Dans un petit livre paru en 2013 aux éditions Sellerio, Pagine bianche [Pages blanches] Eugenio Baroncelli réunit cinquante-cinq livres qu'il n'a pas écrits, et dont on trouve ici les titres, souvent très évocateurs, parfois les préfaces, ou encore les quatrièmes de couverture, les avis au lecteur, les incipits, les index, les dédicaces. Avec ces quelques éléments, le lecteur peut rêver à loisir à la matière de ces ouvrages imaginaires :
La chambre verte, abécédaire de mes morts favoris
Atlas raisonné des saisons
Choses, livre de toutes les choses, et bien d'autres encore, qui se trouvent sur mon bureau
Où étions-nous ? Soixante-dix-sept cartes postales jamais envoyées
La lumière s'est enfuie, éloge de l'ombre
Les fleuves, chapitres d'un roman prêt à s'abîmer en mer
Au commencement, livre lacuneux de l'enfance
Loin, plus loin, très loin : histoire et géographie de la distance
La liste joyeuse : inventaire de mes inventaires favoris
Avant la fin de la nuit : dix-neuf rêves et vingt rêveurs
Silence, bibliographie complète des livres jamais écrits, etc.
L'entreprise de Baroncelli rappelle la séquence du rêve de l'élève de Giotto qui clôt le Décameron de Pasolini, où l'artiste se demande "pourquoi réaliser une œuvre, alors qu'il est si beau de seulement la rêver"... Je cite ici le chapitre consacré au livre virtuel intitulé : Là- haut : brève histoire du ciel.
La chambre verte, abécédaire de mes morts favoris
Atlas raisonné des saisons
Choses, livre de toutes les choses, et bien d'autres encore, qui se trouvent sur mon bureau
Où étions-nous ? Soixante-dix-sept cartes postales jamais envoyées
La lumière s'est enfuie, éloge de l'ombre
Les fleuves, chapitres d'un roman prêt à s'abîmer en mer
Au commencement, livre lacuneux de l'enfance
Loin, plus loin, très loin : histoire et géographie de la distance
La liste joyeuse : inventaire de mes inventaires favoris
Avant la fin de la nuit : dix-neuf rêves et vingt rêveurs
Silence, bibliographie complète des livres jamais écrits, etc.
L'entreprise de Baroncelli rappelle la séquence du rêve de l'élève de Giotto qui clôt le Décameron de Pasolini, où l'artiste se demande "pourquoi réaliser une œuvre, alors qu'il est si beau de seulement la rêver"... Je cite ici le chapitre consacré au livre virtuel intitulé : Là- haut : brève histoire du ciel.
« Il cielo si è riempito di astronomia. »
Prefazione
Uno lo sognò Tolomeo, un altro Copernico. Gli atlanti lo dividono in costellazioni, vere o false a seconda dell’edizione, che sta nel tempo. Al principio dell’altro secolo, Fernandez Moreno, incantato da quello che gli stava sopra tutti i santi giorni, lo divise in quartieri, come se fosse Buenos Aires. Qualcuno lo popolò di quasi infinite stelle, di cui non sa il nome. Altri di molti dèi, e altri di uno solo, che lo avrebbe inventato per ingannare la solitudine e ci abiterebbe ancora oggi. Alcuni assicurano che è eterno ; altri sostengono che la sua eternità è affare del reticente avvenire, e prudentemente la configurano nelle antologie della fantascienza. Girolamo Fleury, uomo ufficioso, lo credette un talismano o uno specchio che dovremmo leggere — di nuvole che ce lo nascondono, di lune che lo sbiancano, di soli che lo incendiano. Claudio, l’uomo lontano trecento metri o due anni da dove sto adesso, seppe un giorno dove comincia.
Questo libro racconta questo e anche altro : per esempio le aurore, quella
musica, da cui sappiamo che i nostri morti non sono morti ma lontani, così
lontani che la loro voce ci arriva travestita da brusio della brezza, per
esempio certi crepuscoli di fuoco, che sembrano una fine e invece, con quei
riflessi rosso sfacciato da tintura da poco che a me ricordano le donne
perdute, sono un principio, almeno per un po’. Per esempio i banditeschi
tramonti in cui se ne va in sangue, con quegli spaventevoli cani che fiutano la
notte.
