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mercredi 12 avril 2017

Ce qui est resté




"... è tutto morto, niente è servito a niente.
— No, dissi io, qualcosa resta sempre."

Antonio Tabucchi  Notturno indiano

"... tout est mort, rien n'a servi à rien.
— Non, dis-je, il reste toujours quelque chose."

Antonio Tabucchi  Nocturne indien






Un poème de Carlos Drummond de Andrade, extrait du recueil A Rosa do Povo [La Rose du Peuple] d'abord dans la version originale portugaise, puis dans la traduction italienne d'Antonio Tabucchi, et enfin dans une traduction française personnelle :


Resíduo

De tudo ficou um pouco
Do meu medo. Do teu asco.
Dos gritos gagos. Da rosa
ficou um pouco

Ficou um pouco de luz
captada no chapéu.
Nos olhos do rufião
de ternura ficou um pouco
(muito pouco).

Pouco ficou deste pó
de que teu branco sapato
se cobriu. Ficaram poucas
roupas, poucos véus rotos
pouco, pouco, muito pouco.

Mas de tudo fica um pouco.
Da ponte bombardeada,
de duas folhas de grama,
do maço
— vazio — de cigarros, ficou um pouco.

Pois de tudo fica um pouco.
Fica um pouco de teu queixo
no queixo de tua filha.
De teu áspero silêncio
um pouco ficou, um pouco
nos muros zangados,
nas folhas, mudas, que sobem.

Ficou um pouco de tudo
no pires de porcelana,
dragão partido, flor branca,
ficou um pouco
de ruga na vossa testa,
retrato.

Se de tudo fica um pouco,
mas por que não ficaria
um pouco de mim ? no trem
que leva ao norte, no barco,
nos anúncios de jornal,
um pouco de mim em Londres,
um pouco de mim algures ?
na consoante ?
no poço ?

Um pouco fica oscilando
na embocadura dos rios
e os peixes não o evitam,
um pouco: não está nos livros.

De tudo fica um pouco.
Não muito: de uma torneira
pinga esta gota absurda,
meio sal e meio álcool,
salta esta perna de rã,
este vidro de relógio
partido em mil esperanças,
este pescoço de cisne,
este segredo infantil...
De tudo ficou um pouco :
de mim ; de ti ; de Abelardo.
Cabelo na minha manga,
de tudo ficou um pouco;
vento nas orelhas minhas,
simplório arroto, gemido
de víscera inconformada,
e minúsculos artefatos :
campânula, alvéolo, cápsula
de revólver... de aspirina.
De tudo ficou um pouco.

E de tudo fica um pouco.
Oh abre os vidros de loção
e abafa
o insuportável mau cheiro da memória.

Mas de tudo, terrível, fica um pouco,
e sob as ondas ritmadas
e sob as nuvens e os ventos
e sob as pontes e sob os túneis
e sob as labaredas e sob o sarcasmo
e sob a gosma e sob o vômito
e sob o soluço, o cárcere, o esquecido
e sob os espetáculos e sob a morte escarlate
e sob as bibliotecas, os asilos, as igrejas triunfantes
e sob tu mesmo e sob teus pés já duros
e sob os gonzos da família e da classe,
fica sempre um pouco de tudo.
Às vezes um botão. Às vezes um rato.

Carlos Drummond de Andrade  A Rosa do Povo, 1945






Residuo

Di tutto è rimasto un poco, 
Della mia paura. Del tuo ribrezzo.
Dei gridi blesi. Della rosa
è rimasto un poco.

È rimasto un poco di luce
captata nel cappello.
Negli occhi del ruffiano
è restata un po' di tenerezza
(molto poco)

Poco è rimasto di questa polvere
che ti coprì le scarpe
bianche. Pochi panni sono rimasti,
pochi veli rotti,
poco, poco, molto poco.

Ma d'ogni cosa resta un poco.
Del ponte bombardato,
delle due foglie d'erba,
del pacchetto
— vuoto — di sigarette, è rimasto un poco.

