Quelques extraits, choisis (presque) au hasard, du Diario degli errori (Journal des erreurs), d'Ennio Flaiano :
Un libro sogna. Il libro è l'unico oggetto inanimato che possa avere sogni.
Un livre rêve. Le livre est le seul objet inanimé qui puisse avoir des rêves.
Cercava la verità e quando la trovò rimase male, era orribile, deserta, ci faceva freddo.
Il cherchait la vérité, et quand il la trouva, cela le désola ; elle était horrible, déserte, il y faisait froid.
Non chiedete alle bottiglie di Morandi che cosa contenevano e perché stanno insieme, ora sono vuote, e nemmeno recipienti, sono l'idea di un mondo possibile, di soluzioni possibili.
Ne demandez pas aux bouteilles de Morandi ce qu'elles contenaient et pourquoi elles sont réunies, maintenant elles sont vides, ce ne sont même plus des récipients, elles sont devenues l'idée d'un monde possible, de possibles solutions.
È un poeta così cattivo che sette città si rinfacciano il disonore di avergli dato i natali.
C'est un si mauvais poète que sept villes se renvoient le déshonneur de l'avoir vu naître.
Chi vive nel nostro tempo è vittima di nevrosi. Per vivere bene non bisogna essere contemporanei.
Qui vit à notre époque est victime de névroses. Pour bien vivre, il ne faut pas être contemporains.
Il borghese capisce tutto, afferra tutto, compra tutto.
Le bourgeois comprend tout, saisit tout, achète tout.
E pensare che questa farsa durerà ancora miliardi d'anni, dicono.
Et quand on pense que cette farce, à ce qu'on dit, va durer encore des milliards d'années. (1)
Preludi di Debussy. Meravigliosi confini raggiunti dalla cultura europea. Non esisteva che l'Europa, il resto del mondo incivile o coloniale o esotico. Oggi che l'Europa è finita si capisce la disperazione di questa musica che è arrivata all'estremo della malinconia e della grazia.
Les Préludes de Debussy. Perfection ultime à laquelle la culture européenne est parvenue. Il n'existait alors que l'Europe, le reste du monde était incivil, colonial ou exotique. Maintenant que l'Europe est finie, on comprend le désespoir de cette musique qui est parvenue au sommet de la mélancolie et de la grâce.
Il silenzio della notte. Finito l'abbaiare dei cani. Finito il ritorno dei gruppi che cantano in coro. Il mare si sente appena come un treno lontano nella notte. La luna è ancora nascosta.
Le silence de la nuit. Les chiens n'aboient plus. Les groupes qui chantaient en chœur dans la rue sont rentrés chez eux. On entend à peine le bruit de la mer, comme un train au loin dans la nuit. La lune est encore cachée.
Ennio Flaiano, Diario degli errori Ed. Adelphi, 2002 (Traduction personnelle)
Ennio Flaiano, Diario degli errori Ed. Adelphi, 2002 (Traduction personnelle)
(1) Ce fragment me rappelle une anecdote racontée par l'astrophysicienne Margherita Hack : au cours d'une conférence où il était question de la disparition de la Terre en raison de l'expansion du Soleil, une auditrice l'interrompit en lui demandant :
«Pardon, je n'ai pas bien compris, vous avez bien dit que cela devrait arriver dans cinq millions d'années ?
– Non, madame, dans cinq milliards d'années.
– Ah bon, je préfère ça, vous m'avez fait peur !»
Images : en haut, I Vitelloni, de Federico Fellini
au centre, Giorgio Morandi, Natura morta, 1956
« Il cherchait la vérité, et quand il la trouva, cela le désola ; elle était horrible, déserte, il y faisait froid. »
RépondreSupprimerCf. ceci.
Ah oui, la proximité est vraiment étonnante (le désert, le froid). Ces deux-là sont vraiment dans la même "famille d'esprit", et d'ailleurs le seul roman écrit par Flaiano (le fulgurant "Tempo di uccidere") est également très proche des thèmes et du ton de Houellebecq.
RépondreSupprimerMon favori est tout de même le coup du mauvais poète et des sept villes... Quel bel exergue cela ferait !
RépondreSupprimer(Renaud Camus)
@E.F.: Il me faut donc lire ce roman... Mais est-il traduit en français ?
RépondreSupprimerLes éditions du Promeneur (une filiale de Gallimard) ont édité plusieurs livres de Flaiano en français, dont le "Journal nocturne", le très bon recueil d'articles "La solitude du satyre", et cet unique roman de Flaiano, sous le titre "Un temps pour tuer" (paru en 2009). Il se peut toutefois que le rapprochement avec Houellebecq ne soit qu'une impression toute personnelle, la parenté la plus évidente étant quand même avec "L'Etranger" de Camus...
SupprimerMerci !
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