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lundi 22 septembre 2014

L'azur des collines




L'imagination compte au nombre des facultés primordiales en usage dans la promenade. Existe-t-il en effet une sensation plus exaltante que de se laisser ensorceler par les airs, au sommet d'une montagne, les yeux fermés, en rêvant que nous sommes propulsés à l'ère secondaire, tandis qu'au-dessus de nous volent de hideuses bestioles ? 

L'ivresse qui naît de la fréquentation de la nature nous hisse hors de l'histoire ; grâce à ce paradis artificiel nous quittons quelques instants, ou quelques heures, le monde contemporain enlaidi de technique, pour ravir des bribes d'éternité. À qui sait le pressentir, la promenade mène à un Eden perdu dans lequel se mêlent, sans que l'on sache exactement pourquoi, la paix et l'effroi.




 Rien ne ressemble autant à la liberté que la désertion promise par les chemins. Le vieux procédé qui consiste à s'échapper pour mieux se retrouver hors des contingences, tout près de l'unique nécessaire, me semble si efficace ! Je l'expérimente chaque fois que je prends ma voiture pour le cheval d'Angelo Pardi et que je file n'importe où, fenêtres ouvertes, dans l'air vif du matin. Il ne me reste qu'à fumer de petits cigares et la magie opère : je ne vois que l'émeraude des prés et l'ocre des bois ; je traverse un paysage intemporel, emporté mieux que sur un tapis d'Orient, léger, pur esprit dans l'azur des collines, enivré de la grâce qui pleut comme une onde sur celui qui ne l'a pas méritée. Havre, asile, refuge, abri protecteur et consolateur, je ne me gausse pas des conceptions romantiques qui s'insinuent si bien, près de deux siècles après leur profération, dans les replis cachés de mon âme.

Rémi Villedecaze  De la promenade  Editions du Bon Albert, 1997









Images : (1) et (2) Le Hussard sur le toit, film de Jean-Paul Rappeneau, d'après le roman de Jean Giono

(3) et (4)  Thierry Bouts  (Site Flickr)



1 commentaire:

  1. Comme j'aime la plénitude ressentie en lisant cette page. Solitude haut perchée.
    La mer si vaste m'angoisse, les forêts m'étouffent et cachent des loups, les maisons sont cernées de murs, mais là-haut, face au ciel, baignant dans la lumière et le silence on apprend le souffle du vent, le vol d'un rapace, l'avancée lente des nuages (ou des orages... mais là, fuyons !).
    Dans ce calme absolu quelque chose s'arrête du temps intérieur et des pensées. C'est une conscience sensorielle du monde. Là, est un lieu d'ermitage qui me fut longtemps familier. Un passage vers le spirituel, le sacré. Le seul lieu où je respire bien, où mon cœur bat lentement, comme celui d'un mammifère marin en plongée. Une expérience de l'éternité... Un lieu où seul le bien rayonne, où l'on oublie les cruautés de la vie. On s'allonge et on bascule dans le ciel. Une chute dans les étoiles...
    Ah, c'est bien bon cette page.

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