En 1969, Emmanuelle Riva enregistre pour les disques Jacques Canetti plusieurs chansons, dont celle-ci, une valse de Georges Delerue composée pour Hiroshima mon amour, le film d'Alain Resnais (écrit par Marguerite Duras). Les paroles sont d'Emmanuelle Riva, et quand on les réécoute aujourd'hui, elles résonnent comme un très bel adieu :
Hiroshima mon amour, c'est ton nom
Je ne crois pas à l'oubli de la vie,
Hiroshima mon amour, c'est ton nom Je ne crois pas à l'oubli de l'amour, La roue de la fortune se voue à d'autres lunes...
Hiroshima et Nevers, c'est l'amour Je ne crois pas à la mort de l'amour, Hiroshima toi et moi mon amour Je crois toujours à l'amour de l'amour, Il pleut sur la lumière, Dieu veut revoir ses frères... Hiroshima mon amour, c'est ton nom Je ne crois pas à l'oubli de la vie, Hiroshima mon amour, c'est ton nom Je crois toujours à l'amour de la nuit pour le jour...
"Schwarze Milch der Frühe wir trinken sie abends wir trinken sie mittags und morgens wir trinken sie nachts wir trinken und trinken wir schaufeln ein Grab in den Lüften da liegt man nicht eng"
"Since then, at an uncertain hour, That agony returns : And till my ghastly tale is told This heart within me burns."
S.T. Coleridge, The Rime of the Ancient Mariner
"Depuis lors, à une heure incertaine, Cette angoisse revient : Et jusqu'à ce que mon étrange histoire soit dite, Ce cœur brûle en ma poitrine."
que faire de toi, de ton nom, contre la porte, à Ferrare, où bat le vide... aux yeux étrangers il n'y a que des ronces
et pourtant c'est toi que je frôle, rompue, par-delà ce brouillard... dans la nuit, d'autres, bien de chair, ont étouffé ton rire
de tes yeux inexistants, profonds, défends-moi (rêche le mur, brève la coursive) derrière l'écran de fumée – dans les airs une tombe, écrit Celan, la tienne forte, irréelle –
alors peut-être, j'entendrai que tu n'as pas pleuré
« depuis lors, à une heure incertaine, cette angoisse revient... » that agony returns et dans ton regard de vivante brûle déjà l'affreuse histoire, en exergue, de l'ancien marin, de cet autre, à Turin, sauvé des camps que l'homme invente, et qui même l'avait écrit, tombé, bien après, dans le gouffre : à sa mémoire nos années vides
épeler, de crainte que l'horreur ne soit tout le silence, le chemin par où m'est venue moitié de mon nom, jusqu'où c'est possible sans que la main tremble épeler
mais t'aimer, sur la page, ne coûte rien
la main, quoi qu'on dise, ne tremble pas dans les mots
"Anche il mondo sta naufragando, ma essi non sembrano accorgersene."
Peter's Bar è un caffè sul porto di Horta, vicino al club nautico. È qualcosa a metà fra la taverna, il punto di ritrovo, un'agenzia di informazioni e un ufficio postale. Lo frequentano i balenieri, ma anche la gente delle barche che fanno la traversata atlantica o altri percorsi maggiori. E poiché i navigatori sanno che Faial è un punto d'appoggio obbligatorio e tutti passano di qua, Peter's è diventato il destinatario di messaggi precari e fortunosi che altrimenti non avrebbero altro indirizzo.
Sul bancone di legno del Peter's sono attaccati biglietti, telegrammi, lettere nell'attesa che qualcuno venga a reclamarli. For Regina, Peter's Bar, Horta, Azores, dice una busta con un francobollo canadese. Pedro e Vilar Vasquez Cuesta, Peter's Bar, Azores : una lettera dall'Argentina, ed è arrivata ugualmente. Un biglietto già un po' ingiallito dice : Tom, excuse-moi, je suis partie pour le Brésil, je ne pouvais plus rester ici, je devenais folle. Écris-moi, viens, je t'attends. C/o Enghenheiro Silveira Martins, Avenida Atlantica 3025, Copacabana. Brigitte. E un altro implora : Notice. To boats bound for Europe. Crew available !!! I am 24, with 26.000 miles of crewing / cruising / cooking experience. If you have room for one more, please leave word below ! Carol Shepard.
Antonio TabucchiDonna di Porto Pim, Altri frammenti, Ed. Sellerio, 1983
Peter's Bar est un café sur le port de Horta, tout près du club nautique. C'est quelque chose qui tient à la fois de la taverne, du lieu de rendez-vous, de l'agence de voyage et du bureau de poste. Il est fréquenté par les baleiniers mais aussi par les gens des bateaux qui font la traversée de l'Atlantique, ou d'autres parcours encore plus longs. Et comme les navigateurs savent que Faial est une escale obligatoire, et que tout le monde passe par là, Peter's est devenu le destinataire de messages précaires et hasardeux qui sans cela n'auraient pas d'adresse.
