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lundi 7 juillet 2014

L'autre rive


À bientôt !






Régine Crespin chante L'Île inconnue, la dernière des mélodies du cycle des Nuits d'été, de Berlioz (poème de Théophile Gautier). Orchestre de la Suisse romande, direction : Ernest Ansermet.





Dites, la jeune belle,
Où voulez-vous aller ?
La voile enfle son aile,
La brise va souffler.

L'aviron est d'ivoire,
Le pavillon de moire,
Le gouvernail d'or fin.
J'ai pour lest une orange,
Pour voile une aile d'ange,
Pour mousse un séraphin.

Dites, la jeune belle,
Où voulez-vous aller ?
La voile enfle son aile,
La brise va souffler.

Est-ce dans la Baltique ?
Dans la mer Pacifique ?
Dans l'île de Java ?
Ou bien est-ce en Norvège,
Cueillir la fleur de neige,
Ou la fleur d'Angsoka ?

Dites, la jeune belle,
Où voulez-vous aller ?

Menez-moi, dit la belle,
A la rive fidèle
Où l'on aime toujours !
Cette rive, ma chère,
On ne la connaît guère
Au pays des amours.

Où voulez-vous aller ?
La brise va souffler.








Source de la vidéo
: Site YouTube

Images : en haut,  Renaud Camus (Site Flickr)

en bas, Sam Vanfleteren  (Site Flickr)

vendredi 4 juillet 2014

Addio al calcio (Adieu au football)




Dans son bel ouvrage Addio al calcio, Valerio Magrelli fait ses adieux au football, qu'il a beaucoup pratiqué, comme joueur amateur plus que comme spectateur dans les stades, en quatre-vingt-dix fragments qui correspondent aux quatre-vingt-dix minutes des deux mi-temps d'un match. Avec ferveur, ironie ou mélancolie, il évoque ce qui est en Italie beaucoup plus qu'un sport : une véritable passion nationale, à la fois exutoire, rite initiatique et obsession collective. Il dit aussi adieu à une certaine innocence de la jeunesse, faite d'enthousiasme et de fougue, de plaisir du jeu et de la dépense physique, avant que l'âge impose sa rigueur et ses limites. Je cite ici deux extraits : le premier correspond à la vingt-quatrième minute de la première mi-temps, le second à la trente-huitième minute de la deuxième mi-temps.

A proposito di vecchiaia. Ho continuato a giocare a calcio fin verso i quarant’anni. Da un certo punto in poi era diventato sempre più difficile mettere insieme una manciata di giocatori, ma l’incontro con il fratello di un mio amico cambiò tutto. Iniziai a giocare con una squadra di ragazzi molto simpatici e bravi. Troppo. Andò avanti per qualche partita, quando un giorno, anzi una sera, successe il fattaccio. Mi stavo muovendo piuttosto bene in campo, e feci addirittura una discesa gloriosa, fino al limite dell’area, quando il compagno che mi correva a fianco venne abbattuto e l’arbitro fischiò il fallo. Fu allora che capii. 

Se ero riuscito a tagliare la difesa come burro, a saltare terzini come in sogno, era perché tutti quanti si scansavano, anzi, letteralmente, mi evitavano. La loro gentilezza era squisita, sebbene piuttosto umiliante, e tutto mi fu chiaro quando un avversario mi si avvicinò per consegnarmi la palla. Stava esortandomi a battere la punizione, ma dandomi del lei. Del lei, in un campo di calcio ! Mi sentii amareggiato, e non potevo prendermela con nessuno. Avrei dovuto capirlo. Quella fu la mia ultima partita.

Valerio Magrelli  Addio al calcio  Einaudi, 2010




 À propos de vieillesse. J’ai continué de jouer au foot jusqu’à la quarantaine. À partir d’un certain moment, il était devenu de plus en plus difficile de réunir une poignée de joueurs, mais la rencontre avec le frère d’un de mes amis changea tout. Je commençai à jouer avec une équipe de garçons très sympathiques et très doués. Trop. Cela continua pendant quelques parties, mais un jour, ou plutôt un soir, l’incident eut lieu. Je me déplaçais plutôt bien sur le terrain et je fis même une incursion glorieuse, jusqu’à la limite de la surface de réparation, quand le camarade qui courait à mes côtés fut jeté au sol, et l’arbitre siffla la faute. Ce fut alors que je compris. 