Che di ogni cosa resta un poco.
È rimasto un po' del tuo mento
nel mento di tua figlia.
Del tuo ruvido silenzio
un poco è rimasto, un poco
sui muri infastiditi,
nelle foglie, mute, che salgono.

È rimasto un po' di tutto
nel piattino di porcellana,
drago rotto, fiore bianco,
di rughe sulla tua fronte,
ritratto.

Se di tutto resta un poco,
perché mai non dovrebbe restare
un po' di me ? Nel treno
che porta a nord, nella nave,
negli annunci di giornale,
un po' di me a Londra,
un po' di me in qualche dove ?
nella consonante ?
nel pozzo ?

Un poco resta oscillando
alla foce dei fiumi
e i pesci non lo evitano,
un poco : non viene nei libri.

Di tutto rimane un poco.
Non molto : da un rubinetto
stilla questa goccia assurda,
metà sale e metà alcool,
salta questa zampa di rana,
questo vetro di orologio
rotto in mille speranze,
questo collo di cigno,
questo segreto infantile...
Di ogni cosa è rimasto un poco :
di me ; di te ; di Abelardo.
Un capello sulla mia manica,
di tutto è rimasto un poco ;
vento nelle mie orecchie,
rutto volgare, gemito
di viscere ribelli,
e minuscoli artefatti :
campanula, alveolo, capsula
di revolver... di aspirina.
Di tutto è rimasto un poco.

E di tutto resta un poco.
Oh, apri i flacone di profumo
e soffoca
l'insopportabile lezzo della memoria.

Ma di tutto, terribile, resta un poco,
e sotto le onde ritmate,
e sotto le nuvole e i venti
e sotto i ponti e sotto i tunnel
e sotto le fiamme e sotto il sarcasmo
e sotto il muco e sotto il vomito
e sotto il singhiozzo, il carcere, il dimenticato
e sotto gli spettacoli e sotto la morte in scarlatto
e sotto le biblioteche, gli ospizi, le chiese trionfanti
e sotto te stesso e sotto i tuoi piedi già rigidi
e sotto i cardini della famiglia e della classe,
rimane sempre un poco di tutto.
A volte un bottone. A volte un topo.

Carlos Drummond de Andrade

(Traduction italienne : Antonio Tabucchi) 





 
Ce qui est resté

De tout il est resté un peu,
De ma peur. De ton dégoût.
Des cris bredouillés. De la rose
un peu est resté.

Il est resté un peu de lumière
captée dans le chapeau.
Dans les yeux du souteneur
il est resté un peu de tendresse
(très peu).

Peu de chose est resté de cette poussière
qui a recouvert tes chaussures
blanches. Il est resté peu de vêtements,
peu de voiles déchirés,
peu, peu, très peu.

Mais de chaque chose il reste un peu.
Du pont bombardé,
des deux feuilles d'herbe,
du paquet — vide — de cigarettes, il est resté un peu.

Parce que de chaque chose il reste un peu.
Il est resté un peu de ton menton
Dans le menton de ta fille.
De ton âpre silence
un peu est resté, un peu 
sur les murs agacés,
dans les feuilles, muettes, qui grimpent.

Il est resté un peu de tout
dans le petit plat de porcelaine,
dragon brisé, fleur blanche,
il est resté un peu de rides sur ton front,
comme un dessin.

S'il reste un peu de tout,
pourquoi ne devrait-il pas rester 
un peu de moi ? Dans le train
qui va vers le nord, dans le navire,
dans les nouvelles des journaux,
un peu de moi à Londres,
un peu de moi qui sait où ?
dans la consonne ?
dans le puits ?

Un peu reste, flottant
à l'embouchure des fleuves
et les poissons ne l'évitent pas,
un peu : on ne le trouve pas dans les livres.