Eugenio Baroncelli Pagine bianche, 55 libri che non ho scritto Sellerio editore, Palermo, 2013
« Le ciel s'est rempli d'astronomie. »
Préface
Ptolémée en rêva un, et Copernic un autre. Les atlas le divisent en constellations, vraies ou fausses selon les éditions et les époques. Au début du siècle précédent, Fernandez Moreno, fasciné par ce qu'il pouvait contempler au-dessus de lui tous les jours, le divisa en quartiers, comme s'il s'agissait de Buenos Aires. Certains le peuplèrent d'un nombre presque infini d'étoiles, dont ils ignorent le nom. D'autres en firent le séjour de plusieurs dieux, alors que d'autres pensaient au contraire qu'il n'en existait qu'un seul, qui l'aurait inventé pour tromper sa solitude et qui s'y trouverait encore aujourd'hui. Quelques uns assurent qu'il est éternel ; d'autres soutiennent que son éternité est liée à l'incertitude de l'avenir, et avec prudence ils considèrent que toutes ces considérations relèvent du domaine de la science-fiction. Jérôme Fleury, un homme très scrupuleux, crut qu'il s'agissait d'un talisman ou d'un miroir qu'il nous faudrait lire — avec des nuages qui nous le cachent, des lunes qui le blanchissent, des soleils qui l'incendient. Claudio, l'homme éloigné de trois-cent mètres ou de deux ans de l’endroit où je me trouve à présent, sut un jour où il commence.
Ce livre raconte cela, et d'autres choses encore : par exemple les aurores, cette musique, qui nous apprend que nos morts ne sont pas morts, mais qu'ils se sont éloignés, à tel point que leur voix nous parvient déguisée en murmure de la brise, par exemple certains crépuscules de feu, qui semblent une fin alors que, avec leurs reflets rouges criards de teintures bon marché qui m'évoquent les femmes perdues, ils sont un début, au moins l'espace d'un moment. Par exemple encore les couchers de soleil criminels où le ciel devient sanglant, avec ces chiens effrayants qui flairent la nuit.
(Traduction personnelle)
Eugenio Baroncelli Pagine bianche, 55 libri che non ho scritto Sellerio editore, Palermo, 2013
« Le ciel s'est rempli d'astronomie. »
Préface
Ptolémée en rêva un, et Copernic un autre. Les atlas le divisent en constellations, vraies ou fausses selon les éditions et les époques. Au début du siècle précédent, Fernandez Moreno, fasciné par ce qu'il pouvait contempler au-dessus de lui tous les jours, le divisa en quartiers, comme s'il s'agissait de Buenos Aires. Certains le peuplèrent d'un nombre presque infini d'étoiles, dont ils ignorent le nom. D'autres en firent le séjour de plusieurs dieux, alors que d'autres pensaient au contraire qu'il n'en existait qu'un seul, qui l'aurait inventé pour tromper sa solitude et qui s'y trouverait encore aujourd'hui. Quelques uns assurent qu'il est éternel ; d'autres soutiennent que son éternité est liée à l'incertitude de l'avenir, et avec prudence ils considèrent que toutes ces considérations relèvent du domaine de la science-fiction. Jérôme Fleury, un homme très scrupuleux, crut qu'il s'agissait d'un talisman ou d'un miroir qu'il nous faudrait lire — avec des nuages qui nous le cachent, des lunes qui le blanchissent, des soleils qui l'incendient. Claudio, l'homme éloigné de trois-cent mètres ou de deux ans de l’endroit où je me trouve à présent, sut un jour où il commence.
Ce livre raconte cela, et d'autres choses encore : par exemple les aurores, cette musique, qui nous apprend que nos morts ne sont pas morts, mais qu'ils se sont éloignés, à tel point que leur voix nous parvient déguisée en murmure de la brise, par exemple certains crépuscules de feu, qui semblent une fin alors que, avec leurs reflets rouges criards de teintures bon marché qui m'évoquent les femmes perdues, ils sont un début, au moins l'espace d'un moment. Par exemple encore les couchers de soleil criminels où le ciel devient sanglant, avec ces chiens effrayants qui flairent la nuit.
(Traduction personnelle)
Images : en haut, Denis Trente-Huittessan (Site Flickr)
au centre, Site Flickr
en bas, Chiara Catalini (Site Flickr)
"Perchè realizzare un'opera quando è così bello sognarla soltanto ?"
"Pourquoi réaliser une œuvre alors qu'il est si beau de se contenter de la rêver ?"
"Pourquoi réaliser une œuvre alors qu'il est si beau de se contenter de la rêver ?"
C'est Extra ! même jeu que Borges et sa "Bibliothèque de Babel", ramifiée à l'infini, interminable... et Marcel Schwob et ses "Vies imaginaires".
RépondreSupprimerEt ces nuages, ces nuages... La petite vignette d'en haut, intemporelle, je ne m'en lasse pas.
L'univers est une bibliothèque infinie... un seul livre qui devient labyrinthe et d'où l'on ressort perdu.
(Et le Dieu du labyrinthe, un écrivain imprévisible !)
Borges, bien sûr ; c'est vraiment la grande ombre portée sur tous les livres de Baroncelli, et il est très proche aussi de Schwob ou de Savinio...
SupprimerLes nuages, c'est aussi un petit souvenir de Baudelaire et de l'étranger qui n'aime que "les nuages qui passent là-haut, les merveilleux nuages"...
Comme un réseau intemporel qui relierait les écrivains les uns aux autres...
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