence)



Per Vincenzo





[1939] À Vicence, De Pisis loge au vieil hôtel Cavalletto, où il invite son ami Raimondi à le rejoindre, «à deux pas de l'admirable Basilique de Palladio». Il prend ses repas dans les trattorie voisines de la Piazza delle Erbe, profitant de la douceur retrouvée d'une province joyeuse et volubile. Quand il est à table, son regard est toujours aussi mobile, mais les choses qui l'enchantent restent les mêmes. Sur une table à moitié blanche et à moitié verte, il y a un vase en verre avec quelques fleurs fanées. Un œillet rouge vif à la longue tige vibre dans l'air comme s'il était saisi d'un tic nerveux, un bouquet d'asters blancs, comme de petites étoiles venues d'un monde irréel... Le maestro pense aux traits qu'il aurait pu esquisser sur une feuille blanche pour fixer un peu – «oh, rien qu'un tout petit peu, je le savais bien!» – de la grâce, de la mélancolie de ces fleurs.

Nico Naldini  De Pisis, vita solitaria di un poeta pittore, Ed. Einaudi, 1991 (Traduction personnelle)



La Torre di Vicenza

In un ora di dubbio
e tèdio amaro
mi sei comparsa in un ciel clemente
rossa, rosea torre
leggera consolatrice,
miracoloso equilibrio !
e il cuor mi ha detto :
«Vedi questo bel cumulo di pietre
ha sfidato bufere
e tu le fiere lotte vincerai».
Anche la mia vita
contro la perfidia umana
ha bisogno d'incanto
e come su un precipizio io cammino.
Bella, pura, leggera
rossa, rosea torre,
tu mi sorridi da cieli sognati
e il cuor ti manda un saluto
tra lacrime e canto.

Filippo De Pisis  Poesie, Ed. Garzanti 



 



La Tour de Vicence

Dans un moment de doute
et d'ennui amer
tu m'es apparue dans un ciel clément
rouge, rose tour
légère consolatrice,
miraculeux équilibre !
et mon cœur m'a dit :
«Regarde ce bel ensemble de pierres
il a bravé les tempêtes
et toi, dans les terribles combats, tu vaincras».
Ma vie aussi
contre la perfidie des hommes
a besoin d'enchantement
et comme au bord d'un précipice, j’avance.
Belle, pure, légère
rouge, rose tour,
tu me souris du haut de ciels rêvés
et mon cœur te salue
entre les larmes et le chant.

(Traduction personnelle)



 




Images : en haut et au centre, Andra Moclinda-Bucuta (Site Flickr)

en bas : Site Flickr

dimanche 5 juin 2016

Le rêve de Federico Garcia Lorca



Federico Garcia Lorca (5 juin 1898 - 19 août 1936)


Dans son ouvrage Sogni di sogni (Rêves de rêves), Antonio Tabucchi imagine les rêves d'artistes qu'il a aimés. Voici (dans une traduction personnelle) celui de Federico Garcia Lorca :

Une nuit d’août 1936, dans sa maison de Grenade, Federico Garcia Lorca, poète et antifasciste, fit un rêve. Il rêva qu’il se trouvait sur la scène de son petit théâtre ambulant et qu’il chantait des complaintes gitanes en s’accompagnant au piano. Il portait un frac, mais avait sur la tête un chapeau à large bord. Le public était composé de vieilles femmes vêtues de noir, avec une mantille sur les épaules, qui l’écoutaient ravies. Dans la salle, une voix lui demanda une chanson, et Federico Garcia Lorca se mit à la jouer. C’était une chanson qui parlait de duels et d’orangeraies, de passions et de mort. Quand il eut fini de chanter, Federico Garcia Lorca se leva et salua le public. Le rideau tomba et ce n’est qu’à ce moment-là qu’il s’aperçut que derrière le piano il n’y avait pas de coulisses, mais que le théâtre s’ouvrait sur une campagne déserte. C’était la nuit, et la lune brillait. Federico Garcia Lorca écarta le rideau de scène et il vit que le théâtre s’était vidé comme par enchantement, la salle était complètement déserte et les lumières s’éteignaient. Au même moment, il entendit un jappement et il découvrit derrière lui un petit chien noir qui paraissait l’attendre. Federico Garcia Lorca sentit qu’il devait le suivre et il fit un pas dans sa direction. Le chien, comme s’il obéissait à un signal convenu, commença à trottiner lentement en lui ouvrant le chemin. Où me conduis-tu, petit chien noir ? demanda Federico Garcia Lorca. Le chien gémit douloureusement et Federico Garcia Lorca frissonna. 