De tout il reste un peu.
Pas beaucoup : d'un robinet
perle cette goutte absurde,
moitié sel et moitié alcool,
cette patte de grenouille bondit,
ce verre d'horloge
brisé en mille espoirs,
ce cou de cygne,
ce secret enfantin...
De chaque chose il est resté un peu :
de moi ; de toi ; d'Abélard.
Un cheveu sur ma manche,
de tout il est resté un peu ;
du vent dans mes oreilles,
un rot vulgaire, un gémissement
d'entrailles rebelles,
et de minuscules artéfacts :
une campanule, une alvéole, 
une balle de revolver... un cachet d'aspirine.
De tout il est resté un peu.

Et de tout il reste un peu.
Oh, ouvre le flacon de parfum
et te suffoque
l'insupportable puanteur de la mémoire.

Mais de tout, terriblement, il reste un peu,
et sous le rythme des vagues,
et sous les nuages et les vents
et sous les ponts et sous les tunnels
et sous les flammes et sous le sarcasme
et sous la glaire et sous le vomi
et sous le sanglot, la prison, l'oubli
et sous les spectacles et sous la mort écarlate
et sous les bibliothèques, les hospices, les églises triomphantes
et sous toi-même et sous tes pieds déjà raides
et sous les gonds de la famille et de la classe,
il reste toujours un peu de tout.
Parfois un bouton. Parfois un rat. 

Carlos Drummond de Andrade

(Traduction personnelle) 








Images : (1)  David Sebastian Roman  (Site Flickr)

(2)  Gianni Mazzetti  (Site Flickr)

(3)  Pietro Donofrio  (Site Flickr)

(4)  Andrea Salvioni  (Site Flickr)




5 commentaires:

  1. Reste-t-il vraiment quelque chose, cher Emmanuel ? Tout ce que nous avons vécu bascule peu à peu dans l'oubli. Des vies s'éteignent ou s'éloignent sans cesse dont le souvenir s'effrite. Comme si tout se vidait. Notre vie s'endort dans le sarcophage de l'oubli. Il devient difficile de se rappeler de certains visages, d'heures dont on sait pourtant qu'elles ont été vécues dans l'émotion. Une ombre gagne et nous protège de la douleur d'avoir perdu tel ou tel être. Une sorte d'indifférence, de résignation cotonneuse mêle à nos souvenirs pas mal d'imaginaire ou un vide. C'est un peu terrifiant. Des décombres que seule la mémoire involontaire éclaire de scènes fugitives. Les associations sensorielles font revivre un fragment du passé comme dans ce long poème - à l'humour grinçant... un poème de tisserand qui travaillerait avec des fils cassés. Et puis on ne revient jamais dans ce qui a été et qui n'est plus. Dislocation... C'est pourtant mieux que l'amnésie où tout est perdu à jamais.
    L'écriture fait surgir une mémoire derrière l'oubli dans la pliure du temps. C'est peut-être ce qui me ramène régulièrement vers votre "Fine Stagione"....

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  2. Un autre poème deCarlos Drummond de Andrade qui a du sens pour moi...

    Depois de tantos combates
    o anjo bom matou o anjo mau
    e jogou seu corpo no rio.

    As água ficaram tintas
    de um sangue que não descorava
    e os peixes todos morreram.

    Mas uma luz que ninguém soube
    dizer de onde tinha vindo
    apareceu para clarear o mundo,
    e outro anjo pensou a ferida
    do anjo batalhador.

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    1. Après de nombreux combats
      le bon ange tua l'ange mauvais
      et jeta son corps dans le fleuve.

      Les eaux se teignirent
      d'un sang qui ne se diluait pas
      et tous les poissons moururent.

      Mais une lumière dont personne ne put dire
      d'où elle était venue
      apparut pour éclairer le monde,
      et un autre ange pansa la blessure
      de l'ange combattant.

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    2. Traduction lumineuse d'un texte qui me restait un peu obscur (2e et 3e strophes). Ainsi du combat que chacun mène en soi ou envers l'autre pour s'arracher, pour aller vers plus de lumière. J'aime la douceur du final. L'autre ange... le tiers, un point d'appui pour retrouver des forces. Est-il de ce monde ? Merci, Emmanuel.

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  3. Quelques mois plus tard... Un peu... comme cela suffit pour sourire.

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