Sur le comptoir de bois du Peter's, sont épinglés des billets, des télégrammes, des lettres qui attendent que quelqu'un vienne les réclamer. For Regina, Peter's Bar, Horta, Azores, dit une enveloppe qui porte un timbre canadien. Pedro e Pilar Vasquez Cuesta, Peter's Bar, Azores : une lettre venant d'Argentine, arrivée malgré tout jusqu'ici. Un billet, un peu jauni déjà, dit : Tom, excuse-moi, je suis partie pour le Brésil, je ne pouvais plus
rester ici, je devenais folle. Écris-moi, viens, je t'attends. C/o
Enghenheiro Silveira Martins, Avenida Atlantica 3025, Copacabana.
Brigitte. Et un autre implore : Notice. To boats bound for Europe. Crew available !!! I am 24, with
26.000 miles of crewing / cruising / cooking experience. If you have
room for one more, please leave word below ! Carol Shepard.
(Traduction : Lise Chapuis, Ed. Christian Bourgois, 1987)
Images : de haut en bas, (1) Feliciano Guimaraes (Site Flickr)
Trieste, 8 giugno
1768. Muore verso le quattro del pomeriggio fra le braccia insanguinate del
cerusico Ezechiel Katz. Ha gli anni di Calamity Jane e il destino di Pier Paolo
Pasolini. È il maestro del Bello e fa una brutta fine. Quella notte, nel suo
letto all’Osteria Grande, locanda verosimilmente poco appollinea, non ha
dormito. L’ha passata con il vicino di stanza, il cuoco pistoiese al momento
disoccupato Francesco Arcangeli, fronte bassa, occhi scuri, naso curvo,
sopracciglia folte, che di celestiale, decisamente, non ha altro che il
cognome. Che cosa lo abbia attirato in un uomo come quello (il vigore degli
anni, il fascino della rozzezza ?) sembra un mistero ma non lo è, perché
l’amore, come si sa, è cieco. Fatto sta che all’alba, forse ingolosito da certe
preziose medaglie che brillano sul comodino, quello ha impugnato il coltello e, sostituendo una furia
all’altra, ha infierito sul suo corpo come un macellaio quando scanna le
bestie.
Delle loro anime si sa poco. Una sarà finita nel nobile paradiso degli
esteti, l’altra nell’efferato inferno dei disgraziati. Dei loro corpi si sa
tutto. Uno, sfigurato dalla ruota e divorato dal fuoco, ebbe le ceneri disperse
al vento : dispregio riservato dalla legge ai sodomiti. L’altro fu inummato con
tutti gli onori nel campo comune, dove diventerà cenere come l’altro. L’1 marzo
1833, quando si riesumarono i resti per collocarli in un più degno sepolcro nel
Cimitero superiore, non si trovò altro che quella.
Trieste, 8 juin 1768.
Il meurt vers quatre heures de l’après-midi entre les bras ensanglantés du chirurgien
Ezechiel Katz. Il a l’âge de Calamity Jane et le destin de Pier Paolo Pasolini.
C’est le maître du Beau et il a une fin très laide. Cette nuit-là, dans son lit
de l’Osteria Grande, établissement vraisemblablement peu apollinien, il n’a pas
dormi. Il l’a passée en compagnie de son voisin de chambre, le cuisinier de
Pistoie à ce moment-là sans emploi, Francesco Arcangeli, le front bas, les yeux
sombres, le nez courbe, les sourcils épais ; décidément, il n’a rien d’angélique,
si ce n’est son nom. Qu’est-ce qui a bien pu l’attirer chez un tel homme :
la force de l'âge, l’attrait de la rudesse ? Cela ressemble à un
mystère, mais ce n’en est pas un, parce que l’amour, c’est bien connu, est
aveugle. Toujours est-il qu’à l’aube, peut-être alléché par certaines médailles
précieuses qui brillent sur la table de chevet, l’homme s’est emparé d’un
couteau et, passant d’une fougue à l’autre, il s’est acharné sur son corps
comme un boucher lorsqu’il égorge les bêtes.
Sur le destin de leurs âmes, on ne
sait pas grand-chose : l’une a dû rejoindre le noble paradis des esthètes,
l’autre l’impitoyable enfer réservé aux voyous. En revanche, on n’ignore rien
de ce que devinrent leurs corps : l’un fut écartelé sur la roue et dévoré
par le feu, avant que l’on ne disperse ses cendres dans le vent, selon la
punition prévue par la loi pour les sodomites ; l’autre fut inhumé avec
tous les honneurs dans le cimetière commun, où lui aussi il va finir par se
dissoudre. Le premier mars 1833, lorsque l’on exhuma les restes pour les placer
dans un tombeau plus digne, dans le Cimetière supérieur, on ne trouva plus que
de la cendre.
