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mercredi 6 avril 2011

Extérieur nuit





"La main du ciel cherchait sa main parmi les ombres,

La pierre, où vous voyez que son nom s'efface,
S'entrouvrait, se faisait une parole."

Yves Bonnefoy







7.

toi tombé,
le doute : ce qui n'a
pas été, la voûte
inexplorée qui devient
ciel devient nuit

ta tombe ouverte,
un groupe de vivants
entre les arbres
écrit par toi
sans toi, sur la pierre
milliaire, bien plus
qu'un son qui dévale,
bien plus qu'un bruit
qui dévale, même si,
pour finir, des pierres

ils demandent où s'est perdu
ton rire, s'il a croisé
là-bas cet éboulis trop
sinistre pour t'emporter,
l'éclair qui te tuant
te laisse intact

8.

le monde incommensurable,
hirsute,
à deux doigts comme un insecte
mort

plus haut du vent, mais du vent, se déchire





9.

tes soixante années
où prirent corps
jusqu'aux arrière-
saisons, jusqu'aux frontières
jamais passées, l'autre
désertant l'étreinte,
s'achèvent, ne s'achèvent
pas, sur la montagne
aveugle

as-tu été
– avant l'ultime...
instant ? prémonition
du vide ? – l'être enfin
réconcilié que notre mémoire,
sans comprendre ni soutenir,
juxtapose à ta mort,
simplement juxtapose
à ton nom qu'on peut
encore écrire une image
qui n'est plus
la tienne, toutes
celles qui ne l'ont pas
été, tant brûlaient, loin
devant, l'apparence et l'attente :
beauté, selon toi, de longtemps
veiller, de s'affûter au tranchant
du rêve, d'écarter sans fin
les colonnes

quel sens tes colères,
tes refus, et pour toi maintenant
quelle paix ?

intimement traduit par le choc,
rendu à l'obscur du pollen
par-dessus la neige

Bernard Simeone Mesure du pire Editions Verdier, 1993








 Images : en haut et en bas, Mont Sainte-Odile : Dirk Gently (Site Flickr)

au centre, Elizabeth Oliver (Site Flickr)

3 commentaires:

  1. Est-ce qu'écrire lui a rendu le vivre moins angoissant ? Est-ce que cette mort, griffée d'ongles de survivants a épuisé son mystère ?
    Je ne sais mais cette écriture ne laisse passer que l'essentiel, le compact, l'indéchiffré...
    Bouleversant...

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  2. Une partie de la réponse est peut-être dans le titre du recueil : "Mesure du pire"... Je partage en tout cas votre impression quant à l'aspect essentiel et compact de cette écriture, qui est toute entière dans le rythme et la musicalité : la manière dont il dispose les vers sur la page, comme des fragments, des éclats, est ici très impressionnante. Pour le reste (la consolation, l'apaisement de l'angoisse) Bernard Simeone se référait souvent à la première élégie de Duino : "Denn Bleiben ist nirgends."...

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  3. Tiens, c'est drôle... de Mario Luzi (allusion au lien illustrant le mot 'écrire' et aux extraits que vous avez publiés ici), il me semble que je préfère la poésie - que j'aime beaucoup - et de Simeone, la prose...

    En tout cas j'aimerais me retrouver un moment dans l'apaisante obscurité de la première photo! L'extravagante lumière de mon sud natal me tourmente passablement et, considérant la saison, cela ne va guère aller en s'arrangeant!

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