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lundi 20 avril 2015

L'Invenzione di Morel (L'Invention de Morel)



I have been here before,

But when or how I cannot tell :
I know the grass beyond the door,
The sweet keen smell,
The sighing sound, the lights around the shore.

Dante Gabriel Rossetti   Sudden Light



"Esta no es hora para cuentos de fantasmas.
"






L’Invenzione di Morel (1974) est l’adaptation du célèbre roman d’Adolfo Bioy Casares ; c’est aussi le premier film d’Emidio Greco, qui n’en réalisera que huit en trente ans. On remarque plusieurs grandes différences entre le roman d’origine et l’adaptation qui en est ici proposée ; on sait par exemple que le livre de Casares se présente comme une sorte de journal intime, celui que le narrateur poursuivi (sans doute pour des motifs politiques) a tenu sur l’île mystérieuse où il a trouvé refuge ; dans le film, le point de vue adopté est au contraire purement objectif, le réalisateur a refusé le principe de la voix off, (omniprésente dans une précédente adaptation de L’Invention de Morel, en 1967, pour la télévision). C’est un choix original et courageux, puisque cela conduit à suivre pas à pas les déplacements du personnage, son désarroi, ses interrogations, sans qu’aucune parole ne soit prononcée dans les trente premières minutes du film. Le réfugié (interprété par Giulio Brogi) est souvent montré comme une sorte d’animal prisonnier, traqué et désemparé, qui s’agite et court dans tous les sens sans parvenir à trouver une issue ou une explication à tous les mystères qui l’assaillent.




Le deuxième changement porte sur la géographie de l’île ; il ne s’agit plus comme dans le livre d’une île tropicale marécageuse à la végétation luxuriante, mais d’un paysage pierreux, avec des falaises crayeuses et une végétation rare, faite de broussailles et d’immortelles (le film a été tourné à Malte). Le réalisateur utilise parfaitement ce très beau décor naturel, caractérisé par l’obsessionnelle présence du soleil et du vent. Au milieu de cette nature méditerranéenne surgissent des bâtiments blancs aux formes géométriques, avec des fenêtres grillagées et d’immenses verrières, dans une architecture rappelant l’expressionnisme ou le futurisme italien du début du vingtième siècle : ce sont les constructions imaginées par Morel pour y conduire sa mystérieuse expérience avec le groupe de personnes qu’il a réuni sur cette île. Les intérieurs du film ont été construits dans les studios de Cinecittà, et la fameuse machine de Morel, avec ses turbines, ses moteurs et ses immenses réflecteurs, est en fait la vraie salle des machines de Cinecittà, à peine transformée. L’atmosphère du film est elle-même très étrange ; on se croirait parfois dans un film fantastique de série B, à la Lucio Fulci ou à la Ruggero Deodato (les trucages rudimentaires, le maquillage grossier du réfugié à la fin du film, et la présence d’acteurs habitués de ces productions, comme John Steiner, qui joue le rôle de Morel), mais on retrouve aussi souvent dans le film des influences beaucoup plus sophistiquées (Antonioni et les souvenirs de l’île de L’Avventura, ou Buzzati pour l’ambiance proche du Désert des Tartares, Fritz Lang (Mabuse, bien sûr, référence d’autant plus évidente que Steiner ressemble à Rudolf Klein-Rogge), Godard (le rôle de Faustine est tenu par Anna Karina, qui est ici utilisée comme une citation vivante...)). On sait d’autre part qu’Emidio Greco est un homme de culture, fin connaisseur de l’œuvre de Borges à qui il a consacré plusieurs documentaires diffusés sur la RAI (notamment Nel labirinto di Borges, réalisé en 1980) ; il n’a sans doute pas eu ici tous les moyens de ses ambitions, mais ce côté parfois "bricolé" du film lui donne aussi a posteriori un certain charme.




Le choix le moins convaincant de Greco et de son scénariste associé, Andrea Barbato, concerne la fin du film : on y voit le réfugié détruire la machine de Morel, et renoncer ainsi à cette sorte d’immortalité factice qu’elle aurait pu lui offrir ; dans le livre au contraire, le personnage acceptait cette ultime consolation, qui lui permettait de rejoindre Faustine dans la même image, même s’il lui était impossible d’entrer dans "le ciel de sa conscience", comme le disent de façon nostalgique les derniers mots du roman. Ce changement me semble hélas trahir la signification profonde du livre ; je me demande s’il n’est pas aussi déterminé par l’ambiance idéologique de l’époque du tournage (les années soixante-dix), où il fallait sans doute par cet ultime sursaut volontariste montrer que le héros savait au dernier moment renoncer à une certaine aliénation par un acte de révolte libérateur... Le film ne résout pas non plus le problème principal que pose l’adaptation du roman de Casares au cinéma : la nécessité de faire nettement percevoir au spectateur la différence entre la réalité du monde du naufragé et la représentation qu’en proposent les images déclenchées de façon cyclique par la machine de Morel ; sur ce point, on peut se demander si ceux qui n’ont pas été le plus près de trouver une solution à cette sorte d’aporie ne sont pas Resnais et Robbe-Grillet dans L’Année dernière à Marienbad, qui, parce qu’elle refuse d’être une adaptation littérale, demeure la plus belle et la plus géniale évocation cinématographique de L’Invention de Morel.




La grande scène des "aveux" de Morel, où l'influence de Fritz Lang est assez évidente...



