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mardi 2 décembre 2014

San Giusto, Volterra




À Volterra, derniers jours de novembre. [...] Volterra sur son piton n'est qu'un gros bourg allongé, pénétré de vergers et de potagers jusqu'en son centre. Sous l'énorme forteresse-prison, mais au-dessus des toits, s'étale un parc peu boisé, et le jour épuisé, à cinq heures, n'avait pas tant abdiqué qu'on ne puisse voir encore, de là, les tours, les clochers, les rues, les places, les façades et la plaine ; plus loin, dans toutes les directions, de très hauts plateaux nus ondulent sombrement sous les pics distants des monts Métallifères. Ce ne peut être seulement l'heure, la saison, si le voyageur se croit revenu au bord d'une ville perchée de son pays, à Saint-Flour ou à Salers.

Une sentinelle dans sa guérite crie « Pezzo di merda ! », on ne sait à quelle adresse : un camarade, un détenu, nous, la nuit, l'existence.




Illuminée le soir, la façade de l'église San Giusto, hors les murs, près des balzes déchiquetées, on l'imaginerait plutôt en Corse, ou au Mexique, ou au Pérou. Elle n'est qu'un très haut mur étroit et plat de pierres jaunes non appareillées. Quatre longs pilastres le scandent. Ceux du bord, un peu plus forts, sont couronnés de pignons que de simples volutes unissent au fronton surélevé, porté par ceux du centre. Une seule porte, une seule fenêtre, rectangulaires et toutes civiles, leurs tympans dûment différents, triangulaire l'un, l'autre incurvé. La Corse tout de même n'aurait pas pu, ni le Pérou, un art si raffiné ni si simple. Il faut pour ce dépouillement théâtral et grandiose toute la science dont témoigne par exemple, en ville, le palais Incontri d'Ammannati. Ce Cantal-là connaît son Michel-Ange. En tout cas le maniérisme n'a jamais été moins maniéré.

San Giusto n'est ceint que de ciel noir. Rien ne l'enserre. Une large pelouse monte vers elle, entre une double rangée d'immenses cyprès. Au pied de cinq ou six degrés, deux colonnes font socle à des saints aéropagytes, et deux autres au sommet, qui flanquent le perron. Les transepts saillent à peine, puis deux chapelles rondes latérales, déjà dévorées par l'ombre.

Renaud Camus  Notes achriennes  Editions Hachette P.O.L, 1982








Images : en haut et en bas, Matteo Bimonte  (Site Flickr)

au centre, Paul Petruck  (Site Flickr)




2 commentaires:

  1. Il y a aussi la Volterra de Tabucchi : " Par justice ou par charité, il mourut au bout de dix ans au pénitencier de Volterra. Un matin (c'était au mois de mars), quand la femme et l'enfant arrivèrent comme de coutume, le premier lundi du mois, ils ne le trouvèrent pas à les attendre au parloir. La cour intérieure résonnait comme du cristal sous les chaussures,car en mars Volterra est glacée là où le soleil ne filtre pas, et cette cour-là n'avait pas vu le soleil depuis qu'on l'avait construite. Des pierres énormes, grises, couvertes de taches vertes d'humidité et corrodées par la rouille des barreaux: des pierres et du fer. Et lorsqu'un verrou courait sur la pierre, on aurait dit un gémissement ou un éclat de rire, une lame qui raclait la cour et s'élevait jusqu'aux fenêtres de l'enceinte, jusqu'au ciel carré. (Le petit Navire)

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