Dans son livre Eccentrici, publié chez Adelphi en 2015, Geminello Alvi fait le portrait de plusieurs « excentriques », de Ferdinand von Zeppelin à Monsieur Willy, en passant par Arletty, Lovecraft, Stroheim, Pancho Villa, Oliver Hardy ou Greta Garbo. Je traduis ici le chapitre consacré à Mario Bava, le maître du macabre :
Tandis que l’actrice, nordique mais avinée, hurlait contre la mauvaise qualité de la lumière, un machiniste imperturbable braquait sur son visage un projecteur au bout d’une perche. Mais à un moment donné, les hurlements ne suffirent plus ; elle se retourna furieuse, heurtant le perchiste qui s’écroula sur un membre de l’équipe chargé du recrutement des figurants. Avec un bruit de friture, la lampe brûlante se souda instantanément au crâne chauve de ce dernier, d’ailleurs mal secouru par un Maciste affolé et aussitôt insulté. Une agitation générale s’ensuivit, et ce plateau de cinéma devint un radeau rempli de fous ondoyant sur la crête d’une vague. Mais, tandis que les larmes de rimmel coulaient sur le visage de l’actrice, le serveur du bar réclamait à Maciste l’argent de son cappuccino et la costumière voulait appeler une ambulance ; le seul à rester imperturbable, c’était Mario Bava. Sa lèvre supérieure recouvrait l’autre et, riant sous cape, il roulait des yeux pour se donner un air faussement terrifié. C’était le metteur en scène, mais son seul souci était de concentrer son attention sur le paquet de Marlboro qu’il tenait dans la main. Du reste, étant dans le monde du cinéma pratiquement depuis sa naissance, il ne pouvait pas le prendre au sérieux.
Le 31 juillet 1914, quand Bava naquit à Sanremo, son père travaillait déjà depuis huit ans à Turin chez Pathé, comme scénographe et opérateur. Et l’enfance du fils se déroula dans le jeu avec les rouleaux de pellicule et l’émerveillement devant les photogrammes. Sans crainte de l’empoisonnement, puisqu’il savait déjà qu’il ne fallait pas se lécher les doigts, il tenait un bout de la pellicule pendant que son père, muni d’un morceau de coton imbibé de cyanure, la frottait avec un air fanatique. Ainsi, devant l’évier de la cuisine, il commença à se délecter des trucages du cinéma des origines et d’une morale d’un autre temps. La conception des frères Lumière était encore prépondérante : le cinéma devait servir à faire revivre les morts dans un crépitement de lumière, et à d’autres subterfuges de cette nature, puisqu’il était l’architecture du faux-semblant. Et un enfant de cette époque pouvait-il rêver mieux que d’avoir pour père rien moins que l’inventeur de Galaor, qui était le rival de Maciste ? Évidemment, le père artiste à l’esprit romantique finit par faire faillite. Toutefois, il trouva une solution de repli à Rome comme directeur des effets spéciaux à l’Institut Luce, tandis que son fils Mario abandonna les études sans obtenir son baccalauréat. Il avait refusé de passer l’épreuve de gymnastique, et de toute façon, son rêve était de devenir peintre.
À vingt ans, il se maria et travailla à l’adaptation des génériques pour les versions italiennes des films américains. Il gagnait bien sa vie pour l’époque, carrément "dix mille lires mensuelles en 1938". Mais l’embargo sur les films américains le mit sur la paille et il se reconvertit en opérateur. Ainsi, en 1941 il travailla avec De Robertis, et malgré son caractère distrait, il sut se montrer perspicace en reconnaissant en lui "un vrai génie, l’inventeur du néoréalisme, plus que Rossellini qui lui a tout volé." Après la guerre, il échappa à la misère en réalisant des documentaires. Puis son expérience technique lui valu d’être engagé comme directeur de la photographie à la Lux, la maison de production de Carlo Ponti. Et grâce à son bon caractère, il travailla avec tout le monde, et devint même l’ami d’Aldo Fabrizi. En 1958, le film Les Travaux d’Hercule lança à Cinecittà un nouveau genre, après le filon biblique, celui des péplums (1). Grâce aux effets spéciaux de Bava, le film battit le record du nombre d’entrées détenu par Le Pigeon. Persuadé de la vérité élémentaire selon laquelle le cinéma est d’abord une affaire de trucages, Bava ne tenait pas spécialement à devenir metteur en scène, d’autant plus qu’il gagnait très bien sa vie comme directeur de la photographie. Mais il possédait cet atavisme du caractère italien qui fait qu’il est difficile de refuser une offre si elle est alléchante. Et à quarante-six ans, il devint le metteur en scène d’un film d’horreur, Le Masque du démon. Le scénario était inspiré d’une nouvelle de Gogol, et d’ailleurs Bava ne s’en préoccupait guère ; il était beaucoup plus concentré sur la qualité de la photographie et des effets spéciaux. Et on se souvient encore du plan splendide de la porte qui claque, tandis que Barbara Steele est baignée par la lumière de la lune, vêtue d’ombre et les pupilles dilatées, indistinctement vierge ou vampire.
