L’esprit d’un lieu – notion menacée par l’uniformisation triomphante : peut-il, en pénétrant d’autres espaces, y rester gravé ? Ainsi, dans l’enregistrement des symphonies Écossaise et Italienne de Mendelssohn dirigées à Ferrare par Nikolaus Harnoncourt, vais-je trouver une trace de la ville, qui serait aussi sa promesse ? Schumann confondait les deux œuvres : pour lui c’était l’Écossaise qui reflétait le voyage italien de son ami. Quant à l’autre, connue comme étant l’Italienne, seul le final lui vaudrait son titre : d’abord saltarello, feu follet, puis frénésie. L’interprétation d’Harnoncourt, incisive jusqu’à la cruauté, exalte à la fois la force vitale et sa part d’ombre : surgit alors une Italie qui se met en scène, accordant à l’étranger ce qu’il attend, ce que Mendelssohn, dans sa conscience juive redécouvrant Bach et Luther, voulait éprouver au bord d’un monde latin où les démons se masquent d’harmonie. Coupe claire des cordes, traits aigus, opiniâtres... On perçoit dans ce final, derrière l’éclat solaire, une vitalité proche du sarcasme et foncièrement réaliste, soucieuse de ne pas dévaler la pente, ou de bien retomber, qui n’aspire qu’à se repaître d’ambiguïté, de gestuelle, au creux d’un théâtre vide. Là, dans la conscience inflexible du jeu, réside pour certains une des vérités de l’Italie « en temps de détresse ».
Penser qu’un tel enregistrement fut réalisé à Ferrare, ville de contention qu’on ne parvient pas à nommer sans entendre le bruit d’une ferrure, sans se demander sur quoi se referme la prison... À quel moment naîtra l’arrogance, la négation, dans cet univers de douves, d’arches, d’eaux stagnantes, au cœur d’une Italie de la suspicion et du refus ? Sur la bande vidéo où se retrouvent quelques minutes des répétitions, le premier mouvement de l’Écossaise accompagne un lent travelling autour du château d’Este et des maisons environnantes. (Non loin, le palais Schifanoia, dont le nom peut signifier qu’on y exècre et combat le spleen, laisse entendre malgré tout, côte à côte, schifo et noia, le dégoût et l’ennui.) Dès que cessera l’immobilité, que délivreront ces murailles et ces murs : élan matinal ou furia meurtrière ? Pas de réponse, sinon Ferrare même, qui fut aussi l’une des plus fascistes.
Bernard Simeone Acqua fondata éditions Verdier, 1997
Penser qu’un tel enregistrement fut réalisé à Ferrare, ville de contention qu’on ne parvient pas à nommer sans entendre le bruit d’une ferrure, sans se demander sur quoi se referme la prison... À quel moment naîtra l’arrogance, la négation, dans cet univers de douves, d’arches, d’eaux stagnantes, au cœur d’une Italie de la suspicion et du refus ? Sur la bande vidéo où se retrouvent quelques minutes des répétitions, le premier mouvement de l’Écossaise accompagne un lent travelling autour du château d’Este et des maisons environnantes. (Non loin, le palais Schifanoia, dont le nom peut signifier qu’on y exècre et combat le spleen, laisse entendre malgré tout, côte à côte, schifo et noia, le dégoût et l’ennui.) Dès que cessera l’immobilité, que délivreront ces murailles et ces murs : élan matinal ou furia meurtrière ? Pas de réponse, sinon Ferrare même, qui fut aussi l’une des plus fascistes.
Bernard Simeone Acqua fondata éditions Verdier, 1997
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