Voici la suite du chapitre Da Pomposa a Ferrara, extrait de l'ouvrage d'Ungaretti Il deserto e dopo [À partir du désert] ; ce retour du poète à Ferrare a lieu le 29 janvier 1933 :
L’anima mi trabocca d’un inno alla natura quando mi si riaffaccia Ferrara. Oh, come di colpo essa mi appare regolata dalle stagioni, e confusa nelle sorti giornaliere dell’anno. Una città che non sembra esistere che di campagna, e le sue mura così promettenti alla meditazione, così invitanti a passeggiate calme fra alberi, esse stesse non sono scavalcate dalla campagna ? E non portano, orti e giardini, la ragione d’essere all’agglomerato nel suo cuore stesso ? Da queste mura si può vedere il mucchio di pietre che è, tutto sommato, lo sforzo — e disperato sforzo — d’una città, ma, dentro e fuori, si può anche vedere la terra nuda, l’erba che nasce, i fiori che s’aprono, le frutta che maturano, la canapa che si fa d’oro, e le donne che si curvano a tagliarla, ubriache del suo odore e di sole spietato.
Come elastica nel greto delle sue strade ! Strade piene di gente, e di donne e di ragazze, che vanno in bicicletta e vi confesso che di mattina un vecchio satiro può essere ancora commosso nel vedere una fresca contadinotta pedalare. (...)
Ferrara verrà da ferro ? Oh, so bene che le hanno trovato mille etimologie, e quegli allegri Comacchiesi la dicono fondata da Ferrau o Ferrao, pronipote di Noè, per dare ad intendere che l’hanno fondata loro.
Ma ferro mi persuade.
Qui non hanno una pietra loro, e quando la costruzione non è di mattoni, ricorrono al marmo di Verona o alla pietra d’Istria. Bisogna vedere che cosa è qui il cotto, quando circonda il quadrato di una finestra o l’arco slanciato d’un ingresso. L’architettura conserva sempre una sua nudità fiera, e i rari fregi, della stessa materia e colore del resto, portano insieme a una rara eleganza, l’evidente tormento d’una fusione a forte fuoco.
E non so, persino le pietre naturali — per esempio i grifi e i leoni all’entrata del Duomo — fanno un effetto di cosa bruciata fino a scolorirsi, e di denti spezzati a volerla intaccare.
Chi volesse farsi un’idea d’una certa verità di qui, costante, si rechi a vedere il Chiostro di San Romano : vedrà due portici bassi, avrà un senso di catacomba, di cripta ; e un terzo portico, alto, gli darà un ampio respiro d’aria aperta. Anche la città è fatta così : pare uscire come un orso dagli antri di via delle Volte, e arriva al cielo fantastico del corso dei Piopponi.
Quand Ferrare encore une fois surgit devant moi, je sens monter à mes lèvres un hymne à la nature. Comme cette ville m’apparaît, soudain, soumise aux saisons, mêlée aux hasards quotidiens de l’année ! Elle ne semble exister qu’en fonction de la campagne ; et ses remparts, si propices à la méditation, à des promenades paisibles sous les arbres, ne sont-ils pas eux-mêmes enjambés par la campagne ? Vergers et jardins n’apportent-ils pas au cœur même de l’agglomération sa raison d’être ? De ces remparts, on peut considérer l’amas de pierres qui est, somme toute, l’effort, désespéré ! d’une ville ; mais, au-dedans comme au-dehors, on peut voir aussi la terre nue, l’herbe qui pointe, les fleurs qui s’ouvrent, les fruits qui mûrissent, le chanvre qui se change en or, et les femmes se pencher pour le couper, ivres de son odeur et de soleil implacable.
Comme elle est souple jusque dans le cailloutis de ses routes ! Routes encombrées de passants, de femmes, de jeunes filles à bicyclette, et je confesse que le matin, voir pédaler une fraîche paysanne peut encore troubler un vieux satyre... (...)
Ferrare vient-il de fer ? Oh ! je sais bien qu’on lui a trouvé mille étymologies, jusqu’à ces farceurs de Comacchio qui la prétendent fondée par Ferrau ou Ferrao, petit-neveu de Noé, pour laisser entendre qu’ils en sont eux-mêmes les fondateurs.
Mais fer me convainc.
Les Ferrarais n’ont pas de pierre à eux ; s’ils ne construisent pas en brique, ils recourent au marbre de Vérone ou à la pierre d’Istrie. Il faut voir ce que c’est ici que la brique quand elle encadre une fenêtre ou borde l’arc élancé d’une entrée. L’architecture garde toujours une nudité farouche, bien à elle, et les rares frises, de la même matière et de la même couleur que le reste, montrent, en même temps qu’une extrême élégance, le visible tourment de la cuisson au grand feu.
Et, je ne sais pourquoi, les pierres naturelles même, tels les griffons et les lions du porche de la cathédrale, font l’effet de choses décolorées par le feu, et que les dents s’useraient à vouloir entamer.
Que celui qui voudrait se faire une idée d’une certaine vérité constante de ce lieu se rende au cloître de San Romano : il y verra deux portiques bas qui lui donneront une impression de catacombes, de crypte ; et un troisième, plus haut, qui lui rendra l’ample respiration de l’air libre. La ville est ainsi faite : elle semble surgir des antres de Via delle Volte comme un ours, pour aboutir au ciel fantastique du Corso dei Piopponi.
Que celui qui voudrait se faire une idée d’une certaine vérité constante de ce lieu se rende au cloître de San Romano : il y verra deux portiques bas qui lui donneront une impression de catacombes, de crypte ; et un troisième, plus haut, qui lui rendra l’ample respiration de l’air libre. La ville est ainsi faite : elle semble surgir des antres de Via delle Volte comme un ours, pour aboutir au ciel fantastique du Corso dei Piopponi.
Giuseppe Ungaretti À partir du désert Editions du Seuil, 1965 (Traduction : Philippe Jaccottet)
Images : (1) Site Flickr
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(3) Luca Pelorosso (Site Flickr)
(4) Cercamon (Site Flickr)
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Quelle belle traduction de P.Jaccottet, magnifiant le texte de G.Ungaretti... Et ces photos nous faisant basculer du regard du poète sur ces lieux devenus magiques et intimidants par trop de beauté. Une halte bonne, étonnante, qui nous met hors du monde. La beauté console de la compagnie décevante des hommes même si ce paysage et ces créations ici leur sont dues. Méditer. Mystère de cette écriture qui nous bouleverse. Nous lisons et nous marchons avec lui et ses mots tracent un chemin vers une clarté inouïe et son reflet dans ce cadastre intime.
RépondreSupprimerLa traduction de Jaccottet est en effet très belle ; il est bien triste que ce si beau livre n'ait jamais été réédité et soit aujourd'hui pratiquement introuvable ! Je suis d'autant plus heureux de pouvoir en proposer quelques "éclats" sur ce blog...
SupprimerMille merci pour cela, Emmanuel.
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