Le film plut aux cinéphiles américains qui, comme c’est souvent le cas chez les snobs, transforment en mythe ce qui le mérite le moins. Mais surtout, il eut un grand succès commercial. Et c’est ainsi que le doux Bava, lui qui ne tuait pas les moustiques par crainte de les faire souffrir, passa le reste de sa vie dans les flots d’hémoglobine et parmi les vampires, parfois même intergalactiques. Des effets spéciaux créés avec un talent admirable, pour des films qu’il ne réussissait pas à prendre au sérieux et des scénarios médiocres. Plus de vingt films en vingt ans, tournés à toute vitesse en économisant la pellicule, en improvisant des scènes sur le plateau ou en inventant des répliques à l’aveugle. Et presque à chaque fois, on voyait dans les salles de cinéma le public de cette Rome plébéienne qui se moquait des grimaces de ses monstres et ne retrouvait son calme que lorsque les cuisses de ses actrices illuminaient l’écran. Et dans ces conditions, que pouvait-il faire d’autre sinon soigner son image et ses effets spéciaux ?
Il avait la lunatique et géniale décontraction de celui qui ne voudrait jamais conclure un plan qui lui plaisait. Et il ne changea jamais sa méthode, même pas quand, en 1968, De Laurentiis lui attribua un énorme budget pour tourner le film Diabolik. Il ne renonça pas à l’ironie de celui qui invente un trucage pour épater le spectateur le plus modeste, et qui s’en amuse. On voit donc son Diabolik qui, sur un lit tournant, recouvre le corps d’Eva de dollars et dynamite tous les hôtels des impôts. Cela donna un film qui involontairement se référait à l’esthétique du pop-art. Il avait choisi Marisa Mell plutôt que la Deneuve, car il trouvait qu’elle ressemblait plus à une héroïne de bande dessinée. Les actrices de ses films finissaient d’ailleurs toutes par faire des carrières de mannequins. "Ravissant toutes les belles femmes, pour les donner en pâture à un monstre" (2) : Bava, expert en trucages et en timidité, mourut logiquement pendant le mois des farces, en avril 1980.
È la luce che cade, danza nell'aria,
le linee delle torri congiunte
con le linee dei poggi,
la lontananza, al suono di un'orchestra
bianca,
si posa sugli embrici, sui fanali,
si posa sui pensieri, una mano scosta
la tenda dell'infanzia, di là dalla finestra
il silenzio è un lenzuolo di percalla disteso sopra le strade del mondo,
dormono gli alberi nell'abbagliante equivalenza delle forme.
C'est la lumière qui tombe, qui danse dans l'air, les lignes des tours jointes à celles des coteaux, le lointain, au son d'un orchestre
blanc, se pose sur les tuiles, sur les fanaux, se pose sur les pensées, une main soulève le rideau de l'enfance, derrière la fenêtre le silence est un drap de percale étendu sur les routes du monde, les arbres dorment dans l'éblouissante équivalence des formes. Une joie tranquille dans les yeux du matin.
seigneurs, vilains, filous, tenez vous-le pour dit.
Moi, je peux redresser le tordu et tordre le droit :
je peux tous vous vendre au prix que j'ai fixé :
je peux même vous faire pendre sans causer aucun tort,
car je suis le bailleur de votre vie et de votre sort.
Qui loge dans ce monde sans le titre
de Pape, de Roi, ou d'Empereur,
celui-là n'aura jamais voix au chapitre ».
Le Bourreau fut chargé de répandre cet édit,
et de demander à tous ce qu'ils en pensaient ;
et d'une seule voix, tous répondirent : « C'est vrai, c'est vrai ! ».
