Translate

samedi 29 octobre 2011

Le Sommeil de Dieu


"...enixa puerpera regem..."




Un extrait de Lieu clair, le très beau livre que Jean-Paul Marcheschi vient de consacrer à l’œuvre de Piero della Francesca. Il est ici question de La Madonna del Parto :

«L’œuvre de Piero dit beaucoup en ne montrant rien – ou presque rien. Et ce presque rien, unique objet de sa méditation, est l'attente. Une fois que l’œil s'est habitué à la pénombre violente où il est plongé, d'autres signes se précisent. Nul fauvisme dans le traitement des couleurs. La palette est subtile, chromatisme étal tirant vers la pâleur. Le lieu qui accueille cette scène est une tente : vaste dais capitonné, surpiqué de coussins rectangulaires ocres et clairs. À l'extérieur, des motifs de fleurs damassés d'or ornent le tabernacle de tissus. Ici, tout l'espace est "textile", car il s'agit d'accueillir un corps. Et tandis que nous fixent les deux anges qui, de part et d'autre, ouvrent les pans de la tente, la jeune madone, retirée en elle-même, nous dérobe son regard. 




Elle est littéralement distraite, c'est-à-dire soustraite au temps (celui de l'action accomplie par les anges), ce temps linéaire qui l'entoure. Encore une fois, c'est à travers les yeux que s'opère la séparation, où une part d'elle-même, étrange – étrangère –, quitte l'espace dans lequel elle paraît. Elle est là – si picturalement et structuralement là – et pourtant tout son être est ailleurs. La main droite, s'immisçant dans l'interstice blanc qui fend la robe, nous montre dans quelle direction se tourne le regard. 




À la scène, elle confère une note inattendue, car l'objet de la distraction est l'écoute. Et ce que l’œil écoute, c'est cet Autre, enfermé dans son ventre, c'est le sommeil de Dieu. Deux rêves chavirent ici et se mélangent en un seul regard qui s'absente.»

Jean-Paul Marcheschi Piero della Francesca, Lieu clair Editions Art 3, Nantes, 2011



2 commentaires:

  1. Admirable la relation entre les deux articles et les deux regards, celui du poète et celui de la Madonna Del Parto. Le "regard qui s'absente" et "l'oeil qui écoute"... Magnifique!
    J'ai eu la chance d'admirer l'oeuvre il y a longtemps mais, elle est toujours présente pour des raisons évidentes.

    RépondreSupprimer
  2. J'aime vous lire, julius marx. vous lisant j'écris. Lire est un tel soulagement. Les plumes se replient. Les encriers laissent l'encre s'évaporer. Les nuages en deviennent mauves comme des cernes. Oui, "le regard s'absente" et "l'oeil écoute"...

    RépondreSupprimer