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vendredi 1 juin 2018

Per la morte di Napoleone Eugenio (Pour la mort de Napoléon Eugène)




Les hasards d'une recherche m'ont conduit vers ce poème de Giosuè Carducci extrait des Odes barbares et dédié à la mémoire du fils unique de Napoléon III et d'Eugénie de Montijo, Napoléon Eugène, dit Louis-Napoléon, tué à vingt-trois ans, le premier juin 1879, en combattant sous l'uniforme rouge des Britanniques contre les Zoulous sur les côtes océaniques de l'Afrique australe. C'est une belle figure que celle de ce "petit prince" exilé, courageux et attachant, qui ne connaîtra jamais la gloire à laquelle il était promis sous le nom de Napoléon IV. Le poème s'ouvre sur l'évocation de la "sagaie barbare" qui lui fut fatale avant de s'attarder dans un souffle hugolien sur le destin funeste des Bonaparte, symbolisé par l'invocation de l'ombre dolente de la mère de l'Empereur, Letizia, "Niobé corse" recluse dans sa maison d'Ajaccio. On remarquera au passage que Carducci ne s'embarrasse guère de la vérité historique, puisque Letizia est morte en 1836 (à Rome, et pas à Ajaccio !), c'est-à-dire vingt ans avant la naissance de cet arrière-petit-fils qu'elle n'a jamais connue... Il n'est pas non plus très attaché à la vérité géographique si l'on en juge par la description qu'il fait de la maison natale de l'Empereur, bien loin de ce qu'elle est dans la réalité ! Mais tout cela n'a que peu d'importance puisqu'il reste un fort beau poème, d'une puissance lyrique impressionnante (et fort difficile à traduire, j'ai essayé ici de faire de mon mieux !).


PER LA MORTE DI NAPOLEONE EUGENIO 

Questo la inconscia zagaglia barbara 
 prostrò, spegnendo li occhi di fulgida 
 vita sorrisi da i fantasmi 
 fluttuanti ne l'azzurro immenso. 

L'altro, di baci sazio in austriache 
 piume e sognante su l'albe gelide 
le dïane e il rullo pugnace, 
 piegò come pallido giacinto. 

 Ambo a le madri lungi ; e le morbide 
 chiome fiorenti di puerizia 
 pareano aspettare anche il solco 
 de la materna carezza. In vece 

 balzâr nel buio, giovinette anime, 
 senza conforti ; né de la patria 
 l'eloquio seguivali al passo 
 co' i suon de l'amore e de la gloria. 

 Non questo, o fósco figlio d'Ortensia, 
 non questo avevi promesso al parvolo : 
 gli pregasti in faccia a Parigi 
 lontani i fati del re di Roma. 

 Vittoria e pace da Sebastopoli 
 sopían co 'l rombo de l'ali candide 
 il piccolo : Europa ammirava : 
 la Colonna splendea come un faro. 

 Ma di decembre, ma di brumaio 
 cruento è il fango, la nebbia è perfida : 
 non crescono arbusti a quell'aure, 
 o dan frutti di cenere e tòsco. 

 Oh solitaria casa d'Aiaccio, 
 cui verdi e grandi le querce ombreggiano 
 e i poggi coronan sereni 
 e davanti le risuona il mare ! 

 Ivi Letizia, bel nome italico 
 che omai sventura suona ne i secoli, 
 fu sposa, fu madre felice, 
 ahi troppo breve stagione ! ed ivi, 

 lanciata a i troni l'ultima folgore, 
 date concordi leggi tra i popoli, 
 dovevi, o consol, ritrarti 
 fra il mare e Dio cui tu credevi. 

 Domestica ombra Letizia or abita 
 la vuota casa ; non lei di Cesare 
 il raggio precinse : la còrsa 
 madre visse fra le tombe e l'are. 

 Il suo fatale da gli occhi d'aquila, 
 le figlie come l'aurora splendide, 
 frementi speranze i nepoti, 
 tutti giacquer, tutti a lei lontano. 

 Sta ne la notte la còrsa Niobe,
 sta su la porta donde al battesimo 
 le uscíano i figli, e le braccia 
 fiera tende su 'l selvaggio mare : 

 e chiama, chiama, se da l'Americhe, 
 se di Britannia, se da l'arsa Africa 
 alcun di sua tragica prole 
 spinto da morte le approdi in seno.

