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jeudi 2 décembre 2010

Le point du jour



[1950]

Il y a au sommet de certains immeubles de Paris (près de l'avenue de New-York, avenue d'Iéna, etc.) des chambres où l'on doit pouvoir être heureux. D'immenses baies s'ouvriraient sur la Seine et, le soir, la tour Eiffel me ferait des signes avec ses phares rouges et blancs. Les lumières seraient crues dans la grande pièce aux murs blancs que j'habiterais. J'y traînerais ma vie abandonnée et seule avec mes livres, mes disques. Un petit rayon de soleil, une simple petite joie dans le cœur suffit à faire trouver beau ce que l'on trouvait laid. De mes fenêtres, je dominerais Paris.

Bernard Delvaille Journal 1949-1962 La Table Ronde, 2000





Les fenêtres des restaurants de nuit donnent sur la voie lactée
les marronniers frémissent dans les soupirs du petit matin
Je connais les étoiles par cœur
Bételgeuse est un hôtel flou dans une ruelle sombre
et tant d'autres dont les noms sont merveilleux
Les globes colorés du samedi soir
sur le fond palpitant de la fête
m'appellent en vain à l'oubli des ombres infidèles
Les portes de la ville sonnent pour le passage des
marchands des quatre saisons

pour le passage de celui qui porte les messages
de celui qui vend l'eau potable
et de celui qui ramasse les coquilles d'huîtres
de celui qui blanchit le linge des riches
et de celui qui arrache l'herbe dans les cimetières
Paris ma ville des clochers et des tours du Moyen Age
tes veilleurs de nuit guettent le retour des guerriers
Compagnons de la Marjolaine
Le point du jour descend les marches de l'aurore
Voici que les noctambules et que les ivrognes s'affaissent
sur les bancs froids des quais fleuris
Voici l'odeur de vendange qu'exhalent les chats crevés
et les cris des noyés dans la Seine

Bernard Delvaille Poèmes en marge de «Blues» (in Œuvre poétique, éditions de la Table Ronde, 2006)








 

Images : Jean-François Gornet (Site Flickr)

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