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samedi 2 avril 2011

Adagio





"Sarà come smettere un vizio, come vedere nello specchio

riemergere un viso morto, come ascoltare un labbro chiuso.
Scenderemo nel gorgo muti."


Cesare Pavese









Une puissance corrosive, esprit de variation poussé à l'extrême de sa logique, pénètre l'adagio du douzième quatuor. Un profil neuf se substitue au thème, à l'ancien état, au premier âge, mais insensiblement, sans qu'on ait perçu d'étapes. Hors de la musique, cela n'arrive jamais, jamais ne surgit la face ouvertement neuve. Toujours le souvenir encombre, offert à des variations infimes, qui ne sont pas la musique mais la singent. Ici le thème n'est plus repérable parce que tout est devenu thème. Un jour, il en sera d'elle comme de ce quatuor. Elle se fondra en toute chose, l'aimer plus profond et l'oublier seront pareils.


(...)




Et parmi la présence abrupte des corps la sienne. Dans Turin. Parmi un million d'autres. Et cette autre parmi les dernières phrases de Pavese : «Tu t'étonnes que les autres passent à côté de toi et ne sachent pas, quand toi, tu passes à côté de tant de gens sans savoir, cela ne t'intéresse pas, quelle est leur peine, leur cancer secret?» Elle, une femme ni plus ni moins belle que d'autres, en réalité ni plus ni moins secrète, que des milliers de personnes ont frôlée un jour de leur vie sans lui prêter d'intérêt, mais qui a aimanté pour moi toutes les questions, leur a donné un sens en les déroutant, y ajoutant la sienne. Et portant en elle ce pouvoir d'ouvrir en l'autre l'infini des questions, elle a continué à parcourir la ville, à frôler des milliers d'autres êtres, énigmes sans pareilles, qu'un choc dans les collines aurait pu détruire elles aussi à tout instant. En chaque mort disparaît, avec une conscience, le monde et son évidence aveugle. Règle atroce et pourtant on y devine, aux heures les plus lucides, autre chose que l'effroi. Peut-on dire une beauté inhumaine ? À la pointe du deuil, il y a cette cruauté, le réel, qui ne détruit pas l'amour mais en éprouve la vérité. À la pointe du deuil il y a trois phrases qui me traversent. J'ai aimé. J'ai commis la violence. Je suis seul. Et sur l'invisible balance, aucune ne pèse plus que les autres.


Bernard Simeone Cavatine Editions Verdier, 2000








Images : Gianfranco Goria (Site Flickr)



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