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mercredi 24 février 2016

Lector in fabula




"Chi non legge, a 70 anni avrà vissuto una sola vita : la propria. Chi legge avrà vissuto 5000 anni : c'era quando Caino uccise Abele, quando Renzo sposò Lucia, quando Leopardi ammirava l'infinito... perché la lettura è un'immortalità all'indietro." 

"Ceux qui ne lisent pas n'auront à 70 ans vécu qu'une seule vie : la leur. Ceux qui lisent auront vécu 5000 ans : ils étaient là quand Caïn a tué Abel, quand Renzo a épousé Lucia, quand Leopardi admirait l'infini... parce que la lecture est une immortalité à rebours."

 Umberto Eco




L'hommage d'Emanuele à son grand-père Umberto Eco : « Cher grand-père, je voulais faire une liste de toutes les choses que nous avons faites ensemble pendant ces quinze années, puisque tu aimais beaucoup les listes ; mais cette liste-là aurait été trop longue et je n'aurais jamais eu le temps de la lire en entier. Toutefois, comme tu le sais très bien, on m'a souvent demandé quel effet ça faisait d'avoir un grand-père comme toi, et moi, pris de court, je n'ai jamais su répondre de façon satisfaisante à cette question. Je dois pourtant admettre que depuis que tu nous a quittés, j'ai commencé à y réfléchir. Depuis ma petite enfance, j'ai apprécié ton affection, ta générosité, mais surtout ta sagesse ; puis, en grandissant, j'ai profité de ton intelligence, de tes connaissances et de ton sens de l'humour jamais pris en défaut. Je veux te remercier pour toutes les histoires que tu m'as racontées, pour les mots croisés que nous avons faits ensemble, pour les livres que tu m'as offerts, pour la musique que tu m'as fait écouter, et pour tous les voyages que nous avons faits tous les deux, pour tout ce que tu m'as transmis et que moi, à mon tour, je dois transmettre à mon frère Pietro et à ma cousine Anita. Et donc, en revenant à la question que l'on m'a si souvent posée, je peux répondre que le fait de t'avoir comme grand-père m'a rempli de fierté. »


mardi 23 février 2016

L'alba dei tram (L'aube des tramways)




 Une chanson de Remo Anzovino et Giuliano Sangiorgi, dédiée à P.P. Pasolini :



L'ALBA DEI TRAM

Case e periferia
fumo che non va via
copre ogni voglia che ho
di rialzarmi e andar giù.

Facce in attesa di un tram
lunghe
quanto la notte che ormai
non c’è più
son donne appese a finestre
le ombre che guardano in su,
l’alba è qui già da un po’
ma dove sei tu.
Là dove si sta liberi di non aver paura,
di dir la verità,
di vivere la vita.

E tra queste strade bianche
un uomo, con parole stanche,
ammira, come fosse d’oro,
quest’alba che sa di nuovo.
Là dove si sta
liberi di non aver paura
di vivere la vita.
Come si fa,
liberi di non aver paura
di dir la verità,
di far la verità
per vivere la vita.
Di dir la verità
per vivere la vita. 

Des maisons et une banlieue
de la fumée qui ne se dissipe pas
et recouvre chacune de mes envies
de me relever et de redescendre.

Des visages qui attendent un tram
longs
comme la nuit qui désormais
a disparu
ce sont des femmes accoudées à des fenêtres
ces ombres qui regardent en haut,
il y a un moment que l'aube s'est levé
mais toi, ou es tu ?
Là où l'on est libre de ne pas avoir peur
de dire la vérité,
de vivre sa vie.

Et dans ces rues blanches
un homme, avec des mots las,
admire, comme si c'était de l'or,
cette aube qui paraît nouvelle.
Là où l'on est 
libre de ne pas avoir peur
de vivre sa vie.
Comme si c'était possible,
libres de ne pas avoir peur
de dire la vérité,
de faire la vérité
pour vivre sa vie.
De dire la vérité
pour vivre sa vie. 

On entend cette chanson dans le générique d'un des plus beaux documentaires que l'on ait consacrés à Pasolini : Pasolini, maestro corsaro, d'Emanuela Audisio. On peut le voir sur le site du journal La Repubblica, pour quelques jours encore. Cliquez ici.



mercredi 17 février 2016

À San Francesco





À San Francesco, le soir

... Ainsi le sol était de marbre dans la salle
Obscure, où te mena l'inguérissable espoir.
On eût dit d'une eau calme où de doubles lumières
Portaient au loin les voix des cierges et du soir.

Et pourtant nul vaisseau n'y demandait rivage,
Nul pas n'y troublait plus la quiétude de l'eau.
Ainsi, te dis-je, ainsi de nos autres mirages,
Ô fastes dans nos cœurs, ô durables flambeaux.

Yves Bonnefoy Hier régnant désert, Gallimard, 1958


A San Francesco, la sera

... E il suolo era di marmo nella sala
Oscura, cui ti guidò l'insanabile speranza.
Sembrava acqua tranquilla dove le doppie luci
Trainavano al largo le voci dei ceri e della sera.

Eppure nessun vascello vi chiedeva approdo,
Non un passo turbava più l'acqua serena.
Così, ti dissi, sia così d'altri nostri miraggi,
Nel nostro cuore oh fasti, oh fiaccole perenni !