Images
: (1) Fernando Perez (Site Flickr)

(2) fidicaro (Site Flickr)

Source de la vidéo : Site YouTube

11 commentaires:

  1. Chiedo scusa se non commento il post, ma devo leggerlo con la calma e l'attenzione che merita. Non sarà un problema perchè tornerò molto spesso qui; è un blog splendido, piacevole da leggere e guardare...ma davvero splendido nel suo contenuto. Ho esplorato alcune etichette, ne ho ricevuto sorpresa, conoscenza di cose nuove, visioni differenti di posti in cui vivo la mia vita. Ho incontrato questo blog prezioso davvero per caso, mentre cercavo la citazione da un film, che non ho trovato. È un dono insperato. Grazie per condividere l'anima che si può ascoltare qui. Ho scritto in italiano, non solo per la pessima qualità del mio francese scritto, ma perchè ho la sensazione che l'italiano qui sia parlato con grazia inusuale e capito con profonda conoscenza. Grazie anche per questo.

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  2. Ho appena finito di leggere questo articolo, che non posso definire post perché avrei l'impressione di una mancanza da parte mia. Sono affascinata dal modo in cui è scritto e dall'uso dei link come note a margine. Ho la sensazione duplice di aver sfogliato un libro avvincente e di aver potuto assistere alla dinamica con cui l'idea che è alla base di questo brano si è materializzata e sviluppata, attraverso la colta intelligenza e la sensibilità di chi scrive. Questo è un autentico ipertesto, costruito con la semplicità logica di un pensiero compiuto e con l'eleganza formale di chi è abituato all'osservazione della Bellezza. Porto via con me la voglia di approfondire qualcosa che non conoscevo, la sensazione di aver compiuto un viaggio molto ben organizzato ed anche quella, preziosissima a rara, di essere stata condotta in uno spazio immenso, dove fra disorientamento e orientamento ho sentito germogliare il desiderio di conoscere.
    Perdoni se posso lasciare qui solo un grazie, per quanto sentito e sincero esso sia.
    Buona giornata

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    1. Grazie molte per il suo commento così gentile ! Sono molto contento che lei abbia apprezzato il gioco dei link nel testo, una delle potenzialità della scrittura sul web che mi piacciono di più...

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  3. Toujours l'éternel problème de l'adaptation cinématographique. Il fallait un certain courage pour s'attaquer à ce roman à structure quasi parfaite comme le dit Borges dans sa préface. Pour ma part, J'ai combattu avec "L'évangile selon Saint Marc" une nouvelle de Borges dans son recueil "Le rapport de Brodie" (à mon sens beaucoup plus "filmique"). Il y a aussi tant de nouvelles de "Bustos Domecq"...
    On peut considérer aussi le point de vue de Welles qui pensait que seul le roman "moyen" pouvait servir de point de départ à un travail d'adaptation.
    Tout à fait d'accord avec vous sur l'influence de Lang " cet organisateur du destin".

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    1. Oui, le cas de ce film est très curieux : on y sent à la fois un manque de moyens assez évident, qui le rapproche de la série B, mais il y a aussi chez le réalisateur une grande intelligence du texte, et une compréhension profonde des nombreux enjeux du récit. Le mélange est assez troublant...

      A propos de Welles, on peut remarquer que son adaptation du "Procès" de Kafka offre une très belle démonstration de la justesse de son point de vue ; il est même bien capable de l'avoir fait exprès !

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  4. C'est vrai, mais remarquez comme cette adaptation réussie n'offre cependant pas de "vision supplémentaire" de l'oeuvre. Au contraire la transformation de "Badge of Evil" de Masterson en "Touch of Evil" par Welles est remarquable.

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    1. Ah mais, justement, c'est ce que je voulais dire : à mon avis, Welles a loupé "Le Procès", confirmant bien ainsi son idée sur la difficulté d'adapter de grands livres, alors qu'il a réussi merveilleusement "Touch of evil" et "les Ambersons" (même si le film a été, comme on sait, charcuté par les producteurs). Cela dit, cette règle a ses exceptions : j'ai revu dernièrement "L'Etranger" de Visconti (d'après Camus), et le film m'a semblé vraiment très réussi.

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  5. Pour moi, le modèle d'une adaptation réussie reste celle que Kurosawa a faite d'après " King's Ransom" de Ed Mc Bain, avec la participation de l'auteur d'ailleurs, pour son film "Tangoku to Jigoku" (Entre le ciel et l'Enfer). Montrant du même coup aux septiques que les auteurs de Noir ne savent pas seulement écrire une intrigue mais savent aussi créer une atmosphère, un climat; et des personnages épais.

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    1. Ah oui, très beau film ! En Italie, il s'appelle "Anatomia di un rapimento". Je me demande d'ailleurs si le titre original japonais ne se réfère pas à Dante ; il me semble qu'il y a un aspect "visite aux enfers" dans la dernière partie du film...

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  6. Exactement. Le maître habite aussi sur une colline, au-dessus des quartiers pauvres.
    Dans les deux dernières séquences, nous assistons à sa descente vers le "peuple d'en bas" cher à Jack London.

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  7. Ces paysages évoqués (texte et photos)...
    Il arrive qu'un visage aimé soit indissociable d'un paysage, l'allume, le consume par sa propre lumière. L'inverse aussi. Le monde de l'amour enchante des paysages et les inscrit dans notre mémoire comme un bonheur durable, proche et lointain. Une sorte de vie secrète les habite. Voir... commence dans le monde intérieur et résonne dans tout le corps. Une part d'infini...Mirages...

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