Un extrait d'Assise de François Cheng, un livre bref mais dense et profond, comme le montre ce passage, une belle façon de célébrer la fête de saint François :
Nous avons essayé de pénétrer l’espace intérieur de François. Avons-nous une idée de sa physionomie ? De cet homme qui a vécu sur terre il y a huit cent ans, il existe, comme par miracle, un portrait peint par Cimabue dans une fresque consacrée à la Vierge qui se trouve dans la basilique inférieure d’Assise. Ce portrait, impressionnant de vérité, est digne de la plus haute tradition occidentale. Chronologiquement, il devrait être à la première place, puisqu’il a été peint avant même l’avènement de Giotto. Pourtant, le personnage représenté là nous apparaît si proche, si actuel, qu’on serait tenté de le qualifier d’« éternel contemporain ». Appellation heureuse, nous semble-t-il, quand on la couple avec celle de « frère universel ».
Nous avons essayé de pénétrer l’espace intérieur de François. Avons-nous une idée de sa physionomie ? De cet homme qui a vécu sur terre il y a huit cent ans, il existe, comme par miracle, un portrait peint par Cimabue dans une fresque consacrée à la Vierge qui se trouve dans la basilique inférieure d’Assise. Ce portrait, impressionnant de vérité, est digne de la plus haute tradition occidentale. Chronologiquement, il devrait être à la première place, puisqu’il a été peint avant même l’avènement de Giotto. Pourtant, le personnage représenté là nous apparaît si proche, si actuel, qu’on serait tenté de le qualifier d’« éternel contemporain ». Appellation heureuse, nous semble-t-il, quand on la couple avec celle de « frère universel ».
On
y voit un homme de taille plutôt petite, un peu tassé sous le poids des ans. Le
visage, ourlé d’une barbe négligemment taillée en collier, est sculpté lui
aussi par une vie éprouvée. Les yeux grands ouverts nous fixent d’un regard
empreint de mansuétude. Toutefois, la lueur de lucidité qui les baigne nous
avertit qu’il serait inutile de tricher avec lui. Plus exactement, son regard
nous enveloppe et nous pénètre jusqu’au plus intime, nous invitant à nous
débarrasser d’inutiles oripeaux et à revenir à la simplicité. Les oreilles décollées,
étonnamment larges, sont tout ouïe. Elles tendent vers nous leur pavillon,
prêtes à nous écouter jusqu’au bout, jusqu’à ce que, entre nous, advienne
l’infini. Le nez, presque charnu, est droit. Très parlante est la bouche. Elle
suggère qu’elle est sensible, voir sensuelle, comme pour nous montrer que la
vie de privations menée par François ne naît pas d’un besoin morbide
d’ascétisme, mais de la passion même de la vie, d’une vie faite de partage. Car
pour lui, la vraie vie n’est autre que l’amour absolu, sans réserve, sans
calcul, sans la moindre compromission ni dégradation. Par la pratique de toute
une vie, il a pu vérifier la force mystérieuse, d’apparence si faible, de ce
principe de vie, seul capable en réalité de triompher de tout. Lui qui se lamente
que « l’amour n’est pas aimé », il se réfère résolument à la source même
de l’amour qui est son Dieu.
À partir de ce portrait, si je veux revenir sur
certains détails concrets de sa vie, je pense pouvoir ajouter ceci, sous peine
de quelques redites. Nous sommes très nombreux aujourd’hui, et pas seulement en
Occident, à qualifier François de « grand saint », au risque de
l’enfermer dans une image certes glorieuse, mais un tant soit peu convenue.
Pour ma part, dès que j’ai appris à mieux le connaître, je l’ai intuitivement
appelé « le Grand Vivant ». Je crois que cette appellation dépeint
plus justement sa singularité.
Le Grand Vivant — à ne pas confondre avec le
« bon vivant » — est celui qui va au devant de la Vie, sans
prévention et sans restriction, avec un courage désarmant et une confondante
générosité. Comme tout un chacun, il va au devant de ce qui est agréable,
bénéfique, gratifiant. Cependant, lui ne se dérobe pas face à ce qui est
hostile, éprouvant, nuisible : privations, intempéries, bêtes sauvages
prêtes à dévorer, brigands prompts à tuer, êtres atteints de maladies contagieuses que tous fuient, offensés et humiliés dont la souffrance vous
écrase. Le Grand Vivant se doit de dévisager toute la souffrance terrestre, car
ce qui est impliqué à travers l’ensemble des êtres, c’est bien cette immense
aventure de la Vie.
François Cheng Assise Editions Albin Michel, 2014
Je n'ai pas encore ouvert les liens pour rester auprès du texte et de ce choix insolite de François, cet éperon : l'amour qui fend le flot de la vie et des rencontres comme la proue du navire fend la mer, comme le soc de la charrue fend la glèbe. C'est un choix périlleux, une insolence, une folie. Commencer par l'amour, une focale bien particulière...
RépondreSupprimer