Translate

vendredi 4 juillet 2014

Addio al calcio (Adieu au football)




Dans son bel ouvrage Addio al calcio, Valerio Magrelli fait ses adieux au football, qu'il a beaucoup pratiqué, comme joueur amateur plus que comme spectateur dans les stades, en quatre-vingt-dix fragments qui correspondent aux quatre-vingt-dix minutes des deux mi-temps d'un match. Avec ferveur, ironie ou mélancolie, il évoque ce qui est en Italie beaucoup plus qu'un sport : une véritable passion nationale, à la fois exutoire, rite initiatique et obsession collective. Il dit aussi adieu à une certaine innocence de la jeunesse, faite d'enthousiasme et de fougue, de plaisir du jeu et de la dépense physique, avant que l'âge impose sa rigueur et ses limites. Je cite ici deux extraits : le premier correspond à la vingt-quatrième minute de la première mi-temps, le second à la trente-huitième minute de la deuxième mi-temps.

A proposito di vecchiaia. Ho continuato a giocare a calcio fin verso i quarant’anni. Da un certo punto in poi era diventato sempre più difficile mettere insieme una manciata di giocatori, ma l’incontro con il fratello di un mio amico cambiò tutto. Iniziai a giocare con una squadra di ragazzi molto simpatici e bravi. Troppo. Andò avanti per qualche partita, quando un giorno, anzi una sera, successe il fattaccio. Mi stavo muovendo piuttosto bene in campo, e feci addirittura una discesa gloriosa, fino al limite dell’area, quando il compagno che mi correva a fianco venne abbattuto e l’arbitro fischiò il fallo. Fu allora che capii. 

Se ero riuscito a tagliare la difesa come burro, a saltare terzini come in sogno, era perché tutti quanti si scansavano, anzi, letteralmente, mi evitavano. La loro gentilezza era squisita, sebbene piuttosto umiliante, e tutto mi fu chiaro quando un avversario mi si avvicinò per consegnarmi la palla. Stava esortandomi a battere la punizione, ma dandomi del lei. Del lei, in un campo di calcio ! Mi sentii amareggiato, e non potevo prendermela con nessuno. Avrei dovuto capirlo. Quella fu la mia ultima partita.

Valerio Magrelli  Addio al calcio  Einaudi, 2010




 À propos de vieillesse. J’ai continué de jouer au foot jusqu’à la quarantaine. À partir d’un certain moment, il était devenu de plus en plus difficile de réunir une poignée de joueurs, mais la rencontre avec le frère d’un de mes amis changea tout. Je commençai à jouer avec une équipe de garçons très sympathiques et très doués. Trop. Cela continua pendant quelques parties, mais un jour, ou plutôt un soir, l’incident eut lieu. Je me déplaçais plutôt bien sur le terrain et je fis même une incursion glorieuse, jusqu’à la limite de la surface de réparation, quand le camarade qui courait à mes côtés fut jeté au sol, et l’arbitre siffla la faute. Ce fut alors que je compris. 

Si j’avais réussi à enfoncer la défense comme du beurre, et à doubler des arrières comme dans un rêve, c’était parce que tous s’écartaient, ou plutôt, littéralement, m’évitaient. Leur gentillesse était exquise, quoique plutôt humiliante, et tout fut clair pour moi lorsqu’un adversaire s’approcha pour me remettre le ballon. Il m’exhortait à tirer le coup franc, mais en me vouvoyant. Un vouvoiement, sur un terrain de foot ! Je me sentis plein d’amertume, et ne pouvais m’en prendre à personne. J’aurais dû comprendre. Ce fut mon dernier match. 

Valerio Magrelli  Adieu au foot  Actes Sud, 2012 (Traduction : Marguerite Pozzoli, en collaboration avec René Corona)




Epopea dei palloni perduti. Sono le briciole di Pollicino che dovrei ritrovare per risalire il sentiero di casa. Quanti palloni ! E ovunque. Nei fiumi, innanzitutto, che appena toccata l’acqua, scappano via veloci. Nei laghi, più pacifici, ma non meno insidiosi. Qualcuno al mare, molti sopra gli alberi, incastrati sui rami più alti a formare un groviglio inestricabile, una specie di simbolo araldico. E quanti finiti bucati ! Quelli di plastica leggera, che volavano via alla prima brezza ("a vento", si diceva, guardando le inverosimili parabole tracciate quando li si colpiva con violenza), ma anche gli altri, via via divorati dai cespugli, dai vetri, dalle spine. In definitiva, non c’è pallone che non si sia perso o forato. E forse tutto questo vorrà dire qualcosa.

Valerio Magrelli  Addio al calcio  Einaudi, 2010

Epopée des ballons perdus. Ce sont les miettes du Petit Poucet que je devrais retrouver pour remonter le sentier vers la maison. Tant de ballons ! Et partout. Dans les rivières, avant tout : dès qu’ils ont touché l’eau, ils filent à toute vitesse. Dans les lacs, plus paisibles, mais non moins insidieux. Quelques-uns à la mer, beaucoup sur les arbres, coincés dans les branches les plus hautes pour former un écheveau inextricable, une espèce de symbole héraldique. Et tant de ballons percés ! Ceux en plastique léger, qui s’envolaient à la première brise ("au vent", disait-on, en regardant les invraisemblables paraboles qu’ils dessinaient lorsqu’on les frappait avec violence), mais aussi les autres, peu à peu dévorés par les buissons, les tessons de verre, les ronces. En définitive, il n’est pas de ballon qui ne se soit perdu ou percé. Et peut-être tout cela signifie-t-il quelque chose.

Valerio Magrelli  Adieu au foot  Actes Sud, 2012 (Traduction : Marguerite Pozzoli, en collaboration avec René Corona)






Images, de haut en bas :





5 commentaires:

  1. Récit attachant et bien écrit, très surprenant. Une façon de découvrir une pensée lucide dans un décor -le foot- où on ne l'attend pas. Très intéressant. Ballons perdus pleins de charmes d'un drôle de petit Poucet !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est un très beau livre, en effet, sur l'adieu à la jeunesse, à une certaine insouciance ; j'en recommande la lecture, même à ceux qui ne s'intéressent pas du tout au football ! (L'édition française est très soignée, avec une très bonne traduction).

      Supprimer
  2. Il y a certaines photos de joueurs en plein vol sur la trajectoire du ballon qui sont de véritables chorégraphies. Que dit la chanson qui accompagne cette petite vidéo pleine de charme ? Ces joueurs donnent souvent le meilleur d'eux-mêmes. Ce qui me gêne c'est les réactions survoltées des spectateurs et cette façon de faire du foot -en ce moment- l'essentiel de l'actualité. J'en finis par me demander si cela ne devient pas une vraie religion !!!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La chanson parle du football, du plaisir du jeu lié à la jeunesse, de la peur juste avant de tirer le penalty, des courses sur des terrains improvisés avec le ballon qui semble collé au pied et de la joie au moment on l'on marque le but. Tout cela est en parfaite résonance avec le texte de Magrelli...

      Supprimer
  3. Oui, je crois moi aussi que la chanson parle du football jeu (lié à la jeunesse) et pas du football business voir même du football-guerre comme on a pu le voir lors du match Colombie-Brésil. Les mots employés par les différents sélectionneurs le prouvent ( celui du Brésil parle de contrats remplis) nous sommes, je le pense, dans un véritable affrontement Nord-Sud, saupoudré de l'inévitable corruption. En tout cas, bien loin des jeux de l'enfance.

    RépondreSupprimer