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jeudi 22 mai 2014

Le navire immobile (La nave immobile)




La terrasse monumentale où nous étions (des escaliers tournants y menaient) dominait toute la ville et semblait, au-dessus des feuillages profonds, une nef immense amarrée ; parfois elle semblait avancer vers la ville. Sur le haut pont de ce navire imaginaire, cet été, je montais quelquefois goûter, après le tumulte des rues, l’apaisement contemplatif du soir. Toute rumeur en montant s’épuisait ; il semblait que ce fussent des vagues et qu’elles déferlassent ici. Elles venaient encore et par ondes majestueuses, montaient, s’élargissaient contre les murs. Mais je montais plus haut, là où les vagues n’atteignaient plus. Sur la terrasse extrême, on n’entendait plus rien que le frémissement des feuillages et l’appel éperdu de la nuit.




Des chênes verts et des lauriers immenses, plantés en régulières avenues, venaient finir au bord du ciel, où la terrasse même finissait ; pourtant, des balustrades arrondies, par instants, s’avançaient encore, surplombant et formant comme des balcons dans l’azur. Là, je venais m’asseoir, je m’enivrais de ma pensée ; là je croyais voguer. Au-dessus des collines sombres, qui s’élevaient de l’autre côté de la ville, le ciel était de la couleur de l’or : des ramures légères, parties de la terrasse où j’étais, penchaient vers le couchant splendide, ou s’élançaient, presque sans feuilles, vers la nuit. De la ville montait ce qui semblait une fumée ; c’était de la poussière illuminée qui flottait, s’élevait à peine au-dessus des places où plus de lumière brillait. Et parfois jaillissait comme spontanément, dans l’extase de cette nuit trop chaude, une fusée, lancée on ne sait d’où, qui filait, suivait comme un cri dans l’espace, vibrait, tournait, et retombait défaite, au bruit de sa mystérieuse éclosion. J’aimais celles surtout dont les étincelles d’or pâle tombent si lentement et si négligemment s’éparpillent qu’on croit, après, tant les étoiles sont merveilleuses, qu’elles aussi sont nées de cette subite féerie, et que, de les voir, après les étincelles, demeurantes, l’on s’étonne... puis, lentement, on reconnaît chacune à sa constellation attachée, — et l’extase en est prolongée.

André Gide  Les nourritures terrestres  Editions Gallimard





La terrazza monumentale sulla quale eravamo (vi si accedeva con delle scale a chiocciola) dominava tuta la città e pareva, al di sopra del fogliame profondo, un’immensa nave ormeggiata ; a volte pareva avanzare sulla città. Sull’alto ponte di quella nave immaginaria, quell’estate, salivo talvolta ad assaporare, dopo il tumulto delle strade, la quiete contemplativa della sera. Salendo si smorzava ogni rumore, sembravano onde venute qui ad infrangersi. Venivano ancora e a ondate maestose, salivano, si allargavano contro i muri. Ma io salivo più in alto, là dove le onde più non giungevano. Sulla terrazza più lontana, non si sentiva che il fremere del fogliame e il richiamo smarrito della notte.




Verdi querce e immensi alberi, piantati in ampi filari regolari, venivano a morire al limitare del cielo, dove finiva la terrazza stessa ; e tuttavia, alcune balaustre ricurve, a tratti, si protendevano ancora a strapiombo, quasi a formare dei balconi nell’azzurro. Là, andavo a sedermi, e m’inebriavo del mio pensiero ; là, credevo di navigare. Sopra le colline cupe, che si elevavano dall’altra parte della città, il cielo aveva il colore dell’oro ; rami leggeri, sporgenti dalla terrazza dove mi trovavo, si chinavano verso lo splendore del tramonto, o si slanciavano, quasi senza foglie, verso la notte. Dalla città saliva qualcosa come un fumo ; era polvere illuminata che fluttuava, s’innalzava appena sopra le piazze dove più forte brillava la luce. E talvolta, quasi spontaneamente, sprizzava, nell’estasi di quella notte troppo calda, un razzo, lanciato da chissà dove, che filava, seguiva come un grido nello spazio, vibrava, voltava, e ricadeva disfatto, al rumore del suo misterioso sbocciare. Mi piacevano sopratutto quelli le cui scintille d’oro pallido cadono così lentamente, e così svogliatamente si sparpagliano, che dopo si crede che le stelle, tanto sono mervavigliose, siano anch’esse nate da quella subitanea fantasmagoria, sicché a vederle ancor lì, dopo le scintille, ci si stupisce... poi, lentamente, si riconosce ciascuna nella sua costellazione, — e l’estasi ne è prolungata. 

Traduzione : Elina Klersy Imberciadori  (I nutrimenti terrestri, Garzanti Editore)








Images : (1)  Site Flickr

(2)  Valda Bailey  (Site Flickr)


(4) Simonetta  (Site Flickr)




1 commentaire:

  1. Beauté... musique de Liszt, toile de Rembrandt, photos et ces lignes somptueuses de Gide...

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