"Tù sì ànghjulu o demoniu
A carezza o lu spaventu..."
Suite (et sans doute fin) du voyage en Corse de Giuseppe Ungaretti ; le 28 janvier 1932, il se trouve dans le train qui le conduit de Bastia à Corte :
Ho preso a Bastia quel treno reso celebre da tutte le descrizioni della Corsica. Un treno da Luna park, un giuocattolo di treno, il quale non appena s’affannerà nella crudezza dei monti, m’accrescerà nell’animo un senso lillipuziano dell’uomo e dei suoi mezzi. Se domani dovessi ritrovarmi per queste strade, come spero, vorrei farmele a piedi o su uno di quei ciuchini, fratelli delle capre, che sanno condurre dove, al riparo d’un castagno, uno trova pienezza di riposo e può lo sguardo schiudere la fantasia. (...)
Questi pensieri m’occupavano la
mente mentre, lungheggiando il Tirreno, il trenino faceva i suoi passi. E un
colore di capitone veniva a vedermi dalla finestra, così pigra nella sua
corsa ; e come un fastidio d’impercettibili zanzare : forse per la
vicinanza dello stagno di Biguglia. Siamo dove il Golo si prepara a dividersi
in delta, e mentre, come una formica con addosso lo squilibrio delle provviste,
il treno si volta e s’inoltra nel paese costeggiando il fiume guizzante, i
monti prendono corpo, pesantezza, si pronunziano. Ho come il senso di udire
denti che si spezzano rosicchiandoli. Quel senso detto da principio, di
enormità della natura si fa quasi insopportabile in me. Andiamo come in fondo
dentro una chiglia ciclopica, fra pareti d’angoscia. Paesaggio oscuro, che
svapora, eppure non sembra muoversi.
Una donnetta ch’è a sedere davanti a me
(dove l’ho già vista ? a Coreglia ? a Viareggio ? in via
Toscanella ? a casa di Soffici ? in Masaccio, in Giotto ?) guardandomi,
ma come se parlasse a sé, secca e senza che nella severità della sua faccia
possa esserci mossa ; vestita di nero e con un fazzoletto nero annodato
sotto il mento ; non interrogata, mostrando il Golo, spiega che l’acqua
s’era messa di buon’ora in viaggio, andando come in su e giù. Meno mattiniero il Liamone dovette
affrettare il passo per arrivare all’appuntamento del mare, e quantunque
apoplettico si trovò al Golfo di Sagona senz’essersi troppo scalmanato. Ma il
Tavignano, avendo dormito della grossa, se non gli fosse apparso il diavolo, il
suo bagno a Aleria non avrebbe mai potuto farlo allora. Rimasero intesi che
ogni anno gli avrebbe dato tre anime. E per questo s’arrotola con quel tumulto.
E ogni anno — e la donnetta sbarra gli occhi neri — nella sua acqua annegano
tre anime.
È questo Paese il più ricco di leggende e nel corso dei secoli, i suoi litterati migliori sono i suoi storici, forse i suoi soli veri uomini di lettere : la cultura ha dato gli storici, il popolo ha dato le leggende, la poesia. Poesia, leggenda e storia : un grande canto epico, contemplazione e azione intrecciati, qualità d’un sangue rimasto antico.
À Bastia, j’ai pris le train qu’ont rendu célèbre toutes les descriptions de la Corse. Un train de Luna park, un train jouet qui, à peine commencera-t-il à s’essouffler dans l’âpreté des montagnes, irrésistiblement me rappellera la dérisoire petitesse de l’homme et de ses moyens. Si je devais un jour, comme je l’espère, retrouver ces routes, je voudrais les parcourir à pied, ou à dos d’un de ces ânons, frères des chèvres, qui savent vous conduire aux endroits où l’on découvre, à l’abri d’un châtaignier, la plénitude du repos, et de quoi nourrir la rêverie du regard. (...)
