Nous continuons à suivre Giuseppe Ungaretti dans son voyage en Corse. Le onze février 1932, il traverse (difficilement) le col de Vizzavona pour redescendre sur Bocognano :
Il paesaggio non è più brizzolato. La neve viene ora giù a fiocchi piccoli piccoli ma fittissimi. Curioso che la neve possa anche dare il senso del fumo negli occhi. Attraversiamo la foresta di Vizzavona che dev’essere molto bella. Ma in automobile, sarà anche colpa della neve, non si vedono che i tronchi dei larici. Siamo a più di mille metri d’altezza, e si sta per passare dall’altra parte dei monti ; l’autista si ripete : « Sulìa, umbria, banda di qua, banda di là », parte del sole, parte dell’ombra : è il loro modo d’orientarsi ; gli dico di calmarsi : andiamo come già nel vuoto, su una strada affacciata sopra un burrone, quasi meno larga dell’automobile...
Ho sempre pensato che grandi pittori dovessero chiamarsi
quelli che sanno usare il bianco : è un colore che ha tutte le voci :
una punta di bianco fa urlare un quadro e una lo fa ridere come una di quelle
ragazze di Corte ; non è assenza di colori ; sono tutti i colori in
movimento, dei quali uno un po’ più lento, o più lesto, lascia filtrare un’aura
di disaccordo : celeste, o rossa, o di bile, o negra come il sole. Il
bianco è colore col quale si vince a furia di discrezioni : quando in un
quadro, o in una poesia, il bianco riesca a chiarire il senso profondo delle
parole, poeta o pittore, non si ha più nulla da imparare. E ora il burrone
sembra un gran muoversi di mantici, e di trombe, e di flauti d’un organo
spropositato, e in fondo, nel punto che si vela più di nero, un nano grosso
come una capocchia di spilla muove ogni cosa, mette in musica : sulìa —
umbria... : perfetto silenzio !
« Signore, non si va
più ! » Scendo, spingo, e raccatto e sposto la neve, ho le mani
viola, qrrr, qrrr, qrrr, non c’è verso, qrrr, qrrrrr, qrr, qrrrrrrrr, non c’è
verso, non si va né avanti né indietro, qrrr, qrrr, qr, arriva un’altra
macchina, a tutta furia, saltiamo in aria. Marinetti aiuto, qr... Ma invece di
essere finiti nelle braccia dell’organista, arriviamo a Bocognano.
Stendiamo le
gambe al fuoco, e le scarpe si mettono a fumare, mentre un gendarme alto due
metri, tira coll’oste la pelle a un coniglio bianco.
Giuseppe Ungaretti Il deserto e dopo, Monti, marine e gente di Corsica, Mondadori Editore, 1961
Le paysage n’est plus moucheté. La neige tombe maintenant en flocons minuscules, mais denses. Curieux que la neige puisse aussi donner l’impression que l’on a de la fumée dans les yeux. Nous traversons la forêt de Vizzavona qui doit être admirable. Mais de voiture, sans doute aussi par la faute de la neige, on ne voit que les troncs des mélèzes. Nous sommes à plus de mille mètres d’altitude, et nous allons passer sur l’autre versant. Le chauffeur chantonne sans cesse : Sulìa, umbria, banda di qua, banda di là, « côté soleil, côté ombre » : c’est leur façon de s’orienter. Je l’exhorte au calme : nous roulons, à nous croire déjà dans le vide, sur une route vertigineuse, presque moins large que la voiture...
J’ai toujours pensé que les vrais grands peintres sont ceux
qui savent se servir du blanc. Tous les registres y sont contenus ; une
pointe en suffit à faire hurler un tableau, ou le faire rire comme les jeunes
filles de Corte. Ce n’est pas une absence de couleurs ; ce sont toutes les
couleurs en mouvement, parmi lesquelles l’une ou l’autre, ou plus lente, ou
plus prompte, glisse un rien de discordant : bleu, ou rouge, ou jaune
bile, ou aveuglant comme le soleil. Le blanc ne permet de triompher qu’à force
de retenue ; quand dans un poème, un tableau, le blanc réussit à éclairer
le sens profond des paroles, le poète ni le peintre n’a plus rien à apprendre.
Maintenant, le ravin évoque l’énorme ébranlement de soufflets, de cornets et
de flûtes de quelque orgue démesuré ; tout au fond, au plus noir du noir,
un nain pas plus gros qu’une tête d’épingle, moteur de toute cette agitation,
met en musique sulìa, umbria... Puis, le silence.
— Monsieur, on n’avance
plus ! Je descends, je pousse ; je mets la neige en tas, je l’écarte,
j’ai les mains violettes... Crr, crr, pas moyen, crr, crrr,crr, crrr, pas
moyen, on n’avance ni ne recule, crr, crr, cr, une autre voiture arrive, nous
sautons en l’air, Marinetti à l’aide ! (1) crr... Mais au lieu de finir dans
les bras de l’organiste (2), nous arrivons à Bocognano.
Nous tendons les jambes au
feu, les chaussures commencent à fumer, tandis qu’un gendarme haut de deux
mètres aide l’aubergiste à écorcher un lapin blanc.
Giuseppe Ungaretti À partir du désert, Editions du Seuil, 1965 (Traduction : Philippe Jaccottet)
(1) Il y a ici une allusion ironique au premier manifeste futuriste de Marinetti, chantre de la vitesse et du progrès technique, où il est question d'une course folle en automobile qui s'achève "dans un fossé avec les roues à l'air".
(2) Ungaretti file ici la métaphore du paragraphe précédent, où le ravin était comparé à un "orgue démesuré".
Très belle méditation sur le blanc, très juste. Merci pour la musique et ces belles photos (sauf une qu'on ne peut ouvrir).
RépondreSupprimerMerci, Christiane ! J'ai réparé le lien qui devrait maintenant fonctionner...
SupprimerMerci. Elle est très belle et me rappelle un film Quand passent les cigognes de M.Kalatozov, ce film très silencieux dont il me reste de très belles scènes en mémoire comme la mort de Boris où l'on voit des bouleaux blancs creuser un puits vers le ciel, en tournoyant, alors qu'il tombe lentement à terre. S'inscrit alors le visage souriant de la jeune fille aimée tournoyant dans son voile de mariée.
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