21 janvier 1832
(Traduction personnelle)
Le troisième vers de ce sonnet ("Io sò io, e vvoi nun zete un cazzo" / "Moi, je suis moi, et vous, des moins que rien") est devenu l'une des répliques les plus célèbres de la comédie italienne, depuis qu'Alberto Sordi l'a repris dans une scène mémorable du film de Mario Monicelli Il marchese del Grillo (1981), que l'on peut voir ci-dessous :
Images : Ugo Pagliai dans Enrico IV, de Luigi Pirandello
ADDIFENDITI, RINARDU ! Difenditi, Rinaldo ! La battuta appartiene a uno di quegli aneddoti, veri o inventati, che si raccontano del mondo dei pupari, dei pupi e soprattutto del pubblico che un tempo assiduamente frequentava l’Opera dei Pupi. L’episodio sarebbe accaduto al mio paese durante la rappresentazione del combattimento tra Orlando e Rinaldo, nel teatro di mastro Orazio. A un certo momento dello scontro, feroce ma leale, tra i due paladini, un incidente imprevisto fece sì che la spada di Rinaldo si spezzasse e questi venisse a trovarsi del tutto disarmato di fronte a Orlando. Per alcuni secondi il tempo in quel teatrino parve fermarsi : Orlando rimase con la durlindana alzata senza osare calarla sull’avversario, il pubblico trattenne il fiato, i pupari s’immobilizzarono nella disperata ricerca di una soluzione. E in quell’attimo sospeso, un coltello volò per aria, attraversò la saletta, s’infilzò vibrando sulle tavole del minuscolo palcoscenico mentre una voce gridava : «Addifenditi, Rinardu !». A lanciare il coltello era stato uno dei più fieri sostenitori di Orlando, e non di Rinaldo come si sarebbe potuto supporre : a riarmare Rinaldo, perché non si potesse mai dire che Orlando aveva bassamente approfittato della momentanea difficoltà del suo nemico. E questa battuta l’ho sentita fino a una ventina di anni fa, tra gente di una certa età, da due contadini o due pescatori che fra loro ragionavano : e uno dei due era pronto a fornire argomenti all’avversario che ne era a corto, per il gusto di discutere ad armi pari. E così il ragionamento, iniziato terra terra per il costo di un chilo di sarde o di fave, finiva per librarsi funambolicamente nelle sfere della dialettica pura.
DÉFENDS-TOI, RENAUD ! Cette apostrophe provient de l’une des nombreuses anecdotes, vraies ou inventées, qui se racontent sur le monde des pupari(marionnettistes), des pupi (marionnettes), et surtout sur le public qui autrefois fréquentait assidûment l’Opéra des Pupi. L’histoire se serait déroulée dans mon village, pendant la représentation du combat entre Roland et Renaud, dans le théâtre de mastro Orazio. À un certain moment du combat, féroce mais loyal, entre les deux paladins, l’épée de Renaud se brisa à la suite d’un incident imprévu, et le héros se retrouva complètement désarmé face à Roland. Pendant quelques secondes, le temps sembla s’être arrêté dans le petit théâtre : Roland resta figé avec sa Durandal levée sans oser l’abattre sur son adversaire, le public retint son souffle, les marionnettistes s’immobilisèrent dans la recherche désespérée d’une solution. Et en cet instant suspendu, on vit voler un couteau ; il traversa la salle pour venir se planter sur le plancher de la minuscule scène, et une voix hurla : «Défends-toi, Renaud !». Le lanceur du couteau était l’un des plus chauds partisans de Roland, et pas de Renaud comme on aurait pu le supposer : il avait réarmé Renaud pour que l’on ne puisse pas dire que Roland avait lâchement profité de la situation difficile dans laquelle s’était momentanément retrouvé son adversaire. Et il y a vingt ans encore, il m’arrivait d’entendre cette apostrophe entre personnes d’un certain âge, par exemple deux paysans ou deux pêcheurs qui discutaient : l’un des deux était toujours prêt à fournir des arguments à son adversaire qui s’en trouvait démuni, pour le seul plaisir de poursuivre la discussion à armes égales. Et ainsi, un débat terre-à-terre, portant initialement sur le prix d’un kilo de sardines ou de fèves, finissait par se déployer de façon acrobatique dans les sphères de la pure dialectique.
Un extrait du très beau livre que Thierry Laget a consacré à Florence, Florentiana, paru en 1993 dans la collection L'Un et l'Autre aux éditions Gallimard.
Quand le chef d’orchestre,
halluciné à son pupitre, écarte les bras comme une grande chauve-souris de
bande dessinée, quand, boulanger qui enfourne son pain en Enfer, il abaisse sa
baguette, telle une banderille prête à crever les yeux du premier violon, quand
il trépigne en frappant l’estrade du talon et tente de se raccrocher aux
portées de sa partition, entraîné par le flux sonore, désormais dévoré par la
bête qu’il a déchaînée, les cuivres ronflants, la peau des tambours crevée, les
cymbales claironnantes, quand le public tétanisé retient son souffle et ses
applaudissements, on entend tout de même une malicieuse fanfare minuscule, au
fond de la salle, qui reprend la mélodie en canon, qui semble accompagner l’orchestre
au loin, dans le foyer, sur le velours de quelque loge, et qui propulse avec
retard de petits sons métalliques, bondissant, des fureurs d’ocarina, de
guimbarde, de crécelle, de castagnettes, comme montées sur ressort. C’est l’écho
du théâtre Communal de Florence.