Telles étaient mes réflexions tandis que le petit
train longeait, au pas, le Tirreno. Et par la fenêtre paresseuse m’envahissait
une couleur de congre — et comme l’agacement d’imperceptibles moustiques :
peut-être de savoir tout proche l’étang de Biguglia. Nous sommes à l’endroit où
le Golo va s’ouvrir en delta ; et tandis que le train, fourmi portant ses
provisions en équilibre sur le dos, tourne et s’enfonce dans les terres bordant
la rivière vibrante, les montagnes prennent corps, s’appesantissent,
s’affirment. Il me semble que j’entends des dents se briser sur elles. Ce
sentiment, noté d’entrée, de l’énormité de la nature, devient presque
intolérable. Il semble que nous nous enfoncions dans une carène cyclopéenne,
entre des parois d’angoisse. Paysage obscur, qui s’évapore, mais ne semble pas
bouger.
Une petite dame assise en face de moi (où l’ai-je vue ? À
Coreglia, à Viareggio ? Via Toscanella ? Dans l’atelier de
Soffici ? Chez Masaccio ? Chez Giotto ?), d’une sévérité de
traits qui exclut toute détente, vêtue de noir, un foulard noué sous le menton,
bien qu’elle me regarde, semble se parler à elle-même ; sans que je l’aie
questionnée, elle raconte, en montrant le Golo, que cette rivière, trotte-menu,
s’était mise en route de fort bonne heure. Le Liamone, moins matinal, avait dû
hâter le pas pour arriver au rendez-vous de la mer, et, bien qu’apoplectique,
avait abouti sans trop d’effort au golfe de Sagone. Quant au Tavignano, qui
avait dormi comme un loir, si le diable ne lui était pas apparu, il n’aurait
jamais pu prendre son bain à Aléria. L’on convint alors que le fleuve, chaque
année, donnerait au démon trois âmes en paiement. C’est pour cela qu’il mène un
tel tapage. Et chaque année (la petite dame ouvre tout grands ses yeux noirs)
dans ses eaux, trois âmes se noient.
Il n’est pas de pays plus riche en légendes. Ses meilleurs écrivains, ses seuls véritables lettrés peut-être, au cours des siècles, sont ses historiens : la culture a fourni les historiens, le peuple les légendes, la poésie. Poésie, légende, histoire : un grand chant épique, le mariage de la contemplation et de l’action : don d’un sang resté antique.
Oh, oui, elles sont belles ces photos de D. Trente-Huittessan, et incandescent ce texte. Il y a si peu de distance, semble-t-il, entre vos pensées et ces textes que vous choisissez... Vous la connaissez si bien, l'île... Êtes-vous corse, Emmanuel ?
RépondreSupprimerCette musique donne le magone.
En l'occurrence, c'est surtout Ungaretti qui a très bien compris la Corse ! C'est un texte que j'aime beaucoup et qui est devenu introuvable en France (sauf dans quelques bibliothèques ou chez quelques bouquinistes) et presque introuvable en Italie (il n'existe que dans le très épais (et onéreux) volume de la série "I Meridiani", l'équivalent de la Pléiade en France) ; ainsi, ces larges extraits sont maintenant disponibles sur la Toile pour ceux qui pourraient s'y intéresser, au hasard des moteurs de recherche. C'est un peu le même travail que je fais pour Piero Santi : donner à lire des textes merveilleux et complètement oubliés. C'est à mon avis l'un des meilleurs usages que l'on peut faire d'Internet... Quant aux photos de Denis Trente-Huittessan, on dirait vraiment qu'elles ont été prises pour illustrer ce texte !
SupprimerLa chanson "Mal'Cunciliu" est de Jean-Paul Poletti, qui l'interprète ici avec le groupe Canta u populu corsu : c'est une très belle chanson qui fait référence à d'anciennes légendes, comme le texte d'Ungaretti. On peut lire ici une traduction française des paroles.
C'est bien de pouvoir lire la traduction de ce chant émouvant. Et merci aussi pour ces textes introuvables. Ce blog est un enchantement.
SupprimerMes modestes photographies sont bien peu pour illustrer vos textes admirables.
RépondreSupprimerJe vous renouvelle mes remerciements et mes compliments : j'ai rarement vu la Corse aussi bien comprise et représentée que dans la série de photographies que vous lui avez consacrée !
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