Traduzione : Diana Grange Fiori






 Images : Basilica di San Francesco, Ferrara, David Bramhall  (Site Flickr)

samedi 6 février 2016

Le fond et le paysage (Lo sfondo e il paesaggio)




Ce texte, écrit par Pasolini lors du tournage de Mamma Roma (1962), a été publié dans Mamma Roma, di Pier Paolo Pasolini, éditions Rizzoli, 1962. Je cite ici la traduction qu'en a faite Stefano Bevacqua dans le numéro hors série des Cahiers du cinéma consacré à Pasolini (Pasolini cinéaste, avril 1981).

« Mon goût cinématographique n'est pas d'origine cinématographique, mais pictural. Les images, les champs visuels que j'ai dans la tête, ce sont les fresques de Masaccio, de Giotto – les peintres que j'aime le plus, avec certains maniéristes (comme, par exemple, Pontormo). Je n'arrive pas à concevoir des images, des paysages, des compositions de figures, en dehors de ma passion fondamentale pour cette peinture du Trecento, qui place l'homme au centre de toute perspective. Quand mes images, donc, sont en mouvement, elles sont en mouvement un peu comme si l'objectif se déplaçait devant un tableau : je conçois toujours le fond comme le fond d'un tableau, comme un décor, c'est pour cela que je l'attaque toujours de front. Et les figures se déplacent sur cette toile de fond de façon symétrique, à chaque fois que c'est possible : gros plan contre gros plan, panoramique-aller contre panoramique-retour, rythmes réguliers (ternaires, si possible) des plans, etc. Il n'y a presque jamais de montage gros plans / plans généraux.






Je cherche la plasticité, avant tout la plasticité de l'image, en suivant la voie jamais oubliée de Masaccio : son fier clair-obscur, son blanc et noir – ou bien, si vous voulez, en suivant la voie des Primitifs, en un curieux mélange de finesse et de grossièreté. Je ne peux pas être impressionniste. Ce que j'aime, c'est le fond, pas le paysage. On ne peut pas concevoir un retable avec les figures en mouvement. Je déteste le fait que les figures se déplacent. Et donc, aucun de mes cadrages ne peut commencer par le "champ", c'est à dire le paysage vide. Le personnage, même tout petit, sera toujours là. Tout petit pour un instant seulement, car je crie aussitôt au fidèle Delli Colli de mettre le "soixante-quinze", et ainsi j'arrive sur la figure : un visage en détail. Et derrière, le fond : le fond, pas le paysage.
»




 Extrait de La Ricotta, de P.P. Pasolini (1963)



Sur le même sujet, une étude intéressante de Céline Parant : Les représentations picturales du cinéma pasolinien.


Images
: en haut, Masaccio Il Tributo (détail) (chapelle Brancacci, Florence)

en bas, P.P. Pasolini, L'Evangile selon Saint Matthieu

mercredi 3 février 2016

L'Or de Naples





"
Zuoccole, tammorre e femmene,
chi è nato a Napule nce vo murì".





15 septembre [1958]
Naples. Je l'avais mal visitée, la première fois, en 1949. Je l'ai, cette fois-ci, parcourue de fond en comble, en autocar ou à pied : Pouzzoles et la Salfatare, les champs phlégréens, le Pausilippe (où j'aimerais bien pouvoir louer une des élégantes pent-houses), les étages supérieurs du Vomero et toute la zone intermédiaire entre le Vomero et le port, la «vraie» Naples, celle de Giuseppe Marotta, un superbe pullulement de vie. C'est ainsi que devait être, à Rome, le quartier de Suburre, les insulae insalubres, humides, odorantes, les myriades d'enfants, les matrones hurleuses, les filles qui roulent des hanches, les garçons qui les épient, l'œil sombre, une main sur l'aine ; misère pavoisée de linges séchant sur des cordes tendues, au-dessus de la rue, d'une fenêtre à l'autre, les éternelles lessives des pauvres ; un peuple qui ne parle pas, qui crie, à tue-tête, de haut en bas, de bas en haut, dans tous les sens, de l'aube à deux heures du matin, sans arrêt ; fortissimo vocal traversant les siècles, avec la mimique et la gesticulation appropriées, quasi rituelles, comme dans le théâtre antique ou les nô japonais – il y a le geste du défi, celui de la revendication, celui de la colère, du doute, du désir, du contentement, de la connivence, fixés par une immémoriale dramaturgie de la vie quotidienne ; et l'homme qui ne sait pas faire ces gestes est perdu, comme un sourd-muet qui n'aurait pas appris le langage des mains ; chaque foyer ouvert à deux battants, comme un théâtre ; et la pièce aux cent actes divers se passe dans une seule pièce-à-vivre, où l'on mange, où l'on dort, où l'on fait des enfants, où l'on meurt et on l'on prie, car il y a l'autel à la Madone et à saint Janvier, l'autel des dieux lares, où brûle une lampe ; dans chacun de ces foyers, une vieille femme impotente, assise tout le jour, la grand-mère, la matriarche, sur quoi les derniers-nés grimpent comme des crabes roses sur un rocher ; par un invraisemblable miracle de labeur toujours recommencé, de patience et de fierté, ces foyers, qui pourraient être sordides, sont propres : passants, vous pouvez regarder chez nous, tout est net, chaque chose est à sa place, nous sommes des gens bien. Et, par bonheur, le soleil pénètre quelquefois dans ces rues étroites, fait resplendir les innombrables draps de lit, brassières, torchons, soutien-gorges, caleçons, culottes, serviettes, nappes du petit autel, avive la belle lèpre jaune des façades, dore les fruits des étalages et les visages des enfants.

Jean-Louis Curtis Un miroir le long du chemin éditions Julliard, 1969






Images : en haut, Spaccanapoli, Erik Eti Smit (Site Flickr)

en bas, Scugnizzi, Gerry D. (Site Flickr)