Il se retourna pour regarder derrière lui, et il vit que les parois de toile et de bois de son théâtre avaient disparu. Il ne restait plus qu’une scène déserte sous la lune, tandis que le piano, comme si des doigts invisibles l’effleuraient, continuait à jouer tout seul une ancienne mélodie. La campagne était bornée par un mur : un mur blanc long et inutile derrière lequel on apercevait une autre campagne. Le chien s’arrêta et se remit à japper, et Federico Garcia Lorca s’arrêta lui aussi. C’est alors que de derrière le mur surgirent des soldats qui l’encerclèrent en riant. Ils étaient vêtus de brun et coiffés de tricornes. Dans une main ils tenaient un fusil et dans l’autre une bouteille de vin. Leur chef était un nain monstrueux, avec une tête pleine de verrues. Tu es un traître, dit le nain, et nous sommes tes bourreaux. Federico Garcia Lorca lui cracha au visage pendant que les soldats l’immobilisaient. Le nain rit de façon obscène et demanda aux soldats de lui ôter son pantalon. Tu es une femme, dit-il, et les femmes ne doivent pas porter de pantalon, elles doivent rester à la maison et se couvrir la tête avec une mantille. À un signe du nain, les soldats l’attachèrent, lui ôtèrent son pantalon et lui mirent un châle sur la tête. Femme dépravée qui t’habilles comme un homme, dit le nain, il est temps pour toi de prier la Madone. Federico Garcia Lorca lui cracha au visage et le nain s’essuya en riant. Puis il sortit un revolver de sa poche et lui mit le canon dans la bouche. On entendait dans la campagne le son d’un piano jouant une mélodie. Le chien se mit à japper. Federico Garcia Lorca entendit un coup et il sursauta dans son lit. On frappait à la porte de sa maison de Grenade avec des crosses de fusils. 

Antonio Tabucchi  Sogni di sogni  Sellerio editore Palermo, 1992  (Traduction personnelle)








Images : au centre, maison de Garcia Lorca à Grenade, Site Flickr

en bas, maison de Garcia Lorca à Grenade, Site Flickr




samedi 4 juin 2016

Non vedrò mai... (Je ne verrai jamais...)











Non vedrò mai Taranto bella
non vedrò mai le betulle
né la foresta marina :
l'onda è pietrificata
e le piovre mi pulsano negli occhi...
Sei venuto tu, amore mio,
in una insenatura di fiume,
hai fermato il mio corso
e non vedrò mai Taranto azzurra,
e il mare Ionio suonerà le mie esequie.

Alda Merini   Poesie per Charles  Ed. Einaudi







Je ne verrai jamais Tarente la belle
je ne verrai jamais les bouleaux
ni la forêt marine :
l'onde est pétrifiée
et les pieuvres palpitent dans mes yeux...
C'est toi qui es venu, mon amour,
dans l'anse d'un fleuve,
tu as arrêté le cours de ma vie
et je ne verrai jamais Tarente la bleue,
et la mer Ionienne célèbrera mes obsèques.

(Traduction personnelle)








Images, en haut :  Antonio Seprano  (Site Flickr)

au centre, Rosa Cambara  (Site Flickr)

en bas, Site Flickr




jeudi 2 juin 2016

Addio, mia bella, addio...



"
Noi, dolce parola.

Noi credevamo..."







Addio, mia bella, addio (1848, attribuito a Carlo Alberto Bosi)






Addio mia bella addio,
che l’armata se ne va,
e se non partissi anch’io
sarebbe una viltà.

Il sacco è preparato,
il fucile l’ho con me,
ed allo spuntar del sole
io partirò da te.

Ma non ti lascio sola,
ma ti lascio un figlio ancor.
Sarà quel che ti consola :
il figlio dell’amor.





Adieu, ma belle, adieu...

Adieu, ma belle, adieu,
car la troupe s'en va,
et si je ne partais pas moi aussi
ce serait de la lâcheté.

Mon sac est prêt,
j'ai mon fusil avec moi,
et quand le soleil se lèvera
je partirai loin de toi.

Mais je ne te laisse pas seule,
un fils reste avec toi.
Il sera celui qui te console :
le fils de notre amour.






Images : Noi credevamo, un film de Mario Martone (2010)

Source de la vidéo : Site YouTube