Giosuè Carducci  Odi barbare, 1877






POUR LA MORT DE NAPOLÉON EUGÈNE

Celui-ci, l'inconsciente sagaie barbare
le terrassa, éteignant ses yeux
auxquels souriaient des rêves de gloire
flottant dans l'azur immense

L'autre, rassasié de baisers dans la douceur 
autrichienne et rêvant des dianes 
et des tambours de guerre dans des aubes glaciales,
se fana comme une pâle jacinthe.

Tous deux loin de leurs mères, et leurs souples
chevelures éclatantes de jeunesse
semblaient attendre encore
l'empreinte de la caresse maternelle. Au contraire,

ces jeunes âmes basculèrent dans la nuit,
sans nul réconfort ; l'éloge de la patrie
ne les accompagna pas au tombeau
aux accents de l'amour et de la gloire.

Ce n'est pas cela, sombre fils d'Hortense,
ce n'est pas cela que tu avais promis à ton petit enfant :
devant Paris, tu avais prié
 que le sort du roi de Rome lui fût épargné.

La victoire et la paix de Sébastopol
berçaient le petit sous leurs blanches ailes :
l'Europe admirait :
la Colonne brillait comme un phare.

Mais de décembre, mais de Brumaire
la boue est cruelle, et le brouillard perfide :
les arbustes ne croissent pas dans cet air fétide,
ou donnent des fruits cendreux et empoisonnés.

Ô maison solitaire d'Ajaccio,
qu’ombragent les grands chênes verts
qu'entourent les collines paisibles
et devant qui résonne la mer !

Là, Laetitia, beau nom italique
qui désormais dans les siècles évoque le malheur,
fut épouse et mère heureuse
pour une saison hélas trop brève ! Et c'est là,

lancée sur les trônes l'ultime foudre,
des lois de concorde données aux peuples,
que tu devais, ô consul, te retirer
entre la mer et Dieu, en lequel tu croyais.

Ombre domestique, Laetitia maintenant habite
la maison vide : l'auréole de César
ne ceignit pas son front, la mère corse
vécut parmi les tombes et les autels.

Son fils fatal aux yeux d'aigle,
ses filles splendides comme l'aurore,
ses petits-fils frémissants d'espérance,
tous périrent, tous d'elle éloignés.

Elle est là dans la nuit, la Niobé corse,
elle se tient sur la porte d'où pour leur baptême
sortaient ses enfants, et fière elle tend 
les bras vers la mer tempétueuse :

et elle appelle, elle appelle, pour que des Amériques,
de la Grande-Bretagne, ou de la brûlante Afrique
quelqu'un de sa race tragique,
poussé par la mort, aborde sur son cœur.

(Traduction personnelle)






« Quelques semaines plus tard, sept des trente Zoulous qui ont participé à cette attaque sont faits prisonniers par les Anglais. Ce sont eux qui ont raconté les derniers moments du Prince Impérial. De sa main restée valide, la gauche, il a réussi à sortir son revolver et, sans chercher un instant à fuir, il a marché lentement à l'ennemi. Les Zoulous ont été étonnés d'une telle bravoure. De la main gauche, donc, il tire trois coups de revolver. Est-ce sa main qui tremble, ou plutôt l'agilité des Zoulous, prompts à faire un bond de côté, mais il rate les trois coups. Il trouve encore la force de saisir au vol une sagaie et de la retourner contre ses assaillants, mais, en se défendant, il ne voit pas un trou, trébuche, et reçoit une sagaie au côté gauche. Alors, il tombe et c'est la curée : dix-sept blessures, toutes de face.
Louis meurt, abandonné par ses camarades, seul avec son rêve, le grand rêve napoléonien, qui l'a enchanté depuis l'enfance. Et, tandis que son père a vainement cherché la mort sur le champ de bataille de Sedan, il sera le seul des Bonaparte à être tué à l'ennemi. Les Zoulous dépouillent son corps et se partagent ses vêtements : pantalon, dolman, le gilet en peau de renne, le casque et le sabre. Ils abandonnent les bottes à quelques mètres de là : trop petites pour leur servir, ils les jettent, encore garnies de leurs éperons. Et le cadavre demeure nu sur le sol, dans le grand silence, bientôt sous la nuit étoilée. »

(extrait de Napoléon IV, d'Alain Frerejean, éditions Albin Michel, très bonne biographie parue en 1997)


Images : en bas, (1) dessin de P. Jamin, musée de Versailles

en bas, (2) Le Prince Impérial et son chien Nero, marbre de J.-B. Carpeaux, musée d'Orsay, Paris



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