Translate

mercredi 27 avril 2011

La rosa bianca (La rose blanche)



Le père poète



Mon père, qui est mort à presque quatre-vingt-dix ans, et ma mère, qui vit encore, ont joué un rôle fondamental dans ma vie. Notre lien a toujours été si fort et si intense
que mon enfance, cette sorte de paradis qu'a été mon enfance, s'est étendue dans le temps, s'est prolongée bien au-delà de ses limites naturelles.
J'ai appris à lire avec les poésies de mon père. L'une d'entre elles, La rose blanche, dédiée à ma mère, frappa tout particulièrement mon imagination. Après avoir lu cette poésie, j'allai chercher la rose dans le jardin de notre maison, et je la trouvai : mon père a toujours parlé du microcosme constitué par la maison de campagne où nous habitions avant de nous transférer à Rome, quand j'avais douze ans. Dans ses poésies, je pouvais retrouver les lumières, les paysages, les objets que je connaissais si bien pour les avoir vus dans la réalité. Cela m'a permis de ressentir dès mon enfance combien la poésie est présente dans tout ce qui nous entoure, même si la plupart du temps nous ne nous en rendons pas compte.
Mon enfance, comme je viens de le dire, s'est prolongée de façon démesurée, surtout en raison de mon rapport si fort, si étroit, par certains aspects presque "maladif", avec mon père. Et elle ne s'est vraiment achevée qu'avec sa mort, sans me donner la possibilité de vivre la jeunesse, l'âge adulte, la pleine maturité. En fait, je suis passé, sans solution de continuité, de l'enfance – ou, à la rigueur, de l'adolescence – à la vieillesse. Justement, à cause de la poésie de mon père, j'ai vécu dans une mystification : cette merveilleuse mystification qu'est la poésie.
Bernardo Bertolucci (Transcription d'une intervention faite lors d'une rencontre avec les étudiants du DAMS de Turin, en 2002. Texte repris dans l'ouvrage La mia magnifica ossessione, Garzanti, 2010, traduction personnelle)





La rosa bianca

Coglierò per te
l'ultima rosa del giardino,
la rosa bianca che fiorisce
nelle prime nebbie.
Le avide ape l'hanno visitata
sino a ieri,
ma è ancora così dolce
che fa tremare.
È un ritratto di te a trent'anni,
un po' smemorata, come tu sarai allora.

Attilio Bertolucci Fuochi in novembre


La rose blanche


Je cueillerai pour toi
la dernière rose du jardin,
la rose blanche qui fleurit
dans les premières brumes.
Les abeilles avides l'ont visitée
jusqu'à hier,
mais elle est encore si douce
qu'elle fait trembler.
C'est une image de toi à trente ans,
un peu oublieuse, comme tu seras alors.

(Traduction personnelle)






Ce que dit Bertolucci dans le texte que j'ai cité plus haut me rappelle ce poème de son père, intitulé Per B... (Pour Bernardo ?). Après tout, les films, ces constructions minutieuses et éphémères, ne ressemblent-ils pas aussi à des avions de papier, fabriqués par ces rêveurs éveillés que sont les cinéastes ? (et le dernier film de Bertolucci s'intitule justement The Dreamers...)



Per B...


I piccoli aeroplani di carta che tu
fai volano nel crepuscolo, si perdono
come farfalle notturne nell'aria
che s'oscura, non torneranno più.

Così i nostri giorni, ma un abisso
meno dolce li accoglie
di questa valle silente di foglie
morte et d'acque autunnali

dove posano le loro stanche ali
i tuoi fragili alianti.

Attilio Bertolucci Lettera da casa


Pour B...


Les petits avions de papier que tu fabriques
volent dans le crépuscule, se perdent
comme des papillons de nuit dans l'air
qui s'obscurcit, ils ne reviendront plus.

Il en va ainsi de nos jours, mais un abîme
moins doux les accueille
bien différent de cette silencieuse vallée de feuilles
mortes et d'eaux automnales

où posent leurs ailes fatiguées
tes frêles planeurs.

(Traduction personnelle)








Images
: en haut, Franco Caracalli (Site Flickr)



1 commentaire:

  1. Captif d'une rose d'enfance... un peu d'éternité enclose dans un fragile pétale de mémoire et toute cette beauté, là...

    RépondreSupprimer