Il est très virtuose, quoique un peu
paresseux, et ne se dérange que pour les grandes occasions. Au début du
concert, il se montre discret. Les étoiles de la scène sont comme ça :
elles aiment à se faire désirer. Il s’endort aux lentos, somnole aux adagios,
ronfle aux pianissimos, se réveille en sursaut aux fortissimos : il
feuillette alors ses partitions, ébahi, « où en sommes-nous ? où en
sommes-nous ? », il se rattrape au premier fff qui lui tombe sous les yeux et entonne n’importe
quoi, ce qui lui passe par la tête, ce qui hante sa mémoire, le finale de la
Neuvième de Beethoven, par exemple, qu’on jouait la semaine dernière, au milieu
du Stabat Mater qu’on a mis au programme ce soir.
Les chanteurs et les musiciens
le connaissent bien, qui ont dû apprendre à l’apprivoiser : on ne
deviendra pas quelqu’un, ici, si l’on néglige ce paramètre. Le public sourit
lorsqu’il l’entend : cela veut dire que l’orchestre est tonitruant, et le
public aime qu’il en soit ainsi. Les ingénieurs acousticiens, eux, ont cent
fois tenté de piéger cet écho, de l’étouffer, de le tuer : tant qu’il
vivra, ils ne dormiront pas en paix, c’est le déshonneur de leur profession.
Mais ils ont beau installer des moquettes, des systèmes de sonorisation
électrique, des paravents, le petit écho revient régulièrement narguer son
monde au moment des cloches de l’Ouverture 1812 ou pendant l’orage qui précède
les grands crimes dans les opéras de Verdi.
Il est un chef d’orchestre qui va
jusqu’à donner à l’écho le signal de son entrée. C’est Georges Prêtre (il vient
souvent ici), qui dirige à mains nues. La musique, il la prend d’abord entre
ses doigts, la pétrit , l’étire et l’émiette. Puis il est lunaire, bagarreur,
le danseur de tango qui renverse sa partenaire, la paysanne qui lave ses draps
dans la Volga, le gamin qui poursuit des bulles de savon, qui fait rebondir sa
balle sur le sable mouillé, le mendiant en haillons immobile sous la neige, l’oiseau
planant toutes griffes, toutes flammes dehors, le bon Dieu qui tire un seau
plein d’eau du puits, le figaro qui pommade et gomine. Il porte la main à son cœur,
il en tire la musique, lui sourit. Il salue les notes au passage, et tapote
gentiment la tête de celles qui arrivent en retard. Du second balcon, on voit
les crânes qui luisent à l’orchestre, comme des peaux de tambour tendues sur
lesquelles taper. L’écho sautille de l’un à l’autre avant de retomber, tout
confus, le cul sur la scène.
Dans un joli petit livre intitulé Lampadine (Ampoules), Masolino d'Amico, professeur et traducteur de littérature anglaise, a réuni une suite de courts textes : souvenirs, anecdotes, portraits, autour de grands personnages de la culture italienne qu'il a pu côtoyer dès son enfance (il était de fait très privilégié puisqu'il est le fils de la grande scénariste Suso Cecchi d'Amico (fille de l'écrivain et critique Emilio Cecchi) et du critique musical Fedele d'Amico ). Masolino d'Amico a épousé Benedetta Craveri, fille d'Elena Croce et petite-fille de Benedetto Croce. Autant dire que l'on ne devait pas s'ennuyer dans les réunions de famille ! Gabriele Baldini, qui est cité dans ce passage, est un essayiste et un grand spécialiste de littérature anglaise (il a été l'élève de Mario Praz, et l'époux de Natalia Ginzburg).
Gabriele Baldini aveva frequentato da giovane la casa di Benedetto Croce, come cauto corteggiatore di una delle sue figlie. «Lui non mi rivolgeva la parola quasi mai, né io, intimidito com'ero, osavo parlargli per primo», mi raccontava. «Però lo ascoltavo a bocca perta. E lo osservavo. Una volta che ci alzammo tutti da tavola e lui si avviò verso il suo studio lo seguii senza farmi notare e lo spiai dalla porta rimasta socchiusa.
«Il filosofo si diresse verso la sua scrivania. Si sedette.
«Io sarò rimasto a guardarlo per almeno mezz'ora. Lui non si mosse mai. Non scriveva, non leggeva. Però nemmeno dormiva : aveva gli occhi aperti.»
A questo punto Gabriele faceva una pausa drammatica.
«Hai capito, Masolino ? Pen-sa-va !»
Masolino d'AmicoLampadine, Ed. Il Mulino, 1994
Gabriele Baldini avait fréquenté dans sa jeunesse la maison de Benedetto Croce, en qualité de prudent soupirant de l'une de ses filles. «Il ne m'adressait presque jamais la parole, et comme il m'intimidait beaucoup, je n'osais pas lui parler le premier, me racontait-il.Toutefois, je l'écoutais bouche bée. Et je l'observais. Une fois, tandis que nous quittions la table et qu'il se dirigeait vers son bureau, je le suivis sans me faire remarquer et l'épiai depuis la porte restée entrouverte.
Le philosophe se dirigea vers sa table de travail. Il s'assit.
J'ai dû rester à l'observer pendant une bonne demi-heure. Il n'a jamais bougé. Il n'écrivait pas, il ne lisait pas. Cependant, il ne dormait pas : ses yeux étaient ouverts.»
À ce moment-là, Gabriele marquait une pause solennelle.
Der Abschied (L'Adieu) est le dernier (et le plus long) lied du Chant de la Terre (Das Lied von der Erde) de Mahler, une symphonie de six lieder pour deux voix solistes et orchestre composée en 1908, sur des textes de La Flûte chinoise, un volume de poèmes chinois dont Mahler avait lu l'adaptation allemande durant l'été 1907 (Die chinesische Flöte). Le texte de L'Adieu est une adaptation d'un poème de Mong-Kao-Jen (ou Meng Hao-ran) et Wang-Wei, deux auteurs du huitième siècle, l'âge d'or de la poésie chinoise. Je cite ici ce que dit Henry-Louis de La Grange, le grand spécialiste de Mahler et l'auteur d'une monumentale biographie en trois tomes du compositeur, à propos de ce magnifique Adieu que l'on peut entendre ici dans l'interprétation unique de Kathleen Ferrier :
"La durée de ce finale égale presque celle des cinq autres morceaux réunis et c'est à tous égards le sommet expressif de l'ouvrage. Chacun des trois grands volets est précédé d'un prélude orchestral et d'un récitatif vocal. Avant le troisième récitatif qui précède la dernière section, le prélude s'amplifie et prend la forme d'une longue Marche funèbre typiquement mahlérienne. La conclusion, bouleversante de douceur, de retenue, de foi paisible, apporte une réponse positive à la déploration funèbre. Les vers magnifiques sur lesquels s'achève l'ouvrage sont de Mahler lui-même :
Partout, la Terre bien-aimée fleurit au printemps et verdit de nouveau ! Partout et éternellement, l'horizon sera bleu ! Éternellement... éternellement...
À la fin de sa courte vie, au moment où sa prodigieuse maîtrise se joue de tous les problèmes de forme et de toutes les contraintes, sa musique atteint ici à de nouveaux sommets de dépouillement et de lyrisme contemplatif. La matière musicale finit par se raréfier, les voix s'espacent et planent dans l'éther, libérées des lois de la pesanteur et des contraintes habituelles du contrepoint. Ici, comme dans les derniers Adagio malhériens, l'acceptation sereine est comme illuminée d'une lumière venue d'ailleurs. Mahler s'est enfin libéré des contingences terrestres qu'il a si douloureusement ressenties. Plus que jamais, sa musique s'ouvre alors sur l'éternité et sur l'infini."
Der Abschied
Die Sonne scheidet hinter dem Gebirge.
In alle Täler steigt der Abend nieder
mit seinen Schatten, die voll Kühlung sind.
O sieh ! Wie eine Silberbarke schwebt
der Mond am blauen Himmelssee herauf.
Ich spüre eines feinen Windes Weh'n
hinter den dunklen Fichten !
Der Bach singt voller Wohllaut durch das Dunkel.
Die Blumen blassen im Dämmerschein.
Die Erde atmet voll von Ruh' und Schlaf.
Alle Sehnsucht will nun träumen,
die müden Menschen geh'n heimwärts,
um im Schlaf vergess'nes Glück
und Jugend neu zu lernen!
Die Vögel hocken still in ihren Zweigen.
Die Welt schläft ein !
Es wehet kühl im Schatten meiner Fichten.
Ich stehe hier und harre meines Freundes;
ich harre sein zum letzten Lebewohl.
Ich sehne mich, o Freund, an deiner Seite
die Schönheit dieses Abends zu geniessen !
Wo bleibst du ? Da lässt mich lang allein !
Ich wandle auf und nieder mit meiner Laute
auf Wegen, die von weichem Grase schwellen.
O Schönheit ! O ewigen Liebens,
Lebenstrunk'ne Welt !
Er stieg vom Pferd und reichte ihm den Trunk
des Abschieds dar. Er fragte ihn, wohin
er führe und auch warum es müsste sein.
Er sprach, und seine Stimme war umflort: «Du mein Freund,
mir war auf dieser Welt das Glück nicht hold !
Wohin ich geh' ? Ich geh', ich wandre in die Berge.
Ich suche Ruhe für mein einsam Herz.
Ich wandle nach der Heimat, meiner Stätte.
Ich werde niemals in die Ferne schweifen.
Still ist mein Herz und harret seiner Stunde !
Die Liebe Erde allüberall
blüht auf im Lenz und grünt
aufs neu ! Allüberall und ewig
blauen Licht die Fernen !
Ewig... ewig...».
L'Adieu
Le soleil plonge derrière les montagnes.
Sur les vallées tombent le soir
et ses ombres pleines de fraîcheur.
Vois
! Comme une barque d’argent
la lune flotte sur la mer bleue du ciel.
Je sens une tendre brise souffler
derrière les sombres pins
!
Le ruisseau chante joliment dans l’ombre.
Les fleurs pâlissent dans le crépuscule.
La Terre respire et se gorge de repos et de
sommeil.
Tous les désirs sont désormais changés en rêves,
et les gens fatigués rentrent chez eux
pour trouver dans le sommeil un bonheur oublié
et apprendre à redevenir jeunes
!
Les oiseaux se blottissent, silencieux, sur les
branches.
Le monde s’endort...
Il passe une brise fraîche à l’ombre de mes pins.
Je suis là et j’attends mon ami
;
je l’attends pour un dernier adieu.
J’ai tant envie, ami, à tes côtés
de partager la beauté de ce soir.
Où es-tu
? Tu me laisses seul si longtemps
!
J’erre de-ci de-là, avec mon luth,
sur des sentiers riches d’une herbe douce.
Ô beauté
! Ô monde à jamais
ivre d’amour et
de vie
!
Il descendit de cheval et lui donna la coupe
de l’adieu.
Il lui demanda où
il allait et pourquoi c’était impératif.
Il parla, et sa voix était voilée :
«Ô mon ami,
sur cette Terre, le bonheur ne m’a pas souri
!
Où vais-je
?
Je vais errer dans les montagnes.
Je cherche le repos pour mon cœur solitaire.
Je chemine vers mon pays, mon refuge.
Pour moi, plus jamais d’horizons lointains.
Calme est mon cœur et il attend son heure.
Partout, la Terre bien-aimée fleurit
au printemps et verdit de nouveau
!
Partout et éternellement, l’horizon sera bleu
!
Éternellement... éternellement...»
Se ne va il sole, dietro la montagna.
In ogni valle scende la sera
con le sue ombre, che tanto rinfrescano.
Guarda ! Come una barca d'argento, dondola
la luna sull'azzurro lago del cielo.
Sento il soffio di un vento sottile
spiare dal buio degli abeti.
Il ruscello canta, pieno d'armonie, attraverso l'oscurità.
I fiori impallidiscono nell'imbrunire.
La terra respira, tutta pace e sonno.
Ogni desiderio ora vorrebbe sognare,
gli uomini, stanchi, camminano verso casa,
per ritrovare, nel sonno, felicità
e giovinezza dimenticate !
Gli uccelli fanno silenzio, appollaiati sui loro rami.
Il mondo si addormenta !
Spira aria fresca all'ombra dei miei abeti.
Qui, fermo, aspetto in ansia il mio amico;
lo aspetto in ansia, per l'ultimo addio.
Come desidero, amico, al tuo fianco
godere la bellezza di questa sera !
Dove indugi ? Mi lasci a lungo solo !
lo vago su e giù con il mio liuto
su sentieri di morbida erba gonfi.
O bellezza ! o mondo, d'amore
e di vita eternamente inebriato !
Scese da cavallo, e gli offrì il bicchiere
dell'addio. L'altro gli domandò quale fosse
la sua meta, e perché dovesse esser cosi.
Egli parlò, e la sua voce era velata: «Amico mio,
in questo mondo non mi ha arrìso la fortuna !
Dove vado ? Vado, a vagare sui monti.
Cerco pace al mio cuore solitario.
Vado via, torno in patria, il mio sito.
Mai più di lì mi muoverò per andare
lontano.
Tace il mio cuore e attende con ansia la sua ora !
La cara terra dovunque
fiorisce in primavera e verdeggia
sempre di nuovo. Dovunque, eternamente
d'azzurro s'illuminano i lontani orizzonti!
Eternamente... eternamente...».
(Traduzione : Quirino Principe)
Images : en haut et au centre, grazie a Luca Sallusti (Site Flickr)