Si j’avais réussi à enfoncer la défense comme du beurre, et à doubler des arrières comme dans un rêve, c’était parce que tous s’écartaient, ou plutôt, littéralement, m’évitaient. Leur gentillesse était exquise, quoique plutôt humiliante, et tout fut clair pour moi lorsqu’un adversaire s’approcha pour me remettre le ballon. Il m’exhortait à tirer le coup franc, mais en me vouvoyant. Un vouvoiement, sur un terrain de foot ! Je me sentis plein d’amertume, et ne pouvais m’en prendre à personne. J’aurais dû comprendre. Ce fut mon dernier match. 

Valerio Magrelli  Adieu au foot  Actes Sud, 2012 (Traduction : Marguerite Pozzoli, en collaboration avec René Corona)




Epopea dei palloni perduti. Sono le briciole di Pollicino che dovrei ritrovare per risalire il sentiero di casa. Quanti palloni ! E ovunque. Nei fiumi, innanzitutto, che appena toccata l’acqua, scappano via veloci. Nei laghi, più pacifici, ma non meno insidiosi. Qualcuno al mare, molti sopra gli alberi, incastrati sui rami più alti a formare un groviglio inestricabile, una specie di simbolo araldico. E quanti finiti bucati ! Quelli di plastica leggera, che volavano via alla prima brezza ("a vento", si diceva, guardando le inverosimili parabole tracciate quando li si colpiva con violenza), ma anche gli altri, via via divorati dai cespugli, dai vetri, dalle spine. In definitiva, non c’è pallone che non si sia perso o forato. E forse tutto questo vorrà dire qualcosa.

Valerio Magrelli  Addio al calcio  Einaudi, 2010

Epopée des ballons perdus. Ce sont les miettes du Petit Poucet que je devrais retrouver pour remonter le sentier vers la maison. Tant de ballons ! Et partout. Dans les rivières, avant tout : dès qu’ils ont touché l’eau, ils filent à toute vitesse. Dans les lacs, plus paisibles, mais non moins insidieux. Quelques-uns à la mer, beaucoup sur les arbres, coincés dans les branches les plus hautes pour former un écheveau inextricable, une espèce de symbole héraldique. Et tant de ballons percés ! Ceux en plastique léger, qui s’envolaient à la première brise ("au vent", disait-on, en regardant les invraisemblables paraboles qu’ils dessinaient lorsqu’on les frappait avec violence), mais aussi les autres, peu à peu dévorés par les buissons, les tessons de verre, les ronces. En définitive, il n’est pas de ballon qui ne se soit perdu ou percé. Et peut-être tout cela signifie-t-il quelque chose.

Valerio Magrelli  Adieu au foot  Actes Sud, 2012 (Traduction : Marguerite Pozzoli, en collaboration avec René Corona)






Images, de haut en bas :





mercredi 2 juillet 2014

D'une étoile l'autre




La promenade nocturne vaut surtout par la vision unique du ciel étoilé. (Si l’on décide d’y perdre la vue, prenons garde à ne pas renouveler la pénible aventure de Thalès qui, ne quittant pas les yeux de la voûte céleste et se refusant à l’immobilité, tomba dans une fosse.) 




Je ne connais pas de spectacle plus ravissant que ce panorama cosmique offert au contemplateur qui ne parvient pas à discipliner son regard tant il est attiré par des scintillements joueurs. Dès que je lève la tête, dans ces instants sublimes, le vers de Mistral dans Mireille — « Et le soir, Dieu sème les étoiles » vient frapper à mon huis mental. Inutile de connaître les constellations pour profiter de cette unique et permanente représentation qui jamais ne joue à guichet fermé malgré le caractère exceptionnel des acteurs. 




D’une étoile l’autre, petit prince qui erre d’astres en astres, je vogue sur du velours noir au gré des vents sidéraux. Quand je pense que des faquins me croient casanier ! Je me déplace beaucoup plus vite et beaucoup plus loin qu’ils ne l’imaginent, ces êtres dont le sens poétique est si atrophié que l’on se demande s’ils en furent un jour pourvus ! Las, laissons les assis et reprenons notre grande course.

Rémi Villedecaze  De la promenade  Éditions du Bon Albert, 1997








Images : (1)  Site Flickr

(2) et (3)  Site Flickr