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jeudi 24 mai 2012

Il ricordo del sole (Le souvenir du soleil)




"Chi li visiterà, i perduti ?"



"Sans l'avoir voulu, par ce qu'a d'instinctif son regard sur la culture et la vie, Mussapi a jeté un pont entre ici et ailleurs dans le présent, et entre maintenant et jadis dans le souci poétique. (...) Quand on s'attache à d'autres époques, ou à des êtres de celles-ci, il est fréquent, autant qu'assez naturel, d'aborder les uns et les autres par leurs monuments ou leurs œuvres, autrement dit par des traces, des textes, au plan d'un déjà exprimé qui voue le questionneur d'aujourd'hui à une rencontre par le dehors, entre les pôles opposés de la citation et du commentaire. Mais chez Mussapi il en va tout autrement. Comme les Paroles de Pline [Yves Bonnefoy cite ici l'un des poèmes du recueil La Poussière et le feu : Paroles de Pline du haut du volcan en flammes] le montrent bien, ce poète se porte d'emblée dans la forêt du passé – «épaisse d'ombres», dit Dante – vers de telles ombres, justement : non le poète ancien tel qu'il paraît dans son œuvre, ou le héros comme il s'efface dans ses hauts faits, mais la personne qu'ils furent, en son moment et son lieu, et qui n'est plus mais n'en a pas moins à nos yeux la sorte de vie qui enveloppe le nom que l'on prononce, vie qui a retenu tout son mystère bien qu'elle dise à plein désormais sa finitude. Cette vie, cette présence au sein de l'absence, est évidemment transcendante à toutes nos approches, comme il en va de toute existence. Évoquer Pline ainsi – ou Enée comme le fait également Mussapi –, c'est se vouer à ne plus tenir ce que l'on sait de ces êtres, par la littérature ou l'histoire, que pour des vues simplifiées ou des mirages. Mais en retour, et c'est comme cela que ce regard se fait poésie, on va être prêt à comprendre qu'ils ont accédé du fait de la mort à un sens, une vérité, qui ne se donnent qu'en celle-ci, et auxquels on ne peut songer soi-même, en leur difficulté essentielle, pourtant notre seule tâche, que si, aussi intensément que possible, on pense à eux sous le signe de la fin qu'ils ont rencontrée. Des morts, chez Mussapi, mais disons plutôt des vivants rencontrant leur mort."

Yves Bonnefoy




Enea guarda gli accampamenti alla sera


Tra pochi istanti questo campo sarà un solo respiro
e nessuno ricorderà il proprio nome, nel sonno
respirerà il mio esercito, e il popolo
dei dormienti si unirà nel silenzio al popolo dei morti.

Fumi leggeri escono dalle tende, fumi dalle ceneri
sulle are dove sono stati bruciati i caduti
in battaglia, in questo giorno che declina,
che dalla terra esala il ricordo del sole.

Chi li visiterà, i perduti ? scaglie di sole,
brandelli di memoria raggiungeranno il loro silenzio,
come accade ai dormienti, i miei morti
avranno visite incorporee, fuggite dal giorno ?
Conosceranno anche loro il risveglio e il mattino,
scuotendo la morte come si scuote il sonno, l'oblio
che la prima luce asciuga e rapprende ?
Voi campi arsi che a poco a poco ora trovate il respiro,
voi letto o tomba del mio esercito transitante, campi...
Dormono in voi, esalarono l'ultimo respiro
alla luce che si allontanava, dormono
accanto quelli che caddero nel vostro grembo d'oro
guardando il vuoto luminoso tra i colli e tra gli occhi
rubando per la morte l'estremo sole.

Roberto Mussapi Gita meridiana Il Sonno degli eroi Jaca Book 2009




Enée regarde au soir le campement

Bientôt ce camp sera un unique souffle
et plus personne ne se souviendra de son nom, dans le sommeil
respirera mon armée, et le peuple
des dormeurs s'unira dans le silence au peuple des morts.

Des fumées légères s'élèvent des tentes, et des cendres
sur les autels où l'on a brûlé ceux qui sont tombés
au combat, en ce jour qui décline,
exhalant de la terre le souvenir du soleil.

Qui viendra les visiter, les perdus ? Des éclats de soleil,
des lambeaux de mémoire rejoindront-ils leur silence,
comme cela arrive aux dormeurs, mes morts
auront-ils des visites incorporelles, échappées au jour ?
Connaîtront-ils eux aussi le réveil et le matin,
s'éveillant de la mort comme on le fait du sommeil, l'oubli
que la première lueur essuie et fige ?
Vous, champs arides qui maintenant peu à peu reprenez souffle,
vous, lit et tombeau de mon armée nomade, champs...
Ils dorment en vous, ils exhalèrent leur dernier soupir
à la lumière qui s'éloignait, ils dorment
à côté de ceux qui tombèrent en votre sein d'or,
regardant le vide lumineux entre les collines et entre les yeux,
dérobant pour la mort le dernier soleil.

(Traduction personnelle)



Images : en haut, Vincenzo Mazza (Site Flickr)

au centre, Bartolomeo Pinelli Enea e il Tevere (Wiki Commons)

Roberto Mussapi sur le site Terres de femmes

2 commentaires:

  1. "...mais la personne qu'ils furent, en son moment et son lieu, et qui n'est plus mais n'en a pas moins à nos yeux la sorte de vie qui enveloppe le nom que l'on prononce, vie qui a retenu tout son mystère bien qu'elle dise à plein désormais sa finitude."
    Ces lignes d'Yves Bonnefoy sont tellement bouleversantes... J'ai ressenti cela à Vienne récemment frôlant les présences de K. Kraus, R. Musil, S. Zweig, J. Roth, I. Bachmann, T. Bernhard, P. Handke, L. Wittgenstein, Freud... Mozart, Schubert, Mahler... dans les rues, les musées, les salles de concert. Leur écriture, leur musique ayant donné accès à leur être véritable... Ils hantent la ville et le cœur des promeneurs... Irréversibilité du temps, irrépressible mémoire. Intimité par la lecture ou l'écoute, par le regard aussi quand on se heurte aux toiles et dessins de Klimt, de Schiele...
    "Expérience d'une réalité au delà de ce que les mots, ceux-mêmes de la pensée ou du sentiment, peuvent en dire." (Y. Bonnefoy - 2005 - correspondance avec Astrid de Larminat)

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    1. Ce que vous dites est très juste, Christiane ; je pense aussi à la conclusion de la très belle nouvelle de Pirandello "Colloques avec des personnages" : «Les choses, regarde-les aussi avec les yeux de ceux qui ne les voient plus. Tu en auras un regret, mon fils, qui te les rendra plus sacrées